Séance en hémicycle du 23 mars 2010 à 14h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à midi, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, j’ai le regret de vous rappeler le décès de nos anciens collègues Jean Pourchet, qui fut sénateur du Doubs de 1988 à 1998, et Henri Tournan, qui fut sénateur du Gers de 1962 à 1980.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’ai le très profond regret de vous rappeler le décès de notre collègue Jacqueline Chevé, survenu le 15 mars 2010.

Elle avait été élue sénatrice des Côtes-d’Armor le 21 septembre 2008.

Vendredi dernier, j’ai tenu à représenter le Sénat à ses obsèques à Loudéac, accompagné, notamment, de M. Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, de M. Jean-Marc Pastor, questeur, de Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, ainsi que d’un certain nombre de collègues de toutes sensibilités politiques.

Je prononcerai son éloge funèbre ultérieurement, mais je tiens d’ores et déjà à saluer sa mémoire, comme l’ont fait les nombreuses personnes rassemblées dans sa ville.

Au nom du Sénat, j’exprime notre sympathie et notre compassion à sa famille, à son époux, à ses deux enfants, à ses proches, aux élus et aux citoyens des Côtes-d’Armor, ainsi qu’au groupe socialiste.

Je vous propose d’observer un instant de recueillement en la mémoire de Jacqueline Chevé, dont la personnalité rayonnait au-delà du Sénat, forte des valeurs qu’elle portait à titre collectif et personnel, héritage d’une famille particulièrement engagée au service des valeurs de la République.

M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’informe le Sénat qu’en application de l’article 57 de la Constitution et de l’article 4 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il a été pris acte de la cessation, à compter du samedi 6 mars 2010 à minuit, des mandats de sénateurs de MM. Michel Charasse et Hubert Haenel, nommés membre du Conseil constitutionnel.

En application des articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a fait connaître qu’en application de l’article L.O. 320 du code électoral, M. Serge Godard est appelé à remplacer M. Michel Charasse, en qualité de sénateur du Puy-de-Dôme, et M. Jean-Louis Lorrain, M. Hubert Haenel, en qualité de sénateur du Haut-Rhin.

Leurs mandats ont débuté le dimanche 7 mars 2010 à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je leur souhaite un bon retour parmi nous, tous deux ayant déjà siégé dans notre assemblée, dont ils connaissent bien le fonctionnement.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a fait connaître au Sénat que, en application de l’article L.O. 319 du code électoral, M. Ronan Kerdraon est appelé à remplacer, en qualité de sénateur des Côtes-d’Armor, Jacqueline Chevé.

Son mandat a débuté le 16 mars 2010 à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite une cordiale bienvenue et un excellent mandat au service de son département.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Par courrier en date du 25 février 2010, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, M. Hervé Maurey, sénateur de l’Eure, en mission temporaire auprès de M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, et de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique.

Cette mission portera sur le financement du très haut débit.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’informe le Sénat que M. le Premier ministre, par lettre en date du 17 mars 2010, a estimé souhaitable, sans attendre l’adoption des règles organiques qui permettront la mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution, de mettre la commission intéressée en mesure d’auditionner, si elle le souhaite, M. Jean-Paul Bailly, qui pourrait être prochainement nommé aux fonctions de président du conseil d’administration de La Poste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Acte est donné de cette communication. Ce courrier a été transmis à la commission de l’économie.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’informe le Sénat que j’ai reçu de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, le rapport annuel établi pour l’année 2009.

Ce rapport, qui a été présenté aux membres de la commission des lois lors d’une audition tenue le 23 février 2010, est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’informe le Sénat que j’ai reçu :

- le rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour 2009 établi en application de l’article 11 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté – j’ai d’ailleurs reçu personnellement le Contrôleur général ;

- le rapport annuel pour 2009 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, commission dont j’ai également reçu le président, établi en application de l’article 26 bis de la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques ;

- le rapport annuel de la Haute autorité de lutte contre les discriminations – j’ai reçu son président avant la fin de son mandat – établi en application de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations.

Ces documents ont été transmis à la commission des lois et sont disponibles au bureau de la distribution.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

J’ai reçu de M. le Premier ministre, en application de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, le Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs 2010-2012.

Ce document a été transmis pour évaluation, conformément à l’article L. 542-1-2 du code de l’environnement, à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

J’ai également reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article L. 4111-1 du code de la défense, le quatrième rapport du Haut comité d’évaluation de la condition militaire.

Il a été transmis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et sera disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’informe le Sénat que, à la suite de la nomination de M. Michel Charasse en tant que membre du Conseil constitutionnel, M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’établissement public de réalisation de défaisance, d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil d’orientation stratégique du Fonds de solidarité prioritaire et d’un sénateur appelé à siéger, en qualité de membre suppléant, au sein du conseil d’administration de l’Agence française de développement.

Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des finances à présenter des candidatures.

Les nominations au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

J’informe par ailleurs le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Conseil supérieur de l’aviation civile, créé en application de l’article D. 370-4 du code de l’aviation civile.

Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’informe le Sénat que j’ai été saisi de la question orale avec débat suivante :

N° 57 - Le 18 mars 2010 - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat attire l’attention de M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur l’utilisation des Taser et des flashballs.

Elle rappelle que le Conseil d’État a en septembre dernier annulé le décret autorisant les agents municipaux à utiliser le Taser. Cette annulation était officiellement motivée par les « dangers spécifiques » de cette arme de catégorie IV. Le groupe Taser, dans un guide d’utilisation publié le 12 octobre dernier, reconnaît que son usage fait courir un risque cardiaque à la personne visée. À l’occasion de son rapport concernant les évènements des 11 et 12 février 2008 au centre de rétention de Vincennes, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, écrit notamment que : « Il est permis de s’interroger très sérieusement sur l’utilité du dispositif d’enregistrement vidéo qui ne permettrait en aucun cas de vérifier a posteriori les circonstances dans lesquelles le pistolet à impulsion électrique a été utilisé. »

Quant au flashball, la CNDS préconise dans un rapport concernant des heurts entre policiers et manifestants à Montreuil le 8 juillet dernier de ne plus utiliser cette arme lors de manifestations sur la voie publique. La CNDS rappelle que cette arme, dont les policiers municipaux peuvent être équipés, peut causer des blessures graves et irréversibles d’autant que ses trajectoires de tirs sont imprécises. Par ailleurs, des négligences et des manquements professionnels graves ont été constatés à maintes reprises quant à l’utilisation de ces armes dites « sublétales ».

Elle lui demande s’il compte proclamer un moratoire sur l’utilisation de ces armes par l’ensemble des forces de l’ordre.

Déposée et communiquée au Gouvernement le 11 mars 2010 – annoncée en séance publique le 23 mars 2010

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Conformément aux articles 79 et 80 du règlement, cette question orale avec débat a été communiquée au Gouvernement et la fixation de la date de la discussion aura lieu ultérieurement.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’ai reçu avis de la démission de M. Philippe Paul, comme membre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, et de M. Jean-François Mayet, comme membre de la commission des affaires sociales.

Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats proposés en remplacement.

Ces candidatures vont être affichées et leur nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

J’informe le Sénat que le groupe de l’Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Hubert Haenel, dont le mandat de sénateur a cessé.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle le débat sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France, inscrit à l’ordre du jour à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, un an avant la Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, qui se tiendra du 3 au 28 mai prochain à New York, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat m’a demandé, sur proposition de son président, de dresser un état des lieux et de faire des propositions pouvant inspirer l’action de la France à l’occasion de cette conférence.

Tel est l’objet du rapport que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui et dont les conclusions ont été approuvées par la commission.

Je le rappelle, la Conférence d’examen du TNP se tient tous les cinq ans. Elle réunit l’ensemble des États signataires, c’est-à-dire la totalité des États, sauf les trois qui n’ont pas signé le traité, c'est-à-dire l’Inde, le Pakistan et Israël, ainsi que la Corée du Nord, qui s’en est retirée en 2003. La Conférence se prononce par consensus. La dernière réunion, en 2005, a été un échec, à la différence des précédentes, notamment de la Conférence de 1995. En effet, celle-ci s’était prononcée en faveur d’une prorogation pour une durée indéfinie du TNP, qui avait initialement été conclu pour vingt-cinq ans.

Un bref état des lieux fait apparaître une décrue des deux tiers environ du montant global des arsenaux nucléaires depuis le pic qu’ils avaient atteint pendant la guerre froide, soit plus de 60 000 têtes nucléaires. Néanmoins, la Russie et les États-Unis détiennent encore 96 % du nombre total des têtes, avec 13 000 engins pour la première et 9 400 pour les seconds. Ensemble, les autres puissances nucléaires ne disposent que d’environ 1 100 têtes nucléaires. Parmi les autres États dotés, aux termes du TNP, on dénombre 400 têtes pour la Chine, moins de 300 pour la France et moins de 200 pour le Royaume-Uni. Il y a également entre 100 et 200 têtes pour Israël et une petite centaine pour l’Inde et le Pakistan, les trois autres États non-signataires aujourd’hui nucléarisés, et moins d’une dizaine d’engins pour la Corée du Nord.

En dynamique, parmi les États dotés, le « P5 », qui sont également les membres permanents du Conseil de sécurité, seule la Chine développe encore son arsenal, il est vrai beaucoup plus réduit que celui des États-Unis et de la Russie. Idem pour l’Inde et le Pakistan. L’Asie est clairement la « zone des tempêtes » si on ajoute les deux crises de prolifération en cours qui concernent la Corée du Nord et l’Iran. Les quatre autres membres du « P5 », c'est-à-dire les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni et la France, ont décrété un moratoire sur leurs essais et sur la production de matières fissile à usage militaire.

En général, on insiste beaucoup sur les facteurs de fragilisation du TNP, qui sont nombreux.

Il y a ainsi la nucléarisation des trois pays non-signataires, le régime spécial consenti à l’Inde par la communauté internationale en matière de coopération nucléaire civile sans que les contreparties soient toujours jugées suffisantes, la politique du fait accompli pratiquée par la Corée du Nord ou encore les obstacles auxquels se heurtent les contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA.

On peut également mentionner la non-ratification soit du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE – sur les quarante-quatre États requis, neuf ne l’ont pas encore ratifié – soit du protocole additionnel de l’AIEA dit protocole « 93+2 ». Quatre-vingt-quatorze États possédant des installations nucléaires ont ratifié ce protocole additionnel destiné à renforcer les moyens de contrôle de l’Agence, mais il manque encore la signature d’une quinzaine d’États.

Toujours parmi les facteurs de fragilisation, notons également le retard pris depuis une quinzaine d’années concernant l’ouverture d’une négociation sur l’interdiction de la production de matières fissiles à usage militaire, le développement de réseaux de prolifération internationaux, l’essor de l’énergie nucléaire à l’échelle mondiale combiné au caractère dual des technologies intéressant le cycle du combustible et, enfin, le peu d’efficacité des sanctions décrétées par le Conseil de sécurité de l’ONU.

Pour réelles qu’elles soient, de telles difficultés d’application ne devraient pas dissimuler le succès global du TNP, que ses initiateurs étaient loin d’espérer. Au début des années soixante, le président Kennedy évaluait à vingt-cinq ou trente le nombre des États qui posséderaient l’arme nucléaire en l’an 2000. Aujourd'hui, il y en a seulement huit, dont les cinq qui étaient déjà dotés à l’époque et les trois pays non-signataires, auxquels nous pourrions ajouter la Corée du Nord, bien que les engins dont celle-ci dispose n’aient pas, semble-t-il, un caractère opérationnel.

Au demeurant, le TNP est devenu un traité quasi universel. Ainsi, la Chine et la France, qui avaient au départ adopté une attitude de réserve, l’ont rejoint en 1992. Le traité a été prorogé en 1995 pour une durée indéfinie, puis complété en 1996 par la signature du TICE, traité d’interdiction des essais, qui est, dans les faits, appliqué sous forme de moratoire, sauf par la Corée du Nord.

Comme je l’indiquais tout à l’heure, l’application du TNP a été grandement améliorée par l’adoption du protocole additionnel dit « 93+2 », avec un système de vérification renforcée sous faible préavis.

Enfin, si le TNP n’a pas empêché la prolifération nucléaire, il l’a incontestablement ralentie. L’Afrique du Sud a abandonné ses armes nucléaires. Le Brésil et l’Argentine ont renoncé à en acquérir. Des programmes clandestins, notamment en Irak ou en Libye, ont dû être interrompus. Enfin, quatorze ex-républiques soviétiques ont accepté de se dessaisir, au profit de la Russie, des armes nucléaires stationnées sur leur territoire. Cinq zones exemptes d’armes nucléaires ont été créées.

Un tel bilan global est incontestablement positif. Le TNP n’a pas fait preuve de son inefficacité, bien au contraire. C’est pourquoi il faut renforcer le TNP, instrument irremplaçable de la sécurité internationale, et remédier aux facteurs de fragilité que j’évoquais tout à l’heure.

En tant que rapporteur de votre commission, je suggère que la France, dont le bilan au regard du désarmement est exemplaire, adopte une approche résolument offensive à l’occasion de la Conférence d’examen, en cherchant à faire avancer l’application du TNP sur ses trois piliers indissociables, c'est-à-dire le désarmement, la promotion des usages pacifiques de l’énergie nucléaire et la lutte contre la prolifération.

Les circonstances se prêtent à l’établissement d’une zone de basse pression nucléaire à l’échelle mondiale. Au-delà du discours de Prague du président Obama, qui a marqué les esprits par l’évocation d’un monde sans armes nucléaires, mais qu’il faut lire entièrement pour bien mesurer la présence à chaque stade du souci de la sécurité des États-Unis et de leur leadership, on relève une grande convergence entre les propositions du président des États-Unis et celles que le président Nicolas Sarkozy a formulées en tant que président de l’Union européenne, dans la lettre qu’il a adressée au secrétaire général de l’ONU, le 5 décembre 2008.

Ces propositions sont la priorité à la réduction des arsenaux américain et russe, la ratification du TICE par les pays qui ne l’ont pas encore fait, l’établissement d’un nouveau traité interdisant la production de matières fissiles à usage militaire, la consolidation du TNP par un renforcement des contrôles et des sanctions pour les intervenants, le développement de la coopération nucléaire civile, notamment par la création d’une banque de combustible et le souci de la sécurité nucléaire face au terrorisme.

Certes, il y a bien quelques nuances. Alors que le président Obama met l’accent sur le bouclier antimissile balistique, les Européens insistent sur la nécessité de prendre en compte des armes nucléaires tactiques et de lutter contre la prolifération balistique.

Cependant, et il est frappant de le constater, même la commission Evans-Kawaguchi, du nom de deux anciens ministres des affaires étrangères, un Australien et un Japonais, qui a présenté les thèses abolitionnistes de la manière la plus argumentée, formule des propositions allant dans le même sens, mais sans doute plus loin, pour fixer un objectif de minimisation des arsenaux nucléaires à l’horizon 2025, à hauteur de 1 000 têtes pour la Russie et les États-Unis, soit 500 pour chacun, et environ un millier pour les autres, qui sont invités à ne pas augmenter leurs arsenaux actuels.

La faisabilité politique et technique d’un tel objectif peut évidemment se discuter, compte tenu notamment des insuffisantes capacités industrielles de démantèlement des États-Unis. Ainsi, il faudrait une deuxième, voire une troisième usine sur le modèle de l’usine Pantex au Texas. D’ailleurs, c’est prévu, même si le site n’a pas encore été choisi. Actuellement, l’usine semble en capacité de démanteler, au mieux, 4 200 armes sur les 9 400 qui doivent l’être à l’horizon d’une quinzaine d’années au mieux. Mes chers collègues, je tenais à vous sensibiliser à ces difficultés techniques, indépendamment des difficultés politiques prévisibles.

Reste que les voies pratiques de l’établissement d’« une basse pression nucléaire » à l’échelle mondiale sont aujourd’hui clairement tracées.

Premièrement, la priorité est donnée aux accords américano-russes, avec, d’abord, l’accord post-START, en cours de négociation, suivi de nouvelles réductions portant sur les armes en réserve et sur les armes nucléaires tactiques. Le traité post-START, en cours de finalisation, bute sur la question de la défense antimissile. M. Medvedev nous l’a confirmé lors de sa dernière venue à Paris.

Relevons par ailleurs la relative modestie des réductions annoncées. Par rapport aux dispositions du traité SORT, on note une diminution de l’ordre de 25 % du nombre de têtes nucléaires déployées, et ce sur une durée de sept ans, à compter de l’entrée en vigueur du traité post-START : 1 675 têtes au lieu de 2 200.

J’y insiste, les arsenaux des deux superpuissances nucléaires et ceux, beaucoup plus modestes, des autres puissances, notamment la France, sont sans commune mesure. Notre pays n’a pas de raison d’entrer dans une discussion multilatérale avant que les deux principales puissances n’aient ramené le nombre de leurs armes à quelques centaines. À ce stade, ce que nous pouvons demander, c’est la transparence sur le volume, la nature et la destination des armes détenues.

Je vous fais observer que la commission Evans-Kawaguchi ne propose pas une perspective différente.

Deuxièmement, il est nécessaire, par une sorte de « prise en tenailles », de plafonner en quantité et en qualité les arsenaux qui existent dans le monde. Pour cela, deux traités suffisent.

Premier volet de la tenaille, le TICE, conclu en 1996, mais qui n’est pas encore entré en vigueur, en raison notamment de sa non-ratification par le Sénat américain. Il faut les deux tiers du Sénat, soit soixante-sept sénateurs. Une telle ratification ne pourra pas intervenir avant 2011, après les élections de mi-mandat. Le président Obama s’y est engagé. On peut espérer que cette ratification entraîne celle de la Chine, puis celle de l’Inde et du Pakistan. L’interdiction des essais mettrait par là même un coup d’arrêt à la modernisation des armes. Voilà pour l’aspect qualitatif.

Second volet de la tenaille, un deuxième traité prohibant la production de matières fissiles à usage militaire mettrait un terme à l’accroissement quantitatif des arsenaux. Au mois de mai 2009, la Conférence du désarmement avait décidé l’ouverture de la négociation à l’unanimité. Malheureusement, le Pakistan a depuis formulé des objections que la communauté internationale doit trouver les moyens de lever.

Tels sont, mes chers collègues, les trois axes complémentaires d’un effort fécond pour aller vers un monde plus sûr.

En revanche, je le dis à mes amis communistes, l’idée d’une convention d’élimination des armes nucléaires comportant des échéanciers et des dates butoir ne me paraît pas réaliste. Elle méconnaît l’asymétrie des arsenaux existants et elle ne règle pas le problème de la prolifération.

Mieux vaut une approche équilibrée, graduelle, méthodique telle que celle sur laquelle les États-Unis, l’Europe et la Russie convergent déjà. Cette méthode est également la seule qui permettrait de canaliser la nucléarisation des grands pays de l’Asie et d’établir une certaine stabilité sur ce continent. Enfin, et surtout, elle permettrait de créer progressivement les conditions d’un monde sans armes nucléaires, inséparable d’un « désarmement général et complet », aux termes même de l’article VI du TNP, et ce d’une manière qui « promeuve la stabilité internationale, et sur la base d’une sécurité non diminuée pour tous », selon les termes de la résolution 1887 du Conseil de sécurité des Nations unies, votée le 24 septembre 2009.

Le souci du désarmement implique l’universalisation et la vérifiabilité des conventions d’interdiction des armes biologiques et chimiques auxquelles, vous le savez, trois pays du Proche-Orient n’ont pas souscrit, en l’occurrence l’Égypte, la Syrie et Israël.

De même convient-il de prévenir l’apparition de nouveaux déséquilibres conventionnels. À l’arrière-plan des thèses abolitionnistes, il y a tout de même une nouvelle stratégie américaine de renouvellement doctrinal visant à mettre en avant une nouvelle « triade » des forces conventionnelles modernes.

Cela consiste, d’une part, en une capacité de frappe conventionnelle précise à longue distance, avec des missiles intercontinentaux dotés de tête conventionnelle – c’est ce qu’on appelle le « Prompt global strike » – et, d’autre part, en une défense antimissile, avec une remise à niveau de l’infrastructure nucléaire en vue de remédier au vieillissement des têtes nucléaires actuelles. Joe Biden, le vice-président des États-Unis, a annoncé que 5 milliards de dollars de crédits supplémentaires seraient mobilisés à cet effet.

La réduction, voire l’élimination, de la place des armes nucléaires ne doit pas ouvrir la voie à la possibilité de nouvelles grandes guerres conventionnelles. Tel est incontestablement l’esprit de l’article VI du TNP.

À présent, je veux en venir à la promotion des usages pacifiques de l’énergie nucléaire. L’opposition entre les pays développés qui maîtrisent de telles technologies et ceux qui ne peuvent pas y avoir accès, d’autant que les contrôles se resserrent, est beaucoup plus forte que l’opposition entre États dotés et États non dotés.

La lecture faite de l’article IV du traité de non-prolifération fait prévaloir le souci de la non-prolifération, inscrit dans les articles Ier et II, sur « le droit inaliénable » des parties à développer les utilisations pacifiques de l’atome.

La réussite de la conférence d’examen implique que certaines propositions soient concrétisées.

Je pense à la mise en place d’assurances d’approvisionnement en combustible, à la constitution de réserves d’uranium enrichi, comme celles constituées sur l’initiative de la Russie, et à la création d’installations internationales d’enrichissement sur une base régionale, sous le contrôle de l’AIEA.

Je pense, enfin, en matière d’exportation des technologies sensibles, à la levée du moratoire institué par le G8 depuis 2004 pour lui substituer un système d’autorisation sur critères : existence d’un programme électronucléaire crédible ; garanties, en matière de sûreté, de sécurité et de non-prolifération, notamment, par l’adhésion du pays concerné au protocole additionnel de l’AIEA, dit « 93+2 ».

Un lien serait ainsi établi entre l’autorisation des transferts de technologie et l’adhésion au régime international de non-prolifération. Ce serait là une avancée majeure de la conférence d’examen.

La non-prolifération est le troisième pilier du TNP. Sa préservation suppose la consolidation d’instruments juridiques.

Je n’évoquerai pas le protocole additionnel de l’AIEA dont j’ai déjà parlé.

Le renforcement des moyens de cette agence est également nécessaire.

L’encadrement du droit de retrait doit s’effectuer par l’adoption de résolutions génériques destinées à éviter le détournement de technologies acquises sous couvert du traité.

Le rapprochement des trois États non signataires du régime international de non-prolifération est souhaitable. Ce qui est une critique peut être transformé en avancée si, dans le prolongement des engagements pris par l’Inde, qui s’est beaucoup rapprochée du régime international de non-prolifération, d’autres pays se dirigent vers la ratification du protocole additionnel, l’adhésion au TICE et le contrôle des exportations de technologies nucléaires dans l’attente d’un engagement de souscrire à un traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires ainsi qu’à un moratoire de production.

Il est enfin nécessaire de mettre pleinement en œuvre la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations unies en vue de lutter contre les trafics illicites et les réseaux non étatiques.

Au-delà des mesures préventives ou coercitives, il est essentiel – j’insiste sur ce point car c’est la principale originalité du rapport – d’agir sur les déterminants régionaux de la prolifération nucléaire. Celle-ci s’enracine beaucoup moins dans la contestation du P5 que dans des considérations immédiates, régionales de sécurité. C’est la raison pour laquelle la normalisation des relations indo-pakistanaises est un objectif majeur pour la stabilité de cette région du monde, qu’il s’agisse du Cachemire, de l’Afghanistan ou des relations entre l’Inde et la Chine. Elle conditionne le plafonnement puis la décrue des arsenaux nucléaires de ces pays.

L’instauration d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient n’est pas envisageable sans la création d’un État palestinien viable et sans la reconnaissance d’Israël par les pays arabes et par l’Iran. Le degré d’engagement des États-Unis pour atteindre cet objectif sera déterminant. On ne peut pas prôner un monde sans armes nucléaires et accepter la poursuite de la colonisation en Cisjordanie, telle qu’elle se fait actuellement, car elle occulte la voie de la paix.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Le désarmement nucléaire n’est pas un devoir abstrait. Il implique des engagements politiques concrets.

De même, la normalisation des relations avec l’Iran et la levée des sanctions impliquent que ce pays donne des gages réels quant à sa volonté de ne pas se doter d’armes nucléaires, afin d’éviter une prolifération en cascade dans la région.

L’Iran doit ratifier le protocole additionnel de l’AIEA et le TICE, et il doit entrer dans la négociation d’un TIPMF.

À défaut de la suspension des activités d’enrichissement de l’usine de Natanz, conformément aux vœux de la communauté internationale, je vous propose de placer cette usine sous le contrôle effectif de l’AIEA, le stock d’uranium faiblement enrichi étant écoulé sur le marché international, en attendant que l’Iran se dote d’un programme électronucléaire crédible, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui. Cela laisserait largement le temps de résoudre, sur une base régionale, le problème de l’accès au combustible.

Enfin, la question nord-coréenne, potentiellement très déstabilisatrice pour toute la région, et d’abord pour le Japon, par ailleurs « pays du seuil » susceptible de se doter, s’il le souhaite, de l’arme nucléaire, ne peut être traitée qu’à travers l’engagement de la Chine, qui dispose de tous les moyens de pression capables d’infléchir les positions de Pyong-Yang. Cette question s’inscrit au premier plan des relations sino-américaines, principal enjeu géostratégique des décennies à venir.

La lutte contre la prolifération nucléaire implique donc une volonté politique qui dépasse les a priori idéologiques ou les aspects techniques pour s’attacher à la résolution de crises depuis trop longtemps pendantes. Le désarmement est un sujet qui doit être traité sans angélisme. « L’homme n’est ni ange ni bête, a dit Pascal, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ». Pour progresser dans la voie du désarmement, il faut d’abord faire preuve de réalisme, mais surtout de courage.

Ces graves questions ont une incidence directe sur la sécurité de la France et sur le maintien d’un équilibre pacifique en Europe.

La France n’a aucune raison d’aborder de manière frileuse l’échéance de la conférence d’examen. En matière de désarmement, son bilan, parmi tous les États dotés, est sans équivalent : abandon de la composante terrestre et démantèlement de ses sites d’expérimentation et de production de matières fissiles, notamment.

La France doit privilégier une approche pragmatique et constructive en mettant l’accent sur les conditions qui permettront de progresser vers le désarmement nucléaire, dans la perspective d’un monde plus sûr, sans sécurité diminuée pour quiconque et d’abord pour elle-même.

La sécurité de la France est un souci légitime, mes chers collègues. Dimensionnées selon un principe de stricte suffisance, nos forces réduites unilatéralement de moitié depuis une vingtaine d’années n’ont pas à être prises en compte, au stade actuel, dans une négociation multilatérale.

Pour cette raison, la France doit maintenir une posture de dissuasion indépendante et se tenir en dehors du comité des plans nucléaires de l’OTAN. Comme l’a énoncé en son temps le général de Gaulle, « si l’on admettait pour longtemps que la défense de la France cessât d’être dans le cadre national […], il ne serait pas possible de maintenir chez nous un État ».

La dissuasion française est un élément de stabilité en Europe, même si sa vocation est d’abord nationale. Elle garantit notre autonomie de décision et nous permet de ne pas nous laisser entraîner, selon l’expression du général de Gaulle, « dans une guerre qui ne serait pas la nôtre ».

L’incertitude étant au fondement de la dissuasion, je suggère que la France assortisse « toute garantie négative de sécurité » à l’égard des États non dotés de fermes restrictions à l’emploi d’armes de destruction massive ou au-non-respect du TNP constaté par le CSNU.

Notre stratégie est défensive. Je suggère que, à l’occasion du prochain débat sur le nouveau concept stratégique de l’OTAN, la France s’efforce de convaincre ses voisins européens de la nécessité de maintenir un principe de dissuasion nucléaire en Europe tant que la Russie conserve, tout comme les États-Unis, un important arsenal nucléaire et que le Moyen-Orient n’est pas une zone dénucléarisée.

J’ajoute qu’il ne serait pas prudent de « lâcher la proie pour l’ombre », au profit d’un système de défense antimissile balistique aléatoire, qui nous priverait de surcroît de toute autonomie stratégique.

La France pourrait demander, lors de la conférence d’examen, que soient liées les questions relatives à la prolifération balistique et au désarmement nucléaire et la mise en place d’une défense antimissile balistique. C’est une idée que j’avance.

De nombreuses décisions ne dépendent pas de nous, comme les négociations entre les États-Unis et la Russie. Mais il est des domaines dans lesquels notre détermination peut jouer un rôle important : l’aboutissement pacifique de la crise iranienne ; le maintien d’un principe de dissuasion en Europe ; la promotion des usages pacifiques de l’énergie nucléaire dans le monde ; enfin, le maintien d’une posture de défense sur laquelle une majorité de Français se retrouvent, car ils sentent que le monde change. La montée de l’Asie va bouleverser les équilibres mondiaux et par conséquent les équilibres de sécurité.

Dans leur majorité, les Français savent que le fait nucléaire implique, comme l’avait bien vu le général Poirier, la stratégie indirecte. Ils savent que le maintien de notre posture, et donc de notre effort de défense, dont la dissuasion représente le dixième seulement, constitue la meilleure garantie de la paix.

Applaudissements sur l’ensemble des travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Je vous remercie, mon cher collègue, de cet excellent rapport, qui mérite d’être largement diffusé.

La parole est à M. le président de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité de non-prolifération nucléaire est une pièce essentielle de la sécurité collective.

En dépit d’interrogations périodiques sur les fragilités qui peuvent l’affecter, il recueille l’adhésion de la quasi-totalité des États et doit être préservé.

Chaque conférence d’examen, qui a lieu tous les cinq ans, représente donc une échéance importante pour cet instrument. La précédente conférence, qui s’est tenue en 2005, n’avait pas permis de progresser dans la consolidation du traité. Depuis lors, les facteurs d’inquiétude se sont multipliés.

