Intervention de Philippe Marini

Réunion du 20 octobre 2005 à 15h00
Offres publiques d'acquisition — Adoption d'un projet de loi

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est un texte de transposition, mais il intervient dans un contexte marqué par une grande sensibilité aux offres publiques d'acquisition.

Par ailleurs, il demeure très technique, car il apporte des retouches ponctuelles au code de commerce, ainsi qu'au code monétaire et financier. Dès lors que l'on vise ces deux codes, il paraît logique que la commission des lois et la commission des finances avancent du même pas. Je salue, à cet égard, le travail effectué en bonne entente avec le rapporteur pour avis de la commission des lois, François-Noël Buffet.

Il convient, tout d'abord, de rappeler que l'on assiste à une véritable reprise, à une amplification même du mouvement de fusion et d'acquisition à l'échelle internationale.

La France ne fait pas exception. C'est ainsi qu'elle a connu des opérations majeures entre acteurs nationaux ; je pense au succès de Sanofi-Synthé Labo sur Aventis en mai 2004, mais aussi au rachat d'entreprises françaises par des centres de décision internationaux, par exemple, l'acquisition de Péchiney par Alcan fin 2003. L'inverse s'est également produit sous la forme de brillants succès remportés par de grands groupes à direction française, tel Pernod-Ricard acquérant le contrôle de son principal concurrent, AlliedDomecq.

Il est clair que l'opinion est particulièrement sensible à ces sujets, qui suscitent les commentaires les plus divers, même lorsqu'il s'agit techniquement, non d'une offre publique d'acquisition, mais seulement de rumeurs ou d'éventualités ; je pense à l'épisode Danone de l'été dernier.

Mes chers collègues, les offres publiques d'acquisition figurent dans notre législation depuis fort longtemps et participent à la mobilité et à la vitalité du tissu économique.

Bien souvent, la simple probabilité ou le simple risque que ces offres se produisent est un facteur incitatif à la réorganisation d'entreprises, à une meilleure gestion, à la prise de responsabilité et, donc, à la préservation des intérêts patrimoniaux des actionnaires comme à celle de l'identité et de la continuité de l'entreprise.

A l'examen des épisodes réels de ces derniers mois, nous pouvons, les uns et les autres, confronter notre vision de ces phénomènes.

Pour ma part - et c'est le point de vue de la commission des finances - je pense que les offres publiques d'acquisition telles qu'elles se déroulent, sur des marchés aussi transparents que possible, présentent, dans l'ensemble, plus d'avantages que d'inconvénients : avantages pour les actionnaires, avantages pour les sociétés, avantages pour l'économie dans son ensemble.

J'achèverai cette introduction en rappelant que, selon une statistique récente, du 1er janvier au 21 septembre 2005, ce sont les initiateurs d'origine française qui arrivent au premier rang pour les fusions et acquisitions transfrontalières portant sur des sociétés européennes.

Ce classement montre que les opérations de cette nature ont représenté globalement, sur cette période, plus de 60 milliards de dollars.

Nous avons donc à opérer la transposition d'une directive communautaire. Suivant un chemin long d'un peu plus de vingt ans -- elle aurait dû, en effet, être adoptée en 1989 - elle a connu des phases diverses. Elle est passée à plusieurs reprises devant le Parlement européen pour, en définitive, être adoptée dans le cadre du plan d'action pour les services financiers, le 21 avril 2004.

Le débat communautaire, ces dernières années, s'est surtout focalisé sur la notion d'égalité dans les conditions de jeu, en d'autres termes, d'équité de la concurrence et de transparence de l'information.

La directive, qui résulte d'assez savants compromis et de cette histoire longue et complexe, est à géométrie variable, c'est-à-dire qu'elle comporte des options de transposition à la disposition des Etats membres. Dans ce cadre, et en tout cas à ce stade, le Gouvernement ayant pris connaissance des marges de manoeuvre que cela nous offre, il nous propose une transposition que la commission estime, pour sa part, équilibrée.

M. le ministre Thierry Breton nous a rappelé l'articulation générale du texte sur laquelle je ne reviendrai donc pas. Je voudrais néanmoins rappeler que l'on a très largement consulté les acteurs et les professionnels, en particulier dans le cadre du groupe de travail présidé par M. Jean-François Lepetit et dont le rapport a été remis le 27 juin 2005.

Au demeurant, le présent projet de loi est loin d'être une révolution pour les offres publiques d'acquisition en droit français. En effet, la plupart des dispositions de la directive, même sous des formulations juridiques différentes, avaient été anticipées par notre droit au fil des années.

Il en est ainsi des procédures d'offre obligatoire en cas de franchissement de seuil, et nous avons de nombreux seuils dans le droit financier français. Il en est également ainsi des procédures d'offre de retrait ou de rachat obligatoire et, même, de la suspension de certaines clauses statutaires, ou encore des dispositions relatives aux informations sur une offre publique.

Néanmoins, le texte que nous allons examiner peut être considéré comme un bon socle pour la compétitivité du marché financier de Paris et, en même temps, pour une gestion à la fois sécurisée, autant que l'économie le permet, et transparente des entreprises et du contrôle de leur capital.

