Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il ne fait aucun doute que la mise en oeuvre des offres publiques d'acquisition constitue un facteur essentiel de l'animation des marchés financiers. Si l'on se place dans le cadre d'une économie libérale, où l'on vise à la plus grande mobilité des capitaux, elles en constituent même l'une des manifestations les plus caractéristiques.
Dès lors que des entreprises sont concurrentes sur un même marché, que la structure de leur capital permet d'envisager une éventuelle prise de contrôle, que les dirigeants visent à donner à leur groupe la « taille critique » qui lui permettra de jouer un rôle sur ses secteurs d'activité, la mise en oeuvre des OPA constitue un outil de réalisation de ces objectifs.
M. Marini le confirme d'ailleurs dans son rapport écrit : « Les OPA participent de la mobilité et de la vitalité du tissu économique. Elles contribuent à l'acquisition d'une taille critique, à l'obtention de synergies industrielles et commerciales, à la conquête plus rapide de parts de marché. Leur simple probabilité constitue un facteur incitatif à la création de valeur et à la préservation des intérêts financiers des actionnaires, susceptible de se traduire par un accroissement du cours de bourse, et donc par le renchérissement du prix à payer pour une cible potentielle. »
En vertu de tels principes, nous ne devrions voir, dans l'accomplissement de ce type d'opérations financières, que des aspects positifs.
Pourtant, la simple lecture des événements historiques qui ont conduit à l'adoption de la directive européenne 2004/25/CE nous montre que ces questions sont bien plus complexes et dépassent de loin la seule « animation » des marchés financiers.
Le capital d'une entreprise ne crée pas de valeur par hasard et la valorisation actuelle ou future d'une entreprise, quelle qu'elle soit, dépend étroitement de la production de biens et de services qu'elle réalise par le travail de ses salariés.
La directive européenne de 2004 est l'aboutissement d'un long processus de rédaction - « une histoire sans fin », pour reprendre les termes de ses coauteurs - visant à unifier le fonctionnement des marchés financiers en Europe et à faciliter le déroulement des OPA.
Par conséquent, nous devons nous poser une première question : faut-il transposer quasiment à l'identique dans notre droit interne une directive dont l'assise juridique est fondée sur un texte qui a été sérieusement remis en question par le suffrage universel au mois de mai dernier ?
La directive relative aux OPA a tout simplement attendu dix-neuf ans avant de trouver cette forme pour le moins contradictoire, comme c'est souvent le cas pour un texte européen. Je ne reviendrai donc pas sur ce long processus chaotique, mais nous pouvons néanmoins en retenir quelques éléments essentiels.
Nous nous trouvons face à un projet de loi d'inspiration et de philosophie profondément libérales ; ses seules véritables avancées en matière d'information ne concernent que les actionnaires, qu'ils appartiennent aux sociétés offrantes ou aux sociétés cibles.
Mais ce texte ne règle pas le problème que posent des OPA annoncées tardivement et dont l'objectif est, la plupart du temps, de réaliser une juteuse plus-value sur une opération menée de longue main, par ordres de bourse discrets et successifs.
Peut-être devrions-nous demander s'il n'y pas lieu de renforcer les prérogatives des autorités de contrôle sur les opérations qui peuvent être menées avant même la publicité effective des OPA.
En effet, si le règlement général de l'AMF évoque la notion de « manipulations de marché » dans son livre VI, il n'en demeure pas moins que le suivi de ces opérations appelle sans doute des moyens et des mesures substantiels.
Une autre question-clé de la directive est celle de l'information des salariés. Y a-t-il lieu de donner une teneur particulière à l'expression de leur sentiment ?
Là encore, la directive ne fournit que de minces garanties. Tout juste fait-elle entrer dans notre droit la faculté pour le chef d'une entreprise dépourvue de comité d'entreprise d'informer ses salariés de la mise en oeuvre d'une OPA.
Là se situe pourtant, nous semble-t-il, le coeur du débat.
Si les conditions d'information et de réaction des actionnaires de chacune des entreprises concernées semblent fixées par la directive, le texte ne modifie pas de façon substantielle le droit des salariés, notamment en ce qui concerne la gestion des entités économiques en jeu.
Or, nul ne peut l'ignorer, que ce soit par l'achat ou l'échange de titres ou par la mobilisation de ressources financières propres ou empruntées, les OPA ont une incidence sur l'emploi comme sur l'implantation de chacune des entreprises concernées.
Les « synergies industrielles et commerciales » se traduisent trop souvent par la fermeture de certaines implantations et par la suppression de services qui viennent en doublon avec ceux de l'entreprise offrante.
Créer de la valeur est, dans l'esprit de certains, la quête inexorable du profit et de la rentabilité financière.
Quand, en 2005, Hewlett Packard a licencié plusieurs milliers de salariés, dont plusieurs centaines en France - mon département de l'Essonne est particulièrement concerné -, c'est bien parce que, en 2003, le groupe a absorbé Compaq et qu'il a depuis lors déplacé vers certains pays du sud-est asiatique une grande partie de la fabrication de composants de matériels. Il peut ainsi aujourd'hui vendre à bas prix, dans la plus féroce concurrence avec les autres fabricants.
Comment, dès lors, ne pas souligner la timidité de la directive sur le point essentiel de l'information des salariés, timidité qu'a d'ailleurs soulignée Mme Van den Burg, rapporteur de la commission de l'emploi du Parlement européen ?
Ce texte, qui est un compromis entre diverses constructions et les différents intérêts des actionnaires, exclut les travailleurs.
Pourquoi les salariés des sociétés visées ne seraient-ils pas concernés, alors même que les OPA, surtout lorsqu'elles sont hostiles, s'accompagnent presque toujours de plans de restructuration et de compression du personnel ?
Si nous voulons considérer l'Europe comme un instrument de progrès social, nous devons redonner aux travailleurs la place qui est véritablement la leur et cesser de les considérer comme une quantité négligeable.
Il nous appartient donc, au-delà de la seule transposition de cette directive, de donner davantage de pertinence à la réalité des pouvoirs d'intervention des salariés en matière de réalisation d'OPA.
Enfin, je ne manquerai pas de souligner, ainsi que cela est indiqué dans le rapport, que les entreprises françaises ne sont pas en reste en matière de réalisation d'OPA.
En effet, selon les éléments fournis, ce sont près de cent soixante opérations, pour un montant proche de 60 milliards de dollars, qui ont été menées par des entreprises françaises entre janvier et septembre 2005.
La croissance est en panne dans notre pays, mais les moyens financiers des entreprises ont rarement été aussi importants !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il va sans dire que, sans modification du contenu du projet de loi et sans avancée en matière de droits de regard des salariés sur la gestion, le groupe CRC ne pourra pas voter ce projet de loi.