La Corée du Nord, qui avait annoncé son retrait du TNP en 2003, a procédé à deux essais nucléaires. L’Iran, en contravention avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, poursuit des activités dont la finalité est pour le moins ambiguë, accentuant la crainte d’une prolifération nucléaire au Moyen-Orient. Dans les enceintes internationales, comme la conférence du désarmement, aucune avancée tangible n’a été enregistrée.

Les attentes à l’égard de la conférence d’examen qui se tiendra en mai prochain n’en sont que plus fortes.

L’arrivée d’une nouvelle administration américaine, qui a annoncé des objectifs ambitieux, à la fois dans le domaine du désarmement nucléaire et dans celui de la lutte contre la prolifération, a créé un nouveau climat.

Cependant, nous constatons bien que l’optimisme consécutif au discours de Prague du président Obama mérite d’être sérieusement tempéré à la lumière des réalités politiques : l’âpreté des négociations américano-russes, qui ne permettront en tout état de cause qu’une réduction modeste des arsenaux ; les réticences du Sénat américain sur la ratification du traité d’interdiction des essais nucléaires ; celles de la Chine à l’égard de toute mesure susceptible de plafonner ses capacités nucléaires ; l’attitude de blocage du Pakistan à la conférence du désarmement ; les divisions de la communauté internationale sur le contrôle et les sanctions en matière de prolifération.

Pour la France, les enjeux de la conférence d’examen sont indéniables. La maîtrise des armements et la non-prolifération sont un déterminant essentiel de notre sécurité. Mais, par son statut et ses responsabilités internationales, la France est également appelée à jouer un rôle de premier plan dans ce débat.

C’est pourquoi il a paru indispensable à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de mener un travail de fond sur l’ensemble de ces questions et d’éclairer la vision du Sénat sur les positions que notre pays sera amené à défendre.

Je tiens à remercier Jean-Pierre Chevènement d’avoir mené à bien cette mission au cours des derniers mois. Le rapport d’information qu’il a élaboré livre une analyse extrêmement approfondie, objective et réaliste de l’ensemble des paramètres influant sur le cours du désarmement et de la non-prolifération nucléaires.

Je dois souligner que les conclusions et recommandations de ce rapport ont été adoptées à la quasi-unanimité par la commission, majorité et opposition confondues.

Je me réjouis que le Gouvernement ait accepté d’en débattre aujourd’hui devant le Sénat, en prélude aux positions qui seront arrêtées en vue de la conférence d’examen du TNP.

Je souhaiterais à mon tour appuyer les conclusions de notre rapporteur en insistant sur trois points principaux.

Premièrement, il faut à mon sens éviter d’entrer dans un débat théorique ou idéologique sur la légitimité ou non des armes nucléaires et sur l’objectif de leur élimination. Un tel débat conduirait à une impasse, car nous savons bien qu’avant longtemps les conditions d’une telle élimination ne pourront être réunies.

Le rapport de Jean-Pierre Chevènement montre, en effet, que l’on ne peut isoler l’arme nucléaire des autres éléments qui concourent aux équilibres stratégiques. Que serait un désarmement nucléaire qui s’accompagnerait d’une accentuation des risques de conflits conventionnels, d’une exposition accrue aux armes chimiques ou biologiques ou d’une course à la supériorité militaire par d’autres moyens plus sophistiqués, tels que les armes spatiales, la défense antimissile ou l’arme cybernétique ? De même, comment envisager des progrès décisifs en matière de désarmement nucléaire sans résoudre un certain nombre de problèmes politiques ? Je pense aux relations entre l’Inde et le Pakistan ou au conflit du Proche-Orient.

Le désarmement nucléaire ne peut constituer un objectif en soi. Il doit s’intégrer dans une vision plus globale, celle du maintien de la paix et de la sécurité, et aller de pair avec un ensemble de mesures garantissant une stabilité internationale et régionale renforcée. C’est cette approche progressive et équilibrée que préconise, à juste titre, M. le rapporteur et à laquelle la France doit apporter son appui.

Ma deuxième observation porte sur les profondes évolutions du paysage stratégique au cours des vingt dernières années.

Pour les anciens acteurs de la guerre froide – États-Unis, Russie, France, Royaume-Uni – l’arme nucléaire ne joue plus un rôle aussi central que par le passé. Les arsenaux ont suivi une courbe descendante. La production de matières fissiles pour les armes nucléaires a cessé.

Tout autre est la situation en Asie et, dans une certaine mesure, au Moyen-Orient. Les arsenaux y suivent une courbe ascendante. L’adhésion aux instruments internationaux y est très incomplète et les risques de prolifération sont beaucoup plus élevés. Les facteurs de tensions politiques demeurent nombreux et aucune forme d’organisation de la sécurité régionale ne permet de les traiter.

Cette situation montre qu’il n’est pas pertinent d’établir une relation mécanique entre le désarmement des uns, en l’occurrence les puissances occidentales, et la renonciation des autres à développer ou à acquérir des capacités nucléaires.

La prolifération nucléaire obéit à des motivations de natures très diverses, essentiellement liées aux situations régionales, et non au rythme supposé insuffisant du désarmement des puissances nucléaires « historiques ».

Par ailleurs, tant que les tendances à l’œuvre en Asie et au Moyen-Orient ne seront pas contenues et inversées, le fait nucléaire militaire demeurera une réalité incontournable pour nos États et la dissuasion restera un élément essentiel de notre sécurité.

C’est pourquoi on ne peut qu’être perplexe devant le développement, chez certains de nos voisins européens, d’une thématique favorable à des mesures de désarmement unilatéral, telles que le retrait des armes nucléaires américaines, ou à un effacement du rôle de la dissuasion nucléaire dans le concept stratégique de l’OTAN. Une fois encore, les pacifistes sont à l’Ouest et les proliférateurs partout ailleurs ! Pour sa sécurité, l’Europe ne peut ignorer que des armes nucléaires subsistent, voire menacent d’apparaître, dans son environnement proche. Comme le souligne Jean-Pierre Chevènement dans ses conclusions, le maintien d’un principe de dissuasion nucléaire en Europe paraît aujourd’hui une condition essentielle de sa sécurité et mérite d’être mieux compris de nos partenaires.

Ma troisième et dernière observation porte plus spécifiquement sur la position de la France.

Notre rapporteur démontre la validité de la posture nucléaire de la France. Il rappelle que les forces nucléaires françaises sont dimensionnées selon le principe de stricte suffisance, qui a conduit à des réductions unilatérales successives, et il estime qu’elles ne peuvent être prises en compte, à ce stade, dans aucun processus multilatéral de désarmement nucléaire : ce point recueille un large assentiment au sein de notre commission. Le rôle de la dissuasion nucléaire dans notre stratégie de défense a du reste été réaffirmé dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et la loi de programmation militaire.

Contrairement à ce qui a parfois été affirmé après le discours du président Obama à Prague, évoquant un « monde sans armes nucléaires », notre position n’est guère différente de celle des États-Unis sur ce plan. Ceux-ci entendent conserver « un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire » tant que les armes nucléaires existeront, selon les termes mêmes employés par le Président américain. Mieux, le Président a considérablement augmenté les budgets des laboratoires susceptibles de développer de nouvelles technologies nucléaires.

Pour autant, la préservation de notre capacité de dissuasion ne nous dispense en rien d’œuvrer en faveur du désarmement nucléaire : nous l’avons fait en accomplissant un certain nombre de gestes concrets. Je pense, bien entendu, à la diminution de moitié en vingt ans du volume de notre arsenal, mais plus significatives encore sont, à mon sens, nos décisions relatives aux essais nucléaires et à la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. En effet, dans un cas comme dans l’autre, elles présentent un caractère irréversible, puisque nous avons totalement démantelé nos installations : il s’agit d’une contribution majeure et sans équivalent parmi les autres puissances nucléaires.

Il ne suffit pas de le souligner, il faut surtout inciter les autres États nucléaires à faire de même, et on peut s’étonner que, dans les enceintes internationales, l’exemplarité des mesures prises par la France dans ces deux domaines ne soit pas plus souvent invoquée à l’appui des efforts que les autres États demandent aux puissances nucléaires. Rappelons que, sur les treize mesures de désarmement prônées par la conférence d’examen du TNP en 2000, la France en a mis en œuvre dix. C’est pourquoi j’approuve totalement notre rapporteur lorsqu’il indique que notre pays n’a aucune raison d’aborder la prochaine conférence d’examen en position défensive.

Oui, des progrès tangibles sont possibles en matière de désarmement !

Nous attendons des États-Unis et de huit autres pays qu’ils ratifient le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, comme nous l’avons fait avec les Britanniques, il y a douze ans déjà.

Nous attendons de la Russie qu’elle fasse preuve de transparence sur son arsenal d’armes tactiques et qu’elle l’englobe dans un processus de réduction ambitieux avec les États-Unis, portant sur toutes les catégories d’armes nucléaires.

Nous attendons de la Chine, de l’Inde et du Pakistan des engagements clairs sur la cessation de la production de matières fissiles et la négociation d’un traité d’interdiction.

Nous attendons de tous les pays l’adhésion sans réserve aux contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, sur leurs activités nucléaires et un soutien ferme face à ceux qui ne respectent pas leurs obligations, afin de garantir un désarmement nucléaire fondé sur les actes et non sur les paroles.

Monsieur le ministre, depuis plusieurs mois, la France s’emploie très activement, en liaison avec ses partenaires, à élaborer des propositions réalistes et précises, afin de faire de la conférence d’examen du TNP, en mai prochain, une étape utile sur la voie du désarmement et de la non-prolifération nucléaire. Le rapport d’information de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’inscrit dans cette démarche.

Je suis convaincu que le bilan de la France en la matière et son engagement au service de la paix et de la sécurité internationale la placent en position particulièrement favorable pour jouer un rôle actif dans ce débat. Seul un désarmement global, contrôlé et progressif peut assurer la paix. Tenir compte des réalités ne revient pas à tourner le dos à une grande cause, mais permet au contraire de la rendre réalisable, c’est tout le sens de notre rapport.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite tout d’abord que ce débat consacré au désarmement, à la non-prolifération nucléaire et à la sécurité de la France se tienne cet après-midi dans notre assemblée.

Il me semble en effet que c’est la première fois, depuis la création de notre force de frappe nucléaire, que se déroule, en séance publique, un débat parlementaire portant sur des questions aussi fondamentales que la doctrine de dissuasion nucléaire et la politique de désarmement de la France. Le contexte international et l’actualité s’y prêtent tout particulièrement, j’y reviendrai dans quelques instants.

Auparavant, il est à mon sens nécessaire, bien que notre débat de cet après-midi concerne le nucléaire et la sécurité de la France, d’élargir quelque peu notre vision des choses. En effet, l’arme nucléaire dans le monde d’aujourd’hui ne joue plus le même rôle « structurant » des relations internationales qu’avant la chute du mur de Berlin. À l’heure actuelle, on ne peut plus parler de désarmement, à la fois nucléaire et conventionnel – sans passer outre la spécificité de l’arme nucléaire, arme « absolue » de destruction massive, n’oublions pas la nécessité d’un désarmement conventionnel, parce que la paix et la sécurité ont besoin d’un véritable effort de démilitarisation –sans évoquer également les logiques de guerre, sans prendre en compte la persistance des conflits dans le monde, en Afghanistan notamment, où la France est directement impliquée, car on ne peut pas fragmenter la paix. Je n’ai pas le temps d’approfondir mon intervention en ce sens, mais je tiens à ce que nous ayons à l’esprit, dans nos réflexions et nos discussions, ce lien fondamental entre désarmement et conflits.

Pour revenir précisément à l’actualité nucléaire, je rappellerai que le projet de désarmement nucléaire relancé par le président des États-Unis dans son discours de Prague en avril 2009, la résolution 1887 (2009) votée à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité des Nations unies et la reprise des négociations « post-START » entre les Américains et les Russes ont incontestablement créé un climat plus favorable pour aborder ces questions.

Enfin, avec la récente conférence ministérielle tenue à Paris sur la sécurisation des exportations de technologie nucléaire civile, la prochaine conférence de Washington, en avril, sur la sécurité nucléaire, et surtout, en mai, à New York, la huitième conférence d’examen du traité de non-prolifération nucléaire, l’actualité ne peut qu’inciter les parlementaires que nous sommes à exprimer publiquement leurs réflexions et leurs propositions sur ce grand sujet de société.

Je regrette toutefois que la conférence des présidents n’ait pas saisi cette occasion pour inscrire à l’ordre du jour la proposition de résolution sénatoriale présentée par mon groupe politique et précisément consacrée aux initiatives que pourrait proposer notre pays lors du réexamen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, ou TNP.

Néanmoins, le rapport excellent et très approfondi déposé au nom de la commission des affaires étrangères par notre collègue Jean-Pierre Chevènement fournit une base d’informations et de propositions qui, bien que nous soyons fortement en désaccord avec certaines d’entre elles, nourrit très utilement le débat de cet après-midi.

Cela étant, bien que le climat soit plus propice à des discussions internationales sur le désarmement nucléaire, les obstacles pour atteindre cet objectif restent nombreux.

En 2005, la précédente conférence d’examen du TNP avait échoué, faute de consensus avec les pays non dotés de l’arme nucléaire sur la façon d’empêcher la prolifération de ce type d’armes. Prenant pour exemple la situation au Moyen-Orient, ils avaient estimé que les exigences en matière de transparence, de contrôle et d’engagement à réduire les arsenaux étaient inégales entre les pays signataires et les non-signataires.

Il faut se rappeler que le TNP, à l’origine, consistait essentiellement en un marché passé entre les pays n’ayant pas encore testé d’engin nucléaire, qui s’engageaient à ne pas en mettre au point, et les pays détenteurs – les États-Unis, l’URSS d’alors, la Chine, la France et le Royaume-Uni – qui, eux, s’engageaient au désarmement nucléaire.

Or, le principal obstacle à la non-prolifération provient du sentiment légitime de frustration éprouvé par les pays « émergents » et des pays du Sud « non dotés », qui estiment que les grandes puissances ne tiennent pas leurs engagements en matière de désarmement. Ils s’opposent même au renforcement des instruments de vérification du nucléaire civil par l’extension du protocole additionnel de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, l’AIEA, qui prévoit des inspections inopinées et larges dans les pays menant des activités nucléaires.

Cette attitude peut se comprendre : comment demander de nouveaux efforts à des pays qui, comme le Brésil ou l’Afrique du Sud, ont abandonné l’option nucléaire militaire, si les autres États ne font pas également leur partie du chemin ?

La lutte contre la non-prolifération, sur laquelle insistent beaucoup les grandes puissances nucléaires, et la France tout particulièrement, ne peut être crédible et légitime que si elle s’accompagne d’un réel effort de ces puissances pour mettre en œuvre l’article VI du TNP, qui stipule qu’elles s’engagent à « poursuivre de bonne foi des négociations » relatives au désarmement nucléaire.

Le TNP et la résolution 1887 (2009) du Conseil de sécurité de l’ONU affirment le lien indissociable entre le régime de non-prolifération et le mouvement vers le désarmement nucléaire. Malgré les apparences, cette logique n’est pas respectée par les grandes puissances, qui opposent souvent désarmement et lutte contre la prolifération, créant ainsi le principal obstacle au désarmement.

Nous devons par ailleurs être lucides quant à la réalité des propositions américaines de désarmement nucléaire. Pour annoncer la nouvelle politique nucléaire des États-Unis, qui procède de la volonté du président Obama d’œuvrer à la dénucléarisation de la planète, la Maison Blanche a parlé d’une réduction spectaculaire de ses stocks, la chiffrant à plusieurs milliers d’ogives.

Dans le même temps, le Président des États-Unis propose aussi de conserver une force de dissuasion « solide et fiable », ce qui exclut très clairement la possibilité d’une élimination à court et moyen terme. Notons, en outre, que les États-Unis n’ont toujours pas ratifié le traité d’interdiction complète des essais nucléaires.

Il faut surtout relever que, tout en parlant de désarmement, l’administration américaine accroît considérablement le budget consacré à la modernisation de l’arme nucléaire et veut compenser ce recul de l’atome par le développement d’une défense antimissile « nouvelle manière », et de nouvelles armes conventionnelles. Ces armes de forte puissance, non nucléaires, constituées de missiles intercontinentaux dotés de charges explosives conventionnelles, seraient tirées à partir des États-Unis et pourraient frapper n’importe où dans le monde dans un délai d’une heure.

Fondamentalement, la doctrine américaine consiste, certes, à détenir moins d’armes nucléaires – sans d’ailleurs se fixer d’objectif concret d’élimination – mais plus d’armes conventionnelles.

Face aux apparences de la nouvelle doctrine américaine, la France semble très réticente à poursuivre son engagement dans la voie du désarmement. À regarder de près l’attitude des autres membres du « club nucléaire », on s’aperçoit que la posture du Royaume-Uni, qui débat de la modernisation de sa force de frappe, est ambiguë, que la Chine accroît son arsenal, et que la Russie peine à envisager un désarmement nucléaire total qui la désavantagerait lourdement sur le plan conventionnel.

Ainsi, l’argumentation de la France consiste à dire que la réduction des arsenaux français, américains, russes et britanniques n’a jamais entraîné un ralentissement des programmes nucléaires des autres pays, et qu’elle ne reconnaît, en conséquence, aucune vertu pédagogique à ce processus.

Nous considérons également que nous avons déjà donné l’exemple en renonçant à la composante terrestre des missiles du plateau d’ Albion, en diminuant d’un tiers notre composante aéroportée, en réduisant à trois cents le nombre de nos têtes nucléaires, en démantelant le centre d’essais atomiques du Pacifique ainsi que nos usines de production de matière fissile.

Tout cela est vrai et témoigne d’un réel effort de notre part.

Mais les déclarations du Président de la République donnent l’impression qu’à ses yeux la lutte contre la prolifération est la seule priorité et qu’elle n’est pas compatible avec le désarmement nucléaire.

Précisément, il ne faudrait pas que l’image positive que nous avons acquise auprès de nombreux pays émergents, grâce à notre attitude exemplaire tant dans la ratification des traités que dans des mesures unilatérales de désarmement, soit ternie à l’approche de la conférence d’examen du TNP. En effet, de nombreux pays nous soupçonnent de vouloir préserver à tout prix le siège de membre permanent du Conseil de sécurité que nous devons en grande partie à notre force de dissuasion.

Aujourd’hui, à la veille de la huitième conférence d’examen du TNP, nous sommes à la croisée des chemins. Il est impératif d’éviter un nouvel échec comme il y a cinq ans. Celui-ci enterrerait définitivement le régime de non-prolifération défini par le TNP. Il faut le soutenir sans ambiguïté et le renforcer, car il est le seul à pouvoir garantir en toute sécurité l’accès au nucléaire civil aux États qui renoncent à l’acquisition de l’arme nucléaire. Sinon, ce serait à coup sûr une prolifération débridée, la disparition de ce cadre juridique international sans qu’il soit remplacé, le risque accru de la probabilité d’emploi de l’arme nucléaire et, au total, le retour d’un rapport de force nucléaire dans les relations internationales.

Notre pays peut de nouveau jouer un grand rôle et être un acteur dynamique du désarmement nucléaire multilatéral lors de la conférence de New-York. Pour cela, il doit être porteur de propositions ambitieuses et constructives, car ce sont d’abord les pays « dotés » qui doivent donner l’exemple et montrer concrètement que régime de non-prolifération et mouvement vers le désarmement nucléaire vont de pair.

Il sera crucial de convaincre les pays émergents et « non-dotés » que le TNP, qui promettait le désarmement des uns en échange du renoncement des autres à la bombe, n’est pas un marché de dupes.

Il faudra aussi parvenir à un accord d’ensemble sur le désarmement nucléaire tout en empêchant, comme le visent les États-Unis et la Russie, une compensation en armements conventionnels, chimiques et biologiques.

Il sera pourtant bien difficile de progresser dans cette voie si les cinq puissances nucléaires – mais aussi Israël, l’Inde et le Pakistan – ne sont pas unanimes. Si l’on veut persuader ces trois pays d’adhérer au TNP, il faut concrètement réduire les arsenaux au plus bas niveau.

Or, si l’on doit reconnaître un certain effort américain, même s’il est ambigu, il faut aussi avoir présent à l’esprit que les États-Unis restent, avec la Russie, la principale puissance nucléaire en stocks, très loin devant la France, la Chine ou le Royaume-Uni.

Il est donc déterminant que, comme le propose Jean-Pierre Chevènement dans son rapport, les Américains et les Russes amplifient leur effort de désarmement de manière significative. Il faudrait également, comme le demande notre collègue dans son rapport, obtenir de tous les États qui ne l’ont pas encore fait la ratification du traité d’interdiction des essais nucléaires et entamer des négociations sur la production de matières fissiles à usage militaire.

Quant aux autres propositions que Jean-Pierre Chevènement suggère de présenter lors de la conférence, nous estimons qu’elles accompagnent la position officielle du Gouvernement. En souscrivant à l’idée que la France a eu une position « exemplaire » en matière de réduction de notre arsenal et en invitant le Gouvernement à être très ferme pour préserver l’indépendance que garantit notre force de dissuasion, il exclut toute nouvelle proposition de réduction de notre arsenal nucléaire.

Pour aller au-delà des préconisations minimales positives que contient ce rapport, le groupe CRC-SPG propose que notre pays prenne des initiatives fortes afin que les États s’engagent à mettre fin à la modernisation de leurs armes et de leurs vecteurs.

La France pourrait de nouveau montrer l’exemple en interrompant le programme de missile stratégique M 51, qui est davantage un héritage de la guerre froide qu’un instrument de défense adapté aux menaces d’aujourd’hui.

Elle pourrait également proposer que, pour tous les pays, les doctrines de la dissuasion soient strictement limitées au « non-emploi » des armes nucléaires, comme l’était celle de la France avant les inflexions de doctrine décidées par les présidents Chirac et Sarkozy dans leurs discours respectifs de l’Île Longue et de Cherbourg. Cela supposerait ainsi que soit bannie toute forme de frappe préventive.

Au total, nous souhaitons donc que, lors de la prochaine conférence d’examen du TNP, notre pays participe plus activement aux efforts de désarmement en proposant d’entrer dans un processus de négociation sur notre armement nucléaire, avec un calendrier contraignant. Ce serait un nouveau signe de bonne volonté qui montrerait aux pays sceptiques que nous n’en restons pas aux annonces de réduction de notre potentiel militaire faites par le Président de la République à Cherbourg en mars 2008.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques réflexions que notre groupe voulait apporter à ce débat sur le désarmement, la non- prolifération nucléaire et la sécurité de notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord me réjouir que les vaguelettes du récent remaniement ministériel – qualifié de lilliputien par Alain Duhamel dans les colonnes du journal Libération, aujourd'hui – n’aient pas encore atteint la rive gauche de la Seine (Sourires.), ce qui aurait à coup sûr compromis ce débat que nous attendons depuis si longtemps. Je remercie le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées d’avoir permis qu’il puisse aujourd'hui se tenir, car notre commission est pleinement dans son rôle en abordant en séance publique le thème, important et complexe, du désarmement.

Le rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement constitue un excellent socle sur lequel nous pouvons travailler et qui nous permettra d’apporter publiquement et utilement nos réflexions et nos propositions.

J’espère aussi que le Gouvernement aura la sagesse d’écouter et surtout d’entendre la voix du Sénat.

Il serait sage en effet que, dans la perspective de la prochaine conférence quinquennale d’examen du traité de non-prolifération nucléaire, le TNP, le Gouvernement puisse expliquer devant la représentation nationale sa position et les propositions que ses délégués défendront.

Je considère que le désarmement sous toutes ses formes, en particulier le désarmement nucléaire, constitue un axe important, essentiel même, de la diplomatie française et de son rayonnement international.

Le très complet rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement a aussi la vertu de m’épargner d’avoir à faire de longs développements sur l’état des lieux de la question qui nous occupe aujourd’hui, ainsi que des analyses nécessaires mais chronophages sur le contexte international.

En conséquence, je peux, ici et maintenant, aller à l’essentiel et, dans le peu de temps imparti, me consacrer à évoquer quelques-uns des nombreux points primordiaux de ce dossier.

Mes collègues du groupe socialiste auront à cœur d’aborder d’autres points et de compléter ainsi notre analyse.

D’abord, une évidence : la perspective d’un monde sans armes nucléaires semble être intéressante, souhaitable, au point que, au siècle dernier, en 1968, les pays signataires du TNP s’étaient déjà engagés « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ».

De l’eau a coulé sous les ponts, des murs sont tombés, nous avons changé de siècle et nous restons toujours sur le même objectif : un désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ; cela peut être rassurant pour certains et très décourageant pour d’autres.

Or cette perspective d’un monde sans armes nucléaires semble toujours remise à plus tard.

II nous faut donc sortir des déclarations qui font plaisir pour s’atteler à une action concrète capable de faire bouger les lignes.

Il faut chercher à faire avancer le dossier du désarmement nucléaire sur trois plans imbriqués mais différents : d’abord, le TNP, dont les orateurs qui m’ont précédé ont abondamment parlé, ensuite, le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE, et, finalement, le traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour des armes nucléaires, le TIPMF. Nous écouterons avec attention les explications du ministre sur l’action de la France dans ces domaines.

Mais, sans tarder, je veux insister sur la proposition d’aller dans un premier temps vers « une zone de basse pression nucléaire », exposée dans le rapport Chevènement, qui me semble une bonne orientation.

Les arsenaux nucléaires des États-Unis et de la Russie sont concernés au premier chef. Leur importance quantitative et qualitative fait qu’ils doivent, eux, bouger les premiers. Mais nous ne devons pas avoir une attitude attentiste. II faut que le Gouvernement se saisisse de cette proposition et qu’il lui donne vie diplomatique.

La France doit chercher des alliés pour faire prospérer cette initiative, et ces alliés, il faut les trouver d’abord en Europe. La France ne doit pas se trouver isolée dans une telle négociation.

Cette négociation, déjà en cours, doit aussi être placée dans le contexte de la nouvelle architecture globale de sécurité en Europe.

Certes, sans le faux pas de notre réintégration pleine et entière dans les comités militaires de l’OTAN, notre pays aurait plus de marges pour convaincre Européens et Russes de la nécessité de créer un vaste espace de sécurité commune.

Ainsi, des thèmes tels que la dissuasion nucléaire et l’éventuelle défense anti-missiles devraient pouvoir être abordés au sein de l’Union européenne d’abord, avec nos voisins ensuite, dont la Russie, afin d’être en mesure de permettre aux Européens de s’approprier leur propre géopolitique et de gérer eux-mêmes les relations avec les voisins.

Or je crains que dorénavant nous ne devions attendre que l’Alliance redessine ses priorités, que l’OTAN définisse ses concepts, avant que nous puissions exprimer, d’une manière autonome, et faire partager, notre conception d’un nouvel équilibre de sécurité sur le continent européen.

Le désarmement nucléaire et conventionnel en fait partie. Nous serons, hélas ! je le crains, à la traîne.

Par ailleurs, il faut expliquer encore et encore que la ratification par les États-Unis du traité d’interdiction complète des essais nucléaires, signé en 1996, est une priorité qui peut aussi avoir valeur d’exemple pour le monde entier, et en tout premier lieu, pour les pays qui, aujourd’hui, résistent encore à cette ratification : la Chine, le Pakistan, l’Inde.

Voilà un bon sujet de discussion pour les prochaines rencontres entre Nicolas Sarkozy et Barack Obama.

La lutte contre la prolifération, contre la dissémination de l’arme nucléaire est un impératif, certes, mais cette lutte s’inscrit dans des contextes de crises régionales qu’il ne faut pas négliger. La prolifération nucléaire épouse étroitement la carte des conflits et des problématiques régionales non résolus. II est impossible de s’attaquer à ce fléau sans chercher la solution aux causes profondes des crises régionales graves. Dois-je les citer ?

Vous savez tous que, pour la sécurité de l’Europe, le Proche-Orient et le Moyen-Orient sont essentiels. Israël, Palestine, Iran : ce sont les acteurs d’une tragédie où se jouent non seulement l’avenir de leurs peuples respectifs mais aussi celui de notre sécurité en Europe et de la paix dans le monde.

Lors d’un récent débat qui s’est tenu ici même le 12 janvier, a déjà été abordé le problème général de la nucléarisation du Moyen-Orient. II y a urgence à trouver une solution politique.

L’affrontement direct ou par pays interposé – l’Afghanistan – entre l’Inde et le Pakistan fait trembler l’Asie et entraîne des courses à l’armement dans toute la région.

Ce n’est pas un hasard si trois États qui n’ont jamais adhéré au TNP – l’Inde, Israël et le Pakistan – se sont dotés de l’arme nucléaire, ce qui fragilise le régime international de non-prolifération et constitue un formidable exemple négatif susceptible de faire ici ou là des émules.

Sans solution politique crédible aux crises régionales, il n’y aura pas d’avancée en matière de désarmement. Nous devons continuer à proposer à nos concitoyens une information sincère sur toutes les questions nucléaires, civiles et militaires ; en effet, le système français de dissuasion militaire et les programmes nucléaires civils ne sont pas une donnée immarcescible.

Sans le soutien conscient de la population et sans une bonne connaissance de nos concitoyens sur ces sujets, le système actuel peut être fragilisé, voire mis en échec par des campagnes pleines de bonnes intentions mais qui ne seront pas exemptes d’arrière-pensées.

En effet, monsieur le ministre, force est de reconnaître que de graves menaces, qui doivent être mises en lumière, pèsent sur notre propre force de dissuasion. Il en est ainsi depuis bien longtemps dans notre pays, depuis l’origine, allais-je dire. Ne nous bouchons pas trop les yeux !

Le danger le plus immédiat pour la force de frappe nucléaire française, à ce jour, c’est d’abord votre politique budgétaire et l’état calamiteux des finances publiques du pays, notamment depuis l’arrivée de la droite au pouvoir, en 2002.

