Intervention de Josselin de Rohan

Réunion du 23 mars 2010 à 14h30
Débat sur le désarmement la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la france

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité de non-prolifération nucléaire est une pièce essentielle de la sécurité collective.

En dépit d’interrogations périodiques sur les fragilités qui peuvent l’affecter, il recueille l’adhésion de la quasi-totalité des États et doit être préservé.

Chaque conférence d’examen, qui a lieu tous les cinq ans, représente donc une échéance importante pour cet instrument. La précédente conférence, qui s’est tenue en 2005, n’avait pas permis de progresser dans la consolidation du traité. Depuis lors, les facteurs d’inquiétude se sont multipliés.

La Corée du Nord, qui avait annoncé son retrait du TNP en 2003, a procédé à deux essais nucléaires. L’Iran, en contravention avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, poursuit des activités dont la finalité est pour le moins ambiguë, accentuant la crainte d’une prolifération nucléaire au Moyen-Orient. Dans les enceintes internationales, comme la conférence du désarmement, aucune avancée tangible n’a été enregistrée.

Les attentes à l’égard de la conférence d’examen qui se tiendra en mai prochain n’en sont que plus fortes.

L’arrivée d’une nouvelle administration américaine, qui a annoncé des objectifs ambitieux, à la fois dans le domaine du désarmement nucléaire et dans celui de la lutte contre la prolifération, a créé un nouveau climat.

Cependant, nous constatons bien que l’optimisme consécutif au discours de Prague du président Obama mérite d’être sérieusement tempéré à la lumière des réalités politiques : l’âpreté des négociations américano-russes, qui ne permettront en tout état de cause qu’une réduction modeste des arsenaux ; les réticences du Sénat américain sur la ratification du traité d’interdiction des essais nucléaires ; celles de la Chine à l’égard de toute mesure susceptible de plafonner ses capacités nucléaires ; l’attitude de blocage du Pakistan à la conférence du désarmement ; les divisions de la communauté internationale sur le contrôle et les sanctions en matière de prolifération.

Pour la France, les enjeux de la conférence d’examen sont indéniables. La maîtrise des armements et la non-prolifération sont un déterminant essentiel de notre sécurité. Mais, par son statut et ses responsabilités internationales, la France est également appelée à jouer un rôle de premier plan dans ce débat.

C’est pourquoi il a paru indispensable à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de mener un travail de fond sur l’ensemble de ces questions et d’éclairer la vision du Sénat sur les positions que notre pays sera amené à défendre.

Je tiens à remercier Jean-Pierre Chevènement d’avoir mené à bien cette mission au cours des derniers mois. Le rapport d’information qu’il a élaboré livre une analyse extrêmement approfondie, objective et réaliste de l’ensemble des paramètres influant sur le cours du désarmement et de la non-prolifération nucléaires.

Je dois souligner que les conclusions et recommandations de ce rapport ont été adoptées à la quasi-unanimité par la commission, majorité et opposition confondues.

Je me réjouis que le Gouvernement ait accepté d’en débattre aujourd’hui devant le Sénat, en prélude aux positions qui seront arrêtées en vue de la conférence d’examen du TNP.

Je souhaiterais à mon tour appuyer les conclusions de notre rapporteur en insistant sur trois points principaux.

Premièrement, il faut à mon sens éviter d’entrer dans un débat théorique ou idéologique sur la légitimité ou non des armes nucléaires et sur l’objectif de leur élimination. Un tel débat conduirait à une impasse, car nous savons bien qu’avant longtemps les conditions d’une telle élimination ne pourront être réunies.

Le rapport de Jean-Pierre Chevènement montre, en effet, que l’on ne peut isoler l’arme nucléaire des autres éléments qui concourent aux équilibres stratégiques. Que serait un désarmement nucléaire qui s’accompagnerait d’une accentuation des risques de conflits conventionnels, d’une exposition accrue aux armes chimiques ou biologiques ou d’une course à la supériorité militaire par d’autres moyens plus sophistiqués, tels que les armes spatiales, la défense antimissile ou l’arme cybernétique ? De même, comment envisager des progrès décisifs en matière de désarmement nucléaire sans résoudre un certain nombre de problèmes politiques ? Je pense aux relations entre l’Inde et le Pakistan ou au conflit du Proche-Orient.

Le désarmement nucléaire ne peut constituer un objectif en soi. Il doit s’intégrer dans une vision plus globale, celle du maintien de la paix et de la sécurité, et aller de pair avec un ensemble de mesures garantissant une stabilité internationale et régionale renforcée. C’est cette approche progressive et équilibrée que préconise, à juste titre, M. le rapporteur et à laquelle la France doit apporter son appui.

Ma deuxième observation porte sur les profondes évolutions du paysage stratégique au cours des vingt dernières années.

Pour les anciens acteurs de la guerre froide – États-Unis, Russie, France, Royaume-Uni – l’arme nucléaire ne joue plus un rôle aussi central que par le passé. Les arsenaux ont suivi une courbe descendante. La production de matières fissiles pour les armes nucléaires a cessé.

Tout autre est la situation en Asie et, dans une certaine mesure, au Moyen-Orient. Les arsenaux y suivent une courbe ascendante. L’adhésion aux instruments internationaux y est très incomplète et les risques de prolifération sont beaucoup plus élevés. Les facteurs de tensions politiques demeurent nombreux et aucune forme d’organisation de la sécurité régionale ne permet de les traiter.

