Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un premier temps, je n’avais pas prévu d’intervenir. En effet, le président de Rohan connaît parfaitement ce dossier et son intervention forte tout à l’heure a montré son engagement et celui de notre commission dans ce domaine.
Par ailleurs, pour l’UMP, Xavier Pintat, notre spécialiste du secteur spatial et du nucléaire, a réalisé un état des lieux complet et ouvert des perspectives réalistes.
Enfin, le rapport précis et les préconisations de Jean-Pierre Chevènement, qui a tenu à lier « désarmement, non-prolifération et sécurité de la France », font autorité. À cet égard, je salue l’immense travail de notre collègue et ses convictions.
Intervenant parmi les derniers, je serai parfois redondant. Toutefois, si je me suis résolu à prendre la parole quelques instants devant vous, c’est parce que je n’accepte plus que, depuis la déclaration d’intention du Président Obama évoquant « un monde sans armes nucléaires », un certain nombre d’idéologues, de journalistes mal informés ou de politiciens orientés donnent maintenant des leçons à la France dans ce domaine.
Tout d’abord, je rappelle que l’intervention du Président Obama se situait dans une perspective lointaine : « Je ne le verrai pas de mon vivant », disait-il.
Ensuite, deux éléments qui ont échappé à beaucoup doivent être pris en compte : la préparation du nouvel accord bilatéral de désarmement entre les États-Unis et la Russie, portant sur une réduction des armes stratégiques – et non pas tactiques, je le signale au passage – et surtout la prochaine conférence d’examen du TNP en mai 2010.
Or, vous le savez, les États-Unis ne seront pas au rendez-vous. S’ils ont bien signé le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE, ils ne l’ont toujours pas ratifié, et le Sénat américain est pour le moins réservé sur cette ratification. Certains parlent d’une ratification en 2011. Soyons optimistes … Toujours est-il que celle-ci pourrait conduire certains pays comme le Pakistan, la Chine ou l’Inde à ratifier à leur tour.
Je veux d’ailleurs souligner que, dans le monde, une douzaine d’États qui mènent des activités nucléaires significatives n’ont toujours pas signé le protocole additionnel du TNP.
Quelle est la situation aujourd’hui ?
Les États-Unis et la Russie, au travers des accords successifs SALT, FNI, START, puis SORT ont progressivement réduit de deux tiers le volume de leur arsenal nucléaire, et il faut s’en féliciter. Mais ils représentent toujours à eux deux 96 % du stock mondial des armes nucléaires.
Le Royaume-Uni et la France ont également entrepris un effort de diminution de leur arsenal nucléaire. Notre pays est d’ailleurs allé beaucoup plus loin, et j’y reviendrai.
Ces réductions, pourtant fortes, de ces quatre pays majeurs dans le domaine nucléaire ont-elles limité sur cette période la prolifération des armes nucléaires ? Malheureusement, non !
L’Inde, le Pakistan et Israël se sont dotés de l’arme nucléaire et n’ont pas signé d’accord dans le sens d’une limitation, même s’il faut souligner que l’Inde a accepté de négocier avec l’AIEA un protocole additionnel et consenti au contrôle des exportations des techniques nucléaires. Je vous rappelle que, il y a quelques mois, le Sénat s’est prononcé sur ce point particulier.
Dans le club des possesseurs de l’arme nucléaire, il faut ajouter la Corée du Nord, qui posséderait a priori une dizaine de têtes et qui se dote de missiles balistiques et dont les deux derniers essais ont défrayé la chronique.
Nous savons tous que l’Iran, malgré la pression internationale, continue sa progression dans le domaine nucléaire et balistique et surtout que la possession de ces armes par l’Iran conduirait certainement la Turquie et l’Arabie saoudite à s’engager dans une démarche identique.
Le monde de 2010 n’est donc pas plus sûr, bien au contraire, que celui de 2005, qui avait vu l’échec de la précédente conférence quinquennale d’examen du TNP.
Les diverses estimations qui se recoupent semblent indiquer que ces pays restent très largement surarmés dans ce domaine.
Il est bon de rappeler que la Russie posséderait près de 13 000 armes nucléaires, dont un tiers opérationnel et deux tiers en réserve ou en attente de démantèlement ; les États-Unis disposeraient de près de 9 400 armes, dont 5 200 déployées ou en réserve et 4 200 en attente de démantèlement ; la Chine cumulerait 400 armes nucléaires, dont 145 actives.
La France, quant à elle, a 348 têtes nucléaires actives au travers des missiles embarqués dans les quatre SNLE et des armes tactiques de la composante aérienne. Le Président de la République envisage d’ailleurs de réduire notre arsenal à moins de 300 têtes. Le Royaume-Uni, pour sa part, détient un peu plus de 200 armes, dont une grande partie active. Reste qu’Israël posséderait entre 100 et 200 têtes, l’Inde ainsi que le Pakistan, qui se surveillent, aux alentours de 60 chacun et la Corée du Nord entre 5 et 10.
Comme je le disais, le monde n’est pas plus sûr !
Dans cet environnement difficile, la France n’a de leçon à recevoir de quiconque. Elle milite activement pour des progrès effectifs en matière de désarmement et de non-prolifération. M. Chevènement rappelait tout à l’heure notre action dans la démarche conjointe des vingt-sept pays européens auprès du secrétaire général des Nations unies avec une série de propositions concrètes dans ce domaine.
La France a accompli des pas très importants, souvent de manière unilatérale, en matière de désarmement. Il faut insister sur ce point : nous avons abandonné nos ICBM du plateau d’Albion, contraint le nombre de nos SNLE et, l’an dernier, le Président de la République a diminué d’un tiers le volume des forces nucléaires tactiques aériennes, passant de trois à deux escadrons. De plus, en quinze ans, nous avons réduit de moitié le nombre de nos armes nucléaires.
Mais nous sommes allés plus loin : nous avons définitivement arrêté les essais nucléaires et totalement démantelé nos sites d’essais, nous avons définitivement arrêté la production d’uranium et de plutonium pour les armes nucléaires et nous avons réalisé le démantèlement de nos usines de Marcoule et de Pierrelatte. C’est une première pour une puissance nucléaire, que les experts et les journalistes internationaux invités sur place ont pu constater.
Nous travaillons sur un programme de simulation avec le laser mégajoule, que la commission a pu voir, et un supercalculateur. En outre, nous sommes les seuls à avoir rempli les obligations prévues à l’article VI du TNP.
Vous le savez, nous conduisons une approche pragmatique et constructive dans ce domaine avec trois axes forts : non-prolifération, accès aux usages pacifiques de l’atome, désarmement et lutte contre la prolifération balistique. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que nous ferons des propositions concrètes et offensives dans ce sens en mai prochain.
La France est donc très favorable à l’engagement du Président Obama en faveur du désarmement, mais nous sommes aussi en totale concordance avec lui lorsqu’il ajoute : « Tant que les armes nucléaires existeront, les États-Unis conserveront un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire et garantir la défense de leurs alliés. »
La France s’en tient à une posture de « stricte suffisance nationale ». Elle s’est positionnée en dehors de l’OTAN, même avec sa réintégration dans le commandement intégré et elle a déjà fait des efforts de son côté. Il n’est donc pas question que nos forces nucléaires soient prises en compte dans je ne sais quel processus multilatéral de désarmement nucléaire.
Il appartient aux deux grandes puissances surarmées de réduire très significativement leur arsenal jusqu’à quelques centaines d’armes avant de demander à des pays comme la France d’accompagner ce mouvement. Notre pays doit être jugé sur ses actes, sur ses efforts incontestables et ses initiatives et non sur des a priori, des préjugés ou des idéologies.