Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 8 décembre 2006 à 15h10
Loi de finances pour 2007 — Compte de concours financiers : avances à l'audiovisuel public

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la légère augmentation attendue du budget prévisionnel des organismes de l'audiovisuel public, cette année encore, ne contribuera en rien à favoriser l'indépendance de notre télévision publique. En effet, cette croissance est fondée principalement sur l'augmentation des ressources propres des organismes, à hauteur de 5, 3 %, celle des ressources publiques étant quasi nulle du fait même de l'inflation. La part des ressources publiques dans le budget de l'audiovisuel public sera donc à nouveau en baisse en 2006.

Vous avez choisi d'adosser le prélèvement de la redevance audiovisuelle à la taxe d'habitation. Résultat : elle induit une confusion pour les contribuables avec les impôts locaux et n'apporte même pas un encaissement de redevance pour l'audiovisuel public conforme à vos prévisions.

C'est ce que relève notre collègue Claude Belot dans son rapport : « La prévision des encaissements de redevance audiovisuelle pour 2007 prend en compte un moindre niveau d'encaissements par rapport aux prévisions, à hauteur de 29, 6 millions d'euros en 2005, dernière année pour laquelle des données définitives sont disponibles. »

Si le rapporteur de la commission des affaires culturelles parle, lui, de cette réforme en termes de « demi-échec », du fait de l'économie réalisée sur les frais de gestion, nous considérons, pour notre part, que c'est un échec plein et entier. Je rappelle tout de même que le Gouvernement en attendait une hausse de 200 millions d'euros ; on en est très loin.

Par ailleurs, vous avez raté l'occasion ainsi offerte de donner au secteur de l'audiovisuel public un souffle budgétaire salutaire et nécessaire, au moment même où l'offre télévisuelle gratuite s'élargissait avec le lancement de la TNT. Nous estimons qu'il s'agit là d'une erreur stratégique majeure pour l'avenir de notre audiovisuel public.

La réforme aurait pu davantage porter ses fruits si l'assujettissement à la redevance avait été réalisé par appareil et non par foyer fiscal, ce qui exonère, de fait, les résidences secondaires, et constitue une perte de recettes estimée à 58 millions d'euros. Mais ce n'est pas tout, puisque vous avez, en plus, abaissé le tarif de la redevance au demi-euro inférieur en 2005, après une stagnation pendant trois exercices, générant ainsi une perte supplémentaire de 22 millions d'euros.

À cela, s'est ajouté le plafonnement du remboursement par l'État des exonérations, à hauteur de 440 millions d'euros seulement, et ce en dépit de l'extension desdites exonérations.

Pour 2007, le plafonnement de remboursement des exonérations a été fixé à 509 millions d'euros, ce qui diminue, quelque peu, le manque à gagner pour l'audiovisuel public. Cependant, cette somme ne couvrira pas la totalité des dégrèvements. La perte de ressources pour les sociétés publiques peut être ainsi évaluée, selon le rapport de M. de Broissia, à près de 590 millions d'euros.

Or je vous rappelle, monsieur le ministre, que le principe même du plafonnement des remboursements d'exonérations est contraire aux termes de l'article 53, paragraphe V, de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui dispose que « les exonérations de redevance audiovisuelle décidées pour des motifs sociaux donnent lieu à remboursement intégral du budget général de l'État. »

Cette situation n'inquiète pas seulement l'opposition, comme le montre la lecture des rapports de MM. Claude Belot et Louis de Broissia, qui restent, tout comme nous, attachés au principe de la compensation intégrale, principe qui implique de porter le montant des remboursements à 600 millions d'euros.

Je rappelle, en outre, que ce remboursement non intégral des dégrèvements est en totale rupture avec la décision prise en 2000, par le gouvernement Jospin, de rembourser intégralement les exonérations de redevance, afin de compenser le manque à gagner induit par la baisse du volume horaire de publicité sur les chaînes publiques. Nous avions alors réussi à réduire significativement la dépendance de la télévision publique vis-à-vis de la ressource publicitaire, mouvement qui s'est durablement inversé dès 2003.

