Intervention de Ivan Renar

Réunion du 8 décembre 2006 à 15h10
Loi de finances pour 2007 — Compte de concours financiers : avances à l'audiovisuel public

Photo de Ivan RenarIvan Renar :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le succès d'Internet et de l'ADSL, l'essor du numérique, le téléchargement, le podcasting, les blogs, la vidéo à la demande, le développement de la presse gratuite bouleversent profondément l'usage des médias comme les comportements de nos concitoyens.

Les médias occupent une place toujours croissante dans notre vie quotidienne. Par conséquent, les transformations rapides qu'ils subissent agissent en profondeur sur l'évolution même de notre société.

Ces mutations technologiques ont en effet des répercussions énormes sur l'économie des médias et des industries culturelles, mais aussi sur les fondements même de la démocratie. Comment ne pas voir que le pluralisme, l'indépendance, la diversité et l'exception culturelles sont de plus en plus menacés par la prédation d'un marché sans rivage et des processus de concentration sans précédent ?

Certes, il faut vivre avec son temps et ne pas bouder les nouvelles technologies, mais il est aussi essentiel d'anticiper les effets de ces évolutions afin qu'elles servent bien l'intérêt général, les valeurs de notre démocratie, et que l'homme reste bien au centre des préoccupations.

Or le budget qui nous est proposé, monsieur le ministre, est loin d'être à la hauteur des enjeux et des défis auxquels sont pourtant confrontés l'audiovisuel public et la presse écrite.

L'examen du projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur a montré toute l'importance qu'il y avait à garantir la qualité et la diversité des contenus, à renforcer les dispositifs de soutien à la création. Il est nécessaire que le service public soit à la pointe du développement et évolue vers la télévision haute définition et la télévision mobile personnelle.

Or les moyens dévolus au groupe France Télévisions ne lui permettent pas de prendre totalement rendez-vous avec l'avenir.

Le service public, dans un contexte de sous-financement chronique, pour reprendre l'expression de Louis de Broissia, se trouve contraint à la course aux recettes publicitaires et à l'audimat, qui, on le sait, conduit à l'appauvrissement des contenus et à leur formatage.

Face aux moyens imposants des groupes privés, l'État actionnaire doit soutenir encore plus significativement le service public afin qu'il demeure la référence et puisse mener de front, avec succès, les investissements pour le développement de la TNT, l'adaptation à la haute définition - laquelle ne doit pas oublier la filière de production des sites régionaux de France 3 -, l'indispensable montée en puissance de France 4 et France 5, la poursuite du sous-titrage pour les malentendants, l'amplification d'une politique audacieuse de création, l'inflation des coûts de programmes générés en particulier par l'arrivée des puissants opérateurs de télécommunications.

La redevance, l'une des plus faibles d'Europe, est gelée depuis quatre ans et son rendement s'érode de façon inquiétante. Pourtant, sa majoration constituerait un heureux appel d'air pour un service public fragilisé, dans un secteur de compétitivité sans merci. Donnons-lui enfin les moyens de remplir ses objectifs Et souhaitons que le prochain contrat d'objectifs et de moyens, le COM, soit à la hauteur de la belle ambition de M. de Carolis pour le service public, ambition que l'État devrait être le premier à partager.

Quant à la radio publique, elle est aussi soumise à la portion congrue : en dehors des ressources dévolues aux travaux pour la rénovation de la Maison de la radio, le budget stagne également depuis plusieurs années. Or Radio France, dans un univers des plus concurrentiels, doit aussi répondre au défi de la radio numérique comme à l'extension de la diffusion en modulation de fréquence.

Nos concitoyens sont très attachés à la qualité des émissions dédiées à la création, que ce soit sur France Inter, France Culture, France Musique. Et ils ont raison, car décidément, ces radios font vraiment la différence et donnent aux auditeurs l'envie de lire, de débattre, d'aller au cinéma, au concert ou au théâtre.

Cela ne m'empêche pas de noter que Radio France Internationale voit son budget régresser de 3 % ! Pourtant, personne n'ignore l'enjeu du rayonnement international de notre pays, comme en atteste la naissance de France 24. Notre politique audiovisuelle extérieure ne doit pas faire deux poids, deux mesures, en laissant à la traîne RFI et TV 5 Monde.

Je note au passage que les épousailles forcées de France 24 avec TF 1 produisent déjà un premier dégât collatéral, puisque France 24 ne sera pas disponible gratuitement sur la TNT.

J'ajoute que l'échelle internationale a plus que jamais toute son importance, mais la proximité n'en a pas moins. C'est pourquoi je suis préoccupé par la diminution de l'information rédactionnelle des radios locales France Bleu.

De plus, en ce qui concerne les radios associatives, si certaines difficultés liées au versement tardif des subventions sont en passe d'être résolues, je déplore la faiblesse de l'augmentation du fonds de soutien à l'expression radiophonique, le FSER, d'autant que le produit de la taxe sur la publicité des médias commerciaux qui l'alimente est en augmentation.

J'en viens à un sujet qui tient à coeur, je n'en doute pas, à l'ensemble de nos collègues : la promotion des minorités visibles dans les médias.

Je crois que la prise de conscience est réelle et la tendance plutôt positive. On le constate dans la programmation, par exemple. Les sondages montrent également que le public est plus sensibilisé.

Est-ce pour autant suffisant ? Je ne le pense pas. Si nos écrans sont un peu plus colorés, les ressources humaines ne semblent pas encore à la hauteur. La question de la formation est essentielle, et ce dès maintenant, si l'on ne veut pas rater l'émergence d'une élite diversifiée dans les médias des prochaines années.

