Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 8 décembre 2006 à 15h10
Loi de finances pour 2007 — Compte de concours financiers : avances à l'audiovisuel public

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quelques jours, le Sénat adoptait le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, par lequel nous fixions un cadre juridique pour le basculement à la diffusion numérique et l'avènement de la télévision mobile personnelle.

À cette occasion, nous avons abordé les perspectives d'évolution et d'adaptation du secteur audiovisuel aux nouvelles technologies. Nous avons tous évoqué la révolution numérique et les bouleversements qu'elle entraîne pour la télévision et les usages que nous en avons. Le développement de l'internet haut débit, la télévision numérique terrestre, qui a multiplié par trois le nombre de chaînes gratuites, et l'arrivée imminente de la télévision mobile personnelle et de la haute définition transforment radicalement le paysage audiovisuel français. Il faut prendre acte de ces évolutions et réfléchir à leurs conséquences sur la place de la télévision publique dans un paysage audiovisuel en pleine recomposition.

Dans ce contexte, le service public de l'audiovisuel doit s'adapter à de telles mutations technologiques en trouvant les moyens d'investir dans ces nouveaux programmes. Si l'on veut que l'audiovisuel public remplisse ses obligations de service public tout en diversifiant l'offre de programmes, un effort financier est nécessaire. En effet, on ne peut pas en permanence exiger, notamment dans les contrats d'objectifs et de moyens, que les chaînes publiques diffusent des programmes et des émissions de qualité en se différenciant des chaînes privées si on ne leur donne pas les moyens d'assurer ces missions.

En effet, notre audiovisuel public se caractérise par un sous-financement chronique. Si le budget de la mission « Médias » pour 2007 permettra au service public de l'audiovisuel de faire face à ses obligations les plus urgentes, c'est grâce à deux éléments conjoncturels. D'une part, le taux de remboursement des exonérations sociales a augmenté, passant à 509 millions d'euros cette année contre 440 millions d'euros en 2005 et en 2006. D'autre part, la publicité sera ouverte au secteur de la grande distribution à partir du 1er janvier 2007, ce qui augmentera de 2, 5 % les ressources de France Télévisions, mais non celles d'Arte.

Cette progression des ressources publiques, à hauteur de 2, 6 %, et des ressources propres ne vaut que pour 2007. Il faut donc envisager l'avenir.

L'audiovisuel public devra non seulement financer les obligations imposées par le législateur, mais également affronter une concurrence de plus en plus vive en raison de la poursuite du déploiement sur la TNT, du développement des programmes en haute définition, du renforcement des grilles, du sous-titrage des programmes pour les sourds et malentendants, de l'inflation du coût des programmes et de l'arrivée des opérateurs de télécommunications sur le marché, qui feront augmenter le coût des programmes et des droits.

Face à cela, de quelles ressources l'audiovisuel public dispose-t-il pour être à la hauteur de ses concurrents du privé ? La redevance ? Nous savons tous qu'elle est peu dynamique et vieillissante. En outre, il faut le reconnaître, la réforme de 2004 est un échec. On nous avait annoncé un meilleur taux de recouvrement et moins de fraudes, donc de meilleures rentrées, et c'est l'inverse qui se produit : les encaissements sont inférieurs de 30 millions d'euros aux prévisions. Ce nouveau mode de perception de la redevance audiovisuelle n'est pas satisfaisant. Son adossement à la taxe d'habitation est une source de confusion pour les contribuables téléspectateurs, qui ne voient pas le lien entre cette taxe et l'audiovisuel public. Il aurait mieux valu profiter de cette réforme pour revaloriser son taux, comme nous l'avions proposé à l'époque. C'était opportun au moment où l'offre télévisée gratuite était élargie avec le lancement de la TNT, et nos concitoyens auraient pu le comprendre.

Monsieur le ministre, vous souhaitez engager une véritable réflexion sur le financement du secteur public. Nous la souhaitons vivement également. Je vous propose dès aujourd'hui plusieurs pistes de réflexion et quelques mesures simples. Il faut tout d'abord garantir la dynamique des ressources publiques de l'audiovisuel. Tout le monde le sait, le montant de notre redevance, qui est de 116 euros, est plus faible que dans les autres pays européens, où la moyenne se situe aux alentours de 200 euros. Mais, conformément à la loi du 1er août 2000 modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il faut également obliger l'État à rembourser intégralement les exonérations sociales de redevance qu'il consent par ailleurs. Ce n'est pas à l'audiovisuel public de financer les exonérations décidées par le Gouvernement.

Afin de rendre cette ressource plus dynamique, il faut prévoir une actualisation annuelle de son taux, par exemple en fonction du taux d'inflation. Je le rappelle, la redevance s'élève à 116 euros pour la cinquième année consécutive. Enfin, nous devons envisager la possibilité, qui est conforme au principe de neutralité technologique, de percevoir la redevance sur des récepteurs autres que les téléviseurs ; je pense notamment aux ordinateurs. À l'heure de la convergence des médias et des nouveaux modes de consommation, il apparaît nécessaire de réfléchir à cette possibilité.