Or ce mouvement n'est pas sans lien avec le développement d'un discours ambivalent, ici ou là, autour des objectifs de la télévision publique. Certains disent vouloir qu'elle fasse de la télévision différemment du privé, tout en la comparant à celui-ci pour ce qui est de l'audience et des ressources publicitaires. Cette ambiguïté est particulièrement sensible à l'égard de France 2, qui ne cesse d'être jugée à l'aune de TF1.

Revendiquer une véritable identité fondée sur une exigence de qualité toujours plus grande du service public implique de garantir l'indépendance du secteur audiovisuel public, prioritairement au regard du marché publicitaire. Sans cela, la télévision publique présentera de moins en moins d'oeuvres aux téléspectateurs et de plus en plus de produits. Or la quantité des contenants sans la qualité des contenus ne peut faire la diversité culturelle.

Les spectateurs qui refusent d'être réduits à du cerveau disponible pour la publicité risqueraient peu à peu de ne plus avoir d'espace public où se retrouver, alors même que, dans un monde de plus en plus complexe, l'audiovisuel, surtout public, a un rôle essentiel à jouer - tout comme la presse - de décryptage et de compréhension de notre société.

C'est dans ce contexte de fragilisation de ses ressources, que France Télévisions doit faire face à des impératifs nouveaux, nécessitant de fortes capacités d'investissement.

Le premier impératif réside dans la multiplication des supports, avec la poursuite de la diffusion en TNT et l'extension de sa couverture, que le Sénat vient de porter à 95 % du territoire dans le projet de loi relatif à la télévision du futur, au lieu des 85 % initialement prévus. Le groupe doit également se lancer dans la haute définition notamment pour les chaînes en simulcast, sans parler de la télévision mobile.

Le second impératif comprend la poursuite du plan de sous-titrage en direction des sourds et malentendants, prévu par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dont le coût global est estimé à 105 millions d'euros.

J'aborderai maintenant la situation particulière de France 3, dont la récente réorientation stratégique pose question.

Avec la restructuration des programmes régionaux et la réduction de sa filière de production en région, c'est la spécificité régionale, pourtant au coeur de la mission de la chaîne, qui se voit mise en cause. Quid du positionnement de France 3 comme chaîne de proximité ? Ce bouleversement d'orientation stratégique intervient à une période charnière, liée à l'arrivée de la publicité du secteur de la grande distribution dans l'audiovisuel. Ne risque-t-on pas alors de voir les télévisions locales adossées aux grands groupes de communication fragiliser davantage France 3 ?

Arte, pour sa part, qui bénéficie maintenant avec la TNT d'un canal complet, doit répondre à un élargissement important de sa grille de programmes. Elle a ainsi initié en 2006 une diffusion vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais, faute de moyens, la programmation comporte de nombreuses multidiffusions.

Le contrat d'objectifs et de moyens d'Arte, qui - il convient de le rappeler - n'engrange pas de recettes publicitaires, prévoyait une progression financière de 4, 9 % en 2003 et de 4 % en 2004 et 2005. Force est de le constater, le Gouvernement n'a pas tenu ses engagements, puisque la hausse n'a été que de 3 % en 2003, de 2, 34 % en 2004 et de 2, 45 % en 2005. Je ne parle même pas de l'année 2006, où l'évolution était inférieure à l'inflation. Mais, en l'occurrence, il n'y avait plus d'engagement de l'État, puisque le contrat d'objectifs et de moyens pour la période 2006-2010 n'a toujours pas été signé.

Or, pour faire face à ses obligations légales, comme la diffusion de certains programmes en haute définition, la chaîne devra mettre son fonds de roulement à contribution.

