Intervention de Anne-Marie Payet

Réunion du 20 octobre 2009 à 14h30
Débat sur la situation des départements d'outre-mer — Ii. - point de vue des groupes politiques

Photo de Anne-Marie PayetAnne-Marie Payet :

Par exemple, pour le café, le thé ou le sucre, les prix sont, à la Réunion, de 66 % supérieurs à ceux de la métropole.

Pour l’Autorité de la concurrence, les écarts de prix découlent pour partie des particularités géographiques et économiques des territoires : les marchés sont étroits, isolés et largement dépendants de la métropole. Toutefois, son avis indique très nettement qu’une analyse conjointe des taux de l’octroi de mer et des charges de fret conduit à la conclusion que ces frais d’approche, en particulier l’octroi de mer, ne suffisent pas à expliquer intégralement les écarts de prix observés. Cette conclusion rejoint celle de notre mission d’information : il n’existe pas de preuve des effets négatifs de l’octroi de mer sur le niveau des prix, alors que cette taxe est une ressource indispensable pour les collectivités territoriales et qu’il n’existe pas aujourd’hui de recette pouvant s’y substituer.

Un autre point intéressant est le rôle limité joué par les produits de marques de distributeur et par les « premiers prix » dans les grandes surfaces outre-mer : dans deux hypermarchés importants de la Réunion, ces produits représentent respectivement 7 % et 12 % du chiffre d’affaires, contre 25 % en moyenne en métropole.

Devant la faible concurrence sur le marché de détail et les contraintes objectives des marchés locaux, je souhaiterais savoir, madame la secrétaire d’État, quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour réduire les écarts de prix constatés entre la métropole et les DOM. Vous avez déjà annoncé des propositions en matière d’organisation des services de l’État dans le domaine de la concurrence. Cependant, l’Autorité de la concurrence évoque aussi la mise en place d’une centrale d’approvisionnement et de stockage à l’échelon régional afin de mutualiser les moyens et de réaliser des économies d’échelle. Que pensez-vous de cette suggestion ?

Au-delà des mesures en faveur d’une plus grande justice en matière de prix à la consommation, la réponse à l’urgence sociale, qui doit être la priorité des politiques publiques outre-mer aujourd’hui, revêt d’autres aspects.

En ce qui concerne tout d’abord le logement, la crise de ce secteur s’illustre à la fois par un déficit en logements sociaux, par le caractère insalubre d’un nombre important de logements privés – environ 8 % du parc en métropole, contre 26 % outre-mer –, mais aussi par un prix des biens plus élevé en moyenne qu’en métropole.

Prenons quelques exemples à cet égard.

À la Martinique, moins de 200 logements sociaux ont été construits en 2007, alors que près de 8 000 demandes sont insatisfaites. En Guyane, la situation est véritablement exceptionnelle : pression démographique, constructions illicites et indignes, déficit de terrains aménagés. J’imagine que nos collègues guyanais vous interrogeront, madame la secrétaire d’État, sur la situation de la société anonyme HLM de Guyane, dont le secrétaire d’État au logement a engagé en août la procédure de liquidation administrative. À la Réunion, la production de logements s’est fortement ralentie ces dernières années, notamment en raison de l’augmentation des coûts de la construction : 1 221 logements ont été livrés en 2007, alors que la demande est estimée à 26 000 logements. Il faudrait donc plus de vingt et un ans, à ce rythme, pour satisfaire les besoins !

Naturellement, les conditions géographiques ou climatiques jouent : le risque sismique et cyclonique crée des contraintes sur les conditions de construction et entraîne une dégradation plus rapide du bâti. En outre, la disponibilité foncière est limitée, les coûts des matières premières et de la construction en général sont élevés et sans comparaison avec ceux de la métropole.

Au total, la question du logement est à la fois essentielle, car il s’agit d’un besoin vital de la population, et multiforme. Elle doit être traitée selon toutes les approches possibles : le foncier, les coûts de la construction, les aides à la construction, la résorption de l’habitat indigne, les aides au logement, etc.

La LODEOM a apporté un certain nombre de réponses, mais leur équilibre global reste incertain. Je tiens tout d’abord à rappeler que le législateur a posé pour principe que la ligne budgétaire unique devait demeurer le socle du financement du logement social outre-mer. La loi a par ailleurs créé de nouveaux dispositifs de défiscalisation, justement dans le secteur du logement social. Je souhaite, madame la secrétaire d’État, que les décrets d’application soient pris le plus rapidement possible, afin que les opérateurs du logement puissent sortir de cette phase de transition, qui est forcément une période d’incertitude et d’attente. Nous avons besoin de construire, et de construire massivement ; nous ne pouvons nous permettre le luxe d’attendre. À la Réunion, nous avons utilisé l’expression, parfois galvaudée, de « plan Marshall » pour le logement, mais je crois que, en l’espèce, elle est totalement adaptée. J’appelle l’État à tout mettre en œuvre pour qu’un tel plan puisse se concrétiser rapidement.

