Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 1er décembre 2005 à 21h30
Loi de finances pour 2006 — Enseignement scolaire

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'occasion de l'examen du projet de budget de l'enseignement scolaire, nous ne pouvons pas faire l'impasse sur la crise que nous venons de traverser. Je tiens d'ailleurs à saluer ici l'implication sur le terrain des personnels de l'éducation nationale, des intervenants associatifs et des parents, qui ont adopté une démarche citoyenne en se mobilisant pour la défense des établissements scolaires, et ce dans un contexte difficile, voire éprouvant. Le fait, justement, que des établissements scolaires, y compris des écoles maternelles, aient été la cible des violences urbaines, n'est pas anodin. Non seulement l'école de la République n'est plus sacralisée, mais elle symbolise même, en tant qu'institution première, le rejet et l'exclusion qui sont à l'oeuvre dans notre République.

Pour nombre d'enfants et petits-enfants d'immigrés ou de familles populaires, l'école a été leur seule chance de s'en sortir et de s'élever dans la société. Aujourd'hui, pour beaucoup d'autres, elle représente non plus un ascenseur social, mais une institution de « tri social », elle n'apporte plus aucune espérance et crée un sentiment de frustration et de relégation : elle devient alors source de rejet, voire de haine.

Face à ce constat, quelles sont les propositions audacieuses et innovantes qui trouvent leur concrétisation dans ce projet de budget ? Aucune ! Il faudra se contenter d'un redéploiement budgétaire de 40 millions d'euros, ce qui permettra juste d'augmenter le nombre des bourses au mérite et celui des assistants pédagogiques dans les ZEP, et de remettre à flot des associations d'aide aux devoirs. Trois mesures, en tout et pour tout ; et encore, elles ne procèdent que d'un replâtrage !

Dans la suite logique de la loi Fillon, vous passez complètement à côté de la réflexion et de la prise en compte du rôle du système scolaire dans la production, ou la reproduction, des inégalités sociales : rien, ou presque, n'est prévu pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales, pour favoriser la mixité sociale, pour mieux gérer la sectorisation et la carte scolaire.

L'éducation prioritaire est totalement laissée de côté. Les ZEP n'ont pourtant pas démérité : selon une évaluation menée ces dernières années, les écarts en termes d'acquisition des connaissances entre les élèves des ZEP et les autres sont restés du même ordre, alors que les conditions sociales et scolaires se sont dégradées. Par conséquent, il nous faut réadapter, et même amplifier, l'éducation prioritaire, pour améliorer son efficacité et résorber l'écart constaté entre les élèves. Plus que jamais, nous devons donner plus et mieux à ceux qui ont moins.

Nous aurions pu également espérer une amplification de l'école de la deuxième chance et des ateliers relais. Dans ce domaine, rien non plus n'est à signaler.

Au lieu de cela, monsieur le ministre, vous annoncez la possibilité d'accéder à l'apprentissage dès l'âge de 14 ans. Cette mesure figurait déjà dans le rapport Thélot, mais nous y avions heureusement échappé dans le projet de loi Fillon. Mis à part notre opposition de fond à ce dispositif, qui ne correspond pas du tout à notre conception de l'école pour tous, je vous ferai remarquer qu'il est en totale contradiction avec la mesure phare de votre projet éducatif, à savoir le socle commun des connaissances qui doit être acquis à la fin de la scolarité obligatoire.

Comment comptez-vous faire assimiler un tel socle aux élèves en difficulté dans notre système scolaire, qui cumulent les échecs ou qui ont totalement décroché, et ce avec nettement moins d'heures d'enseignement que les autres élèves ? En définitive, vous préconisez le moins d'école pour ceux qui en ont déjà moins !

Pour ma part, je considère que la lutte contre la reproduction des inégalités à l'école doit commencer dès la maternelle. Or il n'y a aucune place pour l'école préélémentaire dans votre politique d'éducation. Pis, cette dernière va à l'opposé de ce que nous devrions faire. Ainsi, le taux de scolarisation des enfants âgés de deux ans ne cesse de baisser ces dernières années : il est passé de 35 %, en 1999, à 21, 8 %, en 2004. Vous multipliez les fusions d'écoles maternelles et élémentaires, les rattachements des grandes sections aux CP. Ce faisant, vous niez totalement la spécificité des tout-petits.

On sait que 10 % des enfants qui entrent au CP disposent de moins de 500 mots alors que la moyenne se situe à 1 200 mots. Ces enfants sont déjà en « insécurité linguistique », pour reprendre l'expression de M. Alain Bentolila, conseiller scientifique de l'Observatoire national de la lecture. Il faut mettre fin à cette hérésie, car c'est bien à l'école maternelle que l'univers linguistique des enfants s'élabore.

Pour appréhender la lecture dans de bonnes conditions, l'enfant doit être capable de raccrocher le son à un sens connu, ce qui implique au préalable la maîtrise d'un langage oral compatible avec les exigences de la langue écrite. Les évaluations réalisées en CE2 et en sixième montrent ainsi que la principale difficulté des enfants réside dans la compréhension du texte, laquelle relève plus des connaissances accumulées dans la mémoire et de la richesse du vocabulaire maîtrisé par l'enfant que de la technique de lecture elle-même.

La compréhension est un savoir préalable, qui est développé, ou devrait l'être, avant l'apprentissage de la lecture.

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