Après avoir évoqué l'évolution de l'audiovisuel public interne, je m'intéresserai aux perspectives de notre audiovisuel extérieur.

L'action audiovisuelle extérieure est assurée par plusieurs structures, comme TV5 Monde, Radio France Internationale, Canal France International et désormais France 24, qui ont tendance à s'empiler avec les années. Elles dépendent de tutelles différentes et les financements sont assurés par des ressources variables, par exemple des dotations du ministère des affaires étrangères, des parts de redevance ou des ressources propres.

Monsieur le ministre, selon votre prédécesseur, la création de la chaîne française d'information internationale, désormais dénommée France 24, devait « être une chance », dans la mesure où elle devait permettre de « rationaliser un paysage audiovisuel extérieur désorganisé et centrifuge ». À la lecture des documents budgétaires, ce n'est pas vraiment le sentiment que l'on a. L'audiovisuel extérieur se caractérise par son éclatement institutionnel, la dispersion des moyens et l'absence totale de pilotage de ses structures.

Cela dit, à l'occasion des débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale, nous avons été heureux d'apprendre l'existence d'un Conseil de l'audiovisuel extérieur de la France, structure de coordination chargée d'assurer le pilotage stratégique des différents opérateurs. Grâce à vous, monsieur le ministre, nous savons également que cette instance se réunira, dans les prochaines semaines, pour la première fois depuis dix ans. Cette réunion e : st pour le moins bienvenue.

Plus simplement, ne fallait-il pas profiter de la création de la chaîne française d'information internationale, ou CFII, pour rationaliser l'action audiovisuelle française à l'étranger et mutualiser les moyens actuellement dispersés ? D'ailleurs, le succès rapide de France 24 ne pourra se faire que si cette chaîne s'appuie sur le savoir-faire de RFI, de l'AFP et d'Euronews en matière éditoriale et sur l'expérience de TV5 et de Canal France International en matière de distribution. Nous notons avec satisfaction que des démarches sont entreprises dans ce sens. Les opérateurs existants y trouveraient également leur compte. Une large réflexion sur la situation de l'audiovisuel extérieur aurait permis d'affirmer le rôle et l'identité de chacun et d'en confirmer ainsi la légitimité. Dans cette perspective, pourquoi ne pas réfléchir à la création d'une holding regroupant l'ensemble des acteurs, afin de définir une stratégie commune et une meilleure gestion des intérêts de l'État dans ce domaine ?

En outre, si nous nous félicitons du lancement avant-hier soir de France 24, dont nous souhaitons la réussite pour assurer une présence et une vision françaises dans le monde, il faut néanmoins veiller à ce que l'effort budgétaire consenti par l'État, c'est-à-dire 86 millions d'euros cette année, ce qui reste tout de même dix fois inférieur aux budgets des chaînes internationales comme BBC World ou CNN International, ne s'effectue pas au détriment des autres acteurs de l'audiovisuel extérieur.

En effet, alors que France 24 a signé avec l'État une convention lui garantissant jusqu'au 31 décembre 2010 le versement d'une subvention annuelle de 80 millions d'euros en valeur 2005, les autres opérateurs, en particulier RFI et TV5 Monde, voient leurs moyens stagner depuis plusieurs années. Pourquoi ne pourraient-ils pas bénéficier d'un engagement financier similaire de la part du Gouvernement pour s'adapter dans un contexte mondial plus concurrentiel ? Ce serait nécessaire pour maintenir les moyens de TV5, qui est un vecteur essentiel - nous le savons - de la francophonie dans le monde, avec une audience mondiale qui a doublé en quatre ans, pour atteindre 73, 5 millions en 2005.

Je souhaiterais conclure en évoquant la situation de RFI, qui est particulièrement préoccupante cette année. Voilà quelques mois, son P-DG, M. Antoine Schwarz, est venu devant la commission des affaires culturelles pour nous faire part de ses craintes quant à l'avenir de la station. Tous les sénateurs présents avaient été sensibles à cette situation. Malheureusement, le budget pour 2007 vient confirmer la réduction par le ministère des affaires étrangères de la dotation budgétaire de 3, 2 %. C'est la traduction du désintérêt de l'État pour cet organisme, qui est pourtant l'un des acteurs les plus importants du rayonnement extérieur de la France. La mise à l'écart de RFI lors de la conception de la chaîne française d'information internationale et le gel des plans de développement à l'international étaient les signes annonciateurs de ce désengagement préjudiciable. Je m'associe donc au rapporteur spécial, qui a jugé inacceptable cette diminution injustifiée des ressources publiques de RFI.

En espérant que ces différentes remarques pourront faire l'objet de réflexions plus approfondies dans les prochains mois sur les missions de notre audiovisuel public tant en interne qu'en externe, le groupe de l'UC-UDF votera les crédits de la mission « Médias », avec les réserves que je viens d'exprimer.

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