Dans le bilan que fait le CSA sur la question, on constate que seules huit bourses concernent les étudiants journalistes de Sciences Po Paris, alors qu'avec les fameuses conventions passées avec les établissements scolaires en zone d'éducation prioritaire, ZEP, nous avons une pépinière de nouveaux talents.

Je crois qu'il faut être encore plus volontariste, monsieur le ministre. J'aimerais, sur ce sujet, soulever quelques questions.

Pour l'ensemble des entreprises qui dépendent de votre magistère, quelles sont les mesures prévues pour favoriser l'émergence d'un encadrement supérieur plus diversifié et reflétant davantage la société française ?

Allez-vous trouver cette volonté dans les COM que vous êtes en train de négocier, et comment ?

Dernière question sur cet aspect des choses, qui vaut pour la mission culture qui sera débattue tout à l'heure : comme le fait le CSA sur l'audiovisuel, un travail d'inventaire et d'analyse est-il mené sur l'ensemble des institutions culturelles ?

Avant d'aborder la question brûlante de la presse écrite, soulevée par notre collègue Louis de Broissia, je souhaite rendre hommage aux savoir-faire, faire savoir des journalistes, malheureusement touchés par une précarité croissante, des pressions accrues, voire une censure, qu'on espérait d'un autre âge.

Le flux incessant de l'information, la prime donnée à l'instantané superficiel, le règne de l'approximation et de la facilité sont autant de symptômes qui appellent un traitement de choc pour que subsiste une presse de qualité fiable, professionnelle et déontologique.

Et parce qu'il n'y a pas de société libre sans esprits libres, l'État doit s'emparer résolument de cet enjeu et en faire une véritable priorité politique.

Dans un contexte de poussée des extrémismes et des obscurantismes, la défense du pluralisme, du débat d'idées, de la diversité des points de vue impose une intervention publique résolue et un meilleur accompagnement des mutations en cours.

Parce que la presse dite d'opinion participe en permanence au débat d'idées, parce qu'elle n'est jamais neutre, elle revitalise la liberté de penser et donc le libre arbitre de chacun et contribue ainsi à revivifier la citoyenneté.

Il nous faut retrouver l'esprit et la lucidité du Conseil national de la Résistance et du général de Gaulle, qui, au lendemain de la Libération, dans les conditions difficiles de l'époque, ont placé au coeur du projet démocratique la liberté de la presse et son indépendance.

D'ailleurs, les citoyens sont conscients de ces enjeux et tiennent à l'existence d'une presse libre et pluraliste. Il n'y a qu'à voir avec quel élan nombre d'entre eux, même s'ils n'en sont pas lecteurs, ont volé au secours de Politis, de l'Humanité et témoigné leur solidarité au journal Libération.

À cet égard, vous avez déclaré, monsieur le ministre, que, désormais, « les dons aux journaux d'opinion tant des particuliers que des entreprises pourront se voir appliquer la déduction fiscale autorisée au titre du mécénat culturel. Il s'agit d'une interprétation désormais officielle. »

Les termes « interprétation officielle » sont source d'ambiguïté. Pourquoi ne pas inscrire clairement ces nouvelles dispositions dans la loi ? Autre question : cette mesure sera-t-elle appliquée dès 2007 et est-elle conditionnée par la création d'une fondation de la presse française, que vous appelez de vos voeux ?

Dans une société en panne de repères, plus la « mal-aimé » se développe sous couvert de modernité, plus nous avons besoin de la rigueur d'analyse, de la distance critique, de la pertinence comme de l'impertinence de la presse d'opinion. C'est pourquoi, si l'on veut la sortir de la situation périlleuse où elle se trouve, on ne peut plus la considérer uniquement sous l'angle d'une activité marchande ni s'en remettre au caprice d'actionnaires qui n'ont pour seul credo que la rentabilité financière. Nous voyons bien les limites des mécanismes de soutien existants puisque les titres les plus fondés à en bénéficier sont au bord de la faillite. On le constate avec Libération et le nouveau plan social drastique qui frappe ses salariés.

Il y a urgence à soutenir la presse écrite sur d'autres critères que le tirage, en privilégiant peut-être avant tout les contenus, c'est-à-dire le nombre de pages rédactionnelles, le nombre de journalistes, le nombre d'articles de fond et d'investigations. En d'autres termes, il est temps de repenser le modèle économique de la presse de contenu, qui est bien loin de n'être qu'une activité marchande, et de tendre vers un service d'utilité publique. N'est-ce pas légitime compte tenu du fait que cette activité constitue un pilier majeur non seulement de la démocratie mais aussi de notre civilisation ?

C'est pourquoi je ne saurais me résoudre, monsieur le ministre, à la baisse des crédits en faveur de la presse d'information, sous prétexte que son budget a augmenté ces deux dernières années.

La représentation nationale a le devoir civique et moral de donner un véritable avenir à l'indépendance, financière et éditoriale, de la presse quotidienne d'information à caractère politique et général ainsi qu'à son pluralisme, dont l'État est le garant.

Comme le réclament de nombreux directeurs de presse, n'est-il pas urgent d'organiser des états généraux ou une conférence nationale, rassemblant les pouvoirs publics, les différents acteurs concernés, de l'impression à la diffusion, sans oublier l'AFP, les syndicats, pour apporter, ensemble, les solutions au plein exercice du pluralisme de la presse ? Pourquoi ne pas y associer l'éducation nationale, dont le rôle est déterminant pour le renouvellement du lectorat, en matière tant de formation des enseignants que de sensibilisation des élèves ?

Les journaux sont de formidables réserves de matière première pour l'enseignement du français, de l'histoire, de la philosophie, de l'économie et, naturellement, de la citoyenneté.

En attendant, monsieur le ministre, comme ce projet de budget ne permet pas de répondre aux ultimatums des mutations radicales en cours, mon groupe ne pourra pas l'adopter.

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