Intervention de Jean-François Humbert

Réunion du 11 octobre 2011 à 15h00
Débat préalable au conseil européen du 23 octobre 2011

Photo de Jean-François HumbertJean-François Humbert :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, j’ai entrepris depuis un an une série de déplacements au sein des pays en crise de la zone euro, afin de présenter devant les membres de la commission des affaires européennes un état des lieux aussi précis que possible de la situation difficile qu’affrontent sur place gouvernements et populations.

De Dublin à Athènes, en passant par Lisbonne et Madrid, j’ai pu observer un scepticisme croissant à l’égard du projet monétaire européen, désormais synonyme de moins-disant social et de rigueur accrue.

J’ai également pu mesurer un décalage entre le temps politique et le temps des marchés. Les programmes d’austérité mis au point ici et là ne peuvent être appliqués aussi rapidement qu’un ordre est passé en Bourse. Cela signifie que nous ne saurions, nous, parlementaires, sous-estimer le temps d’adaptation des populations à une nouvelle donne économique et sociale.

Je comprends le désarroi de nos amis allemands, finlandais ou slovaques face au laxisme budgétaire et fiscal érigé en politique économique par les gouvernements grecs successifs pendant des années. Mais je ne peux mésestimer les peurs et les crispations que ces programmes d’austérité engendrent au sein d’une population qui voit son modèle social bouleversé de fond en comble, des droits ou des montants qu’elle pouvait estimer acquis se trouvant directement affectés.

Je garde en mémoire ce qu’un de nos interlocuteurs – et ce n’était pas un exalté – nous a asséné à Athènes, lorsque je m’y trouvais en compagnie de Simon Sutour : face à la pression qu’exerce l’Union européenne, les Grecs auront bientôt le choix entre l’Europe et la démocratie. Il nous appartient de veiller à ce que cette alternative ne puisse jamais voir le jour.

Si nous nous attardons d’ailleurs quelques instants sur la Grèce, qu’y observons-nous, sinon l’absence d’une réelle tradition administrative ? Il appartient au gouvernement grec de rattraper ce retard à marche forcée. Pour autant, peut-on attendre qu’il y parvienne totalement en dix-huit mois ? Un programme d’austérité, pour être appliqué, doit avant tout emporter la conviction. Or la pédagogie prend du temps et, il faut bien le reconnaître, ce temps n’est pas celui des marchés.

Devons-nous, de fait, céder à la tentation de l’urgence, sans laisser le temps aux gouvernements des pays en difficulté de tenter de concilier pédagogie et efficacité politique ?

Je regrette à ce titre que le message européen soit brouillé, pour ne pas dire parasité, par les déclarations des uns et des autres, au risque de lui faire perdre sa cohérence et surtout de renforcer la pression des marchés sur les pays en difficulté. Jacques Delors dit régulièrement qu’il manque une jambe à l’Union économique et monétaire. Je regrette de constater qu’une voix semble également lui faire défaut : une voix qui tienne un discours tout à la fois apaisant et exigeant, qui soit capable, notamment, de faire cesser ces débats absurdes, et aux relents populistes, sur d’hypothétiques sorties de la zone euro.

Répétons-le, martelons-le, la crise de la dette souveraine n’est pas une crise de la monnaie unique : elle est avant tout une crise de l’endettement public, étendue à l’ensemble de la planète. Elle nous invite à nous réformer. Et si elle offre aussi l’occasion de repenser les contours de la gouvernance de la monnaie unique, elle ne doit en aucun cas se traduire par une ou des exclusions.

Sortons la Grèce de la zone euro et, demain, ce sont Lisbonne, Madrid ou Rome qui subiront un peu plus la rigueur des marchés, c’est l’ensemble du système bancaire européen et, au-delà, nos économies qui en seront affectées, label AAA ou pas !

Nous tentons depuis des mois de proposer, en matière de gouvernance économique, mais aussi au travers des instruments de gestion de crise mis en place, des réponses destinées à éviter ce que les économistes appellent un « effet auto-réalisateur ». Je constate malheureusement que la cacophonie au sein du Conseil européen ou de l’Eurogroupe relativise grandement un tel travail, au point que l’on ne sait plus si ce sont les errements des marchés qui engendrent un discours politique apocalyptique ou s’il s’agit de l’inverse.

