Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition, qui vise à transposer la directive 2004/25/CE. D'aucuns, proches du patronat et du Medef, ont qualifié cette directive de « texte épouvantable », tant l'harmonisation qu'elle propose en matière de déroulement des OPA au sein de l'Union européenne est réalisée a minima.
Le discours du Gouvernement nous semble néo-protectionniste. La discussion parlementaire de ce projet de loi s'ouvre alors que, depuis quelques mois, à la suite notamment des rumeurs d'un possible rachat de Danone par la société américaine PepsiCo, le Gouvernement se targue de promouvoir le « patriotisme économique ». Je dois avouer que je ne connais pas cette notion !
Au demeurant, monsieur le ministre, vous-même et vos amis expliquez que les chefs d'entreprise ont une logique : aborder leurs marchés, faire des profits et développer leurs investissements ! Cela, nous pouvons parfaitement le comprendre.
En réalité, en rétablissant des mesures protectionnistes surannées - et surtout inefficaces -, vous cherchez à mettre en oeuvre une politique « cocardière ». J'en veux pour preuve votre projet de décret visant à protéger dix secteurs dits « sensibles », comme celui des casinos ou des antidotes, qui a fait l'objet de sévères critiques, à la fois de la Commission européenne et du Conseil d'Etat.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous exposer les raisons qui vous conduisent à vouloir bâtir des murailles - de sable à mon sens ! - autour de nos sociétés cotées en bourse, alors même que la France, cela a été dit, est, à l'échelon européen et probablement même à l'échelon international, le pays dont les entreprises sont responsables ou à l'initiative du plus grand nombre d'acquisitions en valeur depuis le début de l'année 2005 ? Je me réjouis d'ailleurs de cet état de fait, car il se traduit par des emplois pour les Français établis hors de France, que je représente.
Je rappelle que, entre les mois de janvier et d'août 2005, les sociétés françaises ont acheté cent quarante-six entreprises européennes, pour un montant atteignant près de 60 milliards d'euros. Ainsi la France se situe-t-elle désormais, en valeur, juste devant les Etats-Unis, dont le montant des acquisitions ne s'élève qu'à 55 milliards d'euros, et loin devant l'Italie et le Royaume-Uni. Les exemples des entreprises Pernod-Ricard, France Télécom et Suez, qui détient le quasi-monopole de la production d'électricité en Belgique, ont déjà été évoqués.
Avec le discours qui est le vôtre, monsieur le ministre, la France peut-elle réellement être crédible aux yeux de ses partenaires européens ? Vous tentez en effet d'accréditer l'idée que vous défendez les sociétés françaises contre les « méchantes » entreprises américaines et que, ce faisant, vous défendez l'emploi. Ce n'est malheureusement pas ainsi qu'il faut s'y prendre, me semble-t-il. D'ailleurs, vos résultats en la matière en témoignent !
Autre preuve d'incohérence politique : alors que, au mois de juillet dernier, vous vous êtes efforcé de faire passer un décret protectionniste au Conseil d'Etat - avec difficulté, semble-t-il -, nous examinons aujourd'hui un projet de loi qui, lui, est d'inspiration libérale, voire néo-libérale.
Certes, votre texte ne modifie qu'à la marge la législation française en matière d'OPA, celle-ci étant déjà l'une des plus avancées et des plus libérales d'Europe, dans la mesure où c'est l'Autorité des marchés financiers qui, après avoir autorisé une OPA, veille scrupuleusement à ce que le « libre jeu des offres et des surenchères » soit respecté.
Toutefois, permettez-moi de douter de votre sincérité, monsieur le ministre, lorsque vous vous présentez comme le protecteur des entreprises françaises. Votre discours me laisse d'autant plus perplexe que, dans un passé récent, certaines personnalités de votre majorité - quelques-unes d'entre elles sont d'ailleurs présentes aujourd'hui - demandaient aux entreprises françaises, ce que l'on peut comprendre, de s'ouvrir aux capitaux étrangers. Il y a là une contradiction !
