Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord me réjouir que les vaguelettes du récent remaniement ministériel – qualifié de lilliputien par Alain Duhamel dans les colonnes du journal Libération, aujourd'hui – n’aient pas encore atteint la rive gauche de la Seine (Sourires.), ce qui aurait à coup sûr compromis ce débat que nous attendons depuis si longtemps. Je remercie le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées d’avoir permis qu’il puisse aujourd'hui se tenir, car notre commission est pleinement dans son rôle en abordant en séance publique le thème, important et complexe, du désarmement.
Le rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement constitue un excellent socle sur lequel nous pouvons travailler et qui nous permettra d’apporter publiquement et utilement nos réflexions et nos propositions.
J’espère aussi que le Gouvernement aura la sagesse d’écouter et surtout d’entendre la voix du Sénat.
Il serait sage en effet que, dans la perspective de la prochaine conférence quinquennale d’examen du traité de non-prolifération nucléaire, le TNP, le Gouvernement puisse expliquer devant la représentation nationale sa position et les propositions que ses délégués défendront.
Je considère que le désarmement sous toutes ses formes, en particulier le désarmement nucléaire, constitue un axe important, essentiel même, de la diplomatie française et de son rayonnement international.
Le très complet rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement a aussi la vertu de m’épargner d’avoir à faire de longs développements sur l’état des lieux de la question qui nous occupe aujourd’hui, ainsi que des analyses nécessaires mais chronophages sur le contexte international.
En conséquence, je peux, ici et maintenant, aller à l’essentiel et, dans le peu de temps imparti, me consacrer à évoquer quelques-uns des nombreux points primordiaux de ce dossier.
Mes collègues du groupe socialiste auront à cœur d’aborder d’autres points et de compléter ainsi notre analyse.
D’abord, une évidence : la perspective d’un monde sans armes nucléaires semble être intéressante, souhaitable, au point que, au siècle dernier, en 1968, les pays signataires du TNP s’étaient déjà engagés « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ».
De l’eau a coulé sous les ponts, des murs sont tombés, nous avons changé de siècle et nous restons toujours sur le même objectif : un désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ; cela peut être rassurant pour certains et très décourageant pour d’autres.
Or cette perspective d’un monde sans armes nucléaires semble toujours remise à plus tard.
II nous faut donc sortir des déclarations qui font plaisir pour s’atteler à une action concrète capable de faire bouger les lignes.
Il faut chercher à faire avancer le dossier du désarmement nucléaire sur trois plans imbriqués mais différents : d’abord, le TNP, dont les orateurs qui m’ont précédé ont abondamment parlé, ensuite, le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE, et, finalement, le traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour des armes nucléaires, le TIPMF. Nous écouterons avec attention les explications du ministre sur l’action de la France dans ces domaines.
Mais, sans tarder, je veux insister sur la proposition d’aller dans un premier temps vers « une zone de basse pression nucléaire », exposée dans le rapport Chevènement, qui me semble une bonne orientation.
Les arsenaux nucléaires des États-Unis et de la Russie sont concernés au premier chef. Leur importance quantitative et qualitative fait qu’ils doivent, eux, bouger les premiers. Mais nous ne devons pas avoir une attitude attentiste. II faut que le Gouvernement se saisisse de cette proposition et qu’il lui donne vie diplomatique.
La France doit chercher des alliés pour faire prospérer cette initiative, et ces alliés, il faut les trouver d’abord en Europe. La France ne doit pas se trouver isolée dans une telle négociation.
Cette négociation, déjà en cours, doit aussi être placée dans le contexte de la nouvelle architecture globale de sécurité en Europe.
Certes, sans le faux pas de notre réintégration pleine et entière dans les comités militaires de l’OTAN, notre pays aurait plus de marges pour convaincre Européens et Russes de la nécessité de créer un vaste espace de sécurité commune.
Ainsi, des thèmes tels que la dissuasion nucléaire et l’éventuelle défense anti-missiles devraient pouvoir être abordés au sein de l’Union européenne d’abord, avec nos voisins ensuite, dont la Russie, afin d’être en mesure de permettre aux Européens de s’approprier leur propre géopolitique et de gérer eux-mêmes les relations avec les voisins.
Or je crains que dorénavant nous ne devions attendre que l’Alliance redessine ses priorités, que l’OTAN définisse ses concepts, avant que nous puissions exprimer, d’une manière autonome, et faire partager, notre conception d’un nouvel équilibre de sécurité sur le continent européen.
Le désarmement nucléaire et conventionnel en fait partie. Nous serons, hélas ! je le crains, à la traîne.
Par ailleurs, il faut expliquer encore et encore que la ratification par les États-Unis du traité d’interdiction complète des essais nucléaires, signé en 1996, est une priorité qui peut aussi avoir valeur d’exemple pour le monde entier, et en tout premier lieu, pour les pays qui, aujourd’hui, résistent encore à cette ratification : la Chine, le Pakistan, l’Inde.