L’autre axe essentiel pour répondre à l’urgence sociale est la mobilisation totale contre le chômage et pour l’emploi.

Le chômage touche outre-mer une part extrêmement importante de la population. À la Réunion, région d’Europe la plus affectée par ce fléau, 25 % de la population est au chômage, soit une personne en âge d’être en activité sur quatre. Et c’est un jeune sur deux qui est à la recherche d’un emploi ! Comment une société peut-elle durablement vivre avec un tel niveau d’inactivité ?

La lutte contre le chômage doit donc être totale, et je ne citerai ici que quelques-unes des mesures qu’il est nécessaire de prendre eu égard à l’ampleur du phénomène.

Il s’agit tout d’abord d’améliorer le niveau de formation de nos jeunes, notamment en développant la mobilité. Celle-ci doit naturellement s’effectuer vers la métropole pour leur permettre de suivre des formations qui ne peuvent être dispensées dans des territoires trop petits, comme nos départements insulaires ou isolés ; elle doit, parallèlement, se développer vers les espaces qui nous sont proches, car la métropole ne doit pas être l’unique débouché : pour la Réunion, les échanges avec le continent africain, bien sûr, mais aussi avec l’Océan indien et le Pacifique, doivent être intensifiés.

Pour autant, il est également nécessaire d’être attentifs à d’éventuelles conséquences néfastes de cette mobilité, comme la fuite des compétences et des savoir-faire. C’est pourquoi il est important d’accompagner de manière individuelle et personnalisée ceux qui suivent une formation ou un stage dans le cadre des programmes de mobilité.

Dans le même esprit, il faut développer une stratégie volontariste pour favoriser l’accès des habitants de l’outre-mer aux postes d’encadrement. Il convient de leur donner des responsabilités réelles : à la Réunion, je vois trop souvent des administrations où les postes de cadre sont presque exclusivement occupés par des métropolitains ; cela est naturellement néfaste pour l’emploi, mais aussi pour la cohésion de notre société.

On pourrait par exemple créer une antenne de l’Association pour l’emploi des cadres, ingénieurs et techniciens, l’APEC, dans chaque département d’outre-mer et développer des dispositifs spécifiques de préparation aux emplois d’encadrement dans l’administration. En s’inspirant de la politique mise en œuvre depuis huit ans par l’Institut d’études politiques de Paris dans les zones d’éducation prioritaire, nous pourrions conserver le principe républicain du concours tout en aidant plus activement certains jeunes qui sont en situation d’inégalité de fait.

Par ailleurs, dans cette lutte tous azimuts contre le chômage, il faut aussi conforter les dispositifs qui ont fait leurs preuves.

Ainsi, le service militaire adapté – le taux d’insertion des volontaires est de 80 % ! – doit être renforcé. Si je salue la décision du Président de la République de doubler en trois ans le nombre des volontaires du SMA, nous devons rester attentifs aux conditions de mise en œuvre de cette mesure : la qualité de la formation et le niveau des résultats ne doivent pas être dégradés par la diminution de la durée de la prise en charge et de la formation des volontaires.

L’apprentissage doit également être utilisé comme un outil de formation et d’insertion des jeunes dans la vie active. Il est particulièrement adapté à nos économies locales et doit donc être conforté.

D’une manière générale, je crois d’ailleurs qu’il convient de prendre en compte les spécificités de nos territoires et de nos économies lorsque l’on réfléchit aux moyens de lutter contre le chômage : faisons de nos spécificités des atouts ! Par exemple, la Réunion souhaite créer un lycée professionnel dans le secteur forestier ; il me semble que ce projet doit être soutenu, car il répond à des besoins économique et écologique évidents.

De ce point de vue, je souhaiterais évoquer maintenant la question du développement des productions locales, qui a été soulevée à de nombreuses reprises lors des états généraux et que la mission commune d’information du Sénat a également mise en exergue.

La réduction de la vulnérabilité de notre économie passe en effet par un développement endogène et doit s’appuyer sur l’exploitation raisonnée et la valorisation des ressources naturelles. Le renforcement des débouchés locaux et la facilitation des exportations doivent à cet égard compléter les efforts concernant l’organisation des filières ou la formation professionnelle.

Par exemple, trop peu de produits locaux sont servis dans les hôpitaux, dans les cantines ou dans les restaurants d’entreprise, ce qui est tout de même une aberration, surtout au moment où les questions de sécurité alimentaire sont particulièrement d’actualité. Lors de son passage à la Réunion, le Premier ministre s’est d’ailleurs engagé à ce que le code des marchés publics soit modifié pour permettre aux petits agriculteurs de répondre aux appels d’offres. Cela me semble être une solution simple et de bon sens. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, m’informer des suites que le Gouvernement entend donner à cet engagement du Premier ministre ?

