Mes chers collègues, honnêtement, quelle raison aurions-nous de maintenir cet article dans le projet de loi constitutionnelle, si ce n’est la volonté de satisfaire l’obsession d’omniprésence de l’actuel chef de l’État ?
Le Président de la République veut être partout et occuper toutes les fonctions dans le moindre détail. Un jour il est chef de l’État, un autre ministre de la pêche ou de l’industrie. Il multiplie les déplacements, au Guilvinec, à Gandrange, à Rungis, mais aussi les annonces, qui d'ailleurs relèvent avant tout de l’affichage.
On a même vu, ce qui est tout de même terrible quand il s’agit d’un Président de la République, des annonces présidentielles qui sont aussitôt contredites par des membres du Gouvernement ou de la majorité, et qui finalement disparaissent – qu’on se rappelle la proposition de faire « parrainer » par chaque élève de primaire un enfant victime de la Shoah.
Aujourd'hui, le Président de la République veut également occuper le poste de Premier ministre, ce qui a au moins le mérite d’être cohérent. Contrairement à la lettre de la Constitution, Nicolas Sarkozy veut diriger l’action du Gouvernement officiellement et sans intermédiaire. Que lui manque-t-il pour parvenir à ses fins, sinon la prérogative, dont seul le Premier ministre dispose, de s’exprimer devant le Parlement ?
Telle est l’unique raison de l’inscription de cette disposition dans le projet de loi constitutionnelle. Je le répète, nous doutons qu’il respecte le principe de la séparation des pouvoirs, mais nous ne sommes pas les seuls à être circonspects : la quasi-unanimité des personnalités entendues par la commission des lois ont exprimé leur scepticisme quant à cette disposition. Afin de vous éclairer, mes chers collègues, je reprendrai les propos qu’elles ont tenus lors de ces auditions.
M. Jean-Pierre Duprat, professeur de droit public à l’université Montesquieu Bordeaux-IV, a relevé quelques contradictions. Ainsi, le Président de la République se verrait autorisé à prendre la parole devant le Parlement réuni en Congrès, suivant l’exemple américain, