Intervention de Michèle Alliot-Marie

Réunion du 2 février 2010 à 9h30
Questions orales — Réprimer le sexting

Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Madame Escoffier, je partage votre analyse et votre préoccupation.

Si les nouvelles technologies, notamment internet, ouvrent de formidables espaces de liberté, elles constituent aussi des dangers potentiels, en particulier pour ceux qui maîtrisent le moins les conséquences importantes d’actes apparemment légers et de divertissement.

À ce titre, le sexting, phénomène nouveau consistant, pour des adolescents, à transmettre des images érotiques personnelles par le biais de téléphones portables, présente un certain nombre de risques de dérives.

Les textes actuels nous donnent déjà des moyens de lutter contre ce phénomène. Il nous faut néanmoins voir si ces textes recouvrent toutes les hypothèses, non seulement pour qu’il puisse y avoir sanction, mais également – j’insiste sur ce point, car telle doit aussi être notre préoccupation – pour que la perspective de sanction joue un rôle dissuasif, et donc préventif.

Le sexting peut tout d’abord faire l’objet de poursuites sous l’angle de l’atteinte à l’intimité de la vie privée, réprimée par l’article 226-1 du code pénal. Est ainsi incriminé le fait de fixer, d’enregistrer ou de transmettre, sans son consentement, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.

Cette infraction est caractérisée dès lors que la personne qui est objet de l’image n’a pas consenti à la réalisation ou à la transmission par la suite de cette dernière.

Le caractère pornographique ou érotique de l’image n’est pas un élément constitutif de l’infraction mais renforce la preuve de l’atteinte à l’intimité de la vie privée. Il suggère que l’intimité a effectivement été violée. Ce fait peut aussi être pris en compte sur le plan civil et donner lieu à des demandes de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la victime.

Par ailleurs, la poursuite des personnes qui transmettent une image sans en être les auteurs – ainsi, une personne peut s’être photographiée elle-même, sans intention de diffusion, et l’image peut être transmise par quelqu’un en ayant eu connaissance, et c’est ce que vous évoquiez en parlant des « ex » et des ruptures – est permise par l’article 226-2 du code pénal, qui réprime la conservation, la divulgation ou l’utilisation de l’image obtenue de manière illicite.

Une plainte préalable de la victime est nécessaire pour que les poursuites puissent être engagées, et, à cet égard, madame Escoffier, vous évoquiez tout à l’heure la crainte que pouvait éprouver une victime au moment d’engager des poursuites. Mais, compte tenu de certains dispositifs de la loi pénale, c’est l’auteur qui devrait avoir des craintes ! En effet, la Cour de cassation a estimé que, compte tenu du caractère occulte de l’action, la prescription de ces infractions ne pouvait commencer à courir avant que ces dernières aient pu être pleinement constatées en tous leurs éléments par la victime. Cet élément, qui repousse le début de la prescription, peut ainsi permettre des poursuites bien après la transmission des images. Celui qui pense aujourd’hui pouvoir menacer la victime devrait par conséquent songer à ce qu’il risque par la suite.

Ces dispositions permettent de protéger efficacement les victimes puisque des poursuites peuvent être engagées contre la personne à l’origine de la diffusion d’une image, mais également contre des personnes qui ne font que transmettre, voire détenir cette dernière.

Enfin, la protection des victimes peut se trouver assurée par des poursuites engagées sous l’angle de l’enregistrement ou de la transmission de l’image ou de la représentation d’un mineur quand cette dernière revêt un caractère pornographique. En tant que ministre de l’intérieur, j’ai eu l’occasion d’agir beaucoup contre la pédopornographie sur internet. C’était d’ailleurs l’une de mes préoccupations. Nous nous trouvons là dans un cas un peu similaire, et l’article 227-23 du code pénal permet d’agir à ce niveau. Cette qualification est d’ailleurs d’autant plus pertinente que certaines des images qui font l’objet de sexting sont mises en ligne sur des sites à caractère pédopornographique.

À quelles conditions l’infraction peut-elle être reconnue ?

Elle suppose d’abord la présence d’une image à caractère pornographique. De ce point de vue, la jurisprudence a estimé que la simple photographie d’un mineur nu n’était pas suffisante. Il faut autre chose, c’est-à-dire une ou des attitudes particulières du mineur, un rôle de celui-ci auprès d’autres sujets. Le caractère pornographique peut d’ailleurs être conféré par le cadre général de l’image.

En revanche, l’âge de l’auteur de l’enregistrement de l’image n’a pas d’incidence, ce qui signifie – c’est un point important – que ce délit peut être reproché à une personne mineure. C’est exactement l’une des situations que vous visiez tout à l’heure, madame le sénateur. Le seul élément nécessaire est que l’intention délictueuse de la personne mineure puisse être caractérisée. C’est le cas notamment lorsque l’auteur a conscience de la minorité du sujet présent à l’image, c’est-à-dire – disons-le puisqu’il s’agit bien de cela – du fait qu’il s’agit d’un gamin.

Cependant, les situations dans lesquelles un mineur visionne ou enregistre des photographies d’un autre mineur d’un âge proche doivent être évidemment appréciées au cas par cas, surtout du fait de la facilité d’utilisation des téléphones portables dont vous parliez tout à l’heure, madame le sénateur. Compte tenu de l’âge des enfants qui disposent d’un téléphone portable, la part de jeu est importante. C’est la raison pour laquelle le principe de l’opportunité des poursuites peut conduire le procureur de la République, dans un certain nombre de cas, à ne pas engager de poursuites.

J’ai donc le sentiment que la loi pénale, à la fois dans sa généralité et dans son application possible à des cas particuliers, recouvre à peu près la totalité des situations.

Bien entendu, madame le sénateur, tout cela n’empêche pas la prévention, qui passe notamment par l’éducation, et je suis entièrement d’accord avec vous sur ce point. Vous comprendrez néanmoins que cet aspect éducatif ne relève pas du ministère de la justice. Si ce dernier peut jouer un rôle en donnant une certaine publicité à des condamnations, ce qui peut permettre de faire réfléchir, il a aussi besoin d’un relais : celui des parents et des familles – c’est important –, ainsi que celui de l’éducation nationale et des associations, qui peuvent également jouer un grand rôle en la matière.

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