Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, j’attire votre attention sur l’importance des adjonctions dans le cadre de la révision constitutionnelle.
Pour ma part, je suis radicalement opposé à l’article 16 de la Constitution. Je comprends parfaitement que le général de Gaulle, ayant vécu le désastre national dans lequel se sont « englouties » les institutions de la République et ayant sauvé l’honneur de la nation, ait été obsédé par la volonté de pouvoir incarner la nation et sa légitimité, dans des circonstances exceptionnelles.
Nous nous souvenons tous des événements de la guerre d’Algérie. Je ne pense pas qu’ils aient justifié le recours à l’article 16. Que le général de Gaulle l’ait utilisé, soit ! Il s’agissait d’un putsch. Depuis lors, plus personne n’a songé à ce qu’on puisse appliquer cet article. Si la France subit une invasion ou si une insurrection fait disparaître les institutions de la République, le recours à l’article 16 ne servira à rien.
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que, si l’article 16 impose la réunion de certaines conditions, que l’on connaît, la disposition qui nous est proposée aujourd’hui tend à le rendre pérenne.
Actuellement, et ce sont les conditions fixées par le général de Gaulle, le Parlement se réunit de plein droit et l'Assemblée nationale ne peut être dissoute. De surcroît, le Conseil constitutionnel est consulté pour avis.
Aux termes de l’article 5 du projet de loi constitutionnelle, des périodes successives s’enchaînent, comme si les dispositions de l’article 16 pouvaient, en quelque sorte, s’installer dans la durée. Il ne s’agit pas de l’état de siège ou de l’état d’urgence.
Ainsi, « après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels », ce laps de temps est, selon moi, fort long, « le Conseil constitutionnel peut être saisi », selon la procédure habituelle, « aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. » Cette instance rend alors un avis, que le Président de la République n’est pas du tout obligé de suivre. À quoi sert donc un tel avis ?
Après cette période, le Conseil constitutionnel « procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée ». Mais, si le Parlement se réunit de plein droit, comme le prévoit l’article 16, pourquoi le Conseil constitutionnel donnerait-il des avis en s’autosaisissant, ce qui n’est en rien sa mission ? C’est au Parlement, à soixante députés ou soixante sénateurs, de le saisir et de prendre des résolutions.
Je vous demande très fermement, mes chers collègues, de ne pas accepter cette forme de dessaisissement des pouvoirs des assemblées réunies, qui peuvent alors adopter toutes les résolutions nécessaires, dans une hypothèse que je ne conçois même pas. Quoi qu’il en soit, on ne peut dessaisir le Parlement au profit d’une instance juridictionnelle !
Imaginez la Cour suprême des États-Unis se réunissant. Aucune cour constitutionnelle n’a jamais eu ce pouvoir. Donc ne le donnons pas au Conseil constitutionnel. On sait pourtant que je fais volontiers l’éloge de ses pouvoirs. Mais, dans ce cas précis, si une instance doit se prononcer, c’est le Parlement. En tout cas, il doit au moins avoir le droit de saisine.
Tel qu’il est rédigé, l’article 5 est inutilisable et dangereux.