Les réductions budgétaires que votre propre politique vous conduit inéluctablement à imposer auront de graves conséquences sur notre défense. Les adversaires de toujours ou les plus réticents sont aux aguets.

Prenez garde, car je crains que ce ne soient pas les considérations d’ordre stratégique qui priment mais la simple urgence budgétaire dans laquelle vous vous précipitez, et la France du même coup !

Quant au Président Obama, s’il a affirmé fortement son ambition d’un monde sans armes nucléaires, on ne peut que constater qu’il rencontre, dans son propre pays, de fortes résistances à la ratification du traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE.

En matière de désarmement, le pragmatisme doit aussi primer sur la rhétorique !

La France se devrait d’être une force de proposition au cours de la prochaine conférence d’examen du TNP. Elle devrait œuvrer à l’adoption d’une position européenne commune, ambitieuse et équilibrée. Où en sont, à cet égard, les États membres de l’Union européenne ?

Pour terminer mon propos, monsieur le ministre, je voudrais vous poser trois questions précises.

Le nouveau concept stratégique de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord est actuellement en préparation. La position de la France au sein de l’Alliance a changé par la seule volonté du Président Sarkozy et il est fort probable que notre dissuasion nucléaire soit dorénavant mise dans le panier de la discussion de ce concept stratégique.

À ce sujet, quelle est la position défendue par la France au sein de l’OTAN ? Le Gouvernement soutiendra-t-il les initiatives qui germent déjà, ici ou là, sur une Europe sans armes nucléaires ? Peut-on envisager d’alléger, puis de faire disparaître la dissuasion nucléaire au profit d’une promesse de protection du territoire européen par un système de défense antimissile balistique ?

Monsieur le ministre, je ne peux évidemment pas vous obliger à suivre la feuille de route tracée par notre collègue Jean-Pierre Chevènement dans son rapport, qui, je le confirme, est fermement soutenu par la commission des affaires étrangères. Toutefois, je vous incite à lui offrir une attention soutenue... Elle pourrait s’avérer très utile face aux échéances à venir !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mon cher ami Jean-Pierre Chevènement, mes chers collègues, dans son célèbre discours de Prague, le président Barack Obama avait affirmé engager sa politique étrangère sur le chemin de « la paix et la sécurité dans un monde sans armes nucléaires ».

À l’approche de l’ouverture de la prochaine conférence d’examen du TNP, on peut se demander si toutes les conditions seront réunies pour exaucer un vœu que l’humanité entière doit souhaiter.

Au regard des crises récentes de prolifération nucléaire, en Corée du Nord et en Iran, il est clair que la diplomatie internationale devra encore beaucoup manœuvrer avant d’atteindre cet idéal.

Toutefois, depuis sa conception en juin 1968, le TNP a incontestablement permis de nombreux progrès dans la voie du désarmement. Malgré la persistance de points de blocage, que nous connaissons, les avancées positives observées au cours de ces dernières décennies invitent à poursuivre l’approfondissement de ce traité.

Tout d’abord, reconnaissons que les États-Unis et la Russie ont accompli de notables efforts pour diminuer leur arsenal nucléaire. Le traité START I de réduction des armes stratégiques, qui me rappelle, monsieur le ministre, mon passage au Quai d’Orsay – nous sommes bien dans la continuité ! –, suivi du traité de réduction des arsenaux nucléaires stratégiques, le SORT, tous deux signés entre les États-Unis et l’Union Soviétique, ont mis un coup d’arrêt à la course effrénée aux armements à laquelle les deux pays s’étaient livrés durant la guerre froide.

L’escalade avait généré jusqu’à 60 000 têtes nucléaires au total, au moment des tensions les plus fortes. Aujourd’hui, on comptabiliserait 22 400 têtes pour les deux pays. C’est bien mieux, mais cette décrue ne doit pas faire oublier que Russes et Américains concentrent, à eux seuls, 96 % du stock mondial d’armes nucléaires.

Parmi les pays dotés qui se sont également engagés en faveur du désarmement, je crois qu’on peut, sans chauvinisme aucun, citer la France, dont l’attitude a été particulièrement exemplaire en ce domaine. Nous pouvons nous en réjouir sur toutes les travées de cette assemblée.

En procédant, dans la plus grande transparence, à une réduction de 50 % de ses armes nucléaires depuis la fin de la guerre froide et en renonçant aux essais nucléaires dès 1996, notre pays a su réviser sa doctrine stratégique en faveur du principe de stricte suffisance. Cette position permet à la France d’être perçue comme disposant d’une force « respectable », tout en étant relativement protégée dans les débats relatifs au désarmement.

Tous ces engagements concrets ont permis de légitimer le TNP, qui, à ce jour, est tout de même signé par 189 États sur 192.

J’ajouterai que le traité a aussi acquis une certaine solidité juridique en s’enrichissant à trois reprises. Sa prorogation en 1995 pour une durée infinie, la signature du traité d’interdiction complète des essais nucléaires en 1996 et l’adoption, en 1997, d’un protocole additionnel de garanties dit « 93+2 » ont renforcé l’édifice international de lutte contre la prolifération nucléaire.

Dans son excellent rapport d’information, fait au nom de notre commission des affaires étrangères, dont je salue le président, notre collègue Jean-Pierre Chevènement a bien démontré les vertus que pouvait avoir le TNP en le qualifiant « d’instrument irremplaçable pour la sécurité internationale ». Avec justesse et pertinence, il en a aussi pointé toutes les limites.

D’une part, les deux grandes puissances doivent franchir un nouveau palier. Aux États-Unis, la ratification du TICE peine à se réaliser : cela risque évidemment de peser lors des discussions qui s’ouvriront en mai prochain à New York.

D’autre part, l’objectif de réduction du nombre de têtes nucléaires affiché par la Russie et les États-Unis, visant à inscrire ce nombre dans une fourchette comprise entre 1 500 et 1 675 têtes, n’est toujours pas atteint, comme en témoignent les chiffres que je citais à l’instant.

On en connaît les raisons : le projet américain de défense antimissile en Europe engendre de fortes crispations à Moscou et dans la zone qu’on appelait autrefois les pays de l’Est. Il est certain que la volonté affichée par le président américain de réduire les armes nucléaires s’accorde mal avec le projet de développement d’une défense antimissile.

Ce point d’achoppement soulève d’ailleurs la question centrale de l’article VI du TNP, qui pose le principe d’un désarmement général et complet. Il ne faudrait pas aboutir à une nouvelle situation déséquilibrée avec, d’un côté, ceux qui jouent le jeu du désarmement général et, de l’autre, ceux qui donnent des gages dans le domaine du nucléaire, tout en renforçant fortement leur arsenal conventionnel et balistique.

Par un effet pervers, s’il s’agit de substituer à la dissuasion nucléaire une défense conventionnelle sophistiquée basée dans l’espace, le monopole de la sécurité tombera très vite entre les mains des États qui maîtrisent la technologie et, surtout, peuvent la supporter financièrement. Compte tenu de ces contraintes, beaucoup de pays souhaiteront se réfugier sous un parapluie, ce qui engendrera une perte d’autonomie de leur défense.

Au regard du caractère aléatoire et aliénant de cette protection, je ne crois pas que notre pays aurait intérêt à délaisser sa politique de dissuasion. C’est pourquoi, comme le souligne Jean-Pierre Chevènement dans son rapport, la conférence d’examen du TNP ne devra pas ignorer les questions relatives à la prolifération balistique.

En attendant, le traité START I est expiré depuis le 5 décembre 2009. Si l’on peut vivre sans, il est toutefois certain qu’en ne donnant pas l’exemple, les deux grandes puissances affaiblissent le TNP et privent le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies d’arguments lors de la gestion de crises difficiles, comme celles de la Corée du Nord et, surtout, de l’Iran.

Le représentant égyptien à l’ONU s’est récemment engouffré dans cette brèche en dénonçant les puissances nucléaires qui ne tiennent pas leurs engagements.

Certains pays estiment effectivement qu’il y a deux poids et deux mesures dans la gestion des crises de prolifération et il faut bien reconnaître qu’ils n’ont pas tout à fait tort ! Même si l’arme nucléaire n’est pas faite pour être employée – souhaitons-le en tout cas –, la nature de certains régimes pousse la communauté internationale à réagir à certaines situations plus qu’à d’autres. Celle-ci laisse ainsi de côté la prolifération chinoise, mais ne laisse pas passer, d’ailleurs à juste titre, le risque iranien.

Dans ce contexte, quelle posture la France doit-elle adopter ?

Compte tenu de l’exemplarité dont notre pays a fait preuve au cours de ces dernières décennies, il ne semble pas opportun qu’il s’engage au-delà de l’état actuel de son désarmement, au risque de ne plus pouvoir garantir sa sécurité avec une certaine indépendance.

Dotée de 300 têtes nucléaires, y compris les stocks de maintenance, la France ne doit souffrir d’aucune gêne en comparaison de l’arsenal détenu par les Russes et les Américains.

Forte de son attitude, elle a un rôle politique à jouer. Elle doit encourager en priorité la réduction des arsenaux russes et américains, la normalisation des relations avec l’Iran, la reprise des pourparlers avec la Corée du Nord.

Mes chers collègues, un monde sans armes suppose un monde en paix.

Le TNP est un bel outil qui a fait progresser le désarmement, mais la non-prolifération passe aussi par la résolution des grands conflits régionaux. Ce sont eux qui déclenchent la prolifération !

Comme le disait Raymond Aron, « l’univers diplomatique est comme une caisse de résonance : les bruits des hommes et des choses sont amplifiés et répercutés à l’infini. L’ébranlement subi en un point de la planète se communique, de proche en proche, jusqu’à l’autre bout ». Garantir un monde sans guerre implique une approche globale, qui ne néglige pas pour autant une écoute particulière de chacun des conflits de la planète.

Applaudissements sur les travées du RDSE et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UMP.

Mme Catherine Tasca remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Pintat

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d’abord me réjouir de l’occasion qui nous est donnée, aujourd’hui, de débattre d’enjeux stratégiques fondamentaux pour notre pays. Cette occasion, nous la devons à l’initiative prise par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur la base du travail très approfondi et des conclusions, très largement approuvées par notre commission, de l’excellent rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement.

Pour ma part, mes chers collègues, je me limiterai à quelques observations.

Tout d’abord, je crois que les analyses de M. Jean-Pierre Chevènement démontrent la cohérence de la démarche française.

En effet, la France soutient les efforts en matière de désarmement au travers d’une approche réaliste, tout en veillant à préserver ses intérêts de sécurité et le rôle fondamental que doit continuer à jouer, dans sa stratégie de défense, la dissuasion nucléaire.

Depuis une quinzaine d’années, cela a été souligné, elle a contribué de manière très concrète et significative au désarmement. Elle ne relâche pas son appui à cet objectif, comme en témoignent les propositions qu’elle a formulées, notamment avec ses partenaires européens, en vue de la conférence d’examen du TNP.

Pour autant, nous devons garder à l’esprit qu’il y a très loin de la vision d’un monde sans armes nucléaires, à laquelle le Président Obama a donné un large écho, à la réalisation des conditions qui rendraient cette perspective accessible, possible à moyen terme.

Nous vivrons encore, durant plusieurs décennies, avec des arsenaux américains et russes considérables. Jusqu’à présent, les puissances nucléaires asiatiques, à commencer par la Chine, ne se situent pas dans une logique de réduction, ni même de plafonnement de leurs capacités nucléaires militaires. L’apparition de nouveaux états nucléaires est un risque réel, tant que ne sera pas garanti le plein respect du régime de non-prolifération. Enfin, l’entrée en vigueur de traités de désarmement majeurs est encore hypothétique.

Je pense bien sûr au traité d’interdiction complète des essais nucléaires, que neuf États, dont les États-Unis, doivent encore ratifier, mais également à un futur traité d’interdiction de la production de matières fissiles militaires, dont la négociation n’est toujours pas ouverte du fait des préalables posés par le Pakistan et promet d’être longue et difficile.

Dès lors, la posture nucléaire française conserve sa pertinence, dans le cadre du principe de stricte suffisance.

Ce principe a de nouveau été illustré, il y a quelques mois, avec la réduction d’un tiers de la composante aéroportée. Il me paraît essentiel que, dans le respect de ce format, beaucoup plus réduit qu’il y a une vingtaine d’années, la crédibilité de notre dissuasion soit maintenue et que les orientations fixées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et par la loi de programmation militaire soient strictement respectées.

M. Jean-Pierre Chevènement, à juste titre, a insisté sur les conditions à réunir pour aller vers ce qu’il a qualifié de « zone de basse pression nucléaire ». La première d’entre elles réside dans la poursuite du désarmement américano-russe. Celui-ci devra aller très au-delà du traité, en cours de conclusion, qui doit succéder au traité START et porter sur le volume global des deux arsenaux, en incluant les armes en réserve et les armes tactiques.

Nous le voyons bien, la question de la défense antimissile est d’ores et déjà au cœur des discussions entre les États-Unis et la Russie. Nous avons eu à plusieurs reprises des débats en commission sur ce sujet.

Dès lors qu’ils visent uniquement à se protéger des puissances régionales développant leurs propres moyens balistiques, les projets américains de défense antimissile auraient tout intérêt, me semble-t-il, à faire l’objet d’une véritable concertation avec la Russie, voire avec la Chine, afin que ces pays n’y voient pas une source d’affaiblissement pour leur dissuasion.

Je reconnais que la question de la mise en place d’un système de défense antimissile à l’échelle de l’Europe mérite une approche extrêmement prudente, notamment en termes d’appréciation des coûts et de fiabilité au regard de la réalité des menaces. Pour autant, il ne faut pas opposer d’objections de principe à des technologies qui sont appelées à se développer et qui peuvent finalement jouer un rôle complémentaire par rapport à la dissuasion, mais en aucun cas s’y substituer. La France, en raison de son expérience en matière balistique, ne peut ignorer ce domaine, sur lequel la réflexion doit être poursuivie.

Je partage les conclusions du rapporteur sur la nécessité de renforcer le régime international de non-prolifération nucléaire. À ce sujet, je souhaiterais insister sur le caractère essentiel du dossier iranien.

Bien évidemment, personne ne conteste à l’Iran le droit de développer des activités nucléaires civiles et de mettre en œuvre des technologies associées. Mais cela suppose une adhésion pleine et entière à la règle du jeu posée par le TNP, dont le contrôle revient à l’AIEA. L’Iran a mené de manière clandestine trop d’activités dont la finalité civile est loin d’être démontrée pour que ne pèse pas un doute majeur sur ses intentions.

La confiance, qui est à la base du TNP, fait gravement défaut. Tant qu’elle ne sera pas rétablie, nous ne pouvons pas laisser se poursuivre sans réagir des programmes pouvant potentiellement déboucher sur des applications militaires.

L’unité de la communauté internationale est indispensable pour éviter une situation qui ne manquerait pas d’alimenter le risque de prolifération en chaîne, particulièrement dans la région si sensible du Moyen-Orient.

Au-delà du cas iranien, il paraît urgent de mettre en place des mécanismes permettant de prévenir de manière plus précoce et plus efficace ce type de situations. Je soutiens, bien entendu, les recommandations contenues à ce sujet dans le rapport de M. Chevènement.

Le protocole additionnel qui donne à l’AIEA des pouvoirs de contrôle renforcés apparaît aujourd'hui comme un instrument de vérification indissociable du TNP. Son universalisation, ainsi que le renforcement des moyens humains et techniques de l’Agence, doivent constituer un objectif prioritaire. Il est également nécessaire d’encadrer le droit de retrait du TNP qui constitue l’une des faiblesses du traité, comme l’a montré l’exemple nord-coréen.

Je souscris également aux propositions du rapporteur visant à rapprocher les trois États non signataires du TNP du régime international de non-prolifération, au travers d’un ensemble d’engagements comparables à ceux que l’Inde a pris devant l’AIEA et le Groupe des fournisseurs nucléaires. Le rôle des réseaux pakistanais dans le programme nucléaire de l’Iran souligne a contrario l’intérêt d’amener ces États à exercer des contrôles stricts sur leurs exportations de biens ou de technologies nucléaires ou à double usage.

Enfin, nous devrions apporter des réponses fermes lors de la conférence d’examen à certains pays émergents qui s’opposent au renforcement des règles de contrôle, dans lesquelles ils voient un obstacle à un plus large accès aux technologies nucléaires civiles.

C’est au contraire le plein respect des règles de transparence et la mise en œuvre des mécanismes internationaux de vérification qui permettront un développement des coopérations et la diffusion de technologies dans le domaine nucléaire civil, pour le bénéfice de tous.

Je me félicite qu’en organisant il y a quelques jours à Paris une Conférence internationale sur l’accès au nucléaire civil, qui a d’ailleurs reçu un soutien appuyé du nouveau directeur général de l’AIEA, la France ait de nouveau montré très clairement sa disponibilité vis-à-vis des pays souhaitant recourir à ce type d’énergie.

Avec la non-prolifération et le désarmement, il s’agit du troisième pilier du TNP, qui n’a peut-être pas recueilli au cours des dernières années toute l’attention qu’il aurait méritée.

Le développement du nucléaire civil et la lutte contre la prolifération ne sont pas des objectifs antagonistes. Bien au contraire ! L’expérience a d’ailleurs montré que les pays tentés par le développement de capacités nucléaires militaires ont le plus souvent suivi d’autres voies que le passage par un programme civil. Il faut par ailleurs encourager les technologies, déjà très largement présentes sur le marché, qui répondent à des standards très élevés en termes de sureté, de sécurité et de non-prolifération.

Comme l’a souligné à plusieurs reprises le Président de la République, il n’y a aucune raison de limiter notre assistance et la mise en place de coopérations technologiques dès lors que les pays demandeurs souhaitent développer un programme électro-nucléaire crédible, répondant à leurs besoins énergétiques, et qu’ils se soumettent à une gamme complète des contrôles prévus par les instruments internationaux.

Un engagement plus résolu en ce sens serait de nature à renforcer le consensus de la communauté internationale autour du TNP.

Pour conclure, je note que des avancées sont possibles sur chacun des trois volets du TNP. Le rapport de M. Chevènement les a bien identifiées. Je souhaite que la France s’attache à les promouvoir lors de la prochaine conférence d’examen au cours de laquelle elle jouera – nous en sommes certains ! – un rôle actif et constructif.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, de l ’ Union centriste et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le désarmement est un sujet d’une grande importance qui, malheureusement – nous en sommes tous conscients – est peu présent dans le débat public.

J’ai soutenu l’initiative prise par le président de la commission des affaires étrangères et de la défense qui a abouti à l’excellent rapport de Jean-Pierre Chevènement – que je remercie très sincèrement de la pertinence de ses constats et de l’excellence de ses recommandations –, puis au débat de ce jour.

Dans mon esprit, il ne s’agit que d’une étape, non de la fin du processus : je propose que notre commission demeure saisie du dossier du désarmement sous tous ses aspects, mais également que le Gouvernement, avant les prochaines échéances diplomatiques, informe le Sénat des propositions françaises et de l’état des négociations.

Pourquoi faut-il faire avancer coûte que coûte le désarmement ? Quelles sont les tendances lourdes qui structurent d’ores et déjà l’évolution du système international ? Rassurez-vous, mes chers collègues, je ne tenterai pas d’être exhaustif : pour cela, je vous renvoie au rapport de M. Chevènement.

Je tenais à le faire remarquer, nous nous trouvons immergés dans une mondialisation qui, dans un même mouvement, structure et ébranle le système international. L’instabilité semble être le maître mot pour décrire l’état de la planète.

Nous assistons à des événements de natures fort diverses et même disparates, qui produisent des ruptures multiples et parfois violentes : les catastrophes naturelles, la faillite du système bancaire et financier international, la prolifération nucléaire, les risques de pandémie mondiale, les conflits militaires dits régionaux, les crises sociales et ses victimes innombrables que sont les chômeurs et les migrants. Et je pourrais poursuivre l’énumération !

Ces événements font planer une forte incertitude sur l’ensemble du système, alors que les institutions de régulation et de gouvernance mondiale semblent pour le moins inadaptées et que nous assistons à une montée en puissance des conflits d’intérêts entre les États.

Incertitude, instabilité, affrontements étatiques : nous savons hélas ! comment cela peut finir. Voilà pourquoi la question du désarmement conventionnel et nucléaire se trouve au cœur des problématiques relatives à la sécurité collective, pourquoi il est nécessaire d’informer nos concitoyens de l’urgence et pourquoi nous devons inciter le Gouvernement à œuvrer très rapidement pour relancer ce dossier.

Il faut, d’abord, énoncer clairement les principes.

Oui, nous devons soutenir fermement les fondements mêmes du traité de non-prolifération, le désarmement nucléaire général étant inscrit à l’article VI de ce traité.

Oui, le désarmement général a toujours été un objectif majeur des socialistes, comme les gouvernements de gauche sous la présidence de François Mitterrand et celui de Lionel Jospin l’ont prouvé par des actes concrets. Il faut que ce désarmement soit maîtrisé et contrôlé et qu’il apporte plus de sécurité.

Oui, il faudra veiller en permanence à associer le désarmement et la sécurité collective, pour éviter que l’un ne prospère au détriment de l’autre.

Non, le processus de désarmement ne doit pas se traduire par un accroissement des déséquilibres dans d’autres domaines stratégiques. C’est la raison pour laquelle la démarche du désarmement doit être élargie progressivement à l’ensemble des armements conventionnels et à la limitation de la militarisation de l’espace.

Oui, il convient de lier les questions relatives à la prolifération balistique et au désarmement nucléaire à la mise en place des défenses antimissiles balistiques.

Oui, le concept de « stricte suffisance » appliqué à notre dissuasion nucléaire reste en vigueur. Il faut cependant veiller à ne pas isoler notre pays au sein de l’Union européenne en matière de nucléaire et envisager d’aborder l’ensemble de la problématique de sécurité continentale avec nos voisins.

Oui, la France doit faire entendre sa voix conformément aux objectifs énoncés dans le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, afin d’encourager la stabilité internationale, sur la base du principe d’une sécurité non diminuée pour tous. Notre pays ne doit pas, de grâce, rester spectateur.

Washington et Moscou sont actuellement en train de négocier l’adoption d’un nouveau traité de désarmement nucléaire destiné à succéder à START, qui a expiré en décembre. Cependant, les discussions ont été compliquées par des désaccords sur un certain nombre de sujets, dont, notamment, le projet américain de défense antimissile en Europe de l’Est.

Récemment, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré que le nouveau traité russo-américain fixera un lien « juridiquement contraignant » avec le projet américain de bouclier antimissile en Europe.

Monsieur le ministre, j’attire votre attention sur un accord qui réglerait, par-dessus la tête des Européens, et donc des Français, le sort de la sécurité de notre continent !

Le secrétaire général de l’OTAN, M. Rasmussen, a confirmé que l’Alliance occidentale discutera du dispositif nucléaire les 22 et 23 avril prochain à Tallinn. Le débat portera sur la manière dont l’OTAN peut contribuer au contrôle des armes et au désarmement nucléaire dans le cadre du concept stratégique, en cours d’actualisation, de l’Alliance.

Certains alliés, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la Norvège et les Pays-Bas, ne font pas mystère : ils souhaitent, à moyen terme, le retrait des dernières armes atomiques américaines d’Europe.

Leur intention est d’éliminer les armes nucléaires que, d’après des experts, les États-Unis stockent encore dans cinq pays de l’OTAN : l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie. Mais la question a aussi une dimension politique, et c’est sans doute pourquoi deux des pays où ces bombes sont stockées, l’Italie et la Turquie, n’ont pas cosigné la lettre.

Le rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement consacre un long développement fouillé à cette question ; pour l’OTAN, la question se posera dans les prochaines années, à partir de 2012, de la modernisation ou du retrait de ses armes nucléaires tactiques stationnées en Europe.

Des voix se font entendre pour dénucléariser les pays de l’OTAN où sont stationnées les armes nucléaires « tactiques » américaines. Certaines vont même jusqu’à demander une Europe exempte d’armes nucléaires.

Monsieur le ministre, le prochain sommet de l’OTAN, qui se tiendra à Lisbonne à la fin de 2010, aura à approuver le nouveau concept stratégique de l’Alliance atlantique, et, vous le savez bien, il devra aborder aussi la question du nucléaire militaire en Europe. Quelle est la position de la France en la matière ? Quelles sont les propositions du Gouvernement ?

Je n’oublie pas ces propos du Président de la République : « Plus de France dans l’OTAN, c’est, en effet, plus d’Europe dans l’Alliance ». Mais il est vrai qu’il dit tant de choses !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Il ne faudrait pas que les négociations en cours aboutissent à « moins de France partout et notamment en Europe » !

De plus, j’ai le sentiment que, si l’on donne l’impression que certaines puissances cherchent simplement à conforter leur supériorité nucléaire, il est évident que l’on ne pourra pas aboutir.

Alors, comment faire entrer dans le TNP les trois pays non-signataires que sont l’Inde, le Pakistan et Israël ? Ce sera le grand défi des mois à venir …

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le moment est venu pour la France de présenter un acte fort et utile, symboliquement important, capable de s’adresser au monde entier, comme le fut le Plan global de maîtrise des armements et de désarmement présenté devant les Nations unies, le 3 juin 1991, par François Mitterrand. Il annonça à cette occasion l’adhésion de la France au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. La France signa d’ailleurs ce traité le 3 août 1992. Entre-temps, le 6 avril 1992, il avait décidé proprio motu de suspendre pour un an les essais nucléaires français, avant de les arrêter définitivement en mai 1994.

Oui, le moment est venu pour notre pays de prendre à nouveau des initiatives dans le sens de l’intérêt général et de la sécurité collective dans le domaine du désarmement nucléaire. N’attendons pas que d’autres nous imposent leur vision et leurs propositions !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un premier temps, je n’avais pas prévu d’intervenir. En effet, le président de Rohan connaît parfaitement ce dossier et son intervention forte tout à l’heure a montré son engagement et celui de notre commission dans ce domaine.

Par ailleurs, pour l’UMP, Xavier Pintat, notre spécialiste du secteur spatial et du nucléaire, a réalisé un état des lieux complet et ouvert des perspectives réalistes.

Enfin, le rapport précis et les préconisations de Jean-Pierre Chevènement, qui a tenu à lier « désarmement, non-prolifération et sécurité de la France », font autorité. À cet égard, je salue l’immense travail de notre collègue et ses convictions.

Intervenant parmi les derniers, je serai parfois redondant. Toutefois, si je me suis résolu à prendre la parole quelques instants devant vous, c’est parce que je n’accepte plus que, depuis la déclaration d’intention du Président Obama évoquant « un monde sans armes nucléaires », un certain nombre d’idéologues, de journalistes mal informés ou de politiciens orientés donnent maintenant des leçons à la France dans ce domaine.

Tout d’abord, je rappelle que l’intervention du Président Obama se situait dans une perspective lointaine : « Je ne le verrai pas de mon vivant », disait-il.

Ensuite, deux éléments qui ont échappé à beaucoup doivent être pris en compte : la préparation du nouvel accord bilatéral de désarmement entre les États-Unis et la Russie, portant sur une réduction des armes stratégiques – et non pas tactiques, je le signale au passage – et surtout la prochaine conférence d’examen du TNP en mai 2010.

Or, vous le savez, les États-Unis ne seront pas au rendez-vous. S’ils ont bien signé le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE, ils ne l’ont toujours pas ratifié, et le Sénat américain est pour le moins réservé sur cette ratification. Certains parlent d’une ratification en 2011. Soyons optimistes … Toujours est-il que celle-ci pourrait conduire certains pays comme le Pakistan, la Chine ou l’Inde à ratifier à leur tour.

Je veux d’ailleurs souligner que, dans le monde, une douzaine d’États qui mènent des activités nucléaires significatives n’ont toujours pas signé le protocole additionnel du TNP.

Quelle est la situation aujourd’hui ?

Les États-Unis et la Russie, au travers des accords successifs SALT, FNI, START, puis SORT ont progressivement réduit de deux tiers le volume de leur arsenal nucléaire, et il faut s’en féliciter. Mais ils représentent toujours à eux deux 96 % du stock mondial des armes nucléaires.

Le Royaume-Uni et la France ont également entrepris un effort de diminution de leur arsenal nucléaire. Notre pays est d’ailleurs allé beaucoup plus loin, et j’y reviendrai.

Ces réductions, pourtant fortes, de ces quatre pays majeurs dans le domaine nucléaire ont-elles limité sur cette période la prolifération des armes nucléaires ? Malheureusement, non !

L’Inde, le Pakistan et Israël se sont dotés de l’arme nucléaire et n’ont pas signé d’accord dans le sens d’une limitation, même s’il faut souligner que l’Inde a accepté de négocier avec l’AIEA un protocole additionnel et consenti au contrôle des exportations des techniques nucléaires. Je vous rappelle que, il y a quelques mois, le Sénat s’est prononcé sur ce point particulier.

Dans le club des possesseurs de l’arme nucléaire, il faut ajouter la Corée du Nord, qui posséderait a priori une dizaine de têtes et qui se dote de missiles balistiques et dont les deux derniers essais ont défrayé la chronique.

Nous savons tous que l’Iran, malgré la pression internationale, continue sa progression dans le domaine nucléaire et balistique et surtout que la possession de ces armes par l’Iran conduirait certainement la Turquie et l’Arabie saoudite à s’engager dans une démarche identique.

Le monde de 2010 n’est donc pas plus sûr, bien au contraire, que celui de 2005, qui avait vu l’échec de la précédente conférence quinquennale d’examen du TNP.

Les diverses estimations qui se recoupent semblent indiquer que ces pays restent très largement surarmés dans ce domaine.

