Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d’abord me réjouir de l’occasion qui nous est donnée, aujourd’hui, de débattre d’enjeux stratégiques fondamentaux pour notre pays. Cette occasion, nous la devons à l’initiative prise par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur la base du travail très approfondi et des conclusions, très largement approuvées par notre commission, de l’excellent rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement.
Pour ma part, mes chers collègues, je me limiterai à quelques observations.
Tout d’abord, je crois que les analyses de M. Jean-Pierre Chevènement démontrent la cohérence de la démarche française.
En effet, la France soutient les efforts en matière de désarmement au travers d’une approche réaliste, tout en veillant à préserver ses intérêts de sécurité et le rôle fondamental que doit continuer à jouer, dans sa stratégie de défense, la dissuasion nucléaire.
Depuis une quinzaine d’années, cela a été souligné, elle a contribué de manière très concrète et significative au désarmement. Elle ne relâche pas son appui à cet objectif, comme en témoignent les propositions qu’elle a formulées, notamment avec ses partenaires européens, en vue de la conférence d’examen du TNP.
Pour autant, nous devons garder à l’esprit qu’il y a très loin de la vision d’un monde sans armes nucléaires, à laquelle le Président Obama a donné un large écho, à la réalisation des conditions qui rendraient cette perspective accessible, possible à moyen terme.
Nous vivrons encore, durant plusieurs décennies, avec des arsenaux américains et russes considérables. Jusqu’à présent, les puissances nucléaires asiatiques, à commencer par la Chine, ne se situent pas dans une logique de réduction, ni même de plafonnement de leurs capacités nucléaires militaires. L’apparition de nouveaux états nucléaires est un risque réel, tant que ne sera pas garanti le plein respect du régime de non-prolifération. Enfin, l’entrée en vigueur de traités de désarmement majeurs est encore hypothétique.
Je pense bien sûr au traité d’interdiction complète des essais nucléaires, que neuf États, dont les États-Unis, doivent encore ratifier, mais également à un futur traité d’interdiction de la production de matières fissiles militaires, dont la négociation n’est toujours pas ouverte du fait des préalables posés par le Pakistan et promet d’être longue et difficile.
Dès lors, la posture nucléaire française conserve sa pertinence, dans le cadre du principe de stricte suffisance.
Ce principe a de nouveau été illustré, il y a quelques mois, avec la réduction d’un tiers de la composante aéroportée. Il me paraît essentiel que, dans le respect de ce format, beaucoup plus réduit qu’il y a une vingtaine d’années, la crédibilité de notre dissuasion soit maintenue et que les orientations fixées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et par la loi de programmation militaire soient strictement respectées.
M. Jean-Pierre Chevènement, à juste titre, a insisté sur les conditions à réunir pour aller vers ce qu’il a qualifié de « zone de basse pression nucléaire ». La première d’entre elles réside dans la poursuite du désarmement américano-russe. Celui-ci devra aller très au-delà du traité, en cours de conclusion, qui doit succéder au traité START et porter sur le volume global des deux arsenaux, en incluant les armes en réserve et les armes tactiques.
Nous le voyons bien, la question de la défense antimissile est d’ores et déjà au cœur des discussions entre les États-Unis et la Russie. Nous avons eu à plusieurs reprises des débats en commission sur ce sujet.
Dès lors qu’ils visent uniquement à se protéger des puissances régionales développant leurs propres moyens balistiques, les projets américains de défense antimissile auraient tout intérêt, me semble-t-il, à faire l’objet d’une véritable concertation avec la Russie, voire avec la Chine, afin que ces pays n’y voient pas une source d’affaiblissement pour leur dissuasion.
Je reconnais que la question de la mise en place d’un système de défense antimissile à l’échelle de l’Europe mérite une approche extrêmement prudente, notamment en termes d’appréciation des coûts et de fiabilité au regard de la réalité des menaces. Pour autant, il ne faut pas opposer d’objections de principe à des technologies qui sont appelées à se développer et qui peuvent finalement jouer un rôle complémentaire par rapport à la dissuasion, mais en aucun cas s’y substituer. La France, en raison de son expérience en matière balistique, ne peut ignorer ce domaine, sur lequel la réflexion doit être poursuivie.
Je partage les conclusions du rapporteur sur la nécessité de renforcer le régime international de non-prolifération nucléaire. À ce sujet, je souhaiterais insister sur le caractère essentiel du dossier iranien.