Voilà un bon sujet de discussion pour les prochaines rencontres entre Nicolas Sarkozy et Barack Obama.
La lutte contre la prolifération, contre la dissémination de l’arme nucléaire est un impératif, certes, mais cette lutte s’inscrit dans des contextes de crises régionales qu’il ne faut pas négliger. La prolifération nucléaire épouse étroitement la carte des conflits et des problématiques régionales non résolus. II est impossible de s’attaquer à ce fléau sans chercher la solution aux causes profondes des crises régionales graves. Dois-je les citer ?
Vous savez tous que, pour la sécurité de l’Europe, le Proche-Orient et le Moyen-Orient sont essentiels. Israël, Palestine, Iran : ce sont les acteurs d’une tragédie où se jouent non seulement l’avenir de leurs peuples respectifs mais aussi celui de notre sécurité en Europe et de la paix dans le monde.
Lors d’un récent débat qui s’est tenu ici même le 12 janvier, a déjà été abordé le problème général de la nucléarisation du Moyen-Orient. II y a urgence à trouver une solution politique.
L’affrontement direct ou par pays interposé – l’Afghanistan – entre l’Inde et le Pakistan fait trembler l’Asie et entraîne des courses à l’armement dans toute la région.
Ce n’est pas un hasard si trois États qui n’ont jamais adhéré au TNP – l’Inde, Israël et le Pakistan – se sont dotés de l’arme nucléaire, ce qui fragilise le régime international de non-prolifération et constitue un formidable exemple négatif susceptible de faire ici ou là des émules.
Sans solution politique crédible aux crises régionales, il n’y aura pas d’avancée en matière de désarmement. Nous devons continuer à proposer à nos concitoyens une information sincère sur toutes les questions nucléaires, civiles et militaires ; en effet, le système français de dissuasion militaire et les programmes nucléaires civils ne sont pas une donnée immarcescible.
Sans le soutien conscient de la population et sans une bonne connaissance de nos concitoyens sur ces sujets, le système actuel peut être fragilisé, voire mis en échec par des campagnes pleines de bonnes intentions mais qui ne seront pas exemptes d’arrière-pensées.
En effet, monsieur le ministre, force est de reconnaître que de graves menaces, qui doivent être mises en lumière, pèsent sur notre propre force de dissuasion. Il en est ainsi depuis bien longtemps dans notre pays, depuis l’origine, allais-je dire. Ne nous bouchons pas trop les yeux !
Le danger le plus immédiat pour la force de frappe nucléaire française, à ce jour, c’est d’abord votre politique budgétaire et l’état calamiteux des finances publiques du pays, notamment depuis l’arrivée de la droite au pouvoir, en 2002.
Les réductions budgétaires que votre propre politique vous conduit inéluctablement à imposer auront de graves conséquences sur notre défense. Les adversaires de toujours ou les plus réticents sont aux aguets.
Prenez garde, car je crains que ce ne soient pas les considérations d’ordre stratégique qui priment mais la simple urgence budgétaire dans laquelle vous vous précipitez, et la France du même coup !
Quant au Président Obama, s’il a affirmé fortement son ambition d’un monde sans armes nucléaires, on ne peut que constater qu’il rencontre, dans son propre pays, de fortes résistances à la ratification du traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE.
En matière de désarmement, le pragmatisme doit aussi primer sur la rhétorique !
La France se devrait d’être une force de proposition au cours de la prochaine conférence d’examen du TNP. Elle devrait œuvrer à l’adoption d’une position européenne commune, ambitieuse et équilibrée. Où en sont, à cet égard, les États membres de l’Union européenne ?
Pour terminer mon propos, monsieur le ministre, je voudrais vous poser trois questions précises.
Le nouveau concept stratégique de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord est actuellement en préparation. La position de la France au sein de l’Alliance a changé par la seule volonté du Président Sarkozy et il est fort probable que notre dissuasion nucléaire soit dorénavant mise dans le panier de la discussion de ce concept stratégique.
À ce sujet, quelle est la position défendue par la France au sein de l’OTAN ? Le Gouvernement soutiendra-t-il les initiatives qui germent déjà, ici ou là, sur une Europe sans armes nucléaires ? Peut-on envisager d’alléger, puis de faire disparaître la dissuasion nucléaire au profit d’une promesse de protection du territoire européen par un système de défense antimissile balistique ?
Monsieur le ministre, je ne peux évidemment pas vous obliger à suivre la feuille de route tracée par notre collègue Jean-Pierre Chevènement dans son rapport, qui, je le confirme, est fermement soutenu par la commission des affaires étrangères. Toutefois, je vous incite à lui offrir une attention soutenue... Elle pourrait s’avérer très utile face aux échéances à venir !