Cette situation montre qu’il n’est pas pertinent d’établir une relation mécanique entre le désarmement des uns, en l’occurrence les puissances occidentales, et la renonciation des autres à développer ou à acquérir des capacités nucléaires.

La prolifération nucléaire obéit à des motivations de natures très diverses, essentiellement liées aux situations régionales, et non au rythme supposé insuffisant du désarmement des puissances nucléaires « historiques ».

Par ailleurs, tant que les tendances à l’œuvre en Asie et au Moyen-Orient ne seront pas contenues et inversées, le fait nucléaire militaire demeurera une réalité incontournable pour nos États et la dissuasion restera un élément essentiel de notre sécurité.

C’est pourquoi on ne peut qu’être perplexe devant le développement, chez certains de nos voisins européens, d’une thématique favorable à des mesures de désarmement unilatéral, telles que le retrait des armes nucléaires américaines, ou à un effacement du rôle de la dissuasion nucléaire dans le concept stratégique de l’OTAN. Une fois encore, les pacifistes sont à l’Ouest et les proliférateurs partout ailleurs ! Pour sa sécurité, l’Europe ne peut ignorer que des armes nucléaires subsistent, voire menacent d’apparaître, dans son environnement proche. Comme le souligne Jean-Pierre Chevènement dans ses conclusions, le maintien d’un principe de dissuasion nucléaire en Europe paraît aujourd’hui une condition essentielle de sa sécurité et mérite d’être mieux compris de nos partenaires.

Ma troisième et dernière observation porte plus spécifiquement sur la position de la France.

Notre rapporteur démontre la validité de la posture nucléaire de la France. Il rappelle que les forces nucléaires françaises sont dimensionnées selon le principe de stricte suffisance, qui a conduit à des réductions unilatérales successives, et il estime qu’elles ne peuvent être prises en compte, à ce stade, dans aucun processus multilatéral de désarmement nucléaire : ce point recueille un large assentiment au sein de notre commission. Le rôle de la dissuasion nucléaire dans notre stratégie de défense a du reste été réaffirmé dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et la loi de programmation militaire.

Contrairement à ce qui a parfois été affirmé après le discours du président Obama à Prague, évoquant un « monde sans armes nucléaires », notre position n’est guère différente de celle des États-Unis sur ce plan. Ceux-ci entendent conserver « un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire » tant que les armes nucléaires existeront, selon les termes mêmes employés par le Président américain. Mieux, le Président a considérablement augmenté les budgets des laboratoires susceptibles de développer de nouvelles technologies nucléaires.

Pour autant, la préservation de notre capacité de dissuasion ne nous dispense en rien d’œuvrer en faveur du désarmement nucléaire : nous l’avons fait en accomplissant un certain nombre de gestes concrets. Je pense, bien entendu, à la diminution de moitié en vingt ans du volume de notre arsenal, mais plus significatives encore sont, à mon sens, nos décisions relatives aux essais nucléaires et à la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. En effet, dans un cas comme dans l’autre, elles présentent un caractère irréversible, puisque nous avons totalement démantelé nos installations : il s’agit d’une contribution majeure et sans équivalent parmi les autres puissances nucléaires.

Il ne suffit pas de le souligner, il faut surtout inciter les autres États nucléaires à faire de même, et on peut s’étonner que, dans les enceintes internationales, l’exemplarité des mesures prises par la France dans ces deux domaines ne soit pas plus souvent invoquée à l’appui des efforts que les autres États demandent aux puissances nucléaires. Rappelons que, sur les treize mesures de désarmement prônées par la conférence d’examen du TNP en 2000, la France en a mis en œuvre dix. C’est pourquoi j’approuve totalement notre rapporteur lorsqu’il indique que notre pays n’a aucune raison d’aborder la prochaine conférence d’examen en position défensive.

Oui, des progrès tangibles sont possibles en matière de désarmement !

Nous attendons des États-Unis et de huit autres pays qu’ils ratifient le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, comme nous l’avons fait avec les Britanniques, il y a douze ans déjà.

Nous attendons de la Russie qu’elle fasse preuve de transparence sur son arsenal d’armes tactiques et qu’elle l’englobe dans un processus de réduction ambitieux avec les États-Unis, portant sur toutes les catégories d’armes nucléaires.

Nous attendons de la Chine, de l’Inde et du Pakistan des engagements clairs sur la cessation de la production de matières fissiles et la négociation d’un traité d’interdiction.

Nous attendons de tous les pays l’adhésion sans réserve aux contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, sur leurs activités nucléaires et un soutien ferme face à ceux qui ne respectent pas leurs obligations, afin de garantir un désarmement nucléaire fondé sur les actes et non sur les paroles.

Monsieur le ministre, depuis plusieurs mois, la France s’emploie très activement, en liaison avec ses partenaires, à élaborer des propositions réalistes et précises, afin de faire de la conférence d’examen du TNP, en mai prochain, une étape utile sur la voie du désarmement et de la non-prolifération nucléaire. Le rapport d’information de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’inscrit dans cette démarche.

Je suis convaincu que le bilan de la France en la matière et son engagement au service de la paix et de la sécurité internationale la placent en position particulièrement favorable pour jouer un rôle actif dans ce débat. Seul un désarmement global, contrôlé et progressif peut assurer la paix. Tenir compte des réalités ne revient pas à tourner le dos à une grande cause, mais permet au contraire de la rendre réalisable, c’est tout le sens de notre rapport.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion