Intervention de Thierry Breton

Réunion du 20 octobre 2005 à 15h00
Offres publiques d'acquisition — Adoption d'un projet de loi

Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, pour préserver leur compétitivité et leur savoir-faire, nos entreprises doivent être en mesure d'innover et d'investir à long terme. Elles doivent trouver en France et en Europe un environnement favorable à leurs investissements mais aussi des actionnaires prêts à les accompagner dans la durée.

Le Gouvernement mène une action vigoureuse pour renforcer et pour stabiliser le capital des entreprises françaises, action qui suit trois axes majeurs.

Premier axe : placer la croissance et la compétitivité de nos entreprises au coeur de notre politique économique. Il ne faut pas oublier que c'est en premier lieu à l'entreprise elle-même - en pratique, à ses dirigeants - qu'il revient, en mobilisant ses collaborateurs autour d'une stratégie porteuse d'avenir, d'assurer sa pérennité et son développement. Les pouvoirs publics sont aux côtés des entreprises pour garantir un environnement favorable à leur réussite. La loi pour la confiance et la modernisation de l'économie, que j'ai eu l'honneur de défendre devant vous cet été, et la loi en faveur des petites et moyennes entreprises ont amélioré en ce sens l'environnement juridique et fiscal de l'entreprise tout au long de sa vie, de sa création à sa transmission.

Deuxième axe : favoriser un actionnariat stable, pour donner aux entreprises un horizon de long terme. A cet égard, nous connaissons notre faiblesse : Nos compatriotes se montrent trop timides lorsqu'il s'agit d'investir leur épargne en actions, ce qui a un effet négatif sur la disponibilité et le coût du capital des entreprises françaises.

A cet égard, trois pistes concrètes de progrès peuvent être envisagées.

Tout d'abord, avec l'adoption de la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie, qui autorise le transfert des contrats d'assurance vie en euros vers les contrats multi-supports, le Parlement a permis que le premier vecteur d'épargne des Français, l'assurance vie, s'investisse davantage en actions. Mes services ont préparé l'instruction fiscale attendue par les assureurs pour lancer le mouvement. De mon côté, je leur ai indiqué les engagements déontologiques que j'attendais d'eux avant de publier cette circulaire : les transformations de contrats devront respecter à la fois les intérêts des clients et la volonté du législateur. Le mouvement sera donc lancé, comme prévu, début novembre.

Ensuite, pour donner un actionnariat stable à nos entreprises, il me paraît légitime de récompenser la fidélité ; c'est la deuxième piste. Le Président de la République avait, au début de l'année, demandé au Gouvernement d'étudier le moyen d'encourager la détention longue d'actions en s'inspirant du modèle des plus-values immobilières. Nous avons arrêté, et je réserve cette nouvelle à la Haute Assemblée, un schéma équilibré, que je veux vous présenter en détail aujourd'hui.

Je proposerai au Parlement, lors de la discussion du prochain projet de loi de finances rectificative, d'examiner un dispositif qui sera ouvert à tous les épargnants dès lors qu'ils enregistreront, à partir du 1er janvier prochain, leurs titres au nominatif, de manière à pouvoir, bien entendu, « suivre » la détention des actions. Comme pour l'immobilier, l'exonération des plus-values serait progressive, à l'issue d'une conservation d'une durée minimale de cinq ans. L'analogie avec le secteur immobilier me paraît toutefois ne pas devoir aller plus loin, compte tenu de la différence des horizons de placement. L'exonération serait effective sur les trois années suivantes, par tranche d'un tiers, et serait donc totale après une détention de huit ans.

Avec ce système, les entreprises bénéficieront d'un actionnariat stable et durable, sur lequel elles auront une bonne visibilité grâce à l'inscription au nominatif. Les épargnants seront donc récompensés de leur fidélité. Le plan d'épargne en actions, le fameux PEA, ne disparaît évidemment pas, mais deux stratégies d'épargne à moyen terme seront désormais encouragées : l'une reposant, avec le PEA, sur une logique de « portefeuille » géré dans la durée ; l'autre, avec la dégressivité de l'imposition des titres au nominatif, sur un accompagnement continu d'un certain nombre d'entreprises françaises. Les épargnants pourront choisir entre ces deux approches selon leur profil ; il leur sera également possible de les cumuler.

La troisième piste de progrès pour favoriser un actionnariat stable consiste à créer un environnement propre à encourager le développement de l'actionnariat salarié, du point de vue à la fois de l'entreprise et des salariés eux-mêmes. J'ai été très attentif aux messages transmis à l'occasion des débats sur le projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, et qui ont été repris dans l'excellent rapport de MM. Godfrain et Cornut-Gentille. L'importance de l'épargne salariale dans notre pays est un atout puisque près des deux tiers de cette épargne, soit 67 milliards d'euros au 30 juin 2005, sont investis en actions ; c'est ainsi le vecteur d'épargne le plus porté vers ce type d'investissement.

J'ai bien entendu la demande des acteurs de la participation et de l'intéressement de prévoir, pour l'avenir, un cadre juridique stable et de ne plus procéder de manière imprévisible à des déblocages exceptionnels ; je peux vous confirmer que le Gouvernement travaille actuellement sur un nouveau cadre stabilisé.

L'actionnariat salarié présente en outre l'avantage d'associer encore plus les salariés au destin de leur entreprise. De nombreux groupes français ont, du reste, compris que c'était une stratégie gagnante et ont développé ce type d'actionnariat, non seulement quantitativement, mais aussi qualitativement, en l'appuyant sur un dialogue interne renforcé et nourri.

Le Gouvernement souhaite encourager cette logique et favoriser sa diffusion non seulement dans les entreprises cotées, mais également dans les entreprises non cotées. Il nous faut notamment prendre en compte les questions de gouvernance, afin que les actionnaires salariés puissent exercer pleinement leur rôle d'actionnaires.

Il faut également éviter que l'imposition du patrimoine ne piège les salariés qui s'engagent fortement aux côtés de leur entreprise par le biais de l'actionnariat salarié. Le dirigeant d'une entreprise très impliquée dans ce type d'actionnariat m'a récemment indiqué que plusieurs milliers - je vous laisse méditer sur cet ordre de grandeur - de ses collaborateurs étaient potentiellement assujettis à l'ISF du simple fait de la valorisation des actions de leur entreprise qu'ils détiennent, alors même que cette épargne est bloquée. C'est un effet pervers qu'il me paraîtrait utile de corriger. Nous en débattrons dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances.

Troisième axe de l'action du Gouvernement pour renforcer et stabiliser le capital des entreprises françaises : définir des règles du jeu équitables, adaptées à une économie mondialisée. Tel est, plus spécifiquement, l'objet du projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter.

La présentation de ce texte devrait permettre à la France d'être l'un des premiers pays européens - c'est suffisamment rare pour être souligné - à transposer la directive sur les offres publiques d'acquisition, dont le délai de transposition expire, je vous le rappelle, en mai 2006. Cette échéance doit d'ailleurs nous inciter à ne pas traîner, car de nombreuses dispositions réglementaires sont également nécessaires à la mise en oeuvre de la directive.

Le projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition résulte d'une large concertation, qui a notamment porté sur la manière de transposer en droit français les dispositions optionnelles de la directive. Je tiens à cet égard à saluer le remarquable travail qu'a réalisé le groupe présidé par M. Jean-François Lepetit : il a permis d'aboutir à des propositions réellement consensuelles et saluées sur la place de Paris.

Je m'engage devant vous à ce que cette dynamique de concertation soit maintenue : l'Autorité des marchés financiers, l'AMF, procédera à une consultation publique sur les modifications de son règlement général nécessaires à la mise en oeuvre du projet de loi que vous vous apprêtez à examiner.

Venons-en maintenant au contenu concret de ce texte, qui comporte deux grandes parties.

En premier lieu, le projet de loi vise à transposer les dispositions obligatoires de la directive. Celles-ci modifient relativement peu notre droit national dans la mesure où, depuis 1966, notre droit boursier est l'un des plus complets, cohérents et protecteurs des actionnaires minoritaires en Europe.

En second lieu, et c'est l'aspect le plus innovant de ce projet de loi, il traduit les choix qui ont été effectués s'agissant des dispositions optionnelles de la directive.

Le Gouvernement, qui a suivi les recommandations du groupe Lepetit, a eu deux exigences fortes lors de cette transposition.

Il a d'abord souhaité renforcer encore davantage la démocratie actionnariale, qui est au coeur de notre droit boursier. Je dois dire que j'aurais eu du mal à défendre ce texte au Sénat sans avoir cet objectif en tête, connaissant par ailleurs la conviction de la Haute Assemblée en la matière, et plus particulièrement celles du rapporteur général et du président de la commission des finances. Je partage évidemment, mesdames, messieurs les sénateurs, votre intérêt pour ce sujet.

Le Gouvernement a aussi voulu permettre aux entreprises de disposer de moyens de défense équitables face à d'éventuels initiateurs. La protection des actionnaires minoritaires n'est en rien synonyme de naïveté, je le répète, à l'égard de la compétition internationale.

Je passerai rapidement sur la transposition par le projet de loi des dispositions obligatoires de la directive. Nous aurons l'occasion d'y revenir tout à l'heure.

Le projet de loi tend d'abord à adapter le champ de compétence et les pouvoirs de l'Autorité des marchés financiers. Il s'agit, en fait, de prendre en compte les cas où plusieurs marchés réglementés de l'Union européenne, et donc leurs autorités de contrôle, sont concernés par l'offre. Le champ de compétence de l'AMF est modifié en conséquence, en fonction de critères relatifs au siège social et au lieu de première cotation des sociétés.

Le projet de loi donne également compétence à l'AMF pour prévoir, à la demande d'Alternext, les éléments de réglementation des offres publiques qui pourraient s'avérer pertinents pour ce marché. C'est la suite logique de la démarche que nous avions retenue, vous vous en souvenez, pour la loi sur la confiance et la modernisation de l'économie.

Le projet de loi traite ensuite de la question du prix des offres obligatoires, en disposant que le prix équitable doit être au moins égal au prix le plus élevé payé par l'initiateur pour l'acquisition des titres ayant donné lieu au dépôt de l'offre obligatoire. L'Autorité des marchés financiers peut en demander la modification, en fonction de critères précisés dans son règlement général.

J'en viens maintenant à une disposition importante du projet de loi, à savoir le nouveau dispositif de retrait obligatoire à la suite de toute offre publique d'acquisition. Il représente une simplification importante pour les initiateurs, qui n'auront plus à déposer, au préalable, une offre publique de retrait. Pour autant, je souhaite garantir la protection des actionnaires minoritaires : c'est pourquoi j'ai souhaité exercer l'option offerte par la directive et donc maintenir le seuil de retrait obligatoire à 95 %.

Sur la question des compétences de l'Autorité des marchés financiers, une disposition, élaborée par mes services et cette Autorité, prévoit que, dans certains cas, un éventuel initiateur peut avoir à déclarer ses intentions, notamment en cas de rumeurs sur un titre ou de variation significative du cours de ce titre. L'AMF peut alors en tirer les conséquences et, le cas échéant, le dépôt d'une offre peut être refusé.

Chacun voit le progrès appréciable apporté par cette disposition, qui permet de mettre fin, de manière claire, à des situations insatisfaisantes pour la bonne information du marché. Je vous proposerai d'introduire par voie d'amendement la base législative nécessaire à cette clarification.

Dernier point de cette première partie du projet de loi : l'amélioration de l'information des actionnaires et des salariés.

Le projet de loi tend tout d'abord à imposer la publication des mesures susceptibles d'avoir une influence sur le cours de l'offre. Actuellement, seules certaines mesures, comme les pactes d'actionnaires, doivent être publiées, et ce dans divers documents. Demain, l'ensemble des mesures susceptibles d'avoir une incidence sur l'offre seront publiées dans un même document, le rapport de gestion.

Le projet de loi vise également à améliorer l'information des salariés : l'auteur de l'offre devra adresser la note d'information non seulement au comité d'entreprise de la société visée, mais également à son propre comité d'entreprise. Par ailleurs, une information est également prévue pour les entreprises dépourvues de représentation du personnel, situation qui existe aussi dans les sociétés cotées, par exemple dans les holdings.

J'en arrive aux dispositions de nature optionnelle de la directive.

Comme je vous le disais tout à l'heure, le Gouvernement a eu deux exigences fortes : renforcer la démocratie actionnariale, mais aussi, en se gardant de toute naïveté, permettre aux entreprises de disposer de moyens de défense équitables. Nous avons donc cherché un équilibre, et je pense sincèrement que nous y sommes parvenus.

Le Gouvernement a fait le choix de rendre obligatoire l'article 9 de la directive. Celui-ci prévoit que, en période d'offre, c'est à l'assemblée générale des actionnaires que revient la responsabilité d'approuver toute mesure dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre. C'est un principe fort, qui est repris par nos partenaires européens : six pays de l'Union à quinze envisagent d'ores et déjà de le retenir.

La contrepartie de cette confiance accordée aux actionnaires est évidemment un fonctionnement facilité et accéléré des assemblées générales. Dans la logique de la réforme des quorums des assemblées générales adoptée cet été, et après une discussion du reste intéressante, plusieurs initiatives de votre rapporteur général, qui visent à améliorer ce fonctionnement, me paraissent utiles.

Ce renforcement de la démocratie actionnariale doit être conjugué avec les outils nécessaires à nos entreprises pour affronter la compétition internationale.

Pour cela, le Gouvernement a fait le choix d'offrir aux entreprises la possibilité de mettre en oeuvre la clause de réciprocité. Cela signifie qu'une société française qui fait l'objet d'une offre initiée par une société étrangère n'appliquant pas l'article 9 ou des mesures équivalentes pourra suspendre l'application de cet article.

Dès le vote de la loi, les sociétés ne seront donc plus dans la situation actuelle, issue de l'ordonnance sur les valeurs mobilières du 24 juin 2004, d'une suspension automatique des délégations au conseil d'administration en période d'offre.

En revanche, le Gouvernement, comme ceux de la quasi-totalité des pays de l'Union européenne, a choisi de ne pas vous proposer de rendre obligatoire l'application de l'article 11.

Cet article, qui conduit à suspendre des contrats de droit privé en période d'offre, est en effet trop rigide et a pour conséquence de priver émetteurs et investisseurs de solutions contractuelles, concourrant, dans des conditions transparentes, à la structuration et à la stabilité de leur capital, et permettant des solutions favorables à leur financement.

Ce projet de loi est néanmoins l'occasion, et c'est un choix fort, d'inscrire au niveau législatif deux mesures comprises dans le champ de l'article 11 de la directive, déjà connues, du reste, en droit français. Il s'agit de la suspension des clauses statutaires qui, en période d'offre, limiteraient les transferts d'actions ainsi que de celles qui, à l'issue d'une offre réussie, limiteraient l'exercice des droits de vote. Ces dispositions entrent donc dans notre ordre public et le Gouvernement estime qu'elles constituent un socle nécessaire et suffisant pour assurer la compétitivité de notre environnement juridique.

Tel est donc le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui. Il est caractérisé, c'est vrai, par une nécessaire technicité. Mais qu'on ne s'y trompe pas : elle est placée au service de choix stratégiques forts en faveur de la compétitivité de notre pays, du point de vue tant des entreprises que des investisseurs. Je suis donc sûr qu'il recueillera toute votre attention et je vous remercie par avance de la qualité des débats qui s'annoncent.

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