Il est bon de rappeler que la Russie posséderait près de 13 000 armes nucléaires, dont un tiers opérationnel et deux tiers en réserve ou en attente de démantèlement ; les États-Unis disposeraient de près de 9 400 armes, dont 5 200 déployées ou en réserve et 4 200 en attente de démantèlement ; la Chine cumulerait 400 armes nucléaires, dont 145 actives.

La France, quant à elle, a 348 têtes nucléaires actives au travers des missiles embarqués dans les quatre SNLE et des armes tactiques de la composante aérienne. Le Président de la République envisage d’ailleurs de réduire notre arsenal à moins de 300 têtes. Le Royaume-Uni, pour sa part, détient un peu plus de 200 armes, dont une grande partie active. Reste qu’Israël posséderait entre 100 et 200 têtes, l’Inde ainsi que le Pakistan, qui se surveillent, aux alentours de 60 chacun et la Corée du Nord entre 5 et 10.

Comme je le disais, le monde n’est pas plus sûr !

Dans cet environnement difficile, la France n’a de leçon à recevoir de quiconque. Elle milite activement pour des progrès effectifs en matière de désarmement et de non-prolifération. M. Chevènement rappelait tout à l’heure notre action dans la démarche conjointe des vingt-sept pays européens auprès du secrétaire général des Nations unies avec une série de propositions concrètes dans ce domaine.

La France a accompli des pas très importants, souvent de manière unilatérale, en matière de désarmement. Il faut insister sur ce point : nous avons abandonné nos ICBM du plateau d’Albion, contraint le nombre de nos SNLE et, l’an dernier, le Président de la République a diminué d’un tiers le volume des forces nucléaires tactiques aériennes, passant de trois à deux escadrons. De plus, en quinze ans, nous avons réduit de moitié le nombre de nos armes nucléaires.

Mais nous sommes allés plus loin : nous avons définitivement arrêté les essais nucléaires et totalement démantelé nos sites d’essais, nous avons définitivement arrêté la production d’uranium et de plutonium pour les armes nucléaires et nous avons réalisé le démantèlement de nos usines de Marcoule et de Pierrelatte. C’est une première pour une puissance nucléaire, que les experts et les journalistes internationaux invités sur place ont pu constater.

Nous travaillons sur un programme de simulation avec le laser mégajoule, que la commission a pu voir, et un supercalculateur. En outre, nous sommes les seuls à avoir rempli les obligations prévues à l’article VI du TNP.

Vous le savez, nous conduisons une approche pragmatique et constructive dans ce domaine avec trois axes forts : non-prolifération, accès aux usages pacifiques de l’atome, désarmement et lutte contre la prolifération balistique. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que nous ferons des propositions concrètes et offensives dans ce sens en mai prochain.

La France est donc très favorable à l’engagement du Président Obama en faveur du désarmement, mais nous sommes aussi en totale concordance avec lui lorsqu’il ajoute : « Tant que les armes nucléaires existeront, les États-Unis conserveront un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire et garantir la défense de leurs alliés. »

La France s’en tient à une posture de « stricte suffisance nationale ». Elle s’est positionnée en dehors de l’OTAN, même avec sa réintégration dans le commandement intégré et elle a déjà fait des efforts de son côté. Il n’est donc pas question que nos forces nucléaires soient prises en compte dans je ne sais quel processus multilatéral de désarmement nucléaire.

Il appartient aux deux grandes puissances surarmées de réduire très significativement leur arsenal jusqu’à quelques centaines d’armes avant de demander à des pays comme la France d’accompagner ce mouvement. Notre pays doit être jugé sur ses actes, sur ses efforts incontestables et ses initiatives et non sur des a priori, des préjugés ou des idéologies.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Voynet

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, foin des préjugés, des a priori et des idéologies dans cet important débat !

Nous sommes invités à débattre du désarmement nucléaire et de la sécurité de la France sur le fondement d’un rapport d’information, dont il faut noter qu’il n’a été distribué que mercredi dernier, le 17 mars, soit cinq jours avant le débat, et non le 24 février comme l’indique le site internet du Sénat. « Nucléaire et transparence », le débat ne date pas d’hier. Qu’importe ...

Ce débat tombe à point nommé, puisqu’il a lieu entre le vote, il y a quelques mois seulement, de la loi relative à la programmation militaire, qui se voulait l’expression du Livre blanc définissant la stratégie de défense et de sécurité de la France, et la conférence quinquennale d’examen du traité de non-prolifération, qui se déroulera au mois de mai à New York, alors que les traités START sont arrivés à échéance en décembre dernier.

J’ai lu votre rapport avec un réel intérêt, monsieur Chevènement. Décidément, ai-je pensé, il a coulé beaucoup d’eau dans le lit de la Savoureuse à Belfort depuis que nous manifestions ensemble contre l’implantation de missiles Pluton à Bourogne… J’ai été convaincue de la chausse-trape dans laquelle nous conduisent vos recommandations et d’où il sera ensuite difficile de s’échapper.

Ce rapport est suffisamment honnête pour admettre que, si le TNP constitue effectivement la clé de voûte de l’ordre nucléaire mondial, il n’a finalement pas permis d’empêcher la prolifération nucléaire, ce qui constituait pourtant son principal objectif.

Le principal effort de désarmement nucléaire accompli dans le monde ne peut d’ailleurs être porté de façon directe au crédit du TNP. Il découle plutôt des accords bilatéraux entre les États-Unis et la Russie, qui ont pu, après la fin de la guerre froide, réduire ainsi considérablement leurs stocks de têtes nucléaires. Parmi les trois autres pays qui détenaient déjà l’arme nucléaire avant la signature du TNP en 1968, le Royaume-Uni et la France ont certes diminué aussi leurs arsenaux, mais la Chine est au contraire dans une phase de développement en la matière.

Le rapport rappelle aussi que d’autres États ont finalement eu accès à l’arme nucléaire. Israël, l’Inde et le Pakistan, non signataires du traité, ont bénéficié de l’appui politique et technologique plus ou moins discret des cinq premiers détenteurs de l’arme nucléaire. Par le TNP, ces cinq pays s’engageaient pourtant à ne pas contribuer à la prolifération.

De ce fait, alors que les fondements mêmes du TNP sont ainsi reniés, par opportunité politique, d’autres pays ont revendiqué, eux aussi, un droit à l’arme nucléaire. La Corée du Nord a mené à bien son programme nucléaire militaire, au nez et à la barbe de l’AIEA. En Iran, il a fallu que l’opposition politique, au sein même du pays, alerte l’AIEA, jusque-là aveugle et sourde, sur l’existence d’installations d’enrichissement d’uranium à Ispahan et à Natanz.

Ce rapport admet d’ailleurs volontiers que la finalité exclusivement civile des activités d’enrichissement d’uranium, en Iran, n’a pu être attestée.

Il reconnaît aussi que, devant un pays comme l’Iran, qui revendique, conformément au TNP, le droit de développer sa technologie nucléaire civile, il n’est pas clair de déterminer à partir de quel moment une situation de non-respect du traité peut être établie, si ce n’est devant le fait accompli, lorsque l’État en question finit par annoncer qu’il détient l’arme nucléaire.

Et pour cause, car on sait que l’usage civil et l’usage militaire de l’énergie nucléaire requièrent tous deux des combustibles similaires, obtenus par des filières identiques. Ce qui distingue sa fonction militaire de son seul volet civil, c’est l’ampleur de l’enrichissement de la matière.

Une fois ce constat établi, et sauf à renoncer à l’espoir d’un monde sans armes nucléaires de notre vivant, il convient de se pencher, au-delà des discours convenus sur la nécessité d’un désarmement nucléaire total, sur les solutions concrètes à mettre en œuvre.

Or, vous recommandez, monsieur Chevènement, de poursuivre et d’amplifier la logique qui a mené à la montée des tensions que nous connaissons aujourd’hui. Vous êtes certes favorable à la diminution des stocks d’armes nucléaires, mais vous ajoutez que, compte tenu de la disproportion qui existe et que personne ne nie, entre les arsenaux des États-Unis et de la Russie et ceux des autres pays dotés de l’arme nucléaire, ces deux pays doivent montrer le chemin en suivant l’exemplarité française. Mais, permettez-moi de vous le demander, de quelle exemplarité parlons-nous ? De celle qui a fait de la France un des principaux vecteurs de la prolifération dans le monde ? De celle qui lui a fait attendre un demi-siècle avant de reconnaître que ses essais nucléaires avaient fait des victimes ?

Vous appelez aussi au renforcement des mesures préventives et coercitives pour lutter contre la prolifération, mais vous souhaitez dans le même temps promouvoir l’accès au nucléaire civil, en écho aux propos récents du Président de la République se déclarant prêt à « aider tout pays qui veut se doter de l’énergie nucléaire civile », et ce alors que le nucléaire civil – c’est un fait, pas une opinion – constitue dans la plupart des cas l’antichambre du nucléaire militaire.

Certes, le traité le permet. Mais convenez qu’il y a un fossé profond entre le fait de répondre aux demandes d’États qui manifesteraient un intérêt pour ces technologies et le fait de « relancer la promotion de l’énergie nucléaire », dites-vous, « des activités nucléaires pacifiques », dit le traité.

Est-ce bien raisonnable ? La liste des États avec lesquels coopère la France apporte un début de réponse : après le Japon, la Russie, la Chine ou le Brésil, les nouveaux venus sont la Libye, l’Inde, l’Algérie, la Tunisie, la Jordanie, les Émirats Arabes Unis ou la Syrie. La plupart d’entre eux sont déjà ou seront bientôt des états du seuil, capables de se doter d’armes nucléaires au cours des années à venir. Comment, dès lors, nier le caractère potentiellement proliférant de toute industrie nucléaire civile ?

Votre posture vous conduit à affirmer qu’il ne saurait être question de demander à notre pays de poursuivre la réduction de ses capacités aussi longtemps que les forces nucléaires américaines et russes, tous types d’armes confondus, ne seront pas ramenées à des niveaux de l’ordre de quelques centaines d’armes nucléaires, elle vous conduit à douter à voix haute de l’engagement de Barack Obama, pris à Prague, un engagement dont vous analysez de façon fine les ambiguïtés bien réelles et les arrière-pensées. Cette posture est largement contestée, d’un point de vue politique comme d’un point de vue militaire, par des hommes comme Alain Juppé et Michel Rocard en passant par Alain Richard. Tous pointent l’intérêt de signaux clairs destinés à consolider la foi et la détermination en matière de désarmement de Barack Obama et de Dmitri Medvedev. Il n’est pas exclu d’ailleurs que, dans ce domaine comme dans d’autres, la question se pose bientôt de façon assez différente, au regard du coût de ces armes et du souci d’utilisation optimale des ressources dans un contexte de crise économique et financière sévère. Il n’est pas étonnant, à cet égard, que des initiatives, qui permettront de réduire le recours aux armes nucléaires, soient prises de façon pragmatique. Je pense aux discussions en cours entre Britanniques et Français pour organiser de façon coordonnée la « permanence à la mer ».

Vous appelez enfin à l’entrée en vigueur de nouveaux traités interdisant à l’avenir les essais nucléaires et la production de matières fissiles. Il semble effectivement positif d’encourager ces démarches mais, tant que des pays pourront dissimuler le volet militaire de leur exploitation de l’énergie nucléaire, on peut craindre que ces vœux ne restent pieux.

En réalité, ce rapport pose ouvertement, en introduction de son titre II, la question de l’intérêt même du désarmement nucléaire, qui pourrait causer la perte de la capacité de dissuasion. Or, si la stratégie de dissuasion nucléaire de la France pouvait stratégiquement, sinon déontologiquement ou éthiquement, se justifier dans le contexte de la guerre froide, les réalités géopolitiques ont changé. La dissuasion nucléaire n’est plus adaptée aux nouvelles menaces qui pèsent à présent sur les États. Pire, elle favorise la prolifération ; son coût est exorbitant et nuit du même coup au développement des forces d’interposition et de maintien de la paix, ainsi qu’à la contribution française à l’Europe de la défense.

Votre rapport insiste sur le lien entre le désarmement et la résolution des conflits, mais convenez avec moi que reporter la dénucléarisation de la région à l’établissement d’une paix juste au Proche-Orient, au moment ou Benjamin Netanyahu, à Washington, confirme son intention de poursuivre des constructions destinées aux colons à Jérusalem-Est, a quelque chose de désespéré.

Pour conclure, je ne vais pas vous surprendre en déplorant à nouveau que la position française soit largement liée à la volonté de promouvoir le nucléaire civil, sans précautions suffisantes. Il est temps pour la France de se montrer responsable, comme le prétend ce rapport, et d’en finir avec cette habitude si peu démocratique, mise en évidence par Jean-Louis Carrère, de régler les questions nucléaires en cénacle restreint, sans que l’opinion semble décidée à s’en emparer, ce que, pour ma part, je souhaiterais.

L’idéologie abolitionniste est dans l’air du temps, dites-vous avec ce mélange de mépris et cette distance ironique dont vous gratifiez toute opinion différente de la vôtre. Il se trouve pourtant que c’est celle de nombreux pays européens, notamment notre allié le plus proche et le plus ancien, l’Allemagne. Sont-ils tous irresponsables ou inconscients ? Je ne le crois pas.

Soyons pragmatiques ! Prenons des initiatives, que ce soient celles qu’ont suggérées nos collègues communistes ou bien d’autres qui s’inscrivent dans un cadre multilatéral, au niveau européen ou international : je les appelle de mes vœux.

Mme Michelle Demessine applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Je remercie l’ensemble des intervenants que j’ai écoutés très attentivement.

Je souhaite cependant répondre à Mme Voynet qui a exprimé une crainte qui peut paraître justifiée, à savoir que le développement de programmes nucléaires civils n’entraîne le développement de programmes nucléaires à caractère militaire. Pour autant que je sache, il n’y a pas d’exemple de ce type, à l’exception peut-être de l’Inde, à laquelle le Canada avait fourni un réacteur de recherche, et les États-Unis différents éléments qui lui ont permis de développer un programme soi-disant civil et qui s’est avéré, en 1998, être militaire.

Vous avez évoqué, ma chère collègue, les positions de deux anciens Premiers ministres, Michel Rocard et Alain Juppé. J’ai, pour ma part, tenté d’apporter un éclairage géopolitique, absent de leur tribune libre qui, naturellement, ne se prêtait pas à des considérations de cet ordre. Je ne crois pas à l’existence d’un lien univoque entre le désarmement et la prolifération. Autrement dit, la prolifération a des causes spécifiques, et ce n’est pas parce que certains pays suivent le chemin du désarmement, à l’image de la Russie et des États-Unis, qui ont accompli des gestes importants puisque leurs arsenaux nucléaires ont diminué des deux tiers, que l’Inde, le Pakistan ou Israël n’en ont pas moins développé leur propre arsenal. À mon avis, la prolifération est plus directement liée aux questions de sécurité régionales.

J’ai fixé, dans mon rapport, le moment auquel la France pourrait entrer dans une discussion multilatérale à celui où les arsenaux russes et américains seraient réduits à quelques centaines. Est-ce si éloigné de ce que propose le rapport Evans-Kawaguchi, bréviaire de l’école abolitionniste dans laquelle, me semble-t-il, vous vous reconnaissez ? Je vous renvoie donc à cet excellent rapport, intitulé « Eliminating Nuclear Threats ». Je pense que vous comprendrez très bien le sens de la démarche que je propose. Il s’agit de dire : « Messieurs les Américains, messieurs les Russes, désarmez les premiers ! » Cela me paraît logique.

Je crois que les deux anciens Premiers ministres dévaluent excessivement le TNP. Ce dernier a incontestablement ralenti la prolifération nucléaire, vous ne pouvez pas le nier. S’il comporte des facteurs de fragilité, il a tout de même permis beaucoup d’avancées et il est possible de le conforter en allant dans la direction que j’ai indiquée.

Je ne souhaite pas développer une polémique inutile car l’étude raisonnée des faits conduit à des propositions pragmatiques, graduelles et dont l’échéance ne peut pas être à court terme pour des raisons politiques et techniques. Les raisons techniques sont simples : l’usine américaine de démantèlement, située à Pantex au Texas, ne permettrait de démanteler les armes qui y sont actuellement vouées, à savoir 4 200 sur un arsenal de 9 400, qu’à l’horizon 2025. Les Etats-Unis planifient la construction d’une autre usine, à Savannah River, et même d’une troisième dont la localisation n’est pas encore déterminée. Cependant, l’usine de Savannah River ne commencera à fonctionner que sept ans après le début des travaux, qui n’a pas encore eu lieu. Vous mesurez donc le temps nécessaire à ces opérations de démantèlement.

McGeorge Bundy déclarait à la fin des années 1980 que depuis le début de l’ère nucléaire, il y a 65 ans, il ne s’était pas écoulé une décennie qui ne soit moins dangereuse que la précédente. Il faut avoir le courage de reconnaître, dans cette perspective, qu’une sortie de l’ère nucléaire n’est pas possible avant plusieurs décennies. On peut toutefois poursuivre un objectif de minimisation et viser une zone de basse pression nucléaire. Je pense qu’une telle démarche est en mesure de garantir la sécurité de la France, à laquelle je suis fondamentalement attaché – je n’oublie pas les responsabilités que j’ai exercées. Le souci de la sécurité de la France est légitime et je pense que chacun sur ces travées partage ce point de vue.

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur de nombreuses travées socialistes.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, le débat était à ce point passionnant qu’il ne me reste pratiquement rien à préciser. Je vais toutefois répondre brièvement aux questions qui ont été posées au Gouvernement.

L’excellent rapport de Jean-Pierre Chevènement a permis d’éclairer remarquablement les termes du débat. Je l’en remercie. Je tiens à remercier également M. Josselin de Rohan d’avoir permis l’organisation de la réunion inédite de cet après-midi. Il est utile et même indispensable que la représentation nationale puisse débattre de ce sujet essentiel pour la sécurité des Français.

La conférence de mai qui aura lieu à New York intervient à un moment crucial pour l’avenir du nucléaire et pour la sécurité du monde. Regardons un instant tout ce qui s’est passé depuis la dernière conférence d’examen, il y a cinq ans : le contexte a considérablement changé.

Bien sûr, chacun aura noté le regain d’intérêt en faveur du désarmement nucléaire, notamment depuis le discours du président Obama à Prague l’an passé. Mais, dans le même temps, nous devons faire face à des crises de prolifération particulièrement graves, qui menacent non seulement les régions dans lesquelles elles se déroulent, mais aussi la sécurité internationale. Je pense bien entendu à l’Iran et à la Corée du Nord.

Enfin, le nucléaire civil est en pleine renaissance. Pour combattre le changement climatique, pour contribuer au développement économique et à la sécurité énergétique, de plus en plus de pays relancent leur programme d’électricité nucléaire ; d’autres, qui n’ont pas encore la capacité de le faire, veulent s’y engager.

Nous ne pouvons négliger aucune de ces évolutions. La France a fait le choix déterminé du nucléaire civil. Ainsi qu’elle l’a récemment souligné lors d’une conférence internationale qui s’est tenue à Paris, elle est disposée à aider tous les pays qui veulent s’engager sur cette voie. La France est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et a une responsabilité pour garantir la paix et la sécurité. La France est signataire du traité de non-prolifération nucléaire ; elle est donc engagée sur la voie d’un monde plus sûr.

Nous irons à New York pour promouvoir une vision, des objectifs et des moyens au service d’une seule cause : faire de la sécurité pour tous une réalité crédible.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez apporté votre éclairage, formulé des remarques et, parfois, des interrogations, auxquelles je tenterai de répondre de manière plus détaillée, en reprenant les trois grandes questions que vous avez mises en avant et autour desquelles s’organise ce débat : la non-prolifération nucléaire, le désarmement et le nucléaire civil.

En matière de non-prolifération nucléaire, soyons clairs ! Il n’y aura pas de désarmement si nous ne mettons pas un coup d’arrêt à la prolifération nucléaire. II n’y aura pas de développement du nucléaire civil, si nous ne mettons pas un coup d’arrêt à la prolifération. Notre première priorité est donc de mettre un coup d’arrêt ferme et définitif à la prolifération.

Comme le Président de la République l’a dit le 24 septembre dernier devant le Conseil de sécurité des Nations unies, « nous avons raison de parler de l’avenir, mais avant l’avenir, il y a le présent, et le présent, c’est deux crises nucléaires majeures ».

La France, avec ses autres partenaires membres du groupe des Six, est à la pointe des efforts de la communauté internationale pour tenter d’apporter un règlement négocié au problème du nucléaire iranien. Ce pays développe des capacités nucléaires sensibles sans finalité civile crédible et accroît la portée de ses missiles. L’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, déplore, à longueur de rapports, que l’Iran ne coopère pas suffisamment avec elle. Téhéran a rejeté toutes nos offres de dialogue et de coopération.

Nous continuerons à chercher et rechercher le dialogue, et nous efforcerons d’y parvenir. Mais quelles réponses toutes nos offres de dialogue ont-elles suscité jusqu’à présent ? Aucune réponse tangible.

L’attitude de défi choisie par le gouvernement iranien ne nous laisse pas aujourd’hui d’autre choix que de rechercher de nouvelles sanctions – le Conseil de sécurité des Nations unies a déjà pris trois résolutions de sanctions à l’encontre de ce pays ! – pour convaincre ou contraindre le gouvernement iranien à négocier.

Quant aux programmes nord-coréens, ils ne mettent pas seulement en cause la paix et la stabilité de la région. Au travers des coopérations que Pyongyang poursuit inlassablement avec d’autres pays, en particulier au Proche-Orient et au Moyen-Orient, ils exportent au loin leurs ferments d’insécurité ; il faut y faire barrage.

Je reviens du Japon et de la Corée du Sud, où j’ai largement évoqué le dossier nucléaire et balistique nord-coréen. J’ai pu mesurer l’inquiétude que ce programme suscite et les attentes que ces pays nourrissent dans la France, membre permanent du Conseil de sécurité. Certes, je n’ai pas le temps de développer ce point maintenant, mais j’y reviendrai volontiers, M. Carrère ayant émis le souhait de poursuivre ce débat ultérieurement.

Dans le domaine du désarmement, il ne suffit pas d’applaudir aux slogans. Nous refusons aussi bien le cynisme que la démagogie. Ce que nous voulons, c’est un désarmement réel, qui se traduise par des actes.

La France a fait son choix : celui de convaincre par l’exemple. Qu’avons-nous fait ? Nous avons ratifié, il y a maintenant douze ans, le traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Nous avons démantelé notre site d’essais nucléaires. Nous avons cessé la production de plutonium et d’uranium pour les armes nucléaires et avons détruit de façon irréversible les installations qui les produisaient– cela nous a couté 2 milliards d’euros et nous coûtera encore 4 milliards d’euros. Nous avons éliminé une composante entière, la composante terrestre, en ayant réduit fortement les deux autres composantes – aéroportée et océanique –, conformément au principe de stricte suffisance qui a toujours guidé notre posture nucléaire et que certains d’entre vous ont salué.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

C’est grâce à Mitterrand ! Il faut rendre à César ce qui lui appartient !

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Que demandons-nous ? Nous demandons que tous les États consentent des efforts semblables ! Or tel n’est pas le cas ! Nous demandons non pas des discours, mais des faits !

En 2008, à Cherbourg, le Président de la République a fait des propositions ambitieuses et a appelé toutes les puissances nucléaires à y souscrire. Le désarmement ne pourra progresser que si cette volonté est partagée par tous, et non par quelques-uns, comme c’est le cas aujourd’hui.

Ces propositions ont constitué le fondement du plan d’action que l’Union européenne a adopté lors de la présidence française et que le Président de la République a présenté au secrétaire général des Nations unies. Ce plan d’action s’articule autour de quatre priorités.

D’abord, il est nécessaire que la Russie et les États-Unis opèrent de nouvelles réductions dans leurs stocks d’armes nucléaires. Vous l’avez rappelé dans votre rapport, monsieur Chevènement, mais on ne le répétera jamais assez, ces deux États détiennent à eux seuls 95 % des armes nucléaires dans le monde, ce qui est considérable. Cette proportion devrait rester sensiblement identique, même après le nouveau traité de désarmement qui pourrait être signé prochainement, ce que nous souhaitons.

La deuxième priorité concerne l’entrée en vigueur du traité d’interdiction complète des essais nucléaires.

Pour progresser vers le désarmement, il faut aussi, tout simplement, cesser de nous armer, ce qui suppose de mettre fin à la production de matières fissiles pour les armes nucléaires à travers un moratoire immédiat et la négociation d’un traité d’arrêt de la production de matières fissiles ; c’est là notre troisième priorité.

Enfin, le désarmement nucléaire doit aller de pair avec un désarmement crédible dans tous les autres domaines, …

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

… qu’il s’agisse des armes biologiques, chimiques ou conventionnelles, de la défense anti-missile ou de l’espace.

Si nous n’avançons pas du même pas et avec une égale vigilance dans tous les domaines, alors nous prenons le risque d’engager, comme vous l’avez souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, une nouvelle course aux armements, dont le résultat serait catastrophique.

Quant au nucléaire civil, c’était jusqu’à présent, il faut bien le dire, le parent pauvre des conférences d’examen du traité de non-prolifération, mais il constitue une priorité pour la France.

Nous avons organisé une conférence internationale sur ce sujet à Paris les 8 et 9 mars dernier. Le Président de la République l’a rappelé une fois encore à cette occasion : la France a fait résolument le choix du nucléaire civil pour elle-même. Elle est prête à coopérer avec tous les pays qui voudront s’engager sur cette voie et respectent leurs engagements internationaux.

Lors de la conférence d’examen du traité de non-prolifération, tous ceux qui veulent accéder à cette énergie du futur pourront faire valoir leurs intérêts, leurs attentes et leurs préoccupations.

Pour notre part, nous insisterons sur l’exigence qui accompagne indissolublement notre proposition : que le développement du nucléaire se fasse avec les meilleures garanties de sécurité, de sûreté et de non-prolifération, ce qui passe par le renforcement de l’Agence internationale de l’énergie atomique, la promotion des normes et des pratiques les plus élevées de sûreté et de sécurité nucléaires, la prévention d’une dissémination incontrôlée des technologies les plus sensibles du cycle du combustible, l’enrichissement et le retraitement, notamment en garantissant la fourniture du combustible nucléaire.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous l’avons tous entendu, le président Obama a dit : « Je rêve d’un monde où il n’y aurait plus d’armes nucléaires. » La France répond par les faits et l’exemple : nous voulons un nouvel ordre nucléaire mondial, qui soit un gage de prospérité pour tous et qui fasse de la sécurité collective une réalité.

Nous voulons un monde où la prolifération sera fermement combattue et contenue, un monde où les matières nucléaires et radioactives seront encore mieux protégées contre les acteurs non étatiques.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Le rythme s’accélère ! Reconnaissez-le, monsieur le sénateur !

Nous voulons un monde où le nucléaire civil se développera dans les meilleures conditions de sécurité, de sûreté et de non-prolifération, grâce notamment à un renforcement des pouvoirs et des moyens de l’Agence internationale de l’énergie atomique, et nous avons d’ailleurs récemment reçu son nouveau directeur général, M. Amano.

Nous voulons un monde où les États prendront toutes leurs responsabilités et auront l’audace de regarder les faits en face sans se résigner devant le fait accompli.

Tel est le monde que nous voulons, et telle est la position que la France ira défendre dans quelques semaines à New York.

Enfin, ce n’est pas parce que nous avons repris notre place au sein de l’OTAN – mais pas, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, au sein du comité des plans nucléaires – que nous avons perdu toute autonomie…

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

… et toute capacité d’initiative en matière de sécurité européenne.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Mais non, bien au contraire ! Je peux prendre l’exemple de l’Afghanistan.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Ici, je ne m’adresse pas aux militaires, mais aux parlementaires que sont les sénateurs !

Vous le savez très bien, nous n’avons pas obtempéré à ce qui semblait pourtant être une injonction très ferme !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Demandez donc aux militaires ce qu’ils en pensent !

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Je leur parle souvent et je sais ce qu’ils en pensent !

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Je le répète, ce n’est pas parce que nous avons repris toute notre place au sein de l’OTAN que nous n’avons pas toute notre autonomie et notre capacité d’initiative.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Les militaires sont associés une fois que tout est terminé !

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

C’est nous, les premiers, qui avons réagi positivement aux propositions du président Medvedev sur la sécurité en Europe. C’est encore nous qui avons conduit l’Europe à réagir lors de la plus grande crise militaire que nous ayons connue ces dernières années, en Géorgie.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

En tout cas, c’est mieux que de n’avoir rien fait ! Ceux qui devaient nous servir d’exemple n’ont rien fait !

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

M. Bernard Kouchner, ministre. Nous avons réussi à arrêter leur armée sur la route de Tbilissi, ce dont tout le monde s’est félicité.

Applaudissementssur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Ils sont à Genève en train de négocier avec nous !

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

M. Bernard Kouchner, ministre. Au sein de l’OTAN, nous pouvons peser, peut-être même plus encore qu’auparavant, sur les débats stratégiques qui s’y déroulent à propos de la défense anti-missile ou encore du rôle du nucléaire. Nous nous préparons à la future échéance qui nous attend.

Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté trois candidatures pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et la commission des affaires sociales.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :

- M. Philippe Paul membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Hubert Haenel, dont le mandat de sénateur a cessé ;

- M. Jean-François Mayet membre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, en remplacement de M. Philippe Paul, démissionnaire ;

- et M. Jean-Louis Lorrain membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean-François Mayet, démissionnaire.

Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Jean-François Humbert membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Hubert Haenel, dont le mandat de sénateur a cessé.

(Texte de la commission)

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des lois, de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, présentée par M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier (proposition n° 93, texte de la commission n° 331, rapports n° 330 et 317).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Yves Détraigne, coauteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’objet de la proposition de loi dont nous allons débattre peut paraître ésotérique ; il n’en est pas moins d’une réelle actualité.

Nous sommes tous concernés, souvent même à notre insu, par le développement exponentiel des nouvelles technologies numériques, au travers non seulement d’Internet et des réseaux sociaux tels que Facebook ou MySpace, mais aussi des puces Radio Frequency Identification, RFID, qui permettent le développement d’applications telles que le télépéage, le passe Navigo et bien d’autres encore.

Même si vous n’utilisez pas personnellement Internet, mes chers collègues, demandez à votre collaboratrice ou à votre collaborateur de taper votre nom et votre prénom sur un moteur de recherche, et vous verrez que vous êtes présents sur la Toile... Peut-être même redécouvrirez-vous certaines de vos actions passées que vous aviez oubliées ou que vous croyiez oubliées !

Certes, le développement du numérique constitue d’abord pour nos concitoyens une commodité et un progrès. Ainsi, l’apparition du Global Positioning System ou GPS facilite nos déplacements et évite peut-être quelques scènes de ménage à l’intérieur des voitures !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Internet nous permet de tout connaître sur tout et nous rend service dans notre travail de parlementaires. Voilà quelques mois, nous avons, avec Twitter, suivi en direct les manifestations qui se déroulaient en Iran, alors que la censure battait son plein. Et combien d’entre nous ont délaissé leur téléphone portable traditionnel au profit du Blackberry ou de l’iPhone ?

Bref, même sans le savoir, nul ne résiste à l’attrait des nouvelles technologies... Mais leur développement va de pair avec celui des mémoires numériques et avec la possibilité de suivre, voire de révéler les moindres faits et gestes de tout un chacun, et pas seulement au travers d’internet.

Si un GPS vous indique votre position et le chemin que vous devez prendre pour vous rendre là où vous voulez, il pourrait aussi permettre de savoir où vous êtes et dans quelle direction vous allez...

Il s’agit, bien évidemment, non de dramatiser ou de passer pour des « ringards » en voulant limiter, encadrer le développement de ces technologies, mais simplement, pour mettre nos concitoyens en mesure de protéger leur vie privée et leurs données personnelles face aux aspects intrusifs des nouvelles technologies numériques, de compléter le cadre juridique existant, dans la continuité de ce qu’ont fait nos prédécesseurs voilà une trentaine d’années quand, pressentant les développements futurs de l’informatique, ils ont voté la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, laquelle a inspiré ensuite la réglementation européenne.

Force est de constater en effet que, si les nouvelles technologies facilitent la vie quotidienne, elles peuvent aussi être utilisées au détriment de personnes qui n’ont rien à se reprocher et leur nuire durablement.

Je ne prendrai qu’un exemple : l’enquête qui a été menée l’an dernier auprès de recruteurs américains et qui a confirmé que 45 % d’entre eux cherchaient sur internet les informations relatives aux candidats qu’ils allaient recevoir et, surtout, que 35 % d’entre eux avaient rejeté des candidatures au vu de photos ou d’informations privées trouvées sur internet concernant ces candidats, mais sans rapport direct avec le profil et les qualités exigés pour le poste à pourvoir !

Lorsque l’on sait qu’en France 75 % des collégiens utilisent aujourd’hui les messageries instantanées, les chats et les mails, que 40 % d’entre eux possèdent un blog et que 30 % y diffusent des photos d’ « amis », comme l’on dit, on comprend vite la nécessité d’être vigilant et de se donner les moyens de faire en sorte que ce développement exponentiel des nouvelles technologies et des mémoires numériques ne nuise pas à un nombre croissant de personnes qui n’ont rien à se reprocher.

L’objet de cette proposition de loi est donc de mettre en place des mesures permettant aux internautes et autres utilisateurs de technologies numériques de garder la maîtrise de leurs données personnelles. Je serais tenté de dire qu’il y va de l’équilibre de la démocratie !

Je ne vais pas entrer dans le détail de la proposition de loi. Mes collègues y reviendront, tant Mme Anne-Marie Escoffier, coauteur, que M Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois, qui, je dois le dire, est parfaitement entré dans le sujet et a mené ses investigations dans le même esprit que celui avec lequel Anne-Marie Escoffier et moi-même avions travaillé. Les administrateurs de la commission des lois, peut-être plus au fait des nouvelles technologies que nous-mêmes, nous ont très utilement accompagnés dans les travaux qui ont conduit à la publication de notre rapport d’information, intitulé : La vie privée à l’heure des mémoires numériques, puis au dépôt de cette proposition de loi. Permettez-moi aussi de souligner le travail et les apports du rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Mme Catherine Morin-Desailly.

Je relèverai seulement trois points qui me paraissent essentiels.

Le premier concerne la nécessaire sensibilisation des jeunes, notamment en milieu scolaire, aux questions liées à la protection des données personnelles et, plus généralement, à la vie privée.

Nous sommes, en effet, face au développement de nouvelles technologies pour lesquelles, contrairement à ce qui se passe en règle générale, les parents ne disposent pas forcément des connaissances nécessaires pour transmettre à leurs enfants les informations et les mises en gardes utiles.

Le deuxième point concerne les dispositions qui permettent aux utilisateurs des technologies numériques d’exercer plus facilement les droits que leur reconnaît la loi dite « Informatique et libertés », notamment le droit d’être informés de la durée de conservation des données les concernant et le droit de suppression ou de rectification de celles-ci.

Enfin, le troisième point que je voudrais souligner concerne la nécessité de diffuser une véritable culture « Informatique et libertés » au sein des entreprises et des administrations qui gèrent des traitements de données à caractère personnel lorsque plus de cinquante personnes y ont accès, notamment en y généralisant la fonction de « correspondant informatique et libertés ».

Cette mesure contestée vise non pas à interdire le développement de l’informatique, mais, au contraire, à protéger les entreprises et les administrations contre des utilisations non contrôlées de certaines données au sein de ces structures, donc à l’insu des responsables.

Il faut être conscient que l’irruption du numérique dans notre vie de tous les jours change notre société. Voilà encore quelques années, une information publiée à un moment donné n’était accessible qu’aux individus destinataires du support sur lequel elle se trouvait et était oubliée au bout de quelques jours. Aujourd’hui, une information publiée sur internet devient presque instantanément universelle dans le temps et l’espace. Tout le monde peut y avoir accès sans limite.

Ce texte vise donc non pas à limiter le développement des nouvelles technologies – nous ne sommes ni ringards, ni obscurantistes ! –, mais bien plutôt à le permettre sans qu’il nuise aux individus qui n’ont rien à se reprocher. Il est de notre responsabilité de législateur de nous pencher sur cette problématique émergente et c’est ce à quoi nous vous invitons au travers de cette proposition.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste, de l ’ UMP et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, coauteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

coauteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi qui vient aujourd’hui à l’examen de notre Haute Assemblée est, pour moi, source à la fois de satisfaction, d’étonnement et d’admiration.

C’est une satisfaction d’avoir travaillé avec mon collègue et ami Yves Détraigne, avec le concours précieux des administrateurs de la commission des lois, sur un sujet qu’il nous a fallu pleinement défricher à un moment où il n’était pas encore en pleine lumière.

Les mois consacrés à l’élaboration du rapport d’information La vie privée à l’heure des mémoires numériques ont été, pour moi, le formidable apprentissage d’un monde technologique dont je ne mesurais pas tous les effets dans notre quotidien sociétal, économique et réglementaire.

Cette proposition est aussi source d’étonnement face aux réactions nombreuses, passionnées, parfois contradictoires, qu’elle a suscitées.

Il nous est paru d’évidence que l’intérêt accordé au rapport d’information par les experts des technologies de l’information – les opérateurs en informatique, les praticiens internautes eux-mêmes – justifiait que fût élaborée une proposition de loi pour responsabiliser les utilisateurs des systèmes d’informations numériques et encadrer une réglementation offerte à de nouveaux enjeux, notamment commerciaux.

Les premières réactions au dépôt de cette proposition de loi n’ont pas démenti cet intérêt et nous avons été interrogés à de multiples reprises par les publics les plus divers pour débattre de ce droit à l’oubli dont nous avions fait le cœur de notre démarche.

Considérés tantôt comme des « sages » par ceux qui s’inquiètent de l’invasion d’internet dans notre quotidien, tantôt comme des « ringards » inadaptés à l’inévitable évolution de notre société ou comme des freins à la dynamique commerciale sous-jacente, nous avons le sentiment non pas d’avoir soulevé une tourmente, mais d’être dans une tourmente qui emporte un nouveau modèle de société.

Enfin, cette proposition de loi est source d’admiration pour notre collègue Christian Cointat, rapporteur d’un texte dont je perçois humblement les imperfections et les insuffisances premières et qu’il a su enrichir, ordonner et fortifier.

Le texte de la commission des lois qu’il va présenter dans quelques minutes respecte parfaitement les intentions premières : responsabiliser les internautes en favorisant une information élargie du grand public, leur assurer des garanties renforcées pour protéger leur vie privée et conforter le rôle et les missions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, formidable instrument d’expertise et de régulation du monde numérique.

Cette proposition de loi est un texte d’équilibre entre les différents enjeux, s’attachant aux principes pour que l’évolution inéluctable des technologies ne la rende pas obsolète à peine élaboré. Elle est également respectueuse du nouvel Homo Numericus que nous devenons tous avec l’inclusion de l’informatique dans nos vies. Loin de diaboliser ce nouvel outil, elle le magnifie en le mettant au service de l’homme, sans jamais l’assujettir.

À ce point de mon intervention, je voudrais remercier tous ceux, initiateurs, constructeurs de cette réflexion conduite au sein de la commission des lois, qui m’ont apporté satisfaction et étonnement, et qui ont suscité ma pleine adhésion à ce texte dont je ne commenterai que quelques aspects.

L’article 1er consacre l’engagement de l’État à accompagner et à responsabiliser les jeunes utilisateurs d’internet. Comme l’a dit mon ami Yves Détraigne, il confie à l’éducation nationale cette compétence qu’elle exerçait déjà avec l’instauration d’un brevet Informatique et Internet ouvert aux élèves des collèges, mais il la conforte en sanctuarisant le droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles dans l’apprentissage d’internet.

Cette disposition est particulièrement nécessaire si l’on en juge par le comportement des plus jeunes générations, qui distinguent mal la différence entre le jeu, sans incidence sur leur propre personne, et les informations personnelles partagées sur les réseaux sociaux avec des amis, vrais et/ou virtuels, dont ils ne peuvent maîtriser ni le nombre, ni la discrétion.

Des associations se sont d’ailleurs créées qui vont d’écoles en collèges porter l’information sur l’utilisation d’internet en soulignant les avantages et en même temps les risques attachés à un outil qui gomme les notions d’espace et de temps. Elles sont de plus en plus sollicitées par les établissements scolaires, qui ouvrent bien souvent le débat aux parents d’élèves eux-mêmes.

La modification proposée du code de l’éducation sera l’occasion d’améliorer les synergies entre le monde de l’éducation et le monde des internautes. Elle sera aussi, indirectement, le moyen d’améliorer l’information du grand public, à l’image de ce qui a été fait dans certains pays européens, en particulier l’Espagne, qui multiplient les campagnes informatives pour le plus grand nombre des citoyens.

Après ce « préambule », sur lequel chacun s’accorde, le texte précise les conditions dans lesquelles peuvent être renforcées les garanties des internautes aussi bien que des opérateurs. Est ainsi clarifié le statut de l’adresse IP, ce numéro unique attribué par le fournisseur d’accès à Internet à ses clients.

M. le rapporteur, modifiant sensiblement le texte initial, propose une rédaction qui concilie les observations du Gouvernement et les remarques techniques des fournisseurs d’accès à Internet. L’adresse IP n’est pas, en tant que telle, une donnée personnelle, mais elle est l’un des éléments d’un faisceau d’indices permettant d’identifier l’internaute.

De la même façon, sont clarifiées les conditions dans lesquelles un internaute peut bénéficier, pour des raisons légitimes, d’un droit au remords ou « droit à l’oubli ». La nouvelle rédaction concilie, là encore, le respect du droit à la vie privée et le principe de non-atteinte à la liberté publique garantie par la loi.

La première version du texte avait fait l’objet de remarques tout à fait opportunes de la part de la presse, qui s’inquiétait d’éventuelles demandes abusives de suppression d’informations, lesquelles auraient été susceptibles de mettre en cause son indépendance et sa neutralité. La recherche d’une rédaction équilibrée a permis de mieux identifier l’exercice du droit de suppression, tant pour l’utilisateur que pour le responsable du traitement.

La protection des données personnelles s’accompagne du renforcement du rôle de la CNIL, organe de contrôle, d’expertise et de conseil. À ce titre, la désignation obligatoire de correspondants « informatique et libertés », dans le secteur public comme dans le privé, est une condition impérieuse du traitement de données à caractère personnel.

On le constate aujourd’hui, la fonction de correspondant « informatique et libertés » est insuffisamment développée, en particulier dans les administrations, qu’elles soient d’État ou territoriales, et l’on ne peut que le regretter, car elle protège pleinement les responsables du traitement des données personnelles.

Si le texte fait le choix de rendre obligatoires ces correspondants dans les structures où cinquante personnes ont accès directement au traitement – et non pas dans les structures de plus de cinquante salariés –, rien ne s’oppose à ce que ce seuil soit révisé pour donner plus de souplesse aux services concernés.

Rien n’interdit non plus, au demeurant, que la fonction de correspondant soit mutualisée entre différents responsables de traitement. L’Association des professionnels Internet des collectivités publiques locales marque un véritable intérêt pour une telle possibilité, qui viendrait conforter la fonction de direction des ressources humaines.

Outre la généralisation des correspondants « informatique et libertés », dont le statut et les missions seront clairement fixés, la CNIL se verra dotée de nouveaux moyens d’agir, plus légitimes et plus efficaces : information sur les failles de sécurité, publicité des avis rendus, sanctions pécuniaires aggravées à l’encontre des responsables de traitement irrespectueux de la loi.

Enfin, initialement, l’article 4 de la proposition de loi prévoyait d’introduire l’obligation de passer par la loi pour créer des fichiers nationaux de police. Ces derniers sont actuellement créés par des textes divers, qui vont de la loi aux simples arrêtés, le plus souvent pour entériner un dispositif devenu opérationnel. Il s’agissait donc d’encadrer la création de ces fichiers, afin d’éviter certaines difficultés que nous gardons en mémoire, et je pense là notamment au fichier EDVIGE.

Notre rapporteur, avec sagesse, a choisi une voie médiane en retenant l’autorisation législative non pas pour chaque fichier de police intéressant la sécurité publique ou la lutte contre la délinquance et la criminalité, mais pour chaque catégorie de fichiers de police. Cette autorisation sera assortie d’une instruction spécifique menée par la CNIL, une formation spécialisée au sein de celle-ci étant chargée des fichiers de police.

Au total, cette proposition de loi n’a pas l’ambition d’embrasser un champ immense et en pleine mutation. Nous avons bien conscience de n’apporter que des adaptations rendues nécessaires par les évolutions technologiques et culturelles aujourd’hui perceptibles ou envisageables. Ce texte s’inscrit délibérément dans la volonté de concilier de manière équilibrée les différents intérêts en présence, qu’il s’agisse des internautes, des responsables de traitement des données et des opérateurs, en veillant à l’harmonie entre protection de la vie privée et liberté des systèmes d’information.

Il ne néglige en aucun cas l’obligation qui sera faite à notre pays de se conformer aux dispositions de la directive européenne du 24 octobre 1995, dont la révision est engagée, pour adapter notre législation aux effets de la mondialisation. Les auteurs de cette proposition de loi se sont même attachés à anticiper cette évolution.

C’est donc avec conviction que je défends, aux côtés d’Yves Détraigne et de notre excellent rapporteur, ce texte qui, je l’espère, fondera demain le socle d’une réglementation adaptée à notre nouvel environnement numérique.

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l ’ Union centriste et de l ’ UMP. – M. Charles Gautier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en général, nous ne le savons pas et, quand nous le savons, nous en sommes rarement conscients, mais nous vivons dans une atmosphère de plus en plus envahie par des « vapeurs électroniques », vapeurs parfois inquiétantes. Naturellement, la pollution de l’air nous alarme, mais les risques liés à la prolifération de réseaux palpitants et chatoyants, qui s’immiscent de plus en plus dans notre intimité, nous laissent de marbre : comme si nous étions hypnotisés par leur lumière et le sentiment de puissance qu’ils dégagent !

Prendre la planète tout entière dans ses bras sans sortir de chez soi est effectivement grisant. Accéder d’un simple clic à la connaissance ou au jeu fait véritablement tomber les pratiques du passé en poussière. S’évader vers un monde virtuel, modelé selon ses rêves, ouvre le chemin de l’infini... On se trouve ainsi face à un univers merveilleux, sans autre limite que son appétit de découverte.

Cependant, toute médaille, aussi belle soit-elle, a son revers. Les toiles d’araignées sont de magnifiques œuvres d’art, même si elles relèvent de la nature, mais elles sont aussi un piège mortel.

Oui, le Web; la Toile, autrement dit Internet, est une fantastique invention, un extraordinaire outil de connaissance, de communication et de partage, dont les mérites sont immenses. Les sénateurs des Français établis hors de France, dont je suis, en savent quelque chose ! Internet nous a changé la vie en mettant le monde à notre portée : c’est un peu comme s’il était devenu un département français, nous rapprochant ainsi de nos collègues « territoriaux ». Ce territoire est certes virtuel, mais la collectivité française qui l’incarne est bien réelle !

Il reste qu’Internet comporte aussi, surtout pour les jeunes, des dangers non négligeables, contre lesquels il faut se prémunir. La loi informatique et libertés de 1978 fut adoptée, puis modifiée, dans cet esprit. Aujourd’hui, il convient de ne pas se laisser dépasser ni, surtout, distancer par l’évolution des technologies. Aussi, qu’on le veuille ou non, un aménagement des textes normatifs est de nouveau nécessaire, ne serait-ce, monsieur le secrétaire d’État, que pour suivre – et pourquoi pas, dans certains domaines, précéder ? – la marche en avant de l’Europe au sein de la mondialisation.

Tel est l’esprit de la proposition de loi présentée par nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier. Elle constitue la suite logique d’une mission d’information que nos deux collègues ont effectuée sur ce sujet au nom de la commission des lois.

En préambule de leur rapport d’information, ils posent la question essentielle à laquelle il nous importe de répondre : « La société reconnaît à l’individu le droit de disposer d’un espace privé, distinct de la vie collective de la communauté. Comment, dès lors, concilier les nouveaux pouvoirs que font peser sur chaque individu les nouvelles technologies avec ce droit à la vie privée ? » Comment éviter « d’être pris au piège des mémoires numériques qui jouent le même rôle que notre propre mémoire » ?

Si le sujet est complexe, la réponse est simple : « Il nous revient donc d’être ces veilleurs vigilants face aux grands enjeux “informatique et libertés” pour que le respect de la personne humaine, de sa vie privée et de sa dignité reste toujours un principe absolu. »

Comme tout « veilleur vigilant » se transforme tôt ou tard en acteur, les auteurs de ce rapport d’information prennent les devants et présentent en conclusion quinze propositions. La plupart d’entre elles se retrouvent dans leur proposition de loi et constituent, pour l’essentiel, l’ossature du rapport que j’ai l’honneur de vous présenter au nom de la commission des lois.

Les deux auteurs de la proposition de loi et du rapport d’information que je viens d’évoquer – ils ont fait un travail remarquable d’analyse et de propositions – étant mieux à même de vous faire partager leur cheminement intellectuel, je me limiterai aux seuls points saillants afin de vous expliquer, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles la commission des lois a délibérément adopté leur approche, tout en apportant quelques correctifs, en vue de trouver un équilibre aussi optimal que possible entre des éléments parfois opposés.

Tout d’abord, un constat s’impose inéluctablement : le monde bouge, et il bouge vite. La globalisation est en marche ; la technologie connaît une évolution galopante ; Internet est de plus en plus présent ; sa « toile » ne cesse de s’étendre et sa maîtrise devient extrêmement difficile. Sa complexité est telle que de nombreux éléments échappent à la plupart des utilisateurs. De nouveaux comportements s’imposent donc pour éviter que le progrès ne se transforme en menace pour les libertés.

Chacun le sait, « la liberté s’arrête là où commence celle des autres » et les intérêts sont parfois divergents. Par exemple, les professionnels du e-commerce, c'est-à-dire du commerce électronique, souhaitent plus de liberté pour entreprendre, alors que les consommateurs demandent une meilleure garantie de leurs droits. On observe une situation inverse dans d’autres domaines : les consommateurs réclament une plus grande liberté d’accès au réseau, alors que les professionnels, qui redoutent les téléchargements illégaux, souhaitent garantir les droits de la propriété intellectuelle. C’est toute la problématique des cookies – pardonnez-moi d’utiliser ce terme anglais, mais il n’a pas véritablement d’équivalent français – et des verrouillages.

La proposition de loi touche ainsi à de nombreux sujets sensibles, qui, de surcroît, sont des problèmes de société méritant, dans un environnement aussi évolutif, des réponses rapides. Certes, la France n’est pas seule dans un monde de plus en plus global et sa législation ne peut donc pas tout régler. Mais sa voix pèse lourd en Europe, une Europe dont l’influence est forte sur la scène internationale. Aussi le fait de marcher dans la bonne direction aura-t-il un effet d’entraînement salutaire.

Pour ces raisons, la commission des lois, tout en faisant sienne l’approche et les objectifs de ce texte, en a toutefois modifié quelques aspects afin d’obtenir une meilleure concordance entre liberté et protection, convivialité et garantie, information et simplicité.

Les principaux aménagements apportés sont les suivants.

L’article 1er concerne la sensibilisation des jeunes, dans les établissements d’enseignement, aux risques que peut faire courir Internet. Notre commission reconnaît l’importance de cette information, mais elle a estimé qu’il fallait également l’étendre aux côtés positifs du Web. Elle a ainsi retenu une formulation suggérée par le rapporteur de la commission de la culture, Mme Catherine Morin-Desailly, laquelle prévoit d’intégrer cette information aux cours d’éducation civique et non d’informatique. Il faut en effet être ouvert au monde et ne pas se limiter à la technologie.

L’article 2 soulève une question en apparence anodine mais dont l’intérêt est certain. Il s’agit de l’adresse IP, ou Internet Protocol, véritable plaque d’immatriculation de l’ordinateur et de la connexion à Internet. Chacun peut le comprendre, la plaque d’immatriculation d’un véhicule automobile devient une donnée personnelle dès lors qu’elle permet l’identification du propriétaire. Il doit en être de même pour le véhicule qui permet de se déplacer sur le réseau électronique.

Notre commission a cependant modifié la rédaction de cet article, afin d’éviter toute confusion avec d’autres numéros attachés au matériel. Il s’agit du seul numéro identifiant le titulaire d’un accès en ligne. Ainsi, le Parlement mettra un terme à des conflits de jurisprudence qui constituent autant de risques d’insécurité juridique pour l’ensemble des acteurs d’Internet.

L’article 3 doit être lu en liaison avec l’article 7. Il concerne le correspondant « informatique et libertés ». Notre commission, mes chers collègues, a quelque peu adapté la rédaction de ces deux articles pour tenir compte des observations présentées par les professionnels lors des auditions auxquelles elle a procédé. Il convenait en effet d’établir clairement que ce correspondant « informatique et libertés », ou CIL, pour céder à la mode des acronymes, n’était ni un espion ni un inquisiteur, mais un conseiller et un protecteur.

Pour les entreprises et les administrations qui gèrent des fichiers importants, le correspondant « informatique et libertés » doit être considéré comme une forme d’assurance. Il lui appartient, en quelque sorte, d’être un « facilitateur » veillant à ce que tout se passe bien.

La question du seuil à partir duquel la présence d’un tel correspondant doit être rendue obligatoire a fait débat. Les auteurs de la proposition de loi ont envisagé de le fixer à cinquante personnes amenées à traiter des fichiers. La commission s’est rangée à cette position, tout en restant ouverte à une éventuelle adaptation.

Deux éléments doivent être pris en compte : le nombre de personnes traitant un fichier et la quantité d’informations traitées. S’agissant de ce dernier aspect, la commission est très vigilante puisqu’elle a prévu un dispositif clair et précis. En revanche, le débat reste ouvert sur le nombre des personnes traitant les fichiers.

Il nous paraît indispensable de rendre obligatoire la présence de ce correspondant afin, d’une part, de donner tout son sens à cette nouvelle culture de protection des données qu’il importe de développer et, d’autre part, de créer un véritable réseau interactif entre la CNIL et les opérateurs, non pour renforcer les contrôles, mais pour améliorer la connaissance et la compréhension.. La protection des données personnelles n’a rien de dérisoire ! Car il s’agit bien de nos données, intimes la plupart du temps, et elles méritent à ce titre un minimum de considération !

Ainsi, d’un côté, les entreprises et les administrations seront plus au fait des intentions de la CNIL, tandis que, de l’autre côté, cette dernière sera plus consciente des difficultés pratiques rencontrées sur le terrain. Chacun sait que, entre la théorie et la pratique, il y a un gouffre. Le texte qui vous est proposé tend à le combler, et chacun y trouvera son intérêt.

Quant au seuil à retenir, je le répète, c’est celui des personnes traitant des fichiers. J’y insiste, le nombre de cinquante ne fait pas référence à l’effectif des entreprises. Si des PME, par exemple, trouvent ce seuil trop bas, rien ne les empêche de rationaliser leur organisation et de limiter les autorisations de gestion des fichiers. Beaucoup trop de personnes, dans les entreprises, sont amenées à traiter des fichiers et c’est pourquoi il faut inciter celles-ci à exploiter les informations en leur possession avec toutes les garanties requises. Tout le monde y gagnera.

Par ailleurs, il est bien clair que cette réforme doit pouvoir se faire, dans un grand nombre de cas, à coût constant. Il s’agit non pas d’imposer le recrutement de personnels supplémentaires, mais de charger une personne qualifiée de remplir cette fonction de correspondant avec la CNIL. Dans beaucoup d’entreprises, cette tâche ne nécessitera qu’un temps limité, tandis que, dans d’autres, en effet, elle requerra un poste à temps plein. Du reste, bien souvent, c’est déjà ainsi que les choses se passent.

Enfin, la possibilité de mutualisation de ce correspondant devrait également faciliter sa mise en place.

L’article 4 porte un sujet par nature sensible puisqu’il traite des fichiers de police. Comme les auteurs de la proposition de loi, la commission estime que, en vertu de l’article 34 de la Constitution, tout ce qui touche de près ou de loin aux libertés publiques relève du domaine de la loi. Toutefois, elle considère aussi qu’il appartient à la loi non pas de rappeler cette norme, mais de l’appliquer. Aussi s’est-t-elle attachée à fixer dans ce texte les règles très strictes qu’il convient de suivre pour la création et le traitement des fichiers de police ou intéressant la sécurité de l’État et la défense nationale.

Pour ce faire, elle a repris une série d’articles votés par l’Assemblée nationale, avec l’accord du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, lors de l’examen de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, car ils trouvent mieux leur place dans cette proposition de loi puisqu’ils modifient la loi informatique et libertés.

Les articles 5 et 6 concernent essentiellement la bonne information des internautes. Ces derniers ont le droit de savoir ce qu’il advient de leurs données personnelles. Les responsables des sites ont le devoir de donner suite à leurs demandes à cet égard. La commission a réécrit en partie la proposition de loi pour trouver un point d’équilibre entre les arguments des représentants des professionnels et ceux des usagers. En d’autres termes, partant du principe que le mieux est l’ennemi du bien, elle a jugé préférable de se focaliser sur le bien plutôt que de risquer de tout perdre en recherchant le mieux.

Il est évident qu’il ne faut pas pénaliser le commerce en ligne dans notre pays et favoriser ainsi sa délocalisation, mais il convient néanmoins d’assurer une protection et une information suffisantes aux consommateurs. Il vous est donc proposé, mes chers collègues, de trouver une juste mesure entre des approches contradictoires.

En effet, d’une part, la formule retenue permet à l’utilisateur d’un service en ligne d’être parfaitement informé et de faire clairement connaître ses choix, notamment en matière de cookies, ces fichiers déposés par un site dans l’ordinateur qui le visite, en particulier par le biais du paramétrage du navigateur. D’autre part, cette formule permet de ne pas alourdir la tâche des gestionnaires de site tout en maintenant la fluidité de la navigation sur Internet, fluidité sans laquelle toute convivialité deviendrait impossible et toute navigation sur la Toile, vaine.

L’article 8 est au cœur de la proposition de loi puisqu’il traite du « droit à l’oubli ». Il a pour objet de faciliter le droit d’opposition à l’utilisation de données personnelles, déjà prévu par la loi informatique et libertés, mais en levant quelques ambiguïtés rédactionnelles. Par exemple, la notion de « motifs légitimes » sur laquelle se fonde ce droit étant peu précise, la commission a jugé utile, plutôt que de la modifier, de l’encadrer davantage en indiquant les cas où, en tout état de cause, elle ne pourrait pas s’appliquer, notamment en ce qui concerne la liberté de la presse.

Les autres articles sont évidemment importants, mais il serait trop long de tous les évoquer. Je me contenterai de me féliciter que les deux auteurs de ce texte proposent d’aligner le droit relatif aux litiges civils sur celui du code de la consommation, et ce afin que les plaignants ne puissent plus se voir opposer, à terme, une compétence territoriale dissuasive. Ces dispositions faciliteront incontestablement la tâche de nos concitoyens qui s’estiment lésés par un manquement à la loi informatique et libertés.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous l’avez compris, cette proposition de loi amendée par la commission des lois a deux objectifs essentiels : sensibiliser les jeunes aux avantages et aux inconvénients d’Internet et moderniser la loi informatique et libertés, tout en tirant les conséquences de cette modernisation.

Elle relève d’une approche résolue mais prudente. La volonté de souplesse, d’équilibre et d’équité y est manifeste. En d’autres termes, on peut dire qu’elle se fonde sur la recherche du bon sens.

Erik Orsenna a écrit cette phrase que je trouve très belle : « Le droit est à une société ce que la grammaire est à une langue. » Tout le monde le sait, notre grammaire est en perdition ; faisons au moins en sorte que le droit nous sauve !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, de l ’ Union centriste et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la conjonction de l’ordinateur et d’Internet, en favorisant la circulation des informations au niveau planétaire, est véritablement une révolution d’ordre anthropologique qui n’a rien à voir, en raison des bouleversements qu’elle entraîne, avec les révolutions industrielles précédentes. En effet, elle affecte directement et profondément nos manières de travailler, d’apprendre, de nous cultiver, de communiquer et de vivre ensemble.

Au fur et à mesure du développement extrêmement rapide de l’« infosphère », on en mesure les potentialités, qui donnent souvent le vertige, mais on en expérimente dans le même temps les désagréments et les risques.

Internet offre de nouveaux espaces de libertés, ce dont il faut se féliciter : espaces de liberté d’expression, de communication et d’information, qui contribuent au progrès culturel, économique et social, permettent d’approfondir l’exercice de la citoyenneté et peuvent même resserrer les fils du lien social.

Cependant, malgré les opportunités sans précédent qu’il offre, Internet constitue parfois une menace pour les droits fondamentaux et les libertés publiques, comme l’a rappelé M. le rapporteur de la commission des lois : le respect de la vie privée et la protection des données personnelles sont menacés au premier chef.

La tendance prégnante, notamment chez les jeunes, à l’exposition de soi et d’autrui sur Internet contribue à l’apparition de mémoires numériques – on pourrait même parler de « casiers numériques » –, disséminées sur la Toile, facilement consultables et qui peuvent se retourner contre les internautes à un moment ou à un autre. La presse a rapporté quelques exemples récents de candidats ayant échoué à une embauche en raison des éléments négatifs qui étaient disponibles à leur sujet sur Internet.

La proposition de loi déposée par nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier à la suite de la publication de leur rapport d’information vise précisément à renforcer la protection des libertés fondamentales et à créer les conditions d’un droit à l’oubli, afin qu’Internet ne se transforme pas en espace de surveillance.

Cette initiative est un important premier pas qu’il faut saluer, même si le sujet reste complexe. De fait, demeure le problème épineux de la territorialité des dispositifs de régulation. Ainsi que me l’ont rappelé les représentants de Facebook lors de leur audition par notre commission, cette société est installée aux États-Unis et les données personnelles dont elle dispose sont rapatriées et traitées dans ce pays. Le droit international privé donne donc compétence à la loi, au juge et au régulateur américains pour connaître de toute mesure et de tout litige. À l’évidence, des négociations internationales seront nécessaires pour lever cette difficulté.

La commission de la culture s’est saisie pour avis de l’article 1er de la proposition de loi, qui modifie le code de l’éducation pour prévoir une formation des élèves aux risques et aux dangers que peut présenter Internet au regard de la protection de la vie privée.

Au titre de sa compétence en matière de communications électroniques, et en préparation de la transposition prochaine de directives communautaires dans le domaine des télécommunications, elle a également examiné les dispositions relatives au statut de l’adresse IP, au droit de refus des témoins de connexion appelés cookies et à la conciliation entre le respect de la vie privée et la liberté d’information.

Sur ces trois derniers points, nos échanges avec le rapporteur de la commission des lois ont permis de constater la convergence de nos analyses. C’est pourquoi je m’attarderai plutôt sur l’article 1er de la proposition de loi.

La commission des lois a approuvé et intégré dans le texte issu de ses travaux un amendement de réécriture globale de cet article que nous lui avions soumis.

L’éducation nationale a un rôle crucial à jouer dans la formation des jeunes à la maîtrise de leur image publique et au respect de la vie privée. Ce point avait déjà été souligné par le rapport que notre collègue David Assouline, au nom de la commission de la culture, avait consacré à l’impact des nouveaux médias sur la jeunesse.

L’article 1er de la proposition de loi prenait initialement appui sur un dispositif introduit par la loi Hadopi 1, qui prévoit que l’enseignement de technologie et d’informatique comporte un volet consacré au droit de la propriété intellectuelle et aux dangers du téléchargement illégal d’œuvres protégées. Sur le même modèle et dans le même cadre, il était prévu que les élèves seraient informés des dangers de l’exposition de soi et d’autrui sur Internet ainsi que des droits d’accès, d’opposition, de rectification et de suppression des données personnelles.

Partageant le souci des auteurs de la proposition de loi, la commission de la culture a cependant souhaité que ce volet soit abordé dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique plutôt que dans celui de l’enseignement de technologie et d’informatique. De plus, elle a tenu à élargir la finalité de ce nouveau module de formation pour viser l’acquisition d’une attitude critique et réfléchie par rapport à l’information et d’une attitude de responsabilité dans l’utilisation des outils interactifs.

L’enseignement d’éducation civique nous paraît le cadre le plus approprié pour sensibiliser les élèves au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles. Ces questions participent éminemment de l’apprentissage de la citoyenneté et de l’enracinement des valeurs de la République au sein de la jeunesse. Plutôt que de leur inculquer des compétences techniques, que les élèves possèdent d’ailleurs souvent beaucoup mieux que leurs maîtres, il s’agit de développer l’esprit critique des jeunes et de les responsabiliser dans leur utilisation d’Internet, que ce soit pour la recherche d’informations ou pour dialoguer avec leur cercle d’amis. Cet objectif fait d’ailleurs, je le rappelle, partie intégrante du socle commun de connaissances et de compétences exigées de chaque élève à l’issue de sa scolarité obligatoire.

La commission de la culture s’est enfin interrogée sur la formation des enseignants eux-mêmes. Ceux-ci sont bien souvent moins familiers des réseaux sociaux sur Internet que leurs élèves. En outre, ils ne disposent pas toujours de connaissances suffisantes et de matériels pédagogiques adéquats sur la protection des données personnelles. Le ministère de l’éducation nationale nous a donné l’assurance que l’ensemble des nouveaux enseignants, dans le cadre de la mastérisation du recrutement, devraient valider un certificat informatique et Internet. Ce C2I comprendra un volet sur les problématiques du droit à la vie privée et la protection des données personnelles. La CNIL devrait également être sollicitée pour fournir son expertise.

Par ailleurs, dans le cadre de la réforme du lycée, un référent culturel doit être mis en place dans chaque établissement. Il pourrait être également judicieux de désigner des « référents Internet », qui joueraient le rôle de pôle d’information et de sensibilisation, aussi bien pour les jeunes que pour les enseignants. Les acquis de formation initiale et continue des professeurs seraient ainsi consolidés et renforcés grâce à l’action de groupes informels d’enseignants autour des référents Internet visant au partage d’expériences et à l’échange de bonnes pratiques. J’estime que ce serait là un moyen utile et souple de diffusion des NTIC – nouvelles technologies de l’information et de la communication – comme outils pédagogiques dans toutes les disciplines. Tous les cours pourraient, en retour, devenir l’occasion d’initier à l’analyse critique des médias et des sources d’information.

Mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis un avis favorable quant à l’adoption de la présente proposition de loi, dans la rédaction retenue par la commission des lois, et elle salue les travaux de son rapporteur.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste, du RDSE et de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les deux auteurs de la proposition de loi et les rapporteurs ont rappelé la place prise par Internet dans notre vie quotidienne et, d’une manière plus générale, dans notre société.

Le développement d’Internet s’est accompagné d’une considérable montée en puissance de ces outils que sont les moteurs de recherche.

La diffusion de quasiment tous les médias sur Internet et la publication par chaque agent social – individu, collectivité, État – d’informations relatives à ses activités en ont fait le réceptacle d’informations sur la vie quotidienne et l’activité de millions de personnes.

Le développement des blogs et des réseaux sociaux à caractère professionnel ou privé contribue à enrichir le Web d’informations personnelles supplémentaires. On constate d’ailleurs que le caractère non désiré ou non contrôlé des informations publiées progresse. Les incidents se multiplient et plusieurs pays commencent à réagir. Ainsi, le Canada vient de demander à un réseau social de limiter les intrusions dans la vie personnelle.

Aujourd’hui, des sociétés proposent au public une reconstitution, à partir de tout ce qui est disponible sur Internet, de la vie privée et professionnelle d’un individu. Les résultats, vous le savez, sont stupéfiants. On est ainsi en mesure de présenter un portrait global d’une personne, agrégeant adresse professionnelle, adresse privée, photographies diverses, à caractère professionnel ou privé – parfois publiées sur Internet, voire réalisées à l’insu de la personne concernée –, responsabilités, titres, délégations de signature dans des organismes publics, privés, associatifs, caritatifs, jugements divers – relevant parfois de la sphère personnelle – et ce sur une longue durée et sans hiérarchie aucune.

Les travaux des auteurs de la proposition de loi, M. Détraigne et Mme Escoffier, ont mis en évidence les risques qui pèsent ainsi sur le respect de la vie privée des individus.

Le Gouvernement, conscient de ces risques, salue la vigilance des auteurs de la présente proposition de loi. Grâce à leur initiative, la commission des lois du Sénat s’est emparée d’un des défis majeurs de notre époque : comment s’assurer que les progrès technologiques en matière numérique ne se traduisent pas par une régression des libertés de nos concitoyens ?

La démarche du Sénat s’inscrit dans un contexte plus large, dont il n’est pas possible de faire abstraction. Comme vous le savez, la directive européenne 2009/136, adoptée en novembre dernier, modifie la directive 2002/58 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. La bonne qualité de la transposition de cette directive suppose un important travail interministériel, qui est actuellement en cours et qu’il convient de ne pas précipiter ; il faut au contraire le mener avec le plus grand sérieux.

Par ailleurs, une réflexion s’est engagée, à l’échelon européen, pour apprécier dans quelle mesure la directive relative à la protection des données doit évoluer.

Dans ce contexte, le texte adopté par la commission des lois propose des améliorations au droit existant que je tiens à saluer. Toutefois, sur des points importants, il s’écarte des équilibres satisfaisants trouvés par la loi de 1978 et que le droit communautaire invite à préserver. Je vous donnerai, le moment venu, le sentiment du Gouvernement sur ces questions.

Un certain nombre de réponses apportées par le texte adopté par la commission des lois de votre assemblée sont particulièrement intéressantes.

L’article 1er vise au développement de l’initiation des élèves à l’usage d’Internet. Je ne reviendrai pas sur ce sujet qui a été largement traité par les auteurs de la proposition de loi et par les rapporteurs. Il est en effet essentiel d’éduquer nos plus jeunes concitoyens afin qu’ils utilisent Internet d’une manière responsable. Force est d’ailleurs de constater qu’ils maîtrisent cet outil beaucoup mieux que nous : il fait vraiment partie de leur vie, et nous pouvons nous en rendre compte dans nos propres familles. Si les jeunes sont ainsi souvent en mesure de nous éduquer sur le maniement d’Internet et de ses outils, nous devons, nous, faire en sorte qu’ils soient éduqués sur les dangers que recèle l’exposition de soi et d’autrui sur la Toile – les observations de la commission de la culture sur ce sujet sont très pertinentes –, car ils sont concernés au premier chef.

L’article 2 ter, introduit par la commission, vise à supprimer l’obligation de délivrance par la CNIL d’un récépissé de déclaration préalable. Cette mesure de bon sens permettra à tous de gagner du temps.

L’article 5 tend à compléter le contenu de la liste prévue à l’article 31 de la loi informatique et libertés en insérant une disposition relative à la durée de conservation des données à caractère personnel. Cet ajout s’inscrit dans la continuité de la proposition de loi de M. Warsmann, député, que nous avons tous soutenue, et rien ne s’oppose à une telle modification.

Par ailleurs, le renforcement de certains des pouvoirs de la CNIL permettra d’augmenter l’efficacité de son action en matière de protection des données personnelles. Ainsi, l’article 12 de la proposition de loi prévoit le doublement du montant des sanctions pécuniaires que la Commission peut infliger aux personnes ne respectant pas leurs obligations dans le domaine de la protection des données personnelles. En outre, l’article 11 permettra la publication plus systématique des sanctions prononcées.

De même, il est important de garantir à la CNIL un droit de visite inopinée dans les locaux des responsables de traitement, sous réserve qu’elle en ait obtenu l’autorisation préalable par le juge.

Enfin, le Gouvernement se félicite que la commission des lois souhaite inscrire dans la loi le principe d’une représentation pluraliste des différents partis parmi les membres de la CNIL désignés au sein du Parlement.

En revanche, sur plusieurs aspects, le texte qui vous est soumis remet en cause les équilibres de la loi de 1978, équilibres qui ont pourtant fait leur preuve. Je n’en prendrai que quelques exemples.

Comme l’a souligné M. Cointat dans son excellent rapport, la loi informatique et libertés a constitué un outil juridique précurseur : la France a en effet été l’un des premiers pays au monde à se doter d’une loi de protection des données personnelles. Cette loi reste, en 2010, un instrument adapté et pérenne, dont il convient de préserver les grands équilibres. Son champ d’application est large et les opérateurs étrangers s’y trouvent soumis dès lors qu’ils recourent à des moyens de traitement situés en France.

Parce qu’elle définit des principes, elle s’applique aujourd’hui aussi bien qu’hier. Elle a peu vieilli, en dépit des évolutions technologiques considérables que nous avons connues depuis 1978. Plutôt que d’encadrer, par des dispositions spécifiques, chacune des nouvelles technologies mettant en cause l’utilisation de données personnelles, au risque de voir ces dispositions très vite dépassées, le législateur a préféré poser des principes intemporels, valables quel que soit le procédé technique utilisé pour traiter des données personnelles.

Or l’article 2 de la proposition de loi vise à apporter aux données de connexion des internautes, notamment à l’adresse IP, la protection de la loi relative informatique et libertés.

Le Gouvernement souhaite la suppression de cet article pour plusieurs raisons.

D’abord, l’adresse IP peut fluctuer et ne constitue une donnée à caractère personnel que dans certains cas.

En effet, elle n’indique pas la personne utilisatrice de l’ordinateur. Il est vrai que c’est également le cas du numéro de téléphone, mais l’adresse IP présente une spécificité puisque seules les autorités judiciaires ont le pouvoir de vérifier l’identité de la personne à laquelle elle correspond.

De plus, lorsqu’une personne se connecte sur un moteur de recherche, l’adresse IP ne sert alors qu’à établir un profilage dans une finalité relevant du marketing, sans lien avec l’identité de la personne.

J’ajoute qu’il existe des adresses IP aléatoires.

Ensuite, si une liste des données personnelles devait être constituée, il serait difficile pour le législateur d’être exhaustif eu égard au rythme croissant de l’apparition de nouvelles technologies. La définition des données à caractère personnel telle qu’elle figure dans la loi de 1978 est suffisamment souple et large pour englober les situations nouvelles.

Par ailleurs, la proposition de loi attribue à la CNIL des prérogatives qui ne semblent pas nécessaires à l’exercice efficace de sa mission et qui apparaissent même contre-productives.

Il faut souligner que la CNIL joue un rôle décisif de gardien de la protection des données personnelles, mais elle n’a pas vocation à être un gendarme intrusif, qui limiterait l’autonomie de gestion et d’organisation des entreprises ou des administrations, aussi longtemps que celles-ci respectent leurs obligations.

À cet égard, monsieur le rapporteur, il paraît inapproprié de rendre obligatoire, au sein de certains organismes, la présence de correspondants « informatique et libertés » dont les liens avec la CNIL seraient étroits. Le succès des correspondants à la protection des données, institués par la loi de 2004, repose précisément sur le caractère facultatif de la désignation de tels correspondants, seul à même de favoriser la diffusion de la culture de la protection des données dans un esprit de confiance. Rendre leur présence obligatoire dans les administrations et les entreprises pourrait emporter des conséquences néfastes.

En tout état de cause, le Gouvernement a clairement fait le choix de ne pas déployer de correspondants à la protection des données dans les services déconcentrés de l’État.

Par ailleurs, l’article 13 confère à la CNIL un pouvoir d’intervention devant les juridictions qui, aux yeux du Gouvernement, n’a pas de raison d’être. La CNIL peut d’ores et déjà être appelée à intervenir sur l’initiative du juge ou à la demande des parties. Il n’est aucunement justifié de lui accorder une prérogative générale d’intervention, qui doit rester tout à fait exceptionnelle et n’est en rien nécessaire à l’accomplissement de sa mission. Le Gouvernement est donc opposé à cette disposition.

La proposition de loi entend également soumettre la création de fichiers de souveraineté, relevant de l’article 26 de la loi informatique et libertés, à un certain nombre de finalités prédéterminées.

Le Gouvernement a montré qu’il était favorable à une telle démarche pour les fichiers de sécurité publique et de police judiciaire en soutenant une disposition en ce sens de la proposition de loi de simplification du droit examinée par l’Assemblée nationale et qui a été transmise à la Haute Assemblée. En revanche, il considère qu’il n’est pas opportun de soumettre à un même régime, comme le prévoit l’article 4 de la proposition de loi, les fichiers de sûreté nationale et ceux de défense, sauf à fragiliser l’efficacité de l’action de l’État dans des domaines où sont en cause ses intérêts supérieurs. Il y a là équilibre qu’il convient de maintenir en s’en tenant à cette position.

L’article 29 bis de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, présentée par M. Warsmann, adoptée par l’Assemblée nationale et dont le Sénat aura prochainement l’occasion d’en débattre, modifie l’article 26 de la loi du 6 janvier 1978 dans un sens qui préserve un équilibre entre la garantie des droits et libertés et la souplesse nécessaire pour permettre au Gouvernement de mettre en œuvre des fichiers opérationnels dans des délais raisonnables.

C’est pourquoi le Gouvernement vous invite à rétablir le régime actuel de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés pour les fichiers de sûreté nationale et de défense.

La proposition de loi prévoit en outre d’imposer à l’autorité judiciaire de nouvelles obligations en matière de mise à jour des fichiers de police judiciaire. Le Gouvernement est convaincu que cette mise à jour doit faire l’objet de la plus grande vigilance. Dans les juridictions, les procureurs de la République se mobilisent très fortement pour exercer pleinement leur mission de contrôle. De nouvelles perspectives d’amélioration des conditions de mise à jour sont envisageables à très brève échéance. Faute d’anticipation des moyens nécessaires à leur mise en œuvre – cela pose la question de l’impact de certaines de ces dispositions –, imposer sans aucune étude préalable de nouvelles contraintes aux parquets fragiliserait les progrès déjà accomplis et ceux à venir. Ce ne serait ni compatible avec l’efficacité opérationnelle des fichiers de police judiciaire ni favorable à la protection des libertés individuelles.

Le Gouvernement est également défavorable à l’article 7. Il juge la discussion de ces éléments prématurée et souhaite qu’ils soient pris en compte de façon globale, dans le cadre de la transposition des directives du « paquet télécom », afin d’éviter des modifications répétées des mêmes dispositions à quelques mois d’intervalle.

Enfin, d’autres dispositions de la proposition de loi, inspirées par un souci de clarification, viennent contredire certains principes édictés par la loi informatique et libertés.

Ainsi, l’article 8 tend à préciser la notion de droit d’opposition. Or, dans la rédaction actuelle de la loi, ce droit se manifeste par la possibilité pour toute personne de s’opposer, pour des motifs légitimes, au recueil de données la concernant. Il résulterait donc de l’adoption de cet article un recul des libertés. Cette réduction des garanties apportées aux citoyens apparaît même contradictoire avec les objectifs poursuivis par les auteurs de la proposition de loi.

La loi informatique et libertés a toujours été le fruit d’un équilibre. C’est encore, avec sa souplesse, sa capacité de s’adapter à un monde qui change à toute vitesse, ce qui fait sa force aujourd’hui. C’est en respectant cet équilibre que nous ferons face aux défis que représente le développement de l’outil numérique pour la protection des données personnelles. J’aurai donc l’occasion, durant l’examen des articles, d’en appeler à votre sagesse pour que soit préservé l’esprit de cette loi, qui a prouvé son efficacité.

Ainsi, il y a entre nous des points d’accord importants, et le Gouvernement considère en effet que, par bien des aspects, cette proposition apporte des améliorations bienvenues, mais il est clair que d’autres points, sur lesquels je tenais dès à présent à esquisser la position du Gouvernement, donneront lieu à débat.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où les technologies préservent de moins en moins l’anonymat et permettent de garder en mémoire les données de leurs utilisateurs, le droit à la vie privée est confronté à un nouveau péril.

La commission des lois ayant fait ce constat, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner ses conclusions sur la proposition de nos collègues Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne, dont je tiens à saluer le travail.

Notre vie quotidienne est aujourd’hui grandement simplifiée par toute une série de puces, de cartes et de technologies sans cesse en progrès. Les paiements sont sécurisés, les abonnements, rationalisés, les transports, fluidifiés, etc. Pourtant, il est de notre devoir de parlementaire d’encadrer ces instruments afin qu’ils ne se retournent pas contre leurs utilisateurs. Notre collègue Alex Türk, par ailleurs président de la CNIL, a pris l’habitude de parler de « droit à l’oubli ». Peut-être faudrait-il d’ailleurs songer à en faire un droit à valeur constitutionnelle… En tout cas, la question mérite qu’on s’y attarde.

J’apporterai ici un premier bémol. Si l’initiative de la commission des lois est louable et s’il est urgent de légiférer sur le sujet, je crains toutefois que la multiplication des textes et des initiatives ne vienne brouiller le message final, au lieu de le clarifier.

En effet, nos collègues de l’Assemblée nationale se sont également saisis de ce sujet, parfois à travers des problématiques particulières. C’est la preuve qu’il est urgent de clarifier la législation en vigueur. Je citerai par exemple le rapport Mme Batho et de M. Bénisti sur les fichiers de police, ainsi que le travail de M. Warsmann dans le cadre de sa proposition de loi sur la simplification du droit. Nous constatons d’ailleurs que, sur ce sujet, les groupes de travail associent des parlementaires d’horizons politiques différents sans que cela empêche le consensus, bien au contraire. Encore une preuve de l’importance qu’il y a à légiférer !

J’espère que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne se perdra pas dans les méandres de la navette parlementaire, pour ne jamais réapparaître ! Le débat est important ; il mériterait un véritable engagement du Gouvernement et de nos collègues députés. Je sais que Mme Escoffier et M. Détraigne ont effectué un travail de fond, mais nous devons rester vigilants, afin qu’il ne soit pas dénaturé.

Au départ, cette proposition de loi vise à modifier la loi informatique et libertés de 1978, avec la volonté de mieux protéger les utilisateurs : statut juridique des adresses IP, information du public, notamment des plus jeunes, systématisation des correspondants « informatique et libertés », conservation des données, encadrement des fichiers de police… Le texte d’origine traitait aussi de la CNIL et s’efforçait de lui conférer davantage de pouvoirs et de moyens. Il ne soulevait donc aucune objection majeure de notre part, car le but des auteurs nous apparaît tout à fait louable.

Lors de la réunion de la commission des lois du 24 février dernier, j’avais déposé, avec mes collègues socialistes, plusieurs amendements visant à apporter quelques améliorations. Parmi eux, certains prévoyaient l’exclusivité de la compétence de la CNIL en matière de vidéosurveillance. L’objet de cette proposition de loi est en effet connexe au rapport que Jean-Patrick Courtois et moi-même avons rédigé sur le nécessaire encadrement juridique de la vidéosurveillance. Je rappelle que ce rapport a été voté à l’unanimité de la commission des lois et que notre préconisation a été reprise dans le rapport de Mme Escoffier et de M. Détraigne. Elle devait donc logiquement figurer dans cette proposition de loi.

Or, en commission, l’engagement a été pris de reprendre ces modifications législatives lors du débat sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, ou LOPPSI 2, qui doit bientôt avoir lieu au Sénat. Face à l’unanimité des membres de la commission, j’ai accepté de retirer mes amendements, mais nous veillerons au respect des engagements du 24 février lors de l’examen du futur texte.

Pour en revenir à la présente proposition de loi, j’observe que M. le rapporteur y a apporté plusieurs modifications lors des travaux en commission ; mon groupe en a accepté un certain nombre. Même lorsque la commission a assoupli le texte, par souci de pragmatisme, ainsi que pour prendre en compte les pratiques des utilisateurs ou la future transposition des directives européennes du « paquet télécom », nous comprenons la volonté du rapporteur, qui a réalisé un travail remarquable. Je souhaite toutefois m’arrêter quelques instants sur l’article 4, qui touche sans doute le thème le plus sensible parmi ceux qui sont abordés dans ce texte, à savoir les fichiers.

Aux termes de la loi de janvier 1978, les fichiers intéressant la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, ou qui ont pour objet la répression des infractions pénales, sont créés par arrêté du ministre compétent. En cas de recours à la biométrie, un décret en Conseil d’État est nécessaire. La CNIL rend un avis simple.

Les craintes suscitées par la création du fichier EDVIGE ont montré à quel point le sujet des fichiers de police et de gendarmerie, de leur contrôle et de leur évolution était sensible, notamment au regard des conséquences de l’existence de ces fichiers sur les libertés individuelles et collectives. À cette occasion, les groupes socialistes du Sénat et de l’Assemblée nationale ont réclamé l’organisation d’un débat sur ce sujet, mais le Gouvernement n’a pas souhaité donner suite à cette demande.

L’Assemblée nationale a alors décidé de créer une mission d’information relative aux fichiers de police, qui a débouché sur le dépôt d’une proposition de loi cosignée par les deux co-rapporteurs, Jacques Alain Bénisti et Delphine Batho. L’article 5 de cette proposition de loi donnait au législateur le soin d’autoriser un fichier ou une catégorie de fichiers de police, étant entendu que le pouvoir réglementaire continuerait à s’exercer pleinement pour la création de l’ensemble des traitements respectant les conditions préalablement définies par la loi. Discutée le 24 novembre 2009 sur l’initiative du groupe socialiste, elle n’a pas été adoptée par l’Assemblée nationale.

L’article 4 de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui formalise la recommandation n° 13 contenue dans le rapport d’information d’Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier, recommandation qui reprend elle-même l’architecture de l’article 5 de la proposition de loi de M. Bénisti et de Mme Batho.

Toutefois, les auteurs de la présente proposition de loi ayant jugé la proposition des députés très contraignante, ils prévoyaient de restreindre en conséquence, dans l’article 4, les cas d’autorisation législative à des catégories de fichiers de police nationaux et à leurs caractéristiques les plus importantes.

La commission a profondément modifié l’article 4, en proposant une nouvelle rédaction qui, selon le rapporteur, respecte l’esprit de la proposition de loi et des amendements que nous voulions y apporter.

Certes, nous aboutissons à un meilleur encadrement légal de la création des fichiers par rapport à la législation existante. Il subsiste toutefois comme un goût d’inachevé dans le texte qui nous est maintenant soumis.

Le dérapage sur l’utilisation médiatique des données du fichier STIC que nous avons connu pendant la campagne des élections régionales en est une illustration flagrante. En tant que législateur, nous ne pouvons nous résoudre à restreindre nous-mêmes notre rôle à la détermination des finalités des fichiers. Le vrai débat porte aujourd’hui sur le contenu des fichiers, et surtout sur les conditions de traitement des données qu’ils comportent. De ce point de vue, la proposition de loi initiale, complétée par nos amendements, permettait de clore ce débat. Celui-ci, loin d’être anodin, revêt au contraire une importance majeure, car il s’agit des libertés fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques.

Nous réservons donc notre vote pour le moment. Initialement, nous étions spontanément favorables à ce texte, qui, surtout dans sa version d’origine, allait dans le bon sens, vers davantage de sécurité juridique pour nos concitoyens. Nous serons très attentifs à ce qui résultera de la discussion des articles et nous ne prendrons notre décision finale qu’au regard de la volonté du Gouvernement et du rapporteur de ne pas trop dénaturer le texte originel. Toutefois, au vu des amendements du Gouvernement et après l’intervention de M. le secrétaire d’État, je ne suis pas pleinement confiant…

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le droit à la vie privée à l’heure du numérique est un sujet crucial dont l’importance échappe encore à grand nombre de nos concitoyens, pourtant utilisateurs quotidiens des nouvelles technologies. Il s’agit bien de la révolution numérique, dont les effets seront encore plus considérables que ceux de la révolution industrielle.

Le numérique émerveille ; sa capacité à tout accélérer, à faciliter la connaissance, à multiplier les innovations dans tous les domaines, à susciter de nouvelles activités et de nouveaux marchés a masqué ses aspects négatifs, en particulier les risques encourus au regard du respect de la vie privée, ainsi que les risques découlant de l’accumulation d’informations souvent erronées, voire fallacieuses, à visées de plus en plus strictement affairistes, sans oublier les dérives sectaires…

Nos enfants savent dès leur plus jeune âge qu’une prise électrique peut les blesser, que la flamme de la gazinière peut les brûler ; il est plus qu’urgent que notre société leur apprenne que le numérique peut aussi leur faire du mal et que les jeux d’aujourd’hui, les inconséquences des âges de la découverte peuvent assombrir leur avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Il est temps que l’ensemble de notre société ramène le numérique à ce qu’il doit être, un instrument de progrès, de connaissance, de lien social, et l’empêche de devenir un instrument de surveillance, de domination, de pouvoir sans contrôle, sans règles, car nous le savons, mes chers collègues, il n’est point de vie en société sans règles de droit.

Soyons bien conscients qu’Internet est certes un instrument de liberté, mais qu’il peut aussi être un instrument de contrôle du citoyen. N’oublions pas les mises en garde de George Orwell dans son 1984. N’oublions pas Big Brother, les « télécrans », le « Ministère de la Vérité » et ses formules sinistres : « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force. »

Merci à Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne de leur initiative, de leur travail empreint des principes qui nous sont chers de respect des libertés, du respect de la liberté.

Internet ne doit pas être l’instrument de tous les désordres, le vecteur de tous les conflits, le véhicule de la délation. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le Sénat a voté récemment, en première lecture, un texte allongeant les délais de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’Internet.

Le respect du droit à la vie privée participe de la liberté et de l’autonomie des individus. Sans qu’il existe de définition légale de ce droit, l’article 9 du code civil le protège et, outre les nombreux instruments internationaux qui y font référence, il a été érigé en principe de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel en 1999.

Le contexte le justifie. Le consumérisme ambiant a fait de l’intimité des individus des objets commerciaux et encourage une course toujours plus cynique à l’exposition du corps, de la vie et des mœurs.

Peu de personnes ont conscience aujourd'hui que le moindre clic sur Internet est tracé, conservé, voire utilisé à des fins de profilage publicitaire. En l’état actuel des choses, le droit à l’oubli demeure une chimère.

La lutte contre l’insécurité sous toutes ses formes sert aussi de prétexte à la banalisation des outils de surveillance de la population, sans d’ailleurs que celle-ci ait toujours conscience de pouvoir être suivie à la trace. La vidéosurveillance a ainsi benoîtement été renommée « vidéoprotection », dans un élan paternaliste qui honore nos pouvoirs publics !

M. Jean Milhau s’esclaffe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

La création de fichiers – dont un encore, il y a un mois, dans cet hémicycle – a atteint un rythme quasi industriel, qui donne le tournis à la CNIL !

Nous saluons donc l’initiative de nos collègues. Elle honore le Parlement français, qui a été le premier, dès 1978, à s’emparer des problématiques liées aux nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Monsieur le secrétaire d’État, nous considérons quant à nous que la CNIL constitue le fer de lance de notre législation en la matière. Elle sait s’acquitter de sa mission dans des conditions qui ne sont pas toujours aisées. Le texte initial de nos collègues vise à renforcer ses pouvoirs en clarifiant les obligations d’information qui s’imposent aux responsables de traitement de données personnelles ainsi qu’en relevant les plafonds des sanctions pécuniaires pouvant être prononcées par elle, aux fins d’une plus grande fermeté. L’élargissement des possibilités d’intervention pour toute instance de la CNIL constitue également un progrès indéniable.

De même, nous approuvons, à l’article 2, la sanctuarisation de l’adresse IP ou, à l’article 5 bis, l’obligation, introduite par la commission des lois, de publication concomitante d’un acte réglementaire créant un fichier et de l’avis correspondant de la CNIL.

Notre commission a également pris l’heureuse initiative de sécuriser, à l’article 9 bis, le droit de contrôle inopiné de la CNIL, dont l’efficacité avait été considérablement amoindrie par le Conseil d’État dans son arrêt Société Inter Confort du 6 novembre dernier.

Le nouveau dispositif concilie l’efficacité du contrôle et les exigences des droits des justiciables.

En revanche, l’interprétation restrictive par la commission des lois de la qualité de juridiction de la CNIL ne nous a pas convaincus.

Nous sommes également réservés sur la nouvelle version de l’article 4. Le texte initial de la proposition de loi prévoyait de réserver au législateur la compétence de créer les fichiers de police intéressant la sécurité publique et l’exécution des condamnations pénales. Aujourd'hui, la frénésie de compilation de données et l’enchevêtrement des fichiers justifient de donner cette compétence au législateur afin d’en accroître la transparence et la sécurité juridique.

Quand je lis encore dans le texte que, lorsque le procureur de la République prescrit le maintien des données à caractère personnel d’une personne ayant bénéficié d’une décision d’acquittement ou de relaxe devenue définitive, il en avise la personne concernée, je m’insurge ! À l’évidence, long est encore le chemin à parcourir pour parvenir au respect du droit à l’oubli !

Nos deux collègues ont poursuivi trois objectifs essentiels : en premier lieu, l’information des jeunes ; en deuxième lieu, un droit à l’oubli avec la facilitation de la suppression des données ; enfin, en troisième lieu, la volonté de conforter la CNIL dans son rôle de contrôle, de conseil et d’expert, mais il me semble, monsieur le secrétaire d’État, que votre volonté est plutôt d’aller en sens inverse. Or nos collègues ont raison : il faut impérativement conforter le rôle de la CNIL, cet organisme indépendant, cet instrument du respect des libertés.

Nous saluons le travail de nos deux collègues et le groupe du RDSE unanime votera cette proposition de loi

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Internet est-il un outil de liberté ou un instrument de soumission ? La question est fondamentale et une loi nationale, dans un domaine sans frontières et à la mémoire infinie, mérite réflexion.

Néanmoins, l’initiative dont nous avons à débattre aujourd’hui est tout à fait pertinente puisqu’elle entend répondre par un renforcement des droits des internautes aux atteintes à la vie privée auxquelles Internet peut donner lieu.

Le Gouvernement aurait sans doute préféré s’en tenir à une simple autolimitation des acteurs ou à une charte de bonne conduite. Les propos de M. le secrétaire d’État et les amendements que nous soumettra le Gouvernement montrent que celui-ci n’approuve pas, à l’évidence, le contenu de la proposition de loi.

Pourtant, l’autorégulation en matière de traitement et de conservation de données personnelles a des limites, lesquelles sont d’autant plus vite atteintes que la conservation de ces données présente un intérêt marchand et constitue une source de revenus pour un certain nombre d’acteurs.

Dès lors, pouvait-on se satisfaire, pour garantir la protection de la vie privée, d’une fragile autorégulation des responsables des dangereuses dérives ? Certainement pas : telle est la raison pour laquelle une loi sur ce sujet est bienvenue.

Nous devons nous féliciter que cette proposition de loi prévoie une information des jeunes, dans le cadre éducatif, quant aux risques présentés par l’usage des nouvelles technologies au regard de la protection de leur vie privée. Les utilisateurs doivent, en effet, prendre dès leur plus jeune âge conscience du caractère rien moins qu’anodin des révélations et des exhibitions auxquelles ils se livrent sur Internet.

Un renforcement des droits des utilisateurs grâce à la simplification de leur mise en œuvre était ensuite nécessaire et nous en saluons la mise en place. Un droit à l’oubli effectif suppose en effet que les internautes puissent exercer leurs droits de suppression et d’opposition sans que des entraves matérielles les réduisent en pratique à néant. La proposition de loi y pourvoit : les utilisateurs pourront exercer leurs droits d’accès, de rectification et de suppression par voie électronique.

Ils pourront également exercer sans frais leur droit d’opposition et pourront, en cas d’infraction, saisir une juridiction compétente sans se heurter à l’obstacle souvent insurmontable que représentait la détermination de la juridiction compétente dans un litige les opposant à un défendeur virtuel.

Cependant, et c’est bien là le hic, les droits des utilisateurs sont peu de choses s’ils ne s’accompagnent pas d’obligations corrélatives pour les responsables du traitement des données. Or, sur ce point, la commission, soumise au lobbying actif de Google – il a touché tous les parlementaires, donc a fortiori le rapporteur –, a en grande partie annihilé les avancées proposées par les auteurs de la proposition.

Concernant, en premier lieu, la collecte des données personnelles, le texte d’origine prévoyait d’imposer au responsable du traitement de recueillir le consentement préalable de l’utilisateur. On s’en doute, cette disposition a été mal accueillie par les fournisseurs d’accès et les représentants de la publicité en ligne auditionnés par la commission, qui ont immédiatement perçu la menace qu’elle faisait planer sur leurs intérêts mercantiles.

Faisant siens ces intérêts, le rapporteur a proposé un amendement visant à revenir au texte de 1978 et imposant seulement au responsable du traitement une obligation d’informer l’utilisateur des moyens mis à sa disposition pour refuser son consentement.

Nous ne pouvons accepter que les intérêts des fournisseurs d’accès et de publicité priment sur une protection nécessaire aux utilisateurs.

Comme nous l’avons dit en 2004, lors de la précédente modification de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, nous estimons que toute exploitation de données à des fins commerciales doit, conformément à la directive de juillet 2002, modifiée en novembre 2009, recueillir le consentement exprès de la personne concernée.

Concernant, en second lieu, l’origine des données collectées, le texte mettait à la charge du responsable du traitement l’obligation d’indiquer cette origine. Le texte amendé par la commission a fait disparaître cette avancée. Pour éviter d’imposer aux responsables des traitements la mise en place de systèmes de traçage complexes et onéreux, un retour au statu quo a de nouveau prévalu.

Sous l’effet des amendements adoptés en commission, les droits substantiels des utilisateurs garantis par la proposition de loi initiale ont donc rétréci.

S’agissant maintenant des moyens destinés à garantir le respect de ces droits substantiels, on doit se réjouir que les avancées envisagées par la proposition de loi initiale aient été maintenues, même si elles nous paraissent encore insuffisantes.

Ainsi, la proposition de loi qui nous est soumise impose-t-elle toujours la désignation de correspondants « informatique et libertés », dont les missions sont renforcées. Cependant, comme en 2004, nous ne sommes pas sûrs que ce système de désignation, désormais obligatoire, offre toutes les garanties d’indépendance requises pour réellement préserver les droits des utilisateurs.

En effet, contrairement à ce que prévoyait la proposition d’origine, le texte qui nous est soumis dispose que le correspondant pourra être déchargé de ses fonctions par son employeur sans que cette décision soit prise après avis conforme de la CNIL. Là aussi, attention : les patrons veulent garder la main sur tout !

Ce système ne garantit donc en rien l’indépendance du correspondant, qui devra ménager les intérêts de son employeur au détriment de la protection des droits des utilisateurs.

Le premier moyen de protection des droits des utilisateurs envisagé par le texte ne nous satisfait donc pas.

Le second moyen, qui passe par un renforcement des pouvoirs de la CNIL, a en revanche toute notre approbation.

Nous nous félicitons que la proposition, même amendée, renforce le rôle de la CNIL dans la répression des infractions en augmentant notablement le montant des sanctions pécuniaires.

De la même façon, un renforcement du pouvoir d’intervention de la CNIL devant les juridictions judiciaires ou administratives était nécessaire pour garantir la défense des intérêts des utilisateurs face à des questions techniques souvent étrangères aux magistrats.

Enfin, le texte qui nous est soumis entreprend de modifier l’épineux article 26 de la loi de 1978, relatif à la création des fichiers de police.

La proposition de loi, dans sa rédaction initiale, prévoyait de réserver au législateur la création de ces fichiers ou de catégories de fichiers. Au prétexte qu’il n’appartient pas au législateur de fixer le contenu de sa propre compétence, la commission a adopté des amendements modifiant substantiellement cette disposition. Désormais, est arrêtée une liste des finalités auxquelles doivent correspondre les fichiers pouvant être créés par voie réglementaire. Or, comme le signale le rapporteur, cela revient à légaliser les fichiers sauvages créés en dehors de tout cadre, car ils trouveront bien dans la liste des finalités énoncées de quoi se redonner un semblant de légalité !

Nous ne pouvons absolument pas cautionner une telle pratique : les fichiers sauvages existants doivent être sanctionnés par leur disparition. La disposition fourre-tout qui nous est soumise ne peut en aucun cas faire illusion et laisser croire que le législateur a enfin décidé de jouer son rôle de protecteur des libertés publiques.

J’indiquerai en conclusion que la transformation de l’homo sapiens en un homo numericus libre, éclairé et protecteur de ses propres données qu’appelaient de leurs vœux les auteurs de la proposition de loi, si elle était amorcée, ne nous semblait pas suffisamment aboutie pour recueillir notre total assentiment. Nous avions donc décidé de nous abstenir. Mais c’était avant que la commission n’intervienne ! Et je constate que le Gouvernement entend réduire quasiment à néant le texte même de la commission !

Notre décision ultime dépendra donc du déroulement de nos travaux et, si les amendements du Gouvernement sont adoptés, il est fort probable que nous voterons contre la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Amoudry

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi, cela a déjà été rappelé, est le fruit d’une initiative conjointe de nos deux collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier, initiative que je tiens à saluer. En effet, la protection de la vie privée est sans cesse remise en question par la perpétuelle évolution des technologies numériques.

Sur la base d’un rapport d’information très approfondi, le texte qui nous est présenté propose un dispositif rassemblant des mesures très variées, les unes visant à mieux protéger l’internaute, le citoyen et, plus globalement, les libertés fondamentales, les autres à renforcer les moyens d’action de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Ce texte résulte d’une collaboration très appréciable entre la commission des lois et la commission de la culture. Je veux à mon tour saluer l’excellent travail de nos collègues Christian Cointat, rapporteur au fond, et Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis. Cette dernière a apporté une contribution pertinente au texte en récrivant l’article 1er afin d’améliorer le dispositif de prévention en faveur des jeunes. Il est en effet indispensable de prévoir une formation des élèves, et de leurs enseignants, aux risques que peut présenter Internet au regard de la protection de la vie privée. Dans ce domaine, l’affirmation d’une volonté et d’une politique de prévention, surtout à l’adresse des plus jeunes, constitue une orientation salutaire.

Dans son article 2, la proposition de loi soulève une question à la fois technique et symbolique, celle de l’adresse IP. Cette adresse, qui est en quelque sorte le numéro identifiant chaque ordinateur connecté à Internet, a été récemment le sujet de jurisprudences fluctuantes quant à sa nature juridique, la question étant de savoir si cette adresse revêt ou non le statut de donnée à caractère personnel. La proposition de loi tranche le débat : l’adresse IP, lorsqu’elle permet d’identifier un internaute, est une donnée à caractère personnel au sens de la loi informatique et libertés. La clarification opérée par ce texte apparaît donc comme très utile.

Concernant les problèmes soulevés par les cookies, il est important de rappeler que la protection des libertés individuelles repose d’abord sur le recueil du consentement a priori, ou opt-in, et non sur la simple faculté de s’opposer a posteriori, ou opt-out.

Une fois ce principe rappelé, il est nécessaire de le confronter aux impératifs techniques et pratiques de la navigation sur Internet.

En premier lieu, la proposition de loi améliore l’information des internautes sur les cookies, notamment ceux que l’on dit « comportementaux ». Saluons cette amélioration, car une information spécifique, claire, accessible et permanente garantira un choix éclairé en matière de cookies.

En second lieu, comme l’a rappelé le rapporteur, le principe de l’opt-in tel qu’il était décrit dans la proposition de loi initiale, c’est-à-dire un opt-in au sens strict, risquerait de contrarier la fluidité et la rapidité de la navigation des internautes. Le texte issu des travaux de la commission des lois permettra à l’utilisateur d’exprimer un choix préalable et éclairé en matière de cookies. Et c’est bien là le plus important : que chaque internaute puisse librement et en connaissance de cause exprimer son choix, tout en conservant une navigation aussi fluide que possible.

La proposition de loi prévoit également des évolutions majeures en matière de fichiers de police. Au vu des réactions suscitées, notamment, lors de la création du fichier EDVIGE, il paraissait souhaitable que le législateur pût se prononcer sur la création de ces fichiers, dans la mesure où cette question relève des « garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques », au sens de l’article 34 de la Constitution.

Les aménagements proposés par le rapporteur ont fait sensiblement évoluer le texte sur ce point. Un amendement a ainsi introduit une liste des finalités auxquelles devront répondre les fichiers pour pouvoir être créés par voie réglementaire. Tout fichier créé par arrêté ou par décret devrait répondre à au moins une des finalités énumérées.

Or cette énumération de treize catégories pourrait avoir pour conséquence paradoxale d’amoindrir le contrôle de la CNIL puisque ces catégories, étant créées par la loi, deviennent ipso facto légitimes.

Si l’objectif de la proposition de loi est légitime, la nouvelle rédaction proposée pour l’article 26 de la loi informatique et libertés ne permet pas de garantir, pour chaque création de traitement, que le contrôle de proportionnalité prévu à l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978, modifié, sera bien exercé. Aux termes de cette rédaction, en effet, les données ne sont collectées que pour des finalités déterminées, légitimes et explicites. Compte tenu de la sensibilité de tels traitements, il importe que nous rappelions qu’ils ne peuvent être autorisés que s’ils respectent le principe de proportionnalité. Un amendement sera présenté à cette fin.

Abordons maintenant l’un des sujets phares de cette proposition de loi : les évolutions du statut et des attributions des correspondants « informatique et libertés », les CIL.

Le texte prévoit l’obligation de notification par les CIL des failles de sécurité. Si nous sommes favorables à cette nouvelle obligation, nous pensons aussi qu’il n’est pas opportun de confier aux CIL le soin de prendre les mesures nécessaires pour permettre le rétablissement de l’intégrité et de la confidentialité des informations. Cette tâche incombe, à notre sens, aux responsables de traitement et non aux CIL.

Le texte prévoit également la création obligatoire des CIL à certaines conditions.

Institués en 2004, ces correspondants ont permis la diffusion très large de la culture « informatique et libertés ». Leur nombre est en augmentation constante depuis leur création : ils sont passés de 1 300 en 2007 à 6 200 en 2010. Néanmoins, ce bilan très satisfaisant concerne principalement le secteur privé. En effet, les CIL sont toujours faiblement implantés dans les collectivités territoriales, dans les ministères et dans la sphère publique en général, ce qui est regrettable.

Si l’on peut s’interroger, comme l’a d’ailleurs fait le rapporteur, sur le seuil qui a été retenu de cinquante personnes ayant accès au traitement, le principe de création obligatoire posé par le texte me semble opportun. En effet, compte tenu du bilan très positif des CIL depuis leur mise en place, il conviendra de passer du volontariat à l’instauration obligatoire de ces correspondants. On peut d’ailleurs noter que différents autres pays européens ont déjà appliqué ce régime.

Mais j’entends aussi les réserves et interrogations qui ont été formulées sur cette mesure. Le caractère obligatoire de la désignation peut effectivement avoir des conséquences importantes, notamment organisationnelles, pour les entreprises et les administrations concernées. C’est pourquoi je proposerai un amendement ayant pour objet de différer l’entrée en vigueur du dispositif et de prévoir la réalisation par le Gouvernement d’une étude d’impact permettant d’appréhender les conséquences de cette mesure.

Je présenterai aussi un amendement visant à modifier le dispositif de l’article 3, qui prévoit que la CNIL peut refuser la désignation d’un CIL s’il ne possède pas les compétences requises.

Cette disposition soulève des difficultés quant au rôle de la CNIL à l’égard des entreprises. Il lui serait en effet très difficile de déterminer les critères objectifs nécessaires à l’évaluation d’un défaut de compétence d’un correspondant « informatique et libertés ». Des critères tels que l’ancienneté de la personne, ses diplômes ou le poste qu’elle occupe doivent être mis en relation avec la taille de l’organisme concerné, le secteur d’activité dans lequel il évolue et la nature des données traitées. Il apparaît ainsi que le responsable de traitement est le mieux placé pour effectuer ce choix.

Enfin, la possibilité donnée à la CNIL de s’opposer au choix initial d’un responsable de traitement pourrait être vécue par celui-ci comme une perte de contrôle quant à l’organisation de ses services, ce qui n’est pas souhaitable.

Je voudrais aussi saluer le renforcement des moyens de la CNIL, garante de la protection des données à caractère personnel, et ce sur trois points.

En ce qui concerne les contrôles, le droit en vigueur permet au responsable des lieux de s’opposer à une visite de la CNIL. Cette visite ne pouvant alors se dérouler qu’avec l’autorisation d’un magistrat, saisi sur requête du président de la CNIL, les contrevenants ont tout le temps de dissimuler ou de détruire des fichiers litigieux.

Aussi, je me félicite de l’adoption par la commission des lois de l’article 9 bis, qui tend à donner à la CNIL la possibilité de demander au juge des libertés et de la détention l’autorisation préalable d’effectuer une visite inopinée « lorsque l’urgence, la gravité des faits justifiant le contrôle ou le risque de destruction ou de dissimulation de documents l’exigent ». En permettant au juge des libertés et de la détention, gardien des libertés individuelles, d’autoriser la CNIL à effectuer un contrôle inopiné, le texte renforce l’efficacité des missions de cette autorité tout en respectant les droits du responsable des lieux visités.

En ce qui concerne l’expérimentation des fichiers, les services de l’État sont conduits, dans la situation actuelle, à soumettre les traitements informatisés dans leur état final à la CNIL, ce qui présente le double inconvénient de ne pas permettre à celle-ci de suggérer des modifications en cours d’élaboration et d’obliger ceux-là à remettre en cause toute l’architecture de leur projet pour faire droit aux demandes tardives de la CNIL.

La proposition de loi crée heureusement un régime spécifique qui permet à la CNIL d’intervenir en amont de l’élaboration de ces fichiers. Le dispositif proposé par le texte est donc une avancée importante, même si les garanties prévues pourraient être renforcées. En effet, une simple déclaration pour expérimenter un fichier de police, comme le prévoit la proposition de loi, sans aucun avis ni contrôle a priori de la CNIL, ne semble pas suffisante en termes de protection des données et de la vie privée.

En ce qui concerne, enfin, l’intervention de la CNIL devant les juridictions, l’article 13 de la proposition de loi, inspiré des dispositions qui ont été retenues pour la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, permettra de faciliter l’intervention de la Commission nationale devant les juridictions appelées à connaître d’affaires mettant en jeu la protection des données à caractère personnel. Nous nous félicitons de cette évolution particulièrement utile et opportune.

Pour conclure, mes chers collègues, je tiens une fois encore à saluer l’initiative de nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier ainsi que le travail important qu’ils ont réalisé, travail approfondi et enrichi, d’une part, par la commission des lois et son excellent rapporteur, notre collègue Christian Cointat, et, d’autre part, par l’éclairage pertinent de Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis de la commission de la culture.

En fonction des débats qui vont suivre, et sur la base des travaux de la commission des lois, le groupe de l’Union centriste votera la proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur le fondement du rapport d’information de nos collègues M. Détraigne et Mme Escoffier sur la vie privée à l’heure des mémoires numériques, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’un sujet essentiel : le droit à la vie privée des individus dans un monde numérisé.

Valeur essentielle qui doit être absolument défendue dans un État de droit tel que le nôtre, ce droit se confronte à d’autres droits et libertés, parfois contradictoires mais que nous ne saurions pour autant négliger. La liberté d’expression, le droit à l’image ou encore le droit de la communication électronique sont, en effet, autant de valeurs qui peuvent se trouver en concurrence. Il est du devoir du législateur de trouver un juste équilibre entre elles.

De plus, si le développement d’Internet ouvre de nouvelles voies pour la connaissance, l’information, dans une société mondialisée où la communication est fondamentale, il constitue aussi un danger auquel nous devons savoir répondre. C’est là tout l’enjeu : parvenir à un compromis entre la liberté qu’offre Internet et le besoin de protection de ses utilisateurs qu’il rend nécessaire.

Lorsque nous parlons de protection, celle-ci doit se comprendre à un double niveau.

La protection, c’est d’abord la responsabilisation des individus. Comme le soulignent les auteurs du rapport, l’internaute doit être le premier acteur de sa propre protection ; c’est cela, être citoyen !

Cependant, pour que les individus soient à même de se protéger, il faut qu’ils aient été sensibilisés aux risques qu’Internet fait peser sur leur vie privée. En effet, si les enfants apparaissent de plus en plus comme détenant une véritable maîtrise des outils d’Internet, ils n’envisagent pas toujours pour autant les conséquences désastreuses sur leur vie privée que ceux-ci peuvent engendrer.

Certes, il appartient aux parents d’être les premiers garde-fous d’une utilisation parfois abusive d’Internet, parce leur rôle est aussi de transmettre les principes de pudeur et d’intimité. Cependant, nombre de parents semblent impuissants car, contrairement à leurs enfants, ils ne sont pas toujours maîtres des outils offerts par les nouvelles technologies. En conséquence, ils n’ont pas toujours eux-mêmes conscience des menaces qui pèsent sur la vie privée de leurs enfants, comme le montre de façon pertinente l’exemple des « sextos », développé par les auteurs du rapport. Or protéger nos enfants est une obligation à laquelle nous ne saurions nous dérober.

Dès lors, responsabilisation implique sensibilisation. C’est tout l’intérêt de l’article 1er, tel qu’il a été amendé par notre collègue Mme Catherine Morin-Dessailly, au nom de la commission de la culture : il vise à impliquer l’éducation nationale dans l’accompagnement et la responsabilisation des jeunes utilisateurs d’Internet par le biais des cours d’éducation civique.

Par ailleurs, nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier soulignent dans leur rapport l’émergence de ce que l’on appelle les « mémoires numériques », qui nous conduisent à nous interroger sur un nouvel enjeu, à savoir le droit à l’oubli, droit dont doit disposer tout citoyen d’une société démocratique. La reconnaissance du droit à l’oubli à l’heure du numérique est un premier pas vers l’émergence du citoyen éclairé, de l’, que les auteurs du présent texte appellent de leurs vœux.

S’inspirant notamment de la réflexion menée dans le cadre des ateliers sur le droit à l’oubli numérique mis en place par Mme Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique, la présente proposition de loi tend à clarifier l’exercice de ce droit. Nous nous en réjouissons.

Une meilleure protection implique également de renforcer la loi informatique et libertés afin d’offrir de meilleures garanties. Tel est l’objet des articles 2 à 12 de la présente proposition de loi.

Tout en souscrivant aux objectifs de ces articles, le groupe UMP et moi-même nous réjouissons que, sur l’initiative de M. le rapporteur, la commission des lois soit parvenue à un meilleur équilibre entre la protection des données et la liberté des acteurs d’un secteur économique majeur pour la compétitivité de notre pays.

Ainsi l’assouplissement du principe de consentement préalable en matière de cookies, tel qu’il est prévu à l’article 6, permettra-t-il de répondre au double souci de ne pas entraver la fluidité de la navigation des internautes et de ne pas remettre en cause le modèle économique d’Internet.

Parallèlement, plusieurs dispositions permettent une meilleure protection des données. J’en mentionnerai trois, qui me paraissent majeures.

En premier lieu, l’article 2 permet aux données de connexion des internautes d’être protégées par la loi informatique et libertés. C’est notamment le cas de l’adresse IP, qui sera désormais considérée comme une donnée à caractère personnel.

Cependant, je tiens à souligner que l’adresse IP constitue un moyen d’identification parmi d’autres, son caractère fluctuant la rendant particulièrement difficile à appréhender. Surtout, l’adresse IP ne permet pas toujours d’identifier l’utilisateur de l’ordinateur. Seules les autorités judiciaires disposent des moyens de vérifier l’identité de la personne à laquelle elle correspond, contrairement à une adresse ou à un numéro de téléphone. Nous ne pouvons ignorer les nombreux freins à notre volonté de légiférer : la question de l’adresse IP, entre autres, témoigne de la complexité des sujets extrêmement techniques que nous abordons.

En outre, si nous soutenons la disposition renforçant les possibilités d’action juridictionnelle de la CNIL, nous sommes conscients que l’examen de cette proposition de loi ne saurait dissimuler la nécessité d’une réflexion menée à l’échelon international. La plupart des serveurs se trouvant à l’étranger, comment légiférer à bon escient si les responsables du traitement ne peuvent être mis en cause ? À cet égard, nous nous réjouissons que le Parlement européen, à l’occasion de l’adoption d’une résolution sur le droit à la propriété intellectuelle ait demandé à la Commission européenne de jouer la transparence sur tous ces sujets, notamment dans les négociations sur la protection des données personnelles.

En second lieu, la CNIL, garante essentielle de la protection de la vie privée, voit opportunément sa légitimité et son efficacité renforcées. En effet, les parlementaires membres de la CNIL seront désormais désignés « de manière à assurer une représentation pluraliste ».

En outre, les visites inopinées, instrument majeur de contrôle de l’application réelle de la loi informatique et libertés dans les organismes privés et dans les administrations, seront facilitées. Afin d’éviter que ces visites ne fassent l’objet de contestations, le texte qui est soumis à notre examen prévoit la mise en œuvre d’une procédure permettant l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention. C’est une bonne chose.

Par ailleurs, les avis de la CNIL devront être publiés chaque fois qu’un fichier de police sera créé. Une telle mesure va dans le bon sens. La bonne utilisation des fichiers de sécurité requiert un contrôle. À cet égard, la présente proposition de loi a pour objet de mieux encadrer la création de fichiers de police que ne le fait le droit actuel. Elle prévoit que les fichiers créés par arrêté ou par décret ne peuvent être autorisés qu’à la condition de répondre à une ou plusieurs des finalités limitativement énumérées. À défaut, seul le législateur sera compétent.

En troisième lieu, la proposition de loi tend à conforter le statut et les missions du correspondant « informatique et libertés », le CIL. L’article 3 de la proposition de loi oblige toute autorité publique ou tout organisme privé qui « recourt à un traitement de données à caractère personnel […] pour lequel plus de cinquante personnes y ont directement accès ou sont chargées de sa mise en œuvre » à désigner, « en son sein ou dans un cadre mutualisé, un correspondant informatique et libertés ».

Cette disposition s’inscrit de manière logique dans le prolongement de la loi du 6 août 2004. Le renforcement du CIL apparaît en effet comme le corollaire d’un moindre formalisme exigé des organismes. Ainsi les formalités que les responsables de traitements doivent accomplir sont-elles allégées, la délivrance d’un récépissé ayant été supprimée.

Cependant, et malgré les arguments avancés par M. le rapporteur, je continue de penser que le volontariat doit être privilégié. Afin de parvenir à une solution équilibrée, plusieurs de mes collègues de l’UMP et moi-même présenterons un amendement, sur lequel la commission a émis un avis de sagesse, visant à porter de cinquante à cent le nombre de personnes ayant directement accès à un traitement de données à caractère personnel ou chargées de sa mise en œuvre à partir duquel la désignation d’un CIL est obligatoire.

Il apparaît en effet que le seuil prévu par la proposition de loi tend à rendre obligatoire la présence d’un CIL dans un trop grand nombre d’organismes, ce qui risque de compromettre la capacité de la CNIL à gérer un tel dispositif. En dessous du seuil de cent personnes, le volontariat doit être préféré au caractère obligatoire.

Guidés par la volonté d’impliquer l’ensemble des acteurs du numérique pour avancer sur le terrain d’une meilleure protection de la vie privée, nous nous réjouissons que Mme la secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique propose une « charte d’engagement des professionnels d’Internet » en complément de la présente proposition de loi.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera le texte tel qu’il a été modifié par la commission.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Parlement est, avec le pouvoir judiciaire, le garant des libertés individuelles. À ce titre, il dispose d’un pouvoir que je considère comme naturel dans notre démocratie : celui de contrôler la mise en œuvre de mesures attentatoires aux libertés individuelles.

Son rôle est de contrôler les fichiers créés pour le compte de l’État. Leur multiplication ces dernières années a souvent soulevé chez nos concitoyens des doutes légitimes quant à leur utilité ou à leurs modalités de fonctionnement, comme en témoigne le sort réservé au fichier EDVIGE. Cet épisode a démontré à quel point nos concitoyens étaient attachés au principe du respect de leur vie privée et à la protection de leurs données personnelles.

Il faut admettre que nos concitoyens manquent d’informations sur le traitement des données personnelles. Leur méfiance est liée à une certaine opacité, source de rejet. La CNIL, dans ce domaine, accomplit un travail formidable. Avec les moyens réduits dont elle dispose, elle a réussi à mieux informer les citoyens sur l’existence de ces fichiers, sur leur contenu, sur les modalités d’accès aux données enregistrées et sur les modalités de modification de ces mêmes données. Mais cela semble encore insuffisant si l’on souhaite que nos concitoyens acceptent mieux l’existence de ces fichiers, dont certains, je ne le nie pas, sont nécessaires.

Il convenait donc d’aller plus loin et de poser le principe selon lequel les traitements de données doivent être autorisés par la loi, donc par le Parlement. Nous représentons ici nos concitoyens. C’est par notre voix qu’ils doivent s’exprimer sur la création de tels fichiers.

Telles sont d’ailleurs les conclusions auxquelles sont parvenus nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier dans leur excellent rapport intitulé « La vie privée à l’heure des mémoires numériques, qui a été suivi par le dépôt de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Il importe en effet que la création de tout fichier, quelle que soit sa finalité, soit soumise au vote du Parlement eu égard aux risques graves que ces fichiers font peser sur les libertés individuelles.

Non seulement le Parlement doit autoriser ces fichiers, mais il doit aussi être en mesure, chaque fois que cela est nécessaire, de déterminer leur contenu, leurs modalités de fonctionnement, ainsi que les moyens de contrôle de leur contenu et les possibilités d’y accéder et de les modifier. Le Gouvernement ne saurait priver le Parlement de ses compétences, surtout lorsque les libertés individuelles sont en jeu.

La proposition de loi de nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier répondait parfaitement à cette exigence : donner au Parlement le pouvoir de créer des fichiers et de déterminer les modalités de leur fonctionnement. L’un des points fondamentaux de cette proposition de loi était qu’elle enlevait au pouvoir réglementaire le pouvoir exorbitant de créer des fichiers, dont la multiplication et les dysfonctionnements traduisent une confusion et un manque de rigueur en termes de gestion, alors même que leur mise en œuvre conduit souvent à la manipulation de données extrêmement sensibles.

C’est la raison pour laquelle les sénatrices et les sénateurs Verts étaient prêts à soutenir cette proposition de loi dans sa version initiale. Malheureusement, compte tenu des modifications qui y ont été apportées par la commission des lois, elle ne correspond plus à l’esprit qui animait nos collègues lorsqu’ils l’ont élaborée.

En effet, le principe d’une autorisation législative préalable à la création de fichiers a été abandonné au profit d’un élargissement du pouvoir réglementaire. La commission des lois a réussi à purger la proposition de loi de l’une de ses dispositions les plus importantes, ce que nous déplorons.

En conséquence, nous ne pouvons pas soutenir ce texte, qui porte désormais l’empreinte indélébile de la volonté du Gouvernement de conserver un pouvoir exorbitant en matière de création et de gestion de fichiers.

Si la commission des lois a décidé, à notre grand regret, d’abdiquer devant le Gouvernement, nous continuerons d’exiger que les fichiers ne puissent être autorisés que par le Parlement. C’est pour nous un point fondamental, car toute personne a droit à la protection de ses données personnelles comme à l’oubli de celles qui sont enregistrées dans des fichiers, quels qu’ils soient.

Ces exigences doivent être renforcées par la mise en œuvre d’un contrôle régulier par le Parlement, lequel ne saurait se contenter de donner, à travers le texte tel qu’il nous est maintenant soumis, un blanc-seing au Gouvernement.

Pour ces raisons, nous défendrons un certain nombre d’amendements visant à restaurer le pouvoir du Parlement en matière de création de fichiers. Nous espérons être soutenus sur ce point au moins par les auteurs de la proposition de loi initiale, qui souhaitaient promouvoir un tel pouvoir.

À défaut de l’adoption de ces amendements, nous ne voterons pas le texte. Tout dépend désormais de vous, mes chers collègues ! Nous refusons catégoriquement que la création de fichiers se fasse par décret. Nous refusons de renoncer au pouvoir parlementaire, car il y va de la protection de nos libertés. Pour nous, la loi est une garantie démocratique.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Thiollière

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors qu’Internet est un monde du présent éternel, permettez-moi de revenir en arrière de quelques siècles.

Je ne résiste pas au plaisir de vous lire une courte phrase d’un auteur grec du iie siècle. Voici ce qu’il écrivait au début de son Histoire véritable : « Je vais dire des choses que je n’ai jamais vues ni ouïes, et qui, plus encore, ne sont point et ne peuvent être. Qu’on se garde donc bien de les croire ! »

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

Excellent !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Thiollière

Je ne dis pas que cet auteur a inventé Internet, mais je lui adresse, à travers les siècles, une sorte de clin d’œil, car il nous a alertés sur le fait que les mondes de la fiction et de la réalité pouvaient être confondus.

Car c’est un peu comme cela qu’Internet se présente aujourd'hui : un univers qui brouille les pistes, un univers dans lequel fiction et réalité se confondent, dans lequel une vérité peut être un mensonge et réciproquement, dans lequel les frontières entre vie publique et vie privée sont parfois très poreuses.

Notre débat d’aujourd'hui est salutaire, car il touche au cœur d’un principe démocratique et républicain : la distinction claire entre ce qui doit relever de la sphère privée et ce qui doit relever de la sphère publique.

En tant qu’homme, en tant que citoyen, j’ai le droit de préserver ma vie privée, mais j’ai également celui de franchir la frontière pour exposer au public un certain nombre considérations. J’ai le droit d’énoncer des jugements, tout comme j’ai celui de le retenir et aussi celui d’effacer ce que j’ai pu dire ou faire auparavant. C’est cela le respect de la vie privée dans le monde public.

Aujourd'hui, Internet est partout dans la sphère publique. C’est un monde, un univers en soi. Mais, nous le voyons bien, deux écueils se présentent à nous. Internet fragilise la frontière entre vie publique et vie privée en la rendant perméable et, par là même, il peut pénétrer peu à peu dans notre sphère privée sans notre assentiment.

Selon les idéologues, voire les libertaires d’Internet, la Toile serait un espace de liberté totale. Il faut tout de même être méfiant : Internet est aussi un outil de surveillance et il peut déployer une emprise sur notre vie privée. Même si c’est un outil fabuleux, nous ne devons pas céder à ses sirènes sans précautions.

Internet instaure un monde flou, dont les frontières ne sont pas toujours bien définies. C’est également un univers plat, sans hiérarchisation des valeurs, parce que tout se ressemble et que tout est placé au même niveau.

D’ailleurs, si vous allez sur Internet, vous voyez que la sphère publique et la sphère privée jouent en permanence l’une avec l’autre. Et quand on joue sur la Toile, on peut aussi se faire prendre par elle !

C'est pourquoi je voudrais saluer le rapport d’information de nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier, qui ont raison de s’interroger sur la protection de la vie privée dans l’univers numérique. C’est également une des raisons pour lesquelles la proposition de loi dont notre collègue Christian Cointat est le rapporteur est bienvenue, comme l’est le rapport pour avis déposé par notre collègue Catherine Morin-Desailly au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

En effet, l’internaute a droit à l’information, à la communication et à l’expression. Mais il est également un citoyen, et il a droit à une vie privée et à la protection de celle-ci.

Qui contrôle ce qui se dit ou s’écrit sur Internet ? Est-ce une autorité morale ? Sait-on qui parle ? Aujourd'hui, c’est l’anonymat le plus total ! Si vous allez sur des sites collaboratifs, vous ne savez pas qui régule et qui modère les propos des uns et des autres. Il n’y a donc ni repères ni sources.

Nous devons être méfiants vis-à-vis de cette culture-là, qui ne permet pas de vérifier les sources et qui livre à la curiosité des références pas toujours vérifiables. D’une certaine manière, Internet utilisé sans précautions, c’est une culture qui est amputée.

Lorsqu’on évoque la liberté de chacun, lorsqu’on évoque la vie privée et la culture, on évoque la mémoire. Nos collègues ont donc raison d’insister sur ce point.

Qui dit « mémoire » dit « droit à l’oubli ». En effet, tout ce qui s’écrit sur Internet, tout ce qui s’affiche en mots, en images ou en sons doit pouvoir être oublié. L’oubli peut être voulu soit par les auteurs eux-mêmes, soit par des personnes ne souhaitant pas voir leur vie exposée, d’autant que certains éléments peuvent avoir été falsifiés. Or Internet n’oublie rien ! Je dirai même qu’Internet fait de sa mémoire, de notre mémoire, son miel quotidien.

De telles traces indélébiles, qui peuvent nous poursuivre à des fins inavouées, mercantiles, sont comme une mémoire manipulée, un « abus de mémoire », pour reprendre la formule du philosophe Paul Ricœur.

Qui manipule la mémoire penche vers l’idéologie totalitaire et s’éloigne des principes démocratiques, lesquels placent le respect de la personne au-dessus de tout.

Si nous voulons construire une République numérique respectueuse de l’homme, les principes républicains qui valent dans le monde réel doivent également s’appliquer dans le monde numérique.

Comme cela a été souligné – Mme Catherine Morin-Desailly le rappelait tout à l’heure –, nous avons à de nombreuses reprises, par exemple lors de l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, c'est-à-dire ce qui est devenu la HADOPI, fait valoir que le droit d’auteur du monde réel devait également s’appliquer dans le monde numérique.

Or, pour trouver un équilibre entre sphère publique et sphère privée dans le monde numérique et pour construire une société numérique du respect, c’est la régulation et seulement elle qui nous permettra de placer le curseur au bon endroit, entre les avantages d’Internet et le respect du droit à la vie privée.

La proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui vise à instituer des mesures très utiles. Comme elles ont déjà été évoquées, je me bornerai à en rappeler quelques-unes.

Je mentionnerai bien sûr la formation des enseignants et des jeunes, tout en sachant que les enseignants les plus jeunes sont également nés avec Internet. La formation de l’esprit critique, essentiellement dispensée dans l’éducation littéraire, et l’apprentissage de l’utilisation des technologies de l’information doivent être au cœur de notre enseignement afin que les jeunes et les enseignants eux-mêmes soient bien au fait des chances qu’offre Internet, mais également des risques qu’il induit.

Comme l’a rappelé notre collègue Catherine Morin-Desailly, la commission de la culture souhaite impliquer l’éducation nationale par le biais de l’éducation civique et du brevet informatique et Internet pour sensibiliser les plus jeunes, comme le prévoit l’article 1er de la proposition de loi.

Dans le même temps, il est indispensable de renforcer la CNIL, en permettant notamment à cette autorité indépendante d’effectuer des visites inopinées, après avis du juge des libertés et de la détention, ainsi que cela figure dans le texte.

Il est également important de renforcer le rôle des correspondants « informatique et libertés », de clarifier le droit à l’oubli et de consolider le droit de retrait.

Bref, vous l’aurez compris, au nom du groupe UMP, je souscris à de telles avancées judicieuses, précieuses et utiles.

Au-delà du débat salutaire que la proposition de loi nous permet d’avoir aujourd'hui, je voudrais conclure sur une ouverture et un appel. D’abord, une ouverture à revisiter la République à l’ère numérique : nous l’avons fait avec le droit d’auteur ; il faut le faire avec le droit à la vie privée. Ensuite, un appel à la vigilance de nos démocraties, qui doivent s’organiser et réguler le monde d’Internet pour préserver nos valeurs les plus fondamentales.

Aujourd'hui, il y a deux attitudes face à Internet. Pour certains, la Toile serait l’alpha et l’oméga de la civilisation de demain. Toutefois, il est clair que la liberté qu’elle offre, et qui paraît au premier abord fantastique, peut être surveillée et pervertie. C’est pourquoi nous devons concentrer notre attention sur un point : Internet est un bel outil, mais il doit être au service des hommes, en leur garantissant des droits et des devoirs et en respectant les règles de la vie en société.

L’auteur grec que j’ai évoqué en introduction a inspiré à Goethe l’Apprenti Sorcier, poème dans lequel le personnage éponyme dit au sorcier : « Oh, maître, quel malheur ! Les esprits que j’ai réveillés ne veulent plus m’écouter. » Cette vieille histoire, qui date de la Grèce antique et qui a été rappelée par Goethe, illustre ce qui est aujourd'hui au cœur de nos responsabilités.

Si nous voulons que l’homme soit respectable dans l’univers numérique, il faudra, pour assurer son destin, qu’il reste également maître d’Internet, et donc qu’il puisse le réguler !

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier et M. Jean Milhau applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Antoine Lefèvre

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise relaie un large débat au sein de notre société. Pour ma part, j’évoquerai essentiellement Internet.

Comme cela a été souligné, la Toile présente de formidables potentialités de développement, de connaissance et d’enrichissement de l’individu et de la collectivité.

Mais Internet est-il par ailleurs une menace pour nos libertés ? Son succès en amplifie effectivement les dangers. D’autoroute de l’information qu’il fut à ses débuts, il est devenu réseau ouvert dans chaque sphère de la société, complexe et difficilement maîtrisable.

En effet, notre droit à la vie privée est fortement mis à mal du fait du développement de nouvelles « mémoires numériques », qui permettent – hélas ! – de suivre un individu aussi bien dans l’espace que dans le temps.

Les personnes se trouvent « tracées » à la fois physiquement, par le biais de la vidéosurveillance, de la biométrie, du GSM des téléphones portables, mais aussi mentalement, par le biais d’Internet, des réseaux dits « sociaux ».

En fait, sur ces réseaux, le pire côtoie le meilleur… Le plus célèbre d’entre eux, qui a été fondé en 2003 par trois copains étudiants de l’université Harvard âgés de dix-neuf ans à peine, a commencé comme par une success story typique de l’American dream. Six ans plus tard, ce site est le quatrième plus visité au monde. À l’heure actuelle, il compte plus de 400 millions d’utilisateurs ! Cela représente 340 millions de visites mensuelles et 45 millions de groupes recensés. Vous connaissez l’adage : « les amis de mes amis sont mes amis ». Avec Internet, cela vaut quasiment à l’infini ! Certains tiennent d’ailleurs ce réseau pour le « bistrot du Web ».

Pour autant, sous couvert du lien social, devons-nous être tous fichés ? En effet, qui lit réellement les conditions d’utilisation d’un programme ou d’un site avant de s’en servir ? Car Internet est sans nul doute un outil très intéressant lorsqu’il est utilisé à bon escient, mais peu de gens en connaissent réellement la nature et, surtout, les dangers.

Il faut le savoir, tout ce qui figure sur un réseau social appartient à ce réseau, même le contenu que vous y mettez personnellement. En y créant votre profil, vous lui permettez de donner le droit à n’importe qui de faire n’importe quoi avec vos photos, vos vidéos, vos textes et tout autre contenu pouvant se trouver sur votre compte.

La licence expire lors de la fermeture définitive de votre compte, mais des fichiers peuvent être conservés dans les copies de sauvegarde.

De plus, puisque la licence est sous-licenciable, des tiers peuvent avoir obtenu le droit de diffuser vos photos avant même la fermeture de votre compte.

Enfin, il est strictement impossible, même lors de la fermeture définitive de votre compte, d’effacer les messages que vous avez envoyés à travers le réseau. Ces derniers resteront dans les bases de données et seront visibles par les autres utilisateurs.

Les ressources humaines se frottent ainsi les mains, surveillant les salariés connectés ou obtenant sans effort un CV d’un nouveau genre pour un candidat à l’embauche : âge, sexe, emploi, religion, occupations. Ces sites sont bien devenus l’eldorado des fichiers clients.

La Toile a ainsi ouvert les portes de nouvelles formes de renommée, positive et parfois négative, des personnes ou des entreprises.

Les opinions exposées sur la Toile sont partagées sans aucune limite, et la multiplication des échanges peut être synonyme d’atteinte à notre image personnelle et professionnelle, qui devient de plus en plus difficile à contrôler.

Fort heureusement, les internautes prennent peu à peu conscience de la nécessité de protéger leurs données personnelles et de surveiller ce qu’on appelle leur « cyber-réputation ».

Or il n’est pas facile de faire valoir son droit à la confidentialité dans un espace virtuel où le mot « frontière » n’a que peu de sens, où la loi se contourne facilement et où les recours juridiques sont limités.

Cela commence par l’éducation de notre jeunesse en la sensibilisant à ces dérives, comme cela est prévu dans l’article 1er de la proposition de loi.

Le plan France numérique 2012 prévoyait plusieurs actions des pouvoirs publics français en faveur de l’élaboration d’instruments juridiques européens et internationaux, promouvant la protection des données personnelles, notamment en définissant une durée de conservation maximale des données personnelles détenues par les moteurs de recherche.

L’Union européenne avait souligné l’urgence des actions à mener sur ces points. Le présent texte en est la première pierre. Face aux différents enjeux que nous avons évoqués les uns et les autres, cette proposition de loi mérite tout notre intérêt et tout notre soutien.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste. – Mme Anne-Marie Escoffier et M. Jean Milhau applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

Je souhaite apporter quelques éléments de réponse aux observations très intéressantes que j’ai entendues au cours de la discussion générale. Bien entendu, je ne répondrai pas à tout, mais nous pourrons aborder plus spécifiquement certains points précis lors de la discussion des articles.

Monsieur Charles Gautier, vous avez souligné que la multiplication des textes brouillait la lisibilité du droit en la matière. Je vous l’accorde. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement à l’article 4 visant à rétablir la rédaction qui avait été retenue par l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, déposée par M. Jean-Luc Warsmann.

De même, aux articles 6 et 7, le Gouvernement propose de ne pas anticiper sur la transposition du « paquet Télécom », afin de ne pas avoir à modifier plusieurs fois les mêmes textes.

Vous avez raison de noter que le sujet le plus délicat de la proposition de loi figure à l’article 4. La question de l’encadrement législatif de la création des fichiers de police a déjà fait l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi que je viens d’évoquer. Le Gouvernement restera cohérent avec la position qui était alors la sienne.

Vous avez également évoqué la vidéosurveillance. Un débat sur son encadrement juridique aura lieu au Sénat le 30 mars, et le Gouvernement sera alors représenté par M. le ministre de l'intérieur.

Je veux assurer M. Mézard que nous partageons tous le souci de veiller à l’adaptation de la législation garantissant la protection de la vie privée : c’est également l’objectif du Gouvernement. Précisément, nos débats concernent, et concerneront encore, les moyens d’y parvenir. D’ailleurs, nous approuvons les dispositions figurant dans la proposition de loi qui visent à renforcer le pouvoir de sanction de la CNIL.

Le Gouvernement ne cherche nullement à réduire le rôle de la CNIL ; j’en ai, encore récemment, longuement discuté avec son président. J’apprécie beaucoup le travail de la CNIL. J’ai suivi ses travaux dès mon entrée au Parlement – il y a trente ans ! – et j’ai un infini respect pour les députés et les sénateurs qui y siègent.

En vérité, nous souhaitons améliorer le pouvoir de contrôle sur place de la CNIL. Simplement, nous avons un souci d’équilibre ; je reviendrai sur ce point ultérieurement.

Par ailleurs, le droit à l’oubli, autre sujet abordé par M. Mézard, est sans doute une nécessité, mais il n’est pas possible qu’il ne connaisse aucune limite et qu’il impose une gestion automatique ou mécanique des fichiers de police judiciaire, fichiers dont la raison d’être, il faut tout de même le rappeler, est d’assurer la sécurité de nos concitoyens.

Madame Borvo Cohen-Seat, je partage votre opinion au sujet de l’information éducative à délivrer aux élèves sur les risques liés à l’utilisation d’Internet.

En revanche, il est tout à fait inutile de confier à la CNIL un pouvoir d’intervention dans toutes les procédures judiciaires intéressant le droit de l’informatique et des libertés. Cette autorité parvient à accomplir ses missions aujourd'hui avec les moyens et les pouvoirs qui sont les siens. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de mélanger les genres.

Monsieur Amoudry, vous avez exposé les différents enjeux en matière de navigation sur Internet et de cookies. Le Gouvernement partage votre point de vue. Il souhaite simplement qu’une réflexion globale sur la transposition de la directive de novembre 2009 puisse être menée jusqu’à son terme.

En ce qui concerne les fichiers de police, je tiens à vous rassurer : la CNIL continuera, bien sûr, d’opérer son contrôle de proportionnalité en vertu de l’article 6 de la loi de 1978, comme pour tous les fichiers qu’elle contrôle.

Je partage vos préoccupations au sujet du correspondant « informatique et liberté ». Une évaluation préalable de l’impact des mesures envisagées serait particulièrement utile.

Quant à l’expérimentation des fichiers, je tiens à souligner, comme vous, l’intérêt du texte, qui prévoit d’associer la CNIL très en amont, là où son intervention est le plus utile.

Madame Troendle, vous avez à juste titre souligné que le renforcement de la loi de 1978 nous conduisait à aborder des sujets techniques extrêmement difficiles. C'est la raison pour laquelle je regrette, tout en assumant ma responsabilité en tant que membre du Gouvernement, les aléas du calendrier qui n’ont pas permis que soit mené, avant cette discussion, un travail encore plus approfondi entre les commissions du Sénat et le Gouvernement. Les points de divergence qui existent entre nous le prouvent : un dialogue préliminaire plus ample aurait permis de renforcer l’expertise, au demeurant déjà remarquable, des rapporteurs et des auteurs de la proposition de loi. Nous aurions ainsi pu aboutir à des dispositifs plus équilibrés et plus efficaces.

Vous avez également évoqué, madame Troendle, la difficulté d’appliquer la loi française à des opérateurs situés à l’étranger. C’est une préoccupation que partage le Gouvernement et qu’il relaie à Bruxelles dans la perspective de la révision de la directive de 1995.

En effet, les textes prévoient la compétence des juridictions françaises, même à l’égard d’opérateurs étrangers. Cependant, dans l’hypothèse où la loi française est appliquée, se pose le problème de l’exécution des décisions rendues, et donc de leur effectivité. C’est une question que nous devons traiter à l’échelon international ; nous y travaillons.

Madame Boumediene-Thiery, je vous rappelle que la loi ne peut modifier la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire telle qu’elle est fixée aux articles 34 et 37 de la Constitution.

Au-delà de cet argument constitutionnel, j’ajouterai que, en pratique, si l’on vous suivait, le Parlement serait submergé de textes très techniques qui ne nécessitent aucunement l’intervention de la représentation nationale.

Monsieur Thiollière, permettez-moi d’abord de saluer vos références à l’Antiquité et à Goethe, qui nous incitent à une utile réflexion philosophique !

Vous avez souligné à juste titre qu’Internet favorisait l’imbrication entre la sphère publique et la sphère privée, avec des frontières assez floues et mouvantes : nous constatons tous ce phénomène au quotidien, dans notre entourage comme dans notre vie professionnelle.

C'est la raison pour laquelle nous avons besoin – c’est un peu mon leitmotiv, aujourd'hui ! – de solutions souples et adaptables aux évolutions du monde numérique. Les amendements que je présenterai tout à l’heure au nom du Gouvernement viseront à préserver ces équilibres.

Monsieur Lefèvre, vous avez mis l’accent sur de nombreuses formes de risques et de dangers dans l’utilisation d’Internet. Il nous revient, en effet, d’agir pour parer à ces dangers et veiller à l’adaptation de notre législation en matière de protection de la vie privée. C’est un objectif qui nous est commun et que, j’en suis sûr, la discussion des articles va nous permettre d’atteindre.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Nous passons à la discussion des articles.

TITRE IER

DISPOSITIONS PORTANT MODIFICATION DU CODE DE L’EDUCATION

L’article L. 312-15 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique, les élèves sont formés afin de développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible et d’acquérir un comportement responsable dans l’utilisation des outils interactifs, lors de leur usage des services de communication au public en ligne. Ils sont informés des moyens de maîtriser leur image publique, des dangers de l’exposition de soi et d’autrui, des droits d’opposition, de suppression, d’accès et de rectification prévus par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, ainsi que des missions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

L’article 1er de cette proposition de loi vise à confier à l’éducation nationale une mission de prévention et de sensibilisation des jeunes sur l’utilisation des services de communication au public en ligne et sur les conséquences que cela peut avoir sur la vie privée des individus.

Une telle initiative me semble indispensable à l’heure de l’informatisation croissante de notre société et de l’omniprésence des nouvelles technologies dans notre vie, plus précisément dans celle des jeunes.

Il est nécessaire, au vu des nombreuses dérives auxquelles nous assistons depuis plus d’une dizaine d’années, que soit mise en place pour nos enfants une « éducation numérique » plus complète, afin d’éviter les risques que comporte ce nouvel espace public.

Internet est un formidable outil de communication et d’information, qui offre aujourd’hui de très nombreuses opportunités à beaucoup de Français. Il est devenu un instrument indispensable, notamment dans la vie professionnelle, mais aussi, pour certains, dans la vie sociale et culturelle.

Un tel succès suscite, évidemment, beaucoup de convoitises et il est source de nombreux dangers, qu’il faut prévenir.

L’école a, bien entendu, un rôle central à jouer en ce qui concerne l’éducation et l’acquisition des connaissances et des réflexes dans ce domaine.

La loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet a déjà mis en place certaines mesures. Pour autant, il apparaît nécessaire de poursuivre l’effort engagé.

Avec le développement massif d’espaces numériques dits « sociaux », qui consistent à mettre en réseau de nombreux éléments de la vie privée, tels Facebook ou les blogs personnels, il convient de compléter le dispositif actuel en prévoyant la diffusion d’une information sur les risques liés aux usages d’Internet, notamment en ce qui concerne la protection des données personnelles et, plus généralement, le respect de la vie privée.

Les principaux utilisateurs de ces réseaux sont majoritairement les nouvelles générations. Nos enfants développent de plus en plus jeunes une véritable addiction à ces pratiques, sans bien mesurer les conséquences probables d’une utilisation à outrance de leurs données par certains sites.

Ces nouveaux espaces d’échange et de vie peuvent donc être dangereux, notamment pour les plus fragiles de nos concitoyens : les virus, les escroqueries, le téléchargement illégal, le piratage de comptes bancaires ou de boîtes de courrier électronique connaissent un essor redoutable.

Plus inquiétant encore : la pornographie s’installe de façon croissante sur la Toile. Comme l’ont souligné les auteurs de cette proposition de loi, Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne, dont je salue le travail, la pratique des « sextos », c’est-à-dire la transmission de photos entre mineurs dénudés par messagerie instantanée ou téléphone portable, bien souvent sans le consentement des intéressés, est une terrible illustration de certains comportements à risque.

Il faut rappeler qu’aujourd’hui 35 millions de Français ont un abonnement Internet. On dénombrait également en 2009 près de 59 millions d’utilisateurs de téléphones portables en France. C’est un phénomène d’une ampleur considérable et il convient d’apporter un maximum de protection aux utilisateurs.

Il est nécessaire de mettre en place des mesures claires de sensibilisation et de prévention à l’égard des jeunes qui sont, à l’évidence, les populations les plus fragiles.

Je tiens, cependant, à souligner un point qui me tient à cœur. J’ai remarqué, dans les textes récemment examinés au Parlement, que le nombre de missions confiées aux enseignants allait croissant. Or, comme beaucoup d’entre nous, je constate parallèlement que les moyens octroyés à ces mêmes professionnels sont en forte baisse. De plus, le nombre de fonctionnaires de l’éducation nationale, déjà insuffisant, va poursuivre sa chute vertigineuse puisque, selon les documents de Bercy, en 2010, 35 000 postes ne seront pas renouvelés.

Les moyens alloués à l’éducation nationale sont en baisse constante depuis quelques années et ne sont plus du tout en adéquation avec les besoins réels. En conséquence, je m’interroge sur les moyens de mise en œuvre des dispositions figurant dans cet article, sans pour autant en remettre en cause le bien-fondé.

En effet, comment ces campagnes de formation, d’information et de sensibilisation à l’outil Internet auprès des jeunes pourront-elles demain être dispensées? Quels moyens réels seront donnés à ces initiatives ? Combien de temps les enseignants devront-ils ou pourront-ils consacrer à cette tâche et, surtout, comment pourront-ils affronter ces difficultés en plus de celles qu’ils rencontrent déjà au quotidien, dans des classes bien souvent surchargées ?

Je voterai cet article, car il pose la problématique de la nécessité de former les jeunes à la question du numérique et il vise à proposer des avancées en ce domaine, mais je ne peux m’empêcher de me demander comment ces mesures seront appliquées concrètement si le Gouvernement poursuit sa politique restrictive envers l’éducation nationale.

L'article 1 er est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

des présents.

Mes chers collègues, je vais suspendre la séance dans quelques instants, mais je me permets d’ores et déjà de faire appel à votre esprit de concision pour la suite de l’examen de ce texte. Faute que vous en fassiez preuve, nous serions obligés d’engager à une heure extrêmement tardive le débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 mars 2010.

Nous allons donc maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.