Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec 58, 47 milliards d'euros pour 2006, l'enseignement scolaire reste la « mission » budgétaire la plus importante de l'État, qui lui consacre 22, 5 % de ses moyens et 47, 2 % de ses effectifs.
La ligne directrice pour établir ce budget a été, pour reprendre vos propres termes, monsieur le ministre, « l'équilibre entre l'ambition et la gestion, entre la réussite des élèves et l'usage efficient de l'argent public ». À dire vrai, il serait temps de dresser un constat. Or ce ne peut être qu'un constat d'échec.
Vos amendements de « correction » dévoilent des carences qui pèsent lourdement sur notre société.
Face à la gravité des évènements, vous avez dû introduire un amendement réduisant les dépenses de personnel du second degré de 40 millions d'euros pour les transférer au financement de 100.000 « bourses au mérite », au recrutement de 5.000 postes d'« assistant pédagogique » dans les collèges en zone d'éducation prioritaire et au renforcement du soutien aux associations « agissant dans les quartiers sensibles ».
Vous réalisez, tardivement, qu'il faut à tout prix remettre à l'ordre du jour ce que vous avez défait hier. Oui, il faut que les élèves soient encadrés, oui, il faut qu'ils soient encouragés à réussir, oui, les associations jouent un rôle social indispensable. Cela fait de nombreuses années que nous le répétons.
L'intégration sociale des jeunes en général, et des jeunes des quartiers sensibles en particulier, passe par l'éducation. Elle a pour mission d'instruire les jeunes sans vocabulaire ni syntaxe - et je ne parle pas de l'orthographe ! - qui s'expriment en verlan ou en langage « texto », réduits au niveau zéro de l'expression, candidats, trop souvent, à la relégation sociale. Pourra-t-elle mener cette mission, quelles que soient les déclarations et promesses du Premier ministre ?
L'école joue donc un rôle fondamental pour former les enfants, car elle fournit le socle commun de connaissances qui permettra à chacun de devenir un adulte et un citoyen libre et éclairé. Un échec de l'école serait un échec de la République.
Or le solde éducatif est négatif : 1 300 créations, en comptant les 300 de Mayotte qui, en fait, n'en sont pas, mais plus de 3 000 suppressions ; 1 000 emplois d'enseignant créés dans le 1er degré pour faire face à 50 000 élèves supplémentaires, le taux d'encadrement restant très inférieur au ratio des années précédentes. On peut y ajouter des suppressions de postes d'enseignant dans le second degré - plus de 1 300 -, d'emplois de stagiaire - plus de 1 300 -, de postes de conseiller d'éducation, de contractuel administratif, etc.
Quant aux 3 500 emplois de maître d'internat et de surveillant d'externat, les MI-SE, ils seront transformés en emplois d'assistant d'éducation. Il s'agit bien, monsieur le ministre, de transfert et non de création.
De toute façon, depuis 2002, la baisse de l'encadrement s'accentue.
Certes, la loi d'orientation d'avril 2005 a prévu que 51 millions d'euros seraient consacrés à la création, très modeste, de 300 emplois d'infirmière, au recrutement d'assistants d'éducation supplémentaires. Cette loi contient également des dispositions relatives au soutien aux élèves en difficulté et au remplacement, très contesté, des professeurs par leurs collègues pour de courtes absences.
Mais il reste quelques mesures inscrites dans la loi qui ont été oubliées - doit-on parler d'oubli ou de coupes claires ? -, en particulier pour les unités pédagogiques d'intégration, les classes-relais et l'enseignement des langues vivantes.
L'école doit devenir, c'est une évidence, l'école pour tous et ainsi assurer à chacun une égalité dans l'accès au savoir. Beaucoup, enfermés dans leurs cités ou dans la ruralité, autre forme d'exclusion, sont coupés du monde du progrès.
Investir dans une éducation de qualité est la clé de l'égalité des chances effective, qui ne se contente pas de discours. Le savoir partagé ne peut être entravé par des fractures sociales, urbaines ou rurales, familiales ou culturelles, mais il doit, au contraire, s'élargir tout autour de l'école.
La manière dont un enfant met à profit son temps en dehors des heures de classe, dans les autres activités qui lui sont proposées, est importante pour sa réussite scolaire, l'épanouissement de sa personnalité et son apprentissage de la vie sociale, qui se nourrit volontiers d'activités culturelles, sportives ou ludiques, menées dans le cadre du temps libre.
L'organisation de ces services périscolaires doit s'inscrire dans un projet éducatif local, rassemblant la commune, les parents et les associations. Ce soutien est fondamental, mais celui de l'État l'est tout autant. Ces associations, trop vite oubliées récemment, assurent pourtant la promotion du droit à l'éducation et la sensibilisation à la citoyenneté. Elles stabilisent certains enfants.
Face à ce véritable enjeu de société, l'État se doit d'exister, notamment dans les zones rurales.
A l'opposé de cette école épanouie dans de multiples activités et de multiples disciplines, il faut aussi, dans les pires des cas, éviter la relégation scolaire pour éviter la relégation sociale. La préconisation d'un tri social dirigeant trop vite, dès quatorze ans, vers l'apprentissage, qui induit un étroit parcours de formation, n'est peut-être pas la meilleure formule.
On a l'impression que la scolarité, en principe obligatoire jusqu'à seize ans, se dissout et que l'on se résigne à pousser vers l'apprentissage les laissés-pour-compte de l'école. D'ailleurs, trouveront-ils seulement un travail ?
Certes, le Gouvernement a prôné une réorganisation et une relance de l'éducation prioritaire. Les ZEP ont, à l'évidence, un grand rôle à jouer, mais le premier geste les concernant doit être budgétaire. Le financement actuel de 1 % du budget de l'éducation nationale est insuffisant : il représente 235 euros par élève, moins que pour un lycéen, et beaucoup moins que pour un élève de classe préparatoire.
De même, la réduction des effectifs de deux élèves en moyenne par classe est insuffisante. Pour être efficace, elle doit être plus importante, mieux ciblée et bénéficier de moyens adaptés.
Concernant l'aménagement du territoire, qui me tient d'autant plus à coeur que je suis un élu d'une zone rurale, je soulignerai que l'école est souvent le dernier service public en milieu rural isolé. Le constat local, déjà alarmant pour le système éducatif - faiblesse du taux de préscolarisation, conditions de travail difficiles pour les enseignants, absence d'activités périscolaires, offre éducative limitée dans les petits collèges... -, est évidemment aggravé par la disparition de l'école.
L'éducation nationale a sa part de responsabilité dans l'aménagement du territoire. Elle doit nous aider à lutter contre la désertification, et les collectivités locales ne peuvent assumer l'enseignement périscolaire, les charges éducatives, culturelles, sportives indispensables aujourd'hui.
L'école devrait d'ailleurs pouvoir s'adapter à sa région, en particulier en ce qui concerne l'enseignement professionnel. Les décideurs régionaux pourraient s'intéresser aux élèves et leur offrir des débouchés ; d'où l'idée d'un projet éducatif territorial, à côté, bien entendu, des projets pédagogiques des écoles, pour mettre en cohérence diverses activités locales complémentaires et, par là même, s'intéresser au développement régional et fixer une population sur le territoire où elle veut vivre.
J'en arrive à ma conclusion. Donner la priorité à l'éducation, monsieur le ministre, ce n'est pas simplement réagir à l'actualité, c'est mener une politique durable. Ce n'est pas un exercice d'équilibre budgétaire, c'est un choix politique. Ce budget n'est pas l'expression de ce choix : c'est pourquoi je voterai contre, comme l'ensemble de mes collègues du groupe socialiste du Sénat.