Intervention de Jean-Michel Baylet

Réunion du 23 mars 2010 à 14h30
Débat sur le désarmement la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la france

Photo de Jean-Michel BayletJean-Michel Baylet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mon cher ami Jean-Pierre Chevènement, mes chers collègues, dans son célèbre discours de Prague, le président Barack Obama avait affirmé engager sa politique étrangère sur le chemin de « la paix et la sécurité dans un monde sans armes nucléaires ».

À l’approche de l’ouverture de la prochaine conférence d’examen du TNP, on peut se demander si toutes les conditions seront réunies pour exaucer un vœu que l’humanité entière doit souhaiter.

Au regard des crises récentes de prolifération nucléaire, en Corée du Nord et en Iran, il est clair que la diplomatie internationale devra encore beaucoup manœuvrer avant d’atteindre cet idéal.

Toutefois, depuis sa conception en juin 1968, le TNP a incontestablement permis de nombreux progrès dans la voie du désarmement. Malgré la persistance de points de blocage, que nous connaissons, les avancées positives observées au cours de ces dernières décennies invitent à poursuivre l’approfondissement de ce traité.

Tout d’abord, reconnaissons que les États-Unis et la Russie ont accompli de notables efforts pour diminuer leur arsenal nucléaire. Le traité START I de réduction des armes stratégiques, qui me rappelle, monsieur le ministre, mon passage au Quai d’Orsay – nous sommes bien dans la continuité ! –, suivi du traité de réduction des arsenaux nucléaires stratégiques, le SORT, tous deux signés entre les États-Unis et l’Union Soviétique, ont mis un coup d’arrêt à la course effrénée aux armements à laquelle les deux pays s’étaient livrés durant la guerre froide.

L’escalade avait généré jusqu’à 60 000 têtes nucléaires au total, au moment des tensions les plus fortes. Aujourd’hui, on comptabiliserait 22 400 têtes pour les deux pays. C’est bien mieux, mais cette décrue ne doit pas faire oublier que Russes et Américains concentrent, à eux seuls, 96 % du stock mondial d’armes nucléaires.

Parmi les pays dotés qui se sont également engagés en faveur du désarmement, je crois qu’on peut, sans chauvinisme aucun, citer la France, dont l’attitude a été particulièrement exemplaire en ce domaine. Nous pouvons nous en réjouir sur toutes les travées de cette assemblée.

En procédant, dans la plus grande transparence, à une réduction de 50 % de ses armes nucléaires depuis la fin de la guerre froide et en renonçant aux essais nucléaires dès 1996, notre pays a su réviser sa doctrine stratégique en faveur du principe de stricte suffisance. Cette position permet à la France d’être perçue comme disposant d’une force « respectable », tout en étant relativement protégée dans les débats relatifs au désarmement.

Tous ces engagements concrets ont permis de légitimer le TNP, qui, à ce jour, est tout de même signé par 189 États sur 192.

J’ajouterai que le traité a aussi acquis une certaine solidité juridique en s’enrichissant à trois reprises. Sa prorogation en 1995 pour une durée infinie, la signature du traité d’interdiction complète des essais nucléaires en 1996 et l’adoption, en 1997, d’un protocole additionnel de garanties dit « 93+2 » ont renforcé l’édifice international de lutte contre la prolifération nucléaire.

Dans son excellent rapport d’information, fait au nom de notre commission des affaires étrangères, dont je salue le président, notre collègue Jean-Pierre Chevènement a bien démontré les vertus que pouvait avoir le TNP en le qualifiant « d’instrument irremplaçable pour la sécurité internationale ». Avec justesse et pertinence, il en a aussi pointé toutes les limites.

D’une part, les deux grandes puissances doivent franchir un nouveau palier. Aux États-Unis, la ratification du TICE peine à se réaliser : cela risque évidemment de peser lors des discussions qui s’ouvriront en mai prochain à New York.

D’autre part, l’objectif de réduction du nombre de têtes nucléaires affiché par la Russie et les États-Unis, visant à inscrire ce nombre dans une fourchette comprise entre 1 500 et 1 675 têtes, n’est toujours pas atteint, comme en témoignent les chiffres que je citais à l’instant.

