Permettez-moi, d'abord, monsieur le ministre, de regretter l'affichage peu réaliste qui apparaît dans le « bleu » budgétaire. La présentation des chiffres cache, en fait, la teneur réelle de ce que vous nous proposez.
En effet, contrairement à la hausse de 7, 8 % présentée lors de votre conférence de presse, la réalité des chiffres est malheureusement bien différente.
Vous annoncez ainsi une progression budgétaire flatteuse en cette fin de législature. Pour ce faire, vous avez intégré les crédits destinés à financer la dotation générale de décentralisation des bibliothèques, qui se voient transférés sur la mission « Intérieur », soit 163 millions d'euros en 2006. Or, compte tenu de ce transfert de crédits, le changement de périmètre budgétaire n'est pas pris en compte dans votre présentation budgétaire ! Je doute, monsieur le ministre, qu'il s'agisse là d'une erreur de votre part !
Pas assez satisfait de la hausse ainsi obtenue, vous n'avez pas hésité à introduire également des ressources extra-budgétaires dans le calcul des crédits affectés à la mission « Culture ». Je pense non seulement aux 140 millions d'euros affectés aux monuments historiques de l'État et financés par le prélèvement opéré sur le produit des droits de mutation à titre onéreux, mais aussi aux 15 millions d'euros de crédits extra- budgétaires alloués au Centre national du livre et financés, cette fois, par l'élargissement de l'assiette de la redevance sur la reprographie par imprimantes et télécopieurs.
Suite à ces réajustements, et par une formule mathématique très simple d'additions et de soustractions, l'on obtient le véritable montant des crédits budgétaires destinés à la mission « Culture », à savoir 2 818, 386 millions d'euros. Par rapport aux 2 802, 73 millions d'euros de 2006, la hausse n'est donc plus que de 0, 5 % en euros courants, soit une baisse des moyens de l'ordre de 1, 3 %, si l'on tient compte de l'inflation.
En ce qui concerne le programme « Patrimoine », il est exact qu'une hausse de 12 % des crédits de paiement est prévue en 2007, mais elle doit être estimée au regard des baisses importantes enregistrées les précédentes années et qui sont d'une importance telle que le « rattrapage » de 2007 restera insuffisant par rapport aux crédits perdus précédemment.
Quant à l'action « Patrimoine monumental et archéologique », les moyens octroyés sont une fois de plus sacrifiés, puisque, au cours des six derniers exercices budgétaires, la situation de ces deux secteurs est devenue dramatique avec une enveloppe budgétaire qui a diminué de plus de la moitié, passant de 538 millions d'euros en 2002 à 249 millions d'euros en 2007.
Par ailleurs, les DRAC, faute de visibilité quant à leur potentiel budgétaire annuel, compte tenu des lois de finances rectificatives, sont nombreuses à avoir utilisé l'ensemble de leur enveloppe dès les six premiers mois de l'année. Pour mener correctement leurs missions, leurs moyens devraient donc être doublés.
Le premier secteur touché par ces graves déficits budgétaires est celui des monuments historiques. En juillet dernier, le Groupement des monuments historiques, le GMH - dont on ne peut contester ni la compétence ni le sérieux - a dénombré quelque trois cents chantiers suspendus faute de moyens, ce qui représente près du tiers du nombre de chantiers annuels.
Le bilan de l'arrêt de ces travaux est clair : 700 emplois ont dû être supprimés, le nombre d'apprentis à la rentrée 2005 a été divisé par deux, sans parler des entreprises qui ont été contraintes de déposer le bilan.
Sans faire de catastrophisme, comment ne pas légitimement craindre, dans ces secteurs, la disparition à court terme de savoir-faire spécifiques ? Dès lors, la conclusion est simple : la situation du patrimoine français est de plus en plus précaire, avec deux tiers des crédits budgétaires absorbés par seulement un tiers des monuments historiques que sont les édifices classés.
