Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, que de chemin parcouru par l'agriculture française, depuis un demi-siècle ! Au cours des cinquante dernières années, le monde agricole a relevé avec succès le défi de la modernisation de notre agriculture : performance économique, indépendance et sécurité alimentaires, maintien de territoires vivants.
Pourtant, la mutation de notre agriculture n'est pas terminée : une loi d'orientation était nécessaire pour lui redonner un nouveau souffle, un nouvel élan.
Ce texte doit tracer l'avenir de l'agriculture, sans pour autant proclamer des évidences, sans se tourner avec nostalgie vers un passé qui n'est plus, mais sans pour autant renier ce passé : quels enjeux !
Voilà la difficile équation que le projet de loi d'orientation agricole doit résoudre : donner à notre agriculture les moyens de se maintenir, tout en développant ses potentialités pour l'avenir.
Jusqu'à présent, l'agriculture française peut être fière de ses réussites et de sa faculté d'adaptation à des conditions économiques et environnementales ardues. Mais les agriculteurs n'en sont pas moins confrontés à des difficultés face à une situation économique de plus en plus fragile. Une véritable crise d'identité s'est fait jour au fil des épreuves qu'ils ont eu à traverser.
Les défis que nos agriculteurs continuent de relever sont aussi nombreux que leurs attentes : nous avons plus que jamais besoin d'une agriculture forte, écologiquement responsable, qui participe à la puissance économique de notre pays, qui valorise les territoires, qui assume ses responsabilités en matière alimentaire et non alimentaire.
Autant d'objectifs que doit permettre d'atteindre ce texte en redessinant le cadre de notre agriculture pour lui permettre d'entrer dans une nouvelle ère, en prise plus directe avec les marchés.
D'où la notion pivot de ce texte : celle de l'entreprise agricole qui modernise le statut des exploitations, mais s'accompagne d'un allègement des contraintes administratives, de la modernisation du statut des exploitations, de la sécurisation du revenu des agriculteurs et du renforcement de l'organisation économique du monde agricole. Ce sont autant de leviers d'action pour accompagner les mutations à venir et répondre aux enjeux de demain.
Le texte qui est aujourd'hui soumis à notre Haute Assemblée comporte des avancées notables : reconnaissance de l'entreprise agricole, renforcement des organisations de producteurs et développement des missions des interprofessions, modernisation du statut de la coopération, ou encore volonté de mettre en place une structure de gestion des aléas.
Je salue d'ailleurs à ce propos le travail de nos collègues députés, dont les amendements ont enrichi ce projet de loi. Cependant, si nous voulons adopter un texte ambitieux, il est de notre responsabilité de revenir sur certains points qui ont été modifiés à l'Assemblée nationale au mois d'octobre dernier.
S'agissant du fonds agricole, les députés ont adopté un amendement rendant ce fonds optionnel, avec une déclaration au niveau de l'administration. Ils ont soutenu que le fait de prendre en compte les droits incorporels servant à l'exploitation donnerait une valeur à ces éléments, et que l'accès des jeunes au métier serait ainsi plus onéreux.
Toutefois, la création du fonds agricole ne peut, en soi, aboutir à un surcroît de valeur et à un renchérissement des transactions. Au contraire, c'est l'approche patrimoniale qui conduit souvent à surévaluer la valeur des actifs.
Par ailleurs, il me semble souhaitable de revenir sur la question de la cessibilité du bail avec l'accord du propriétaire. La logique du bail cessible est de séparer l'exploitation et le foncier. L'exploitant est un chef d'entreprise, à la tête d'une unité économique de production, qui cherchera à assurer la pérennité de son entreprise en préparant sa succession.
Permettre le choix du concessionnaire par le bailleur peut déséquilibrer le système. C'est comme si, en matière commerciale, le propriétaire des murs pouvait se substituer au propriétaire du fonds lors d'une cession. Toute la difficulté est de tenir compte également des petits propriétaires fonciers, qui ne sont pas tous des investisseurs, et qui souhaitent garder un droit de regard sur l'utilisation de leurs terres.
La question de l'organisation des producteurs prévue par le texte est, elle aussi, importante. Cette organisation est nécessaire pour donner aux producteurs les moyens de gérer l'approvisionnement du marché face à la concentration de la demande par les centrales d'achat.
Pour qu'une négociation s'effectue dans les règles, il est indispensable que la propriété des marchandises ait été transférée à l'organisme qui négocie avec la centrale d'achat. Le projet de loi d'orientation agricole tend à inciter les organisations de producteurs à rendre plus équitables les relations entre la distribution et la production. Nous avions obtenu quelques avancées à ce sujet dans la loi relative au développement des territoires ruraux.
En ce qui concerne la valorisation non alimentaire des produits agricoles - je pense notamment aux huiles végétales pures -, le texte initial allait dans un sens plus favorable à la recherche de débouchés durables que celui de l'Assemblée nationale. Il est clair que la France souffre, aujourd'hui encore, d'un retard en matière de valorisation non alimentaire des produits agricoles, et je le regrette. C'est une attente forte des agriculteurs, mais les débouchés sont encore trop confidentiels.
Des mesures simples pourraient être prises : on pourrait par exemple clarifier les conditions du traitement fiscal des biocarburants. Cette visibilité rendrait possible le développement de ces filières dont l'équilibre économique dépend également d'un allégement de la fiscalité. Mes collègues ont d'ailleurs déposé à ce sujet des amendements que je soutiendrai.
On le voit, ce texte a une réelle ambition : créer les outils juridiques et économiques d'un nouveau modèle agricole et accompagner les principales évolutions de l'agriculture française des prochaines années. Il est en rupture avec la logique territoriale qui prévalait dans la loi d'orientation votée par la gauche en 1999.