On en connaît les raisons : le projet américain de défense antimissile en Europe engendre de fortes crispations à Moscou et dans la zone qu’on appelait autrefois les pays de l’Est. Il est certain que la volonté affichée par le président américain de réduire les armes nucléaires s’accorde mal avec le projet de développement d’une défense antimissile.

Ce point d’achoppement soulève d’ailleurs la question centrale de l’article VI du TNP, qui pose le principe d’un désarmement général et complet. Il ne faudrait pas aboutir à une nouvelle situation déséquilibrée avec, d’un côté, ceux qui jouent le jeu du désarmement général et, de l’autre, ceux qui donnent des gages dans le domaine du nucléaire, tout en renforçant fortement leur arsenal conventionnel et balistique.

Par un effet pervers, s’il s’agit de substituer à la dissuasion nucléaire une défense conventionnelle sophistiquée basée dans l’espace, le monopole de la sécurité tombera très vite entre les mains des États qui maîtrisent la technologie et, surtout, peuvent la supporter financièrement. Compte tenu de ces contraintes, beaucoup de pays souhaiteront se réfugier sous un parapluie, ce qui engendrera une perte d’autonomie de leur défense.

Au regard du caractère aléatoire et aliénant de cette protection, je ne crois pas que notre pays aurait intérêt à délaisser sa politique de dissuasion. C’est pourquoi, comme le souligne Jean-Pierre Chevènement dans son rapport, la conférence d’examen du TNP ne devra pas ignorer les questions relatives à la prolifération balistique.

En attendant, le traité START I est expiré depuis le 5 décembre 2009. Si l’on peut vivre sans, il est toutefois certain qu’en ne donnant pas l’exemple, les deux grandes puissances affaiblissent le TNP et privent le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies d’arguments lors de la gestion de crises difficiles, comme celles de la Corée du Nord et, surtout, de l’Iran.

Le représentant égyptien à l’ONU s’est récemment engouffré dans cette brèche en dénonçant les puissances nucléaires qui ne tiennent pas leurs engagements.

Certains pays estiment effectivement qu’il y a deux poids et deux mesures dans la gestion des crises de prolifération et il faut bien reconnaître qu’ils n’ont pas tout à fait tort ! Même si l’arme nucléaire n’est pas faite pour être employée – souhaitons-le en tout cas –, la nature de certains régimes pousse la communauté internationale à réagir à certaines situations plus qu’à d’autres. Celle-ci laisse ainsi de côté la prolifération chinoise, mais ne laisse pas passer, d’ailleurs à juste titre, le risque iranien.

Dans ce contexte, quelle posture la France doit-elle adopter ?

Compte tenu de l’exemplarité dont notre pays a fait preuve au cours de ces dernières décennies, il ne semble pas opportun qu’il s’engage au-delà de l’état actuel de son désarmement, au risque de ne plus pouvoir garantir sa sécurité avec une certaine indépendance.

Dotée de 300 têtes nucléaires, y compris les stocks de maintenance, la France ne doit souffrir d’aucune gêne en comparaison de l’arsenal détenu par les Russes et les Américains.

Forte de son attitude, elle a un rôle politique à jouer. Elle doit encourager en priorité la réduction des arsenaux russes et américains, la normalisation des relations avec l’Iran, la reprise des pourparlers avec la Corée du Nord.

Mes chers collègues, un monde sans armes suppose un monde en paix.

Le TNP est un bel outil qui a fait progresser le désarmement, mais la non-prolifération passe aussi par la résolution des grands conflits régionaux. Ce sont eux qui déclenchent la prolifération !

Comme le disait Raymond Aron, « l’univers diplomatique est comme une caisse de résonance : les bruits des hommes et des choses sont amplifiés et répercutés à l’infini. L’ébranlement subi en un point de la planète se communique, de proche en proche, jusqu’à l’autre bout ». Garantir un monde sans guerre implique une approche globale, qui ne néglige pas pour autant une écoute particulière de chacun des conflits de la planète.

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