Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’issue de la visite du Président de la République, Nicolas Sarkozy, à la Chancelière Angela Merkel, dimanche dernier, à Berlin, les deux dirigeants européens se sont prononcés en faveur d’une recapitalisation des banques européennes selon des critères communs.
Soulignant à plusieurs reprises leur unité de vue sur les différents aspects de la crise financière, ils ont cependant évité soigneusement toute annonce concrète : ils ont seulement évoqué, sans plus de détails, des « modifications importantes » aux traités européens allant dans le sens d’une plus grande « intégration de la zone euro ». Or, dans la situation que nous connaissons, ce sont justement les détails qui comptent ! Le temps des grandes déclarations et des effets d’annonce est dépassé.
Bien évidemment, chacun comprendra que l’entente affichée par le couple franco-allemand est nécessaire, notamment pour rassurer les marchés, très sensibles depuis plusieurs mois. Mais faut-il pour autant conclure que Paris et Berlin ont réellement réussi à surmonter leurs divergences, en particulier sur le modus operandi ? Une photo côte à côte ne suffit pas pour affirmer un réel volontarisme politique. Et n’en faut-il pas beaucoup, du volontarisme politique, pour surmonter cette crise ?
On sait bien que nos deux pays ne s’accordent pas véritablement sur le rôle que doit jouer le fameux Fonds européen de stabilité financière. Le vice-chancelier et ministre de l’économie allemand refuse même un soutien direct des banques par le FESF : il suffit de le lire ou de l’écouter !
Par ailleurs, la recapitalisation des banques pose question, pour dire les choses aimablement. En effet, en 2008, les banques ont bénéficié de sommes considérables d’argent public et certaines ont, depuis, réalisé d’énormes profits. Ainsi, en quelque sorte coupables de nombre de nos malheurs, elles seraient les premières blanchies ! Il y a quelques semaines, elles juraient même que tout allait bien et qu’elles avaient réussi les stress tests haut la main. Il est vrai que, depuis, le sort malheureux de Dexia a changé la donne…
Après des années d’abandon par les banques de toute règle prudentielle, des mesures fortes doivent désormais être prises de toute urgence concernant la régulation et la supervision financières, car des défaillances multiples à cet égard sont à l’origine de la crise actuelle.
Nous réclamons depuis longtemps la séparation des activités de dépôt et des activités spéculatives des banques. De même, nous appelons de nos vœux la taxation des transactions financières. La Commission européenne a présenté formellement, vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, une directive en ce sens. Certes, les taux annoncés sont réduits, mais, pour une fois, ne boudons pas notre plaisir !
Quant à la recapitalisation généralisée des banques, n’est-elle pas une manière d’organiser une faillite ordonnée de la Grèce ? À ce sujet, les dernières réunions de l’Eurogroupe laissent vraiment planer le doute. Alors qu’ils sont dans un paquebot au milieu d’une tempête, les dix-sept ministres semblent se livrer à de petits calculs personnels, démontrant une fois de plus que la coordination des politiques économiques en Europe n’est toujours pas d’actualité. Pourtant, nous le savons, c’est la seule solution car, sans elle, nous ne parviendrons pas à sortir durablement la zone euro de la crise qu’elle traverse. C’est d’ailleurs ce qu’ont rappelé hier les deux nouveaux prix Nobel d’économie, deux Américains pourtant chantres du libéralisme.
Depuis longtemps, mes chers collègues, l’Union européenne a malheureusement donné le sentiment d’hésiter, de douter, voire de renâcler à décider. Les mesures adoptées l’ont été sous la pression des circonstances plutôt que dans l’enthousiasme de l’adhésion à un projet tourné vers l’avenir ; bref, sans aucune vision commune.
Il est temps d’ouvrir les yeux. Cette crise n’est pas seulement financière et économique, avec des conséquences sociales. Il s’agit bel et bien d’une « crise de confiance politique », d’une crise d’absence de volonté politique, dont l’issue ne peut donc être que politique.
Certes, je reconnais que des avancées ont été obtenues. Le FESF en est une, mais pour nécessaire qu’il soit, l’accord du 21 juillet apparaît comme insuffisant, limité et, disons-le franchement, déjà dépassé.
