Le désarmement nucléaire n’est pas un devoir abstrait. Il implique des engagements politiques concrets.
De même, la normalisation des relations avec l’Iran et la levée des sanctions impliquent que ce pays donne des gages réels quant à sa volonté de ne pas se doter d’armes nucléaires, afin d’éviter une prolifération en cascade dans la région.
L’Iran doit ratifier le protocole additionnel de l’AIEA et le TICE, et il doit entrer dans la négociation d’un TIPMF.
À défaut de la suspension des activités d’enrichissement de l’usine de Natanz, conformément aux vœux de la communauté internationale, je vous propose de placer cette usine sous le contrôle effectif de l’AIEA, le stock d’uranium faiblement enrichi étant écoulé sur le marché international, en attendant que l’Iran se dote d’un programme électronucléaire crédible, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui. Cela laisserait largement le temps de résoudre, sur une base régionale, le problème de l’accès au combustible.
Enfin, la question nord-coréenne, potentiellement très déstabilisatrice pour toute la région, et d’abord pour le Japon, par ailleurs « pays du seuil » susceptible de se doter, s’il le souhaite, de l’arme nucléaire, ne peut être traitée qu’à travers l’engagement de la Chine, qui dispose de tous les moyens de pression capables d’infléchir les positions de Pyong-Yang. Cette question s’inscrit au premier plan des relations sino-américaines, principal enjeu géostratégique des décennies à venir.
La lutte contre la prolifération nucléaire implique donc une volonté politique qui dépasse les a priori idéologiques ou les aspects techniques pour s’attacher à la résolution de crises depuis trop longtemps pendantes. Le désarmement est un sujet qui doit être traité sans angélisme. « L’homme n’est ni ange ni bête, a dit Pascal, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ». Pour progresser dans la voie du désarmement, il faut d’abord faire preuve de réalisme, mais surtout de courage.
Ces graves questions ont une incidence directe sur la sécurité de la France et sur le maintien d’un équilibre pacifique en Europe.
La France n’a aucune raison d’aborder de manière frileuse l’échéance de la conférence d’examen. En matière de désarmement, son bilan, parmi tous les États dotés, est sans équivalent : abandon de la composante terrestre et démantèlement de ses sites d’expérimentation et de production de matières fissiles, notamment.
La France doit privilégier une approche pragmatique et constructive en mettant l’accent sur les conditions qui permettront de progresser vers le désarmement nucléaire, dans la perspective d’un monde plus sûr, sans sécurité diminuée pour quiconque et d’abord pour elle-même.
La sécurité de la France est un souci légitime, mes chers collègues. Dimensionnées selon un principe de stricte suffisance, nos forces réduites unilatéralement de moitié depuis une vingtaine d’années n’ont pas à être prises en compte, au stade actuel, dans une négociation multilatérale.
Pour cette raison, la France doit maintenir une posture de dissuasion indépendante et se tenir en dehors du comité des plans nucléaires de l’OTAN. Comme l’a énoncé en son temps le général de Gaulle, « si l’on admettait pour longtemps que la défense de la France cessât d’être dans le cadre national […], il ne serait pas possible de maintenir chez nous un État ».
La dissuasion française est un élément de stabilité en Europe, même si sa vocation est d’abord nationale. Elle garantit notre autonomie de décision et nous permet de ne pas nous laisser entraîner, selon l’expression du général de Gaulle, « dans une guerre qui ne serait pas la nôtre ».
L’incertitude étant au fondement de la dissuasion, je suggère que la France assortisse « toute garantie négative de sécurité » à l’égard des États non dotés de fermes restrictions à l’emploi d’armes de destruction massive ou au-non-respect du TNP constaté par le CSNU.
Notre stratégie est défensive. Je suggère que, à l’occasion du prochain débat sur le nouveau concept stratégique de l’OTAN, la France s’efforce de convaincre ses voisins européens de la nécessité de maintenir un principe de dissuasion nucléaire en Europe tant que la Russie conserve, tout comme les États-Unis, un important arsenal nucléaire et que le Moyen-Orient n’est pas une zone dénucléarisée.
J’ajoute qu’il ne serait pas prudent de « lâcher la proie pour l’ombre », au profit d’un système de défense antimissile balistique aléatoire, qui nous priverait de surcroît de toute autonomie stratégique.
La France pourrait demander, lors de la conférence d’examen, que soient liées les questions relatives à la prolifération balistique et au désarmement nucléaire et la mise en place d’une défense antimissile balistique. C’est une idée que j’avance.
De nombreuses décisions ne dépendent pas de nous, comme les négociations entre les États-Unis et la Russie. Mais il est des domaines dans lesquels notre détermination peut jouer un rôle important : l’aboutissement pacifique de la crise iranienne ; le maintien d’un principe de dissuasion en Europe ; la promotion des usages pacifiques de l’énergie nucléaire dans le monde ; enfin, le maintien d’une posture de défense sur laquelle une majorité de Français se retrouvent, car ils sentent que le monde change. La montée de l’Asie va bouleverser les équilibres mondiaux et par conséquent les équilibres de sécurité.
Dans leur majorité, les Français savent que le fait nucléaire implique, comme l’avait bien vu le général Poirier, la stratégie indirecte. Ils savent que le maintien de notre posture, et donc de notre effort de défense, dont la dissuasion représente le dixième seulement, constitue la meilleure garantie de la paix.