Intervention de François Marc

Réunion du 20 octobre 2005 à 15h00
Offres publiques d'acquisition — Adoption d'un projet de loi

Photo de François MarcFrançois Marc :

L'effervescence boursière que vous vous contentez d'accompagner à travers ce texte mériterait pourtant une régulation et un encadrement juridique forts, fondés sur une prise en compte plus équilibrée des paramètres de la finance, de l'économique et du social.

Mais, au fond, cette gesticulation politico-médiatique de l'été avait peut-être une autre fin : masquer l'incapacité du Gouvernement à répondre aux attentes du monde salarié, notamment sur la question du pouvoir d'achat.

Par des artifices, le Gouvernement s'évertue à enterrer le débat sur la redistribution. On ne sait pas redistribuer ou, plutôt, on ne le veut pas. Le projet de budget pour 2006 en apporte une nouvelle illustration !

Impuissant sur ce terrain, on donne en contrepartie le sentiment de protéger.

« Protégeons les entreprises françaises », dit le Premier Ministre ! Mais comment ? Si c'est à l'aide d'un décret destiné à permettre un meilleur contrôle des investissements directs étrangers, cela reste à voir ! Ce décret est en effet bloqué au Conseil d'Etat. Pourra-t-il un jour être appliqué ? En l'espèce, rien ne semble acquis.

Dans ces conditions, on pouvait s'attendre à ce que le projet de loi apporte - au-delà des seules préconisations du rapport Lepetit - une concrétisation de vos velléités de protection. En fait, il n'en est rien. Non seulement ce texte n'innove en aucune façon en matière de protections, mais il crée au surplus un contexte encore plus incertain pour les entreprises françaises soumises à des OPA hostiles.

Alors que le droit français offrait aux entreprises des moyens juridiques de garantir la stabilité de leur capital et, dans une certaine mesure, de se protéger contre les opérations inamicales de prise de contrôle, le texte de transposition de la directive européenne tend en fait à restreindre leur marge de manoeuvre.

Ainsi, en choisissant de transposer l'article 9 de la directive, qui prévoit qu'en période d'offre publique toute mesure de défense doit être approuvée par les actionnaires de la société « cible », vous déplacez les centres de décision.

La décision de se protéger contre une OPA hostile n'appartiendra plus au seul conseil d'administration, elle dépendra exclusivement des actionnaires Bien sûr, cette disposition renforcera la démocratie actionnariale, ce qui peut apparaître comme un progrès, mais elle subordonnera cette décision aux intérêts exclusivement financiers des actionnaires, perdant ainsi de vue la nécessité de garantir l'emploi, la stabilité économique de l'entreprise et la préservation des territoires.

Monsieur le ministre, vous dites vouloir protéger les entreprises françaises. Mais, dans le même temps, vous subordonnez la décision de lutter ou non contre une OPA hostile au bon vouloir des seuls actionnaires, qui, à l'évidence, se préoccuperont avant tout de leurs propres intérêts financiers à court terme.

Non, monsieur le ministre, nous ne partageons pas la même conception de l'entreprise ! L'aspect financier et capitalistique ne saurait être l'unique critère pour décider de l'avenir d'une entreprise. Celle-ci n'est pas une machine à sous ! Elle est avant tout une organisation sociale et le maillon d'une chaîne complexe de production de biens et de services.

Vous délaissez les réalités humaines et sociales pour ne retenir qu'une logique spéculative souvent contraire aux intérêts mêlés des salariés, des bassins d'emploi et des filières situées en amont et en aval.

Avec la logique de transposition retenue dans votre projet de loi, vous privilégiez la satisfaction des prérogatives actionnariales. Vous n'offrez aucune possibilité de mobilisation des forces de défense, en particulier celle des acteurs sociaux de l'entreprise.

De nombreux exemples tirés de l'actualité récente démontrent à quel point la recherche d'un maximum de profit à court terme dérègle bien des ressorts de l'économie mondiale. Il est clair que la course à la rentabilité à court terme nuit à l'emploi, sacrifié sur l'autel des exigences actionnariales des 15 % de rentabilité minimum. De nombreux scandales boursiers ont d'ailleurs été générés par cette gigantesque course au profit !

Comment inverser la tendance, privilégier à nouveau le long terme sur le court terme, se préoccuper de la préservation des bassins d'emploi, mieux intégrer le monde du travail aux prises de décision qui le concernent ? Telles sont les questions qui nous sont posées aujourd'hui.

Ce projet de loi offrait à cet égard une opportunité de répondre à ces préoccupations, certes de façon très partielle, ... mais n'est-ce pas l'intention qui compte ?

Le groupe socialiste et apparentés aurait ainsi souhaité que cette transposition puisse être l'occasion d'une affirmation plus tranchée de principes d'action plus largement affranchis du carcan de la finance dominatrice.

En choisissant de transposer l'article 9, alors que la directive laissait la liberté de choix aux Etats membres, vous vous êtes enfermés dans un piège, vous avez mis au jour les contradictions qui existent entre vos discours et vos actes.

Vous favorisez les actionnaires au détriment de l'intérêt social et de l'emploi, mais pas n'importe quels actionnaires : vous faites porter vos efforts sur les plus gros, les investisseurs institutionnels et les fonds de pension, ceux qui, justement, dictent leur loi aux entreprises et peuvent, par une simple transaction financière, décider de délocaliser une entreprise sans égard pour la situation locale qui en résulte.

Oui, ce projet de loi est aussi construit pour protéger les plus forts. L'amendement déposé par le rapporteur, notre collègue M. Marini, en accentue d'ailleurs la vocation : ne se satisfaisant pas de l'expropriation à moindre coût des actionnaires minoritaires dans les offres publiques obligatoires, la commission des finances propose d'en faciliter la mise en oeuvre en abaissant le seuil à 90 % des titres !

A qui souhaite-t-on faire plaisir ? Est-ce aux investisseurs institutionnels, aux gros conglomérats ? Sans doute ! Mais, ce faisant, on oublie que la protection de l'actionnaire minoritaire est l'un des principes fondamentaux du droit des marchés financiers.

Ce principe n'est pas inutile, car il garantit un fonctionnement équitable du marché, ce qui est indispensable à la sécurité et à la confiance des marchés financiers : tous les acteurs doivent être traités équitablement, surtout en matière de procédures d'exclusion.

Monsieur le ministre, votre texte feint de protéger les entreprises françaises alors qu'il n'est construit que pour faciliter la vie actionnariale au détriment - comme toujours ! - des plus faibles : les salariés et, dans une moindre mesure, les actionnaires minoritaires. Aussi, en l'état, il ne peut recueillir l'approbation du groupe socialiste.

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