Bien évidemment, personne ne conteste à l’Iran le droit de développer des activités nucléaires civiles et de mettre en œuvre des technologies associées. Mais cela suppose une adhésion pleine et entière à la règle du jeu posée par le TNP, dont le contrôle revient à l’AIEA. L’Iran a mené de manière clandestine trop d’activités dont la finalité civile est loin d’être démontrée pour que ne pèse pas un doute majeur sur ses intentions.
La confiance, qui est à la base du TNP, fait gravement défaut. Tant qu’elle ne sera pas rétablie, nous ne pouvons pas laisser se poursuivre sans réagir des programmes pouvant potentiellement déboucher sur des applications militaires.
L’unité de la communauté internationale est indispensable pour éviter une situation qui ne manquerait pas d’alimenter le risque de prolifération en chaîne, particulièrement dans la région si sensible du Moyen-Orient.
Au-delà du cas iranien, il paraît urgent de mettre en place des mécanismes permettant de prévenir de manière plus précoce et plus efficace ce type de situations. Je soutiens, bien entendu, les recommandations contenues à ce sujet dans le rapport de M. Chevènement.
Le protocole additionnel qui donne à l’AIEA des pouvoirs de contrôle renforcés apparaît aujourd'hui comme un instrument de vérification indissociable du TNP. Son universalisation, ainsi que le renforcement des moyens humains et techniques de l’Agence, doivent constituer un objectif prioritaire. Il est également nécessaire d’encadrer le droit de retrait du TNP qui constitue l’une des faiblesses du traité, comme l’a montré l’exemple nord-coréen.
Je souscris également aux propositions du rapporteur visant à rapprocher les trois États non signataires du TNP du régime international de non-prolifération, au travers d’un ensemble d’engagements comparables à ceux que l’Inde a pris devant l’AIEA et le Groupe des fournisseurs nucléaires. Le rôle des réseaux pakistanais dans le programme nucléaire de l’Iran souligne a contrario l’intérêt d’amener ces États à exercer des contrôles stricts sur leurs exportations de biens ou de technologies nucléaires ou à double usage.
Enfin, nous devrions apporter des réponses fermes lors de la conférence d’examen à certains pays émergents qui s’opposent au renforcement des règles de contrôle, dans lesquelles ils voient un obstacle à un plus large accès aux technologies nucléaires civiles.
C’est au contraire le plein respect des règles de transparence et la mise en œuvre des mécanismes internationaux de vérification qui permettront un développement des coopérations et la diffusion de technologies dans le domaine nucléaire civil, pour le bénéfice de tous.
Je me félicite qu’en organisant il y a quelques jours à Paris une Conférence internationale sur l’accès au nucléaire civil, qui a d’ailleurs reçu un soutien appuyé du nouveau directeur général de l’AIEA, la France ait de nouveau montré très clairement sa disponibilité vis-à-vis des pays souhaitant recourir à ce type d’énergie.
Avec la non-prolifération et le désarmement, il s’agit du troisième pilier du TNP, qui n’a peut-être pas recueilli au cours des dernières années toute l’attention qu’il aurait méritée.
Le développement du nucléaire civil et la lutte contre la prolifération ne sont pas des objectifs antagonistes. Bien au contraire ! L’expérience a d’ailleurs montré que les pays tentés par le développement de capacités nucléaires militaires ont le plus souvent suivi d’autres voies que le passage par un programme civil. Il faut par ailleurs encourager les technologies, déjà très largement présentes sur le marché, qui répondent à des standards très élevés en termes de sureté, de sécurité et de non-prolifération.
Comme l’a souligné à plusieurs reprises le Président de la République, il n’y a aucune raison de limiter notre assistance et la mise en place de coopérations technologiques dès lors que les pays demandeurs souhaitent développer un programme électro-nucléaire crédible, répondant à leurs besoins énergétiques, et qu’ils se soumettent à une gamme complète des contrôles prévus par les instruments internationaux.
Un engagement plus résolu en ce sens serait de nature à renforcer le consensus de la communauté internationale autour du TNP.
Pour conclure, je note que des avancées sont possibles sur chacun des trois volets du TNP. Le rapport de M. Chevènement les a bien identifiées. Je souhaite que la France s’attache à les promouvoir lors de la prochaine conférence d’examen au cours de laquelle elle jouera – nous en sommes certains ! – un rôle actif et constructif.