Sur cette question de l’utilisation de nos ressources naturelles, je souhaiterais connaître les conditions de mise en œuvre de l’article 53 de la LODEOM, qui a pour objet de faciliter la production d’électricité à partir de la bagasse. Quel est le calendrier d’élaboration du décret d’application ? Les conditions, notamment en termes de prix de rachat de l’électricité, seront-elles suffisamment attrayantes pour permettre le développement de ce marché, à la fois écologiquement responsable et porteur d’avenir pour la Réunion ?

J’ai déjà évoqué la question essentielle de l’insertion des DOM dans leur environnement régional. Si le débouché traditionnel et historique est et doit rester la métropole, que ce soit pour la mobilité des habitants ou pour l’économie, il est indispensable aujourd’hui de s’ouvrir au monde. Nous vivons à proximité de pays, de territoires qui connaissent souvent de grandes difficultés, mais qui regorgent aussi de potentialités.

Dans ce contexte, se pose la question de l’appartenance de nos départements à l’espace Schengen pour faciliter les échanges. Si l’exclusion des quatre DOM de l’espace Schengen peut permettre d’apporter une réponse adaptée à la pression migratoire qui s’exerce plus particulièrement sur certains territoires, cela ne concerne pas directement la Réunion, où celle-ci est faible. Dans ces conditions, il me semble que l’intégration de la Réunion dans son environnement régional serait facilitée, sans risque spécifique en matière d’immigration, par son entrée dans l’espace Schengen.

Enfin, même si la liste des champs d’action n’est nullement exhaustive, la lutte en faveur de l’emploi passe par le développement des services à la personne. Trois de nos départements d’outre-mer ont maintenant réalisé leur transition démographique et, à la Réunion, la proportion de personnes âgées de plus de soixante ans devrait passer à 16 % en 2020 et à 24 % en 2030, contre 10 % en 2001. Il devient urgent de prendre en compte cette évolution, à la fois pour conforter la cellule familiale, dans une logique intergénérationnelle, et pour mettre l’accent sur le secteur médicosocial.

Le développement des emplois dans le secteur des services à la personne correspond à un besoin social en pleine expansion et constitue une réponse directe au chômage. Il doit concerner, parallèlement, l’amélioration de la prise en charge à domicile des personnes dépendantes par un soutien à l’équipement du foyer, la formation de personnels compétents et l’augmentation du nombre de places dans les établissements médicosociaux. Il y a là un gisement d’emplois qui correspond à une véritable demande de la société.

J’avais d’ailleurs déposé un amendement portant sur ce sujet lors de l’examen de la LODEOM. Le nouveau dispositif de défiscalisation en faveur du logement social peut, en conséquence, concerner « les logements […] spécialement adaptés à l’hébergement de personnes âgées de plus de soixante-cinq ans ou de personnes handicapées ». Permettez-moi, madame la secrétaire d’État, de vous interroger sur cette disposition législative : comment le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre ce mécanisme ?

Enfin, je souhaite aborder une question importante pour les outre-mer : l’illettrisme. C’est un phénomène de grande ampleur dans les DOM ; il concerne 21 % de la population réunionnaise, soit environ 120 000 personnes, contre 4 % d’illettrés en métropole.

Alors qu’il s’agit d’une priorité nationale depuis l’adoption de la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, l’illettrisme n’a guère régressé. Son diagnostic est souvent posé tardivement et ses facteurs sont encore mal cernés. Les acteurs associatifs locaux accomplissent très souvent un travail formidable, qu’il faut saluer et encourager, mais l’État doit prendre ses responsabilités et devenir un véritable chef de file, qu’il s’agisse des enfants en âge d’être scolarisés, des jeunes adultes ou des adultes en général.

En conclusion, je souhaiterais revenir sur un élément plus diffus et impalpable, mais tout aussi important : les discriminations que subissent parfois les habitants de l’outre-mer. Celles-ci ont diminué ces dernières années, avec par exemple l’alignement, par rapport à la métropole, des prestations sociales ou du « forfait charges » pour l’allocation logement, à la suite de l’adoption d’un amendement que j’avais déposé lors de l’élaboration de la LODEOM.

Néanmoins, certaines inégalités sont encore inscrites dans la loi, dans les réglementations ou dans les pratiques administratives. Ainsi, j’ai déjà eu l’occasion d’interroger le Gouvernement sur la mobilité des gendarmes ; je ne souhaite pas soulever à nouveau la question aujourd’hui, nous aurons l’occasion d’y revenir. Il y a également la question de la date de versement effectif des pensions pour les retraités : celles-ci sont versées plus tardivement outre-mer qu’en métropole, …

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