La crise d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui. Et finalement, tout le problème est là : nous ne cessons d’être en retard d’une ou plusieurs batailles. Le décalage est total entre la violence des attaques spéculatives et les réponses des institutions économiques et politiques, faute de gouvernance commune. Seule une gouvernance économique et budgétaire commune, faisant pendant à notre monnaie commune, peut permettre à l’Europe et à la France de sortir de cette crise. Il est d’ailleurs unique au monde qu’une zone économique commune n’ait pas de gouvernance économique et budgétaire commune.
Les Radicaux sont convaincus que la seule solution qui permettrait à l’Europe de combattre la spéculation est de mutualiser les dettes souveraines et de recourir aux bons européens. Je regrette donc que la rencontre franco-allemande du mois d’août n’ait pas permis d’ouvrir une telle perspective. Plus exactement, elle l’a entrouverte, mais ce fut pour la refermer aussitôt.
L’adoption, désormais actée, des six textes renforçant la gouvernance économique est, c’est vrai, une avancée. Je me réjouis de ces initiatives. Je souligne que les Radicaux appelaient d’ailleurs depuis longtemps de leurs vœux un tel renforcement, mais il est naturellement très insuffisant.
Nous avons le sentiment que cette gouvernance s’inspire surtout d’une vision allemande a minima, c’est-à-dire réduite à la question du déficit. Finalement, le nouveau pacte de stabilité et de croissance est déséquilibré : il ressemble à une table branlante dont un pied serait plus court que les autres. C’est en réalité un pacte d’austérité, qui mettra inévitablement la croissance et l’emploi en berne.
S’il faut évidemment veiller à la bonne gestion des comptes publics, prenons garde, monsieur le ministre, à ce que la sortie de crise ne se fasse pas au détriment des plus fragiles.
L’Europe ne doit pas seulement surveiller et sanctionner ; elle doit surtout penser et organiser la relance. Or elle ne parvient pas à dégager une gouvernance européenne claire et efficace. Après l’échec de la stratégie de Lisbonne, la nouvelle stratégie Europe 2020 propose des objectifs communs, recentrés et clairement évalués. Mais tout cela ressemble davantage à un catalogue de bonnes intentions qu’à une volonté politique commune.
Quant à la question capitale des financements, elle est éludée.
Enfin, le discours sur l’état de l’Union récemment prononcé par le président Barroso est certes porteur d’une certaine vision stratégique et constitue une feuille de route dont se dégagent plusieurs orientations. Mais, au-delà de telle ou telle proposition, nous regrettons que cette stratégie d’ensemble arrive beaucoup trop tardivement.
Cette crise en forme de défi pour toute une génération de décideurs peut aussi permettre d’ouvrir la voie à un « renouveau européen », à une relance européenne, fondés sur des réponses adaptées aux problèmes les plus urgents, sur la mise en œuvre d’orientations audacieuses et sur la consolidation des fondements de la construction européenne.
Nous plaidons donc, monsieur le ministre, pour un véritable gouvernement économique, pour une harmonisation fiscale, pour un budget de l’Union à la hauteur des enjeux, pour une capacité d’emprunt et pour une approche volontariste dans le domaine social.
Il reste donc à espérer que les chefs d’État et de gouvernement voudront enfin prendre des initiatives, démontrer cette volonté. Le Conseil européen du 23 octobre prochain peut leur en fournir une bonne occasion.
Je le répète en conclusion : seule une volonté politique clairement affirmée nous permettra de faire face à la toute-puissance des marchés financiers. Les pères fondateurs de l’Europe, avec leur courage et leur détermination, nous ont donné l’exemple.
C’est dans les situations de crise que les responsables doivent faire preuve de courage afin de permettre l’émergence de nouveaux modèles économiques. Il n’y aura pas d’Europe forte et puissante sans une ferme volonté de tous, la vôtre, monsieur le ministre, mais aussi celle de l’ensemble des dirigeants français et européens, quels que soient leurs engagements et leur orientation politique. Oui, chacun d’entre nous doit, en toute responsabilité, prendre sa part de cette volonté et de ce courage.