Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 23 mars 2010 à 14h30
Droit à la vie privée à l'heure du numérique — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Parlement est, avec le pouvoir judiciaire, le garant des libertés individuelles. À ce titre, il dispose d’un pouvoir que je considère comme naturel dans notre démocratie : celui de contrôler la mise en œuvre de mesures attentatoires aux libertés individuelles.

Son rôle est de contrôler les fichiers créés pour le compte de l’État. Leur multiplication ces dernières années a souvent soulevé chez nos concitoyens des doutes légitimes quant à leur utilité ou à leurs modalités de fonctionnement, comme en témoigne le sort réservé au fichier EDVIGE. Cet épisode a démontré à quel point nos concitoyens étaient attachés au principe du respect de leur vie privée et à la protection de leurs données personnelles.

Il faut admettre que nos concitoyens manquent d’informations sur le traitement des données personnelles. Leur méfiance est liée à une certaine opacité, source de rejet. La CNIL, dans ce domaine, accomplit un travail formidable. Avec les moyens réduits dont elle dispose, elle a réussi à mieux informer les citoyens sur l’existence de ces fichiers, sur leur contenu, sur les modalités d’accès aux données enregistrées et sur les modalités de modification de ces mêmes données. Mais cela semble encore insuffisant si l’on souhaite que nos concitoyens acceptent mieux l’existence de ces fichiers, dont certains, je ne le nie pas, sont nécessaires.

Il convenait donc d’aller plus loin et de poser le principe selon lequel les traitements de données doivent être autorisés par la loi, donc par le Parlement. Nous représentons ici nos concitoyens. C’est par notre voix qu’ils doivent s’exprimer sur la création de tels fichiers.

Telles sont d’ailleurs les conclusions auxquelles sont parvenus nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier dans leur excellent rapport intitulé « La vie privée à l’heure des mémoires numériques, qui a été suivi par le dépôt de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Il importe en effet que la création de tout fichier, quelle que soit sa finalité, soit soumise au vote du Parlement eu égard aux risques graves que ces fichiers font peser sur les libertés individuelles.

Non seulement le Parlement doit autoriser ces fichiers, mais il doit aussi être en mesure, chaque fois que cela est nécessaire, de déterminer leur contenu, leurs modalités de fonctionnement, ainsi que les moyens de contrôle de leur contenu et les possibilités d’y accéder et de les modifier. Le Gouvernement ne saurait priver le Parlement de ses compétences, surtout lorsque les libertés individuelles sont en jeu.

La proposition de loi de nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier répondait parfaitement à cette exigence : donner au Parlement le pouvoir de créer des fichiers et de déterminer les modalités de leur fonctionnement. L’un des points fondamentaux de cette proposition de loi était qu’elle enlevait au pouvoir réglementaire le pouvoir exorbitant de créer des fichiers, dont la multiplication et les dysfonctionnements traduisent une confusion et un manque de rigueur en termes de gestion, alors même que leur mise en œuvre conduit souvent à la manipulation de données extrêmement sensibles.

C’est la raison pour laquelle les sénatrices et les sénateurs Verts étaient prêts à soutenir cette proposition de loi dans sa version initiale. Malheureusement, compte tenu des modifications qui y ont été apportées par la commission des lois, elle ne correspond plus à l’esprit qui animait nos collègues lorsqu’ils l’ont élaborée.

En effet, le principe d’une autorisation législative préalable à la création de fichiers a été abandonné au profit d’un élargissement du pouvoir réglementaire. La commission des lois a réussi à purger la proposition de loi de l’une de ses dispositions les plus importantes, ce que nous déplorons.

En conséquence, nous ne pouvons pas soutenir ce texte, qui porte désormais l’empreinte indélébile de la volonté du Gouvernement de conserver un pouvoir exorbitant en matière de création et de gestion de fichiers.

Si la commission des lois a décidé, à notre grand regret, d’abdiquer devant le Gouvernement, nous continuerons d’exiger que les fichiers ne puissent être autorisés que par le Parlement. C’est pour nous un point fondamental, car toute personne a droit à la protection de ses données personnelles comme à l’oubli de celles qui sont enregistrées dans des fichiers, quels qu’ils soient.

Ces exigences doivent être renforcées par la mise en œuvre d’un contrôle régulier par le Parlement, lequel ne saurait se contenter de donner, à travers le texte tel qu’il nous est maintenant soumis, un blanc-seing au Gouvernement.

Pour ces raisons, nous défendrons un certain nombre d’amendements visant à restaurer le pouvoir du Parlement en matière de création de fichiers. Nous espérons être soutenus sur ce point au moins par les auteurs de la proposition de loi initiale, qui souhaitaient promouvoir un tel pouvoir.

À défaut de l’adoption de ces amendements, nous ne voterons pas le texte. Tout dépend désormais de vous, mes chers collègues ! Nous refusons catégoriquement que la création de fichiers se fasse par décret. Nous refusons de renoncer au pouvoir parlementaire, car il y va de la protection de nos libertés. Pour nous, la loi est une garantie démocratique.

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