J'en viens au programme « Création », dont nous devons déplorer la baisse générale des crédits pour l'ensemble des actions. Hormis le spectacle vivant, dont les crédits stagnent en euros courants, les trois autres actions - arts plastiques, livre et lecture, industries culturelles - voient leurs dotations d'intervention diminuer.
Le budget que vous nous présentez, monsieur le ministre, sans parler de la crise de l'intermittence qui dure depuis bientôt quatre ans, va tout simplement compliquer la situation, ce qui est en contradiction avec la politique ambitieuse que vous défendez.
En effet, force est de constater l'indigence de la politique de soutien au spectacle vivant. Alors que vous annoncez que ce secteur a fait l'objet « d'un engagement déterminé depuis 2002 », ses crédits étant en augmentation de 14 %, la prise en compte de l'inflation de 12 % sur la même période fait retomber la hausse à 2 % !
Les dépenses d'intervention de l'action « Spectacle vivant » enregistrent donc une hausse inférieure à l'inflation. Cela est inquiétant pour le spectacle vivant, dont la situation va encore se dégrader. Les institutions culturelles, tout comme les compagnies et les jeunes groupes de création, verront en fait le soutien de l'État se réduire eu égard à leurs charges et à leurs besoins de développement.
L'exemple des quarante-quatre théâtres parisiens auxquels le ministère de la culture n'a pas versé les subventions promises pour l'entretien et la restauration des salles nous le rappelle : pour 2005 et 2006, ce sont 700 000 euros qui ont fait défaut, ce qui a malmené l'économie fragile d'un secteur déjà assez peu aidé.
Quant aux dépenses d'investissement consacrées aux aides aux collectivités territoriales pour les constructions d'équipement, telles que les zéniths, les Salons des métiers et activités de la création, les SMAC, les auditoriums ou encore les théâtres, elles diminuent de façon notable, et ce pour la deuxième année consécutive, entraînant la suppression des aides aux nouveaux équipements en région au profit de grandes opérations parisiennes.
Nous savons que ce sont les collectivités qui apportent la majeure partie du financement du spectacle vivant. Le tableau de « répartition du financement entre le ministère de la culture et les collectivités territoriales » confirme, d'ailleurs, que la diminution de la participation de l'État se prolongera en 2007. L'État ainsi, sans le dire, se désengage, laissant aux collectivités territoriales l'essentiel de la charge. Pour le spectacle vivant, les crédits, en deux ans, auront connu une baisse de près de 50 % !
J'en viens, monsieur le ministre, au problème des intermittents du spectacle, qui reste entier, malgré la signature du protocole d'accord du 18 avril 2006, non encore ratifié, et la mise en place du Fonds de professionnalisation et de solidarité à laquelle vous avez procédé
En effet, depuis plus de trois ans, à cause de l'agrément gouvernemental donné à l'accord du 26 juin 2003, la situation des intermittents est devenue très précaire. Le déficit de l'assurance chômage, principal argument pour légitimer la réforme, a, dans les faits, augmenté.
Cet échec, s'agissant de l'endiguement de ce déficit, se double du développement d'inégalités criantes et d'effets pervers, pourtant dénoncés par la majorité des parlementaires. À cet égard, le protocole du mois d'avril 2006 reflète le mépris affiché pour tout le travail d'expertise mené depuis trois ans, tant par le comité de suivi que par la mission d'information sur les métiers artistiques, ainsi que pour les propositions de loi déposées par 472 parlementaires, visant à relancer la procédure pour fixer le cadre de nouvelles négociations, sans se substituer aux partenaires sociaux, mais qui, le 12 octobre dernier, ont encore été rejetées, sur ordre du Gouvernement, par le biais d'artifices parlementaires.
Nous nous dirigeons ainsi vers un abandon progressif du régime particulier des artistes et des techniciens, abandon qui risque de remettre en cause le statut de salarié de nombreux travailleurs du secteur culturel et de mettre un terme à la solidarité interprofessionnelle, traditionnellement de mise dans ce secteur.