rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord, en vertu de l’esprit républicain qui nous anime tous, à féliciter le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, l’ensemble des sénateurs nouvellement élus, ainsi que ceux qui ont accédé à des responsabilités.
Les Conseils européens sont des rendez-vous majeurs pour la France et pour l’Europe. Ils permettent de définir les grandes orientations de la politique européenne et de prendre au plus haut niveau les décisions nécessaires, souvent courageuses, qui sont aujourd'hui indispensables.
Dans les temps bouleversés que nous vivons, le Conseil des 23 et 24 octobre prend un sens particulier. Nous le savons tous, l’Europe, comme le monde, est à un tournant de son histoire. Je vois dans ce qu’on appelle « la crise » la disparition d’un monde ancien. La période intermédiaire actuelle doit permettre de construire un monde nouveau : on peut y voir une source d’angoisse et de craintes pour l’avenir, mais aussi un motif d’espoirs et d’opportunités. L’Europe en sortira plus intégrée et plus forte grâce au nouvel équilibre que nous devons mettre en place entre la discipline budgétaire et l’indispensable solidarité, entre la gestion rigoureuse et la croissance.
Les débats du Conseil européen seront centrés sur trois thématiques : la gouvernance économique et la croissance de demain ; le G20, au sein duquel la France et l’Europe ont un message fort à envoyer au reste du monde ; le réchauffement climatique et la conférence de Durban.
En ce qui concerne la zone euro, la gouvernance économique et la croissance, les chefs d’État et de gouvernement ont pris, le 21 juillet dernier, des décisions importantes. Le Fonds européen de stabilité financière a été renforcé et assoupli : il peut désormais racheter de la dette sur les marchés secondaires et recapitaliser un certain nombre de banques. Cette situation permet une réactivité indispensable dans la période que nous connaissons. Nous sommes ainsi en train de créer un véritable Fonds monétaire européen.
La gouvernance économique a également progressé avec l’adoption le 28 septembre par le Parlement européen et le 4 octobre par le Conseil du paquet gouvernance économique, dénommé six pack en anglais. Cette avancée majeure ouvre la voie à un autre modèle de gouvernance économique qui doit permettre d’allier, d’un côté, vigilance et prévention et, de l’autre, correction des éventuelles anomalies macro-économiques. Le pacte de stabilité et de croissance a donc franchi une étape supplémentaire pour être l’un des outils essentiels de la gouvernance économique de demain.
Je vous le dis, parce que j’en suis convaincu, il faut aller encore plus vite et plus loin : nous devons renforcer le pilotage de la zone euro. Le président du Conseil fera connaître ses propositions dans les jours qui viennent. Pour leur part, la France et l’Allemagne ont rappelé ce dimanche qu’elles souhaitaient aller plus loin dans l’intégration économique de la zone euro. Elles avaient déjà demandé le 16 août que soit reconnu le rôle spécifique des chefs d’État et de gouvernement : ceux-ci devraient se réunir de façon régulière sous une présidence stable, qui pourrait être confiée à Herman Van Rompuy.
Il faudrait enfin accroître les moyens dont disposent les ministres des finances. Un renforcement des moyens du Comité économique et financier et de l’Euro working group doit donc être envisagé.
Devant vous, j’ose le mot : nous devons passer à un « fédéralisme » économique, sous peine de voir l’Europe se désintégrer sous les attaques des spéculateurs financiers.
Cette gouvernance économique n’aura de sens que si elle est associée à une politique de croissance forte. Celle-ci sera largement débattue lors du prochain Conseil.
Trois axes majeurs définissent aujourd’hui notre politique de soutien à la croissance au niveau européen : approfondir le marché intérieur, renforcer notre politique industrielle et imposer une concurrence mondiale loyale.
Nous disposons du plus grand marché du monde : 500 millions d’Européens, un PIB cumulé annuel de 12 000 milliards d’euros. L’Acte pour le marché unique, avec ses douze priorités, proposé par le commissaire Michel Barnier en avril dernier permettra de l’approfondir pour en tirer tout le potentiel. Nous soutenons ainsi le brevet unitaire et nous travaillons sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, qui devrait permettre de réduire les « fragmentations » de l’économie de la zone euro.
La France se bat aussi pour obtenir une politique industrielle forte. La compétitivité doit être basée sur l’innovation et les infrastructures et être accompagnée de politiques sectorielles. La communication sur la politique industrielle d’octobre 2010 va dans ce sens. Nous devons nous concentrer sur les secteurs d’avenir : l’espace avec Galileo et le programme européen de surveillance de la terre, le GMES ; le numérique, où des grands champions européens doivent émerger dans un contexte de concurrence mondiale de plus en plus difficile ; et les technologies vertes.
Enfin, et c’est une revendication française, nous voulons imposer au reste du monde ce que nous appelons – le terme est peut-être impropre - le principe de réciprocité. Comment l’Europe peut-elle se donner des règlements si contraignants sur le plan écologique, social ou normatif si elle doit se retrouver en situation de concurrence déloyale avec d’autres pays qui pourraient pénétrer son marché sans esprit de réciprocité ? Il y va de la préservation de notre économie et de notre modèle.
Je vous le dis très clairement, il ne s’agit en aucune façon d’une forme de protectionnisme, mais au contraire d’un modèle incitatif que nous devons imposer au reste du monde. Cet instrument de réciprocité est indispensable. Prenons l’exemple des marchés publics : en 2009, ils représentaient 2 088 milliards d’euros en Europe, dont plus de 15 % étaient ouverts aux acteurs étrangers, contre seulement 3 % aux États-Unis, 0, 9 % au Canada et encore beaucoup moins en Chine.
Comment peut-on accepter que les entreprises chinoises, qui sont aidées par l’État et pratiquent un dumping social déplorable, emportent le marché de la construction d’autoroutes en Pologne au mépris de toute véritable concurrence ?
La France continuera donc à peser de tout son poids au Conseil pour que le principe de réciprocité soit mis en œuvre dans toutes nos politiques européennes.
S’agissant du G20, la France s’est fixé des objectifs ambitieux. La présidence française du G20 est une présidence européenne. Nos objectifs sont le retour de la croissance, le redressement de nos finances et la stabilité du système financier.
Le Conseil européen sera doublement décisif pour préparer le sommet de Cannes.
D’abord, si l’Europe n’a pas réglé d’ici au sommet de Cannes l’ensemble des problèmes de la zone euro et de l’Europe, le G20 sera celui de la dette de la zone euro et nous serons désignés comme les responsables de la récession et des difficultés que rencontre le reste du monde.
Les États européens devront donc définir, lors du Conseil, les positions de l’Union européenne sur un certain nombre de sujets.
Nous évoquerons ainsi la réforme du système monétaire international, sur lequel un certain nombre d’avancées ont déjà été obtenues, en particulier s’agissant de la gestion des flux financiers.
Nous aborderons également les progrès effectués en matière de régulation financière, en anticipant la mise en œuvre de l’accord dit « Bâle III », qui étend les règles prudentielles.
Il sera ensuite question de la dimension sociale de la mondialisation. Comment pourrait-on en effet considérer que l’Europe ne parlerait que d’économie et de finances sans avoir la capacité d’établir un socle indispensable de protection sociale envers les plus vulnérables, et en particulier envers la jeunesse ?
Nous définirons également les positions de l’Union européenne sur le domaine agricole, que la présidence française a marqué de son impulsion. En effet, il faut, d’une part, prévenir les crises agricoles et, d’autre part, obtenir une meilleure transparence sur l’ensemble des stocks afin justement d’éviter que ne surgissent de telles difficultés.
Enfin, la France souhaite que soit abordé le sujet du développement, et plus particulièrement la sécurité alimentaire et les infrastructures.
Je voudrais à ce propos évoquer très brièvement – nous y reviendrons ultérieurement si vous le souhaitez – le problème de la taxation des transactions financières.
On en parle depuis vingt ans ! §Il est temps de la mettre en œuvre et d’accepter que cette mise en œuvre puisse ne pas être universelle.
Il faudra bien avancer, éventuellement au niveau de la seule Europe si les Etats-Unis ne souhaitent pas y participer, voire au niveau de la seule zone euro si la Grande-Bretagne ne souhaite pas faire partie du groupe pionnier.
Qu’est-ce qu’un bon impôt ? C’est un impôt qui a une assiette très large et un taux très faible. On entend parler d’une taxation des transactions financières fondée sur un taux fixé à 0, 005 %. Croyez-vous franchement qu’à un tel taux la taxation entraînera un déplacement des opérations financières de Francfort à Hong Kong ou de Paris à Londres ?
Au demeurant, s’il faut avancer dans ce domaine, c’est aussi en vertu d’une certaine exigence morale. Considérer qu’il serait impossible de taxer les transactions financières, qui n’apportent rien à l’économie réelle et rien à l’humain, empêcher de la sorte que cette taxation vienne en aide au développement et à l’Europe me paraît tout à fait contestable. En tout cas, une telle conception est en totale contradiction avec nos convictions européennes.
C'est la raison pour laquelle le Président de la République et la Chancelière Angela Merkel ont souhaité que ce point soit mis à l’ordre du jour du G20. Il en sera donc ainsi.
Autre préoccupation française et européenne : le réchauffement climatique et la conférence de Durban. L’Europe a toujours assuré une politique volontariste dans ce domaine. L’action du Président de la République l’a montré : nous nous souvenons, sur le plan national, du Grenelle de l’environnement et, sur le plan européen, du paquet énergie-climat qui vise à réaliser, à l’horizon 2020, l’objectif « 20-20-20 » : passage à 20 % de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen ; réduction de 20 % des émissions de CO2 ; accroissement de 20 % de l’efficacité énergétique.
Cette réalisation peut toutefois n’être qu’un coup d’épée dans l’eau. L’Europe ne produit que 11 % des émissions : si nous nous engageons seuls dans cette action forte, nous pénaliserons nos entreprises sans obtenir de résultats sur le plan écologique à l’échelle internationale.
C'est la raison pour laquelle, dans la perspective de l’expiration du protocole de Kyoto en 2012, la conférence de Durban doit constituer un moment capital pour préparer l’« après-Kyoto ».
Il convient bien entendu de donner un contenu opérationnel aux accords de Cancun, et notamment au mécanisme de suivi des engagements et à la mise en place du fonds vert et des financements innovants. Il s’agit également, bien sûr, d’évoquer le futur système de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’obtenir une évolution vers un système clair, contraignant et universel.
Répondre à ce défi est vital. Il n’y va ni de l’économie générale, ni des équilibres sociaux et économiques ; il y va de l’avenir de la planète.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, la situation est telle que l’Europe n’a pas d’autre choix que d’avancer. Elle n’a pas d’autre choix que de franchir une étape, une étape décisive qui nous permettra justement de valoriser et de prôner les valeurs européennes de solidarité, de liberté et de démocratie.