Je ne sous-estime pas, pour autant, l’effet boule de neige qui affecte la dette grecque et qui oblige à une prompte prise de décision. Je souhaite à cet égard que le processus de ratification du deuxième plan d’aide défini le 21 juillet dernier arrive le plus rapidement possible à son terme, afin de montrer aux marchés l’unité dont l’Eurogroupe sait faire preuve face aux menaces. Il appartiendra ensuite à nos gouvernements d’affiner ce plan, en ce qui concerne notamment la participation des banques. Il faut en effet que les modalités de celle-ci soient rapidement précisées. Tout effort supplémentaire au-delà des 21 % de décote annoncés doit cependant être précédé de mesures de consolidation du secteur à l’échelle européenne. N’ajoutons pas une crise bancaire aux crises financières locales !

Le renforcement du rôle du Fonds européen de stabilité financière fait également figure de priorité. Les nouveaux pouvoirs dont il dispose – rachat de titres sur le marché secondaire, aide à la recapitalisation des banques, intervention préventive dans les pays ne bénéficiant pas encore d’un programme d’assistance financière – contrastent avec la relative modestie de ses moyens : 440 milliards d’euros sont clairement insuffisants, étant entendu que 140 milliards d’euros environ sont d’ores et déjà dédiés aux plans grec, irlandais et portugais.

Le Fonds, réformé le 11 mars, puis le 21 juillet, est à l’heure actuelle un instrument qui n’a pas les moyens de ses ambitions. J’espère que le Conseil européen permettra d’avancer sur ce point et de proposer des solutions innovantes en vue d’accroître sensiblement sa capacité d’action. Il ne s’agit pas d’augmenter le montant des garanties déposées par les États, mais d’utiliser un effet de levier. Le Fonds pourrait de la sorte se muer en banque ou en assureur.

Ainsi restructuré, le Fonds serait en mesure de répondre aux défis actuels sans attendre la mise en place, forcément lointaine et complexe, de véritables euro-obligations. Il pourrait, de la sorte, être associé à un nouveau programme pour la Grèce.

Loin de moi de prétendre que le plan du 21 juillet est insuffisant. Comme je viens de l’indiquer, il demeure néanmoins imprécis sur certains points et foncièrement optimiste sur d’autres. Je pense notamment aux privatisations. La « troïka » exige d’Athènes qu’elle accélère le programme de vente de ses actifs. Si cette demande est légitime – le gouvernement grec a d’ailleurs lui-même indiqué qu’il espérait en obtenir 50 milliards d’euros d’ici à 2015 –, il convient cependant d’être raisonnable : quel investisseur pourrait aujourd’hui parier sur des actifs grecs ?

Prenant appui sur l’exemple de la réunification allemande, le cabinet Roland Berger préconise le cantonnement de l’ensemble des actifs grecs, puis le rachat de ceux-ci par une structure européenne dédiée. Cela m’apparaît comme une option judicieuse. Le produit de cette vente, estimé à 125 milliards d’euros, offrirait à la Grèce la possibilité de racheter une partie de sa dette. Les investissements réalisés sur ces actifs par la structure européenne en vue d’une prochaine revente permettraient, quant à eux, de relancer l’activité au sein du pays et d’amorcer, enfin, un cercle vertueux.

Le plan du 21 juillet comporte déjà des mesures destinées à la relance de l’activité en Grèce, via notamment la mobilisation des fonds structurels. Il nous appartient sans doute d’aller encore plus loin.

Il n’existe pas de solution miracle pour la Grèce, non plus que pour les autres pays concernés. La base reste la même : discipline budgétaire et adaptation du format de l’État aux exigences financières du temps. Toute réforme sera néanmoins incomplète si elle ne s’appuie pas sur des mesures en faveur de la croissance, sous peine que les malades ne meurent guéris.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion