Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au terme de ces deux semaines de débats, dont neuf nuits, je souhaite saluer l’ensemble des personnels du Sénat qui nous ont accompagnés. Ma collègue Marie-France Beaufils interviendra après moi, mais je vais déjà développer une partie des arguments de notre groupe.
Le projet de loi que nous votons cette nuit est effroyable à bien des égards : la grande majorité des dispositions contenues dans ce texte et débattues dans l’urgence représentent de véritables régressions pour les salariés, les petits commerçants, les artisans, les consommateurs, tous ceux qui se trouvent dans un rapport de forces défavorable.
La libéralisation des conditions générales de vente, l’opacité des relations commerciales, la revente à perte généralisée, les soldes flottants, le démantèlement des autorités de contrôle, l’absence d’amende sérieuse face à la puissance financière des grands groupes, la fin actée de l’équilibre des différentes formes de commerce, les atteintes portées au droit des brevets et à la propriété intellectuelle : cet inventaire succinct ne doit pas occulter la logique qui sous-tend toutes ces dispositions.
Vous prétendez que la concurrence libre et non faussée régule naturellement le marché et qu’elle favorise le consommateur en diversifiant l’offre et en faisant baisser les prix. En réalité, le marché que vous avez créé et institutionnalisé au niveau national, communautaire et international, l’est au profit d’intérêts très particuliers : les multinationales, les banques d’affaires, « les personnalités qualifiées ».
À côté des monopoles publics sans cesse dénoncés, qui servaient l’intérêt général, vous avez mis en place de véritables monopoles privés qui servent, avant tout, leurs propres intérêts financiers.
Votre credo, votre projet politique reposent sur des mythes : le mythe de la liberté et du marché libre, alors que les cartels privés ont les pleins pouvoirs – pour eux, rien n’est illégal, puisqu’il n’y a plus de loi ! –, le mythe de l’égalité des consommateurs face à la grande distribution, de l’égalité du salarié face au patron. Mais la gratuité et la solidarité sont bannies de vos politiques alors qu’elles font la croissance, l’invention, la richesse de la société et la qualité des échanges !
Un économiste que vous connaissez sans doute, le professeur Bernard Maris, écrivait très justement à ce sujet : « L’économie marchande accapare ce qu’elle n’a pas le droit de s’approprier : l’esprit de gratuité de la recherche et de solidarité qui explique la synergie et les rendements croissants. Elle en tire des profits monétaires et symboliques auxquels elle ne peut prétendre. »
Le projet de loi de modernisation de l’économie s’inscrit dans cette logique de mutualisation des pertes et de privatisation des profits.
Cette recherche de la rentabilité financière à tout prix – à n’importe quel prix ! – n’épargne aucun domaine de la production humaine.
Certes, vous avez été obligés de reculer sur les atteintes portées à l’archéologie préventive, et avez abandonné l’idée, en tout cas dans ce texte, de la double coupure publicitaire des films télévisés. Mais par quoi la main assassine des auteurs de ces propositions est-elle guidée, si ce n’est par l’argent ?
L’article 34 du projet de loi est relatif aux brevets, qui sont l’une des formes du droit d’auteur. Que dire de l’habilitation donnée au Gouvernement pour modifier le code de la propriété intellectuelle, alors même que les textes internationaux visés n’étaient pas tous ratifiés au moment de la présentation du projet de loi ? Avec cette disposition, vous portez atteinte au droit d’auteur.
C’est pourquoi nous avons dénoncé avec force cette manière de légiférer en catimini et de voter au dernier moment – « au canon », selon l’expression employée par notre collègue Jean Desessard – sans même que les commissions compétentes soient informées ! Il y a dans cette façon de procéder un véritable mépris pour les auteurs et le législateur.
Vos politiques n’épargnent personne, elles s’attaquent aux droits les plus fondamentaux des individus. Le droit d’auteur est un droit de civilisation auquel la France est historiquement attachée. Toute mise en cause partielle, limitée à une catégorie de professionnels, comme c’est le cas, dans ce projet de loi, pour les journalistes, peut préfigurer d’autres atteintes.
À travers vos attaques, c’est l’auteur qui est visé : le droit économique supplante le droit moral, qui n’a plus droit de cité. Vous mettez à mal celui qui fait œuvre, comme vous niez les droits des travailleurs : c’est la société dans toutes ses œuvres qui est mutilée.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre ce texte.