Il serait très regrettable de fragiliser financièrement la chaîne franco-allemande, alors qu'elle fait preuve d'une forte capacité d'adaptation et d'innovation face aux mutations technologiques - je pense notamment au projet « Arte Global » - et qu'elle développe de nouveaux partenariats avec d'autres chaînes européennes. Ainsi, Arte Belgique a été lancée au mois de septembre dernier en collaboration avec la RTBF. De même, un projet de chaîne culturelle avec la RTVE est en cours d'élaboration en Espagne.

S'agissant de l'expression radiophonique, les radios, notamment associatives, ont vu leurs contraintes budgétaires augmenter sensiblement depuis 2002. En effet, les différents taux de la taxe sur les publicités sont demeurés inchangés depuis quatre ans, ce qui correspond à une perte de valeur de 11 %. Alors que les ressources publicitaires des médias audiovisuels augmentaient de plus de 8 % par an, la taxe sur la publicité des télévisions et radios commerciales, qui est la principale source de financement du fonds de soutien à l'expression radiophonique, n'a pas suivi. Les contributeurs ne sont ni contrôlés ni sensibilisés au paiement de cette taxe. Dans ces conditions, monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous pour améliorer les modalités de perception de cette taxe ?

Par ailleurs, lors de l'adoption de la loi de finances pour 2006, la prévision de recettes de la taxe votée a été sous-évaluée. Elle a été estimée à 23, 75 millions d'euros, alors que les recettes perçues in fine se sont élevées à 25, 01 millions d'euros. Cela a entraîné des difficultés techniques de gestion pour ces radios. En effet, une fois la somme votée dépassée, aucun paiement n'est possible sans un décret du ministre des finances, même si les fonds sont disponibles.

Il faut donner aux radios associatives les moyens de remplir leurs missions, notamment celles fixées par l'accord-cadre signé avec le Gouvernement en novembre 2005, à la suite de la crise des banlieues, selon lequel « les opérateurs locaux de radiodiffusion de catégorie A participent à une plus grande cohésion sociale, à l'information et à l'éducation des jeunes et des personnes en phase d'insertion et de réinsertion professionnelle ».

C'est pourquoi, lors de l'examen des crédits du compte d'affectation spéciale « Cinéma, audiovisuel et expression radiophonique locale », nous vous proposerons un amendement tendant à majorer la taxe sur les publicités, qui constituera en 2007 l'unique recette de ce compte d'affectation spéciale alimentant le fonds de soutien à l'expression radiophonique.

Pour sa part, Radio France, qui est financée à près de 90 % par la redevance et confrontée à un important plan de réhabilitation de la Maison de la radio, verra ses ressources publiques n'augmenter que très faiblement, au risque de compromettre sa capacité à assumer ses missions prioritaires telles que le déploiement de la radio numérique, l'extension de la couverture FM ou le développement de nouveaux services.

Radio France Internationale, ou RFI, est également dans une situation complexe. En effet, son contrat d'objectifs et de moyens, qui devait être signé cette année, ne l'a toujours pas été. Cela démontre combien l'État peine à définir la place qui doit être laissée à cette société après le démarrage de la chaîne de télévision internationale, France 24.

Le maintien de RFI dans son actuel périmètre, qui était déjà compromis avec la disparition de certaines rédactions étrangères au profit d'internet, risque d'être davantage remis en cause, compte tenu du double emploi de fait avec la nouvelle chaîne investie d'une mission de diffusion en langues étrangères d'informations à destination d'un public international. Maintenant que nous avons trois chaînes internationales avec le lancement de France 24 voilà deux jours, il convient de donner à chacune d'elles les moyens de travailler correctement. La création de France 24 ne doit pas s'effectuer au détriment de TV5 et RFI.

Face à la dépendance accrue du secteur public de l'audiovisuel à l'égard de la publicité, qui n'est pas une manne infinie, et au risque d'émiettement du marché publicitaire lié à la multiplicité des supports techniques de diffusion, il est plus que temps d'inverser la tendance et de garantir notre indépendance culturelle en assurant à l'audiovisuel public un financement sur fonds publics plus large, ce qui est totalement à l'opposé des choix budgétaires et de la politique audiovisuelle du Gouvernement.

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