Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 23 mars 2010 à 14h30
Débat sur le désarmement la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la france

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement, au nom de la commission des affaires étrangères :

Je remercie l’ensemble des intervenants que j’ai écoutés très attentivement.

Je souhaite cependant répondre à Mme Voynet qui a exprimé une crainte qui peut paraître justifiée, à savoir que le développement de programmes nucléaires civils n’entraîne le développement de programmes nucléaires à caractère militaire. Pour autant que je sache, il n’y a pas d’exemple de ce type, à l’exception peut-être de l’Inde, à laquelle le Canada avait fourni un réacteur de recherche, et les États-Unis différents éléments qui lui ont permis de développer un programme soi-disant civil et qui s’est avéré, en 1998, être militaire.

Vous avez évoqué, ma chère collègue, les positions de deux anciens Premiers ministres, Michel Rocard et Alain Juppé. J’ai, pour ma part, tenté d’apporter un éclairage géopolitique, absent de leur tribune libre qui, naturellement, ne se prêtait pas à des considérations de cet ordre. Je ne crois pas à l’existence d’un lien univoque entre le désarmement et la prolifération. Autrement dit, la prolifération a des causes spécifiques, et ce n’est pas parce que certains pays suivent le chemin du désarmement, à l’image de la Russie et des États-Unis, qui ont accompli des gestes importants puisque leurs arsenaux nucléaires ont diminué des deux tiers, que l’Inde, le Pakistan ou Israël n’en ont pas moins développé leur propre arsenal. À mon avis, la prolifération est plus directement liée aux questions de sécurité régionales.

J’ai fixé, dans mon rapport, le moment auquel la France pourrait entrer dans une discussion multilatérale à celui où les arsenaux russes et américains seraient réduits à quelques centaines. Est-ce si éloigné de ce que propose le rapport Evans-Kawaguchi, bréviaire de l’école abolitionniste dans laquelle, me semble-t-il, vous vous reconnaissez ? Je vous renvoie donc à cet excellent rapport, intitulé « Eliminating Nuclear Threats ». Je pense que vous comprendrez très bien le sens de la démarche que je propose. Il s’agit de dire : « Messieurs les Américains, messieurs les Russes, désarmez les premiers ! » Cela me paraît logique.

Je crois que les deux anciens Premiers ministres dévaluent excessivement le TNP. Ce dernier a incontestablement ralenti la prolifération nucléaire, vous ne pouvez pas le nier. S’il comporte des facteurs de fragilité, il a tout de même permis beaucoup d’avancées et il est possible de le conforter en allant dans la direction que j’ai indiquée.

Je ne souhaite pas développer une polémique inutile car l’étude raisonnée des faits conduit à des propositions pragmatiques, graduelles et dont l’échéance ne peut pas être à court terme pour des raisons politiques et techniques. Les raisons techniques sont simples : l’usine américaine de démantèlement, située à Pantex au Texas, ne permettrait de démanteler les armes qui y sont actuellement vouées, à savoir 4 200 sur un arsenal de 9 400, qu’à l’horizon 2025. Les Etats-Unis planifient la construction d’une autre usine, à Savannah River, et même d’une troisième dont la localisation n’est pas encore déterminée. Cependant, l’usine de Savannah River ne commencera à fonctionner que sept ans après le début des travaux, qui n’a pas encore eu lieu. Vous mesurez donc le temps nécessaire à ces opérations de démantèlement.

McGeorge Bundy déclarait à la fin des années 1980 que depuis le début de l’ère nucléaire, il y a 65 ans, il ne s’était pas écoulé une décennie qui ne soit moins dangereuse que la précédente. Il faut avoir le courage de reconnaître, dans cette perspective, qu’une sortie de l’ère nucléaire n’est pas possible avant plusieurs décennies. On peut toutefois poursuivre un objectif de minimisation et viser une zone de basse pression nucléaire. Je pense qu’une telle démarche est en mesure de garantir la sécurité de la France, à laquelle je suis fondamentalement attaché – je n’oublie pas les responsabilités que j’ai exercées. Le souci de la sécurité de la France est légitime et je pense que chacun sur ces travées partage ce point de vue.

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