Comme vous le savez, mes chers collègues, en particulier depuis la loi de sécurité financière de 2003, l'Autorité des marchés financiers occupe une place centrale dans la surveillance et la régulation de toutes ces procédures. Elle le fait sur la base des principes généraux qui sont affirmés par son règlement général.

Ces principes, je le rappelle, sont le libre jeu des offres et de leur surenchère, l'égalité de traitement et d'information des détenteurs de titres, la transparence et l'intégrité du marché, et la loyauté dans les transactions.

Tous ces principes sont présents dans la directive européenne et le projet de loi de transposition n'y contrevient en rien.

Dans ce contexte, la commission des finances a souhaité suggérer à notre Haute Assemblée, non seulement de valider les options que nous propose le Gouvernement, mais aussi d'apporter quelques précisions ou quelques interprétations qui nous paraissent encore nécessaires. C'est le cas, en particulier, à l'article 2, concernant la définition du prix équitable, dans le souci d'éviter retards ou contentieux inutiles, toujours perturbants et coûteux pour la réalité économique.

Nous nous sommes également interrogés, monsieur le ministre, sur le seuil des retraits obligatoires. Lorsqu'un initiateur est parvenu à acquérir plus de 90 % des titres en jeu, nous estimons que l'offre qui a été aussi fructueuse a fait la preuve de ses mérites et que les conséquences doivent pouvoir en être tirées sur l'intégrité du capital de l'entreprise.

C'est, au demeurant, une pratique internationale largement répandue. Et, si nous souhaitons atteindre autant qu'il est possible notre objectif de compétitivité du marché de Paris dans un contexte extrêmement concurrentiel, nous avons le sentiment que ce seuil serait raisonnable, d'autant plus que notre législation en la matière, adoptée à la fin de 1993, prévoit des dispositions tout à fait précises pour la fixation des prix en matière de retrait obligatoire.

Dans ce cas, vous le savez, monsieur le ministre, on se réfère à une analyse multicritères susceptible de pondérer les appréciations issues de la simple observation des valeurs de marché.

Pour le reste, nous estimons que le principe de réciprocité est l'une des clés de ce texte. Il s'agit de protéger les entreprises cibles d'offres publiques des initiatives prises par d'autres entreprises, le cas échéant non européennes, qui ne s'astreindraient pas à la même transparence.

En d'autres termes, la commission des finances estime que, s'il existe des offres compétitives visant une même cible émanant de différentes compagnies dont une seule bénéficierait de règles de protection du capital plus dissuasives que ne le sont celles de la cible, cette dernière devrait pouvoir rétablir l'intégralité des défenses dont la directive, par le jeu des options, risque de la priver.

Tel est le sens que nous entendons donner à la notion de réciprocité : celle-ci doit être aussi étendue que possible et l'équité doit prévaloir dans son application. Mais je ne m'appesantirai pas sur ce point, renvoyant les explications techniques à l'occasion de la discussion des articles. Je souhaitais simplement vous indiquer l'orientation générale qui a guidé la commission des finances.

De même, nous considérons que ce texte représente une bonne opportunité pour adapter sur quelques points notre droit financier afin d'améliorer - M. le ministre y a fait allusion -, les conditions de convocation des assemblées générales en période d'offre ainsi que les conditions de fonctionnement desdites assemblées. Nous pourrons notamment faciliter, lorsque cela est possible, le recours au vote électronique.

Nous serons donc amenés, sur ces différents sujets, à proposer quelques initiatives susceptibles, à notre avis, de renforcer encore un peu plus cette démocratie actionnariale dont nous parlait M. Breton il y a quelques instants.

Enfin, monsieur le ministre, je tiens à dire que la commission des finances a abordé dans un esprit très positif -elle a d'ailleurs émis à ce sujet un avis tout à fait favorable - un amendement déposé par le Gouvernement tendant à renforcer les pouvoirs de l'Autorité des marchés financiers en permettant à cette dernière, en cas de rumeurs de marché ou de mouvements apparemment anormaux sur un titre, d'interroger l'initiateur éventuel d'une offre future non encore déclarée, afin que cette société puisse exprimer de façon transparente devant le marché ses réelles intentions.

L'initiateur putatif est-il oui ou non intéressé ? Etudie-t-il cette possibilité ? Exclut-il de le faire dans l'avenir ? Il lui appartient de le faire savoir et d'en informer de manière tout à fait transparente l'ensemble du marché, de telle sorte que chacun puisse adapter son comportement en toute connaissance de cause.

Dès lors que la réponse à ce questionnement de l'AMF serait négative, montrant par là même un désintérêt vis-à-vis de l'opération, il est clair que la sanction devrait être l'irrecevabilité, pendant par exemple une période de six mois, de toute offre ultérieure de la même société sur la même cible.

En conclusion, mes chers collègues, les trente-quatre amendements déposés par la commission - dont beaucoup ont un caractère rédactionnel - représentent autant d'initiatives destinées tout à la fois à accroître la prévisibilité, et donc la compétitivité, de la place de Paris, à mieux protéger les actionnaires, en particulier minoritaires, et à utiliser à bon escient tout l'arsenal défensif qu'autorise la directive afin de permettre aux entreprises françaises de lutter à armes égales, c'est-à-dire, espérons-le, de gagner le plus souvent possible.

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