… certains ayant voté oui et d’autres non, principalement sur la question de l’article 16. C’est donc un sujet de controverse.
Je considère que l’article 5 du projet de loi constitutionnelle est absolument inutile, dans la mesure où, à l’occasion de la seule mise en œuvre de l’article 16 de la Constitution depuis 1958, il a été constaté – et personne n’est revenu sur ce point – que les décisions prises dans ce cadre peuvent porter sur tous les domaines, y compris une suspension temporaire de la Constitution ; en effet, une décision prise en application de l’article 16 a supprimé temporairement l’inamovibilité des magistrats du siège en Algérie, donc une disposition de nature constitutionnelle.
Madame le garde des sceaux, on peut ajouter tout ce que l’on voudra dans la Constitution pour prendre toutes les précautions du monde, mais cela ne sert à rien puisque l’article 16 ne limite pas le champ d’intervention des décisions du Président de la République.
Par ailleurs, cet article est difficile à mettre en œuvre, puisqu’il requiert le respect d’un certain nombre de conditions cumulatives. Je dois rappeler que, en 1961, sa mise en œuvre a été vraiment « tirée par les cheveux. » Certes, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire, les institutions de la République et le respect de nos engagements internationaux étaient en cause. Il existait alors un problème grave en raison du putsch en Algérie, mais on ne peut pas considérer que, parce que le ministre des transports était retenu par les putschistes en Algérie, « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels » était interrompu. C’est pourtant le seul élément que le général de Gaulle et ses collaborateurs ont trouvé alors pour soutenir que les conditions de la mise en œuvre de l’article 16 étaient réunies.
Je suis très attaché à l’autorité publique et à l’autorité de l’État, tout le monde le sait, en tout cas plus que le courant de pensée actuel. Je suis de ceux qui considèrent que l’on a peu de risques de se retrouver dans la situation de 1940 ou de 1961 parce que, aujourd’hui, la guerre ne prend pas les mêmes formes. De surcroît, nous disposons déjà d’un certain nombre de moyens.
À mon avis, on se fait peur pour rien. D’ailleurs, je le répète, l’article 16 n’a été invoqué qu’une seule fois depuis 1958.
Je terminerai mon intervention par deux considérations. Tout d’abord, monsieur Sueur, l’article 16 n’est pas la seule disposition de cette nature existant dans les grands États. Je rappelle que la constitution d’Atatürk, qui règle, actuellement, le fonctionnement des institutions turques, comporte l’obligation pour l’armée de prendre le pouvoir pour garantir la laïcité.