En examinant scrupuleusement votre projet de loi, on constate que, sous la pression des banques d'affaires, vous avez décidé de limiter les instruments permettant aux entreprises françaises cotées en bourse de se défendre contre des opérations de prise de contrôle hostiles et étrangères.
Ainsi l'article 4 élargit-il la notion d'action de concert. Il vise une technique de protection bien connue, celle du chevalier blanc. Limiter le recours à cette pratique n'est pas conforme aux objectifs que vous annoncez. Toutefois, je vous l'accorde, monsieur le ministre, vous ne disposiez pas en la matière d'une grande marge de manoeuvre. En fait, vous n'en aviez aucune !
L'article 10 du projet de loi transpose l'article 9 de la directive. A l'instar de ce qui a été fait au Royaume-Uni, les dispositions de cet article rendent obligatoire la consultation des actionnaires réunis en assemblée générale si la direction de la société souhaite prendre des mesures dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre.
Certes, la consultation des actionnaires est soumise à la clause de réciprocité, qui permet aux entreprises françaises de suspendre l'application de l'article 9 de la directive. Cette disposition leur permet ainsi de réagir à armes égales à l'échelon européen.
Toutefois, la transposition de l'article 9 étant optionnelle, pourquoi ne pas laisser les sociétés cotées en bourse libres d'appliquer ou non ces dispositions, qui limitent les moyens de défense qu'elles peuvent mettre en place durant l'OPA ?
Par ailleurs, en transposant l'article 9 de la directive, vous pensez développer la démocratie actionnariale. Or il est fort probable que, dans la plupart des cas, les actionnaires exprimeront leur envie de voir aboutir une offre hostile afin non seulement d'empocher des dividendes, mais également de réaliser une plus-value. En effet, le prix qui leur sera offert sera normalement supérieur à celui du marché avant le lancement de l'OPA. Dans votre projet de loi, la logique financière prime donc sur les logiques industrielle et entrepreunariale.
Puisque vous êtes si favorable à la démocratisation des sociétés cotées, pourquoi ne pas prendre en considération l'avis des autres acteurs, les salariés, qui, eux, vivent au coeur de l'entreprise ? Il ne s'agit pas seulement de défendre les actionnaires, leurs dividendes et leurs plus-values !
Ainsi, avant et pendant la période d'offre publique d'acquisition, le comité d'entreprise ou les délégués du personnel devraient être consultés lorsque la direction de l'entreprise envisage de prendre des mesures dont la mise en oeuvre serait susceptible de faire échouer l'offre. Octroyer aux salariés le droit de donner leur avis dans le cadre d'une OPA est une impérieuse nécessité.
Quant aux articles 13 à 15 du projet de loi, ils renvoient la transposition de l'article 11 de la directive aux statuts des sociétés. Par conséquent, durant la période de l'offre, la suspension des dispositions restreignant le transfert des actions ou l'exercice des droits de vote de la société ciblée sera facultative. Les entreprises françaises pourront ainsi conserver leurs armes de défense préventive, notamment leurs pactes d'actionnaires.
Dès lors, pourquoi ne pas avoir procédé de la même manière en ce qui concerne l'article 9 de la directive ?
L'article 16 limite également l'efficacité des moyens de défense contre les OPA. Il prévoit en effet la suspension des clauses de plafonnement des droits de vote à l'issue d'une offre réussie. Lors de la première assemblée générale qui suit une offre réussie, les clauses de plafonnement des droits de vote, c'est-à-dire celles qui limitent le nombre de droits de vote qu'un actionnaire peut exercer en assemblée générale, seraient suspendues.
Telles sont, monsieur le ministre, les observations que je souhaitais formuler sur la cohérence globale de ce projet de loi, qui nous semble comporter des contradictions et des incohérences avec la politique que vous annoncez. Pour ces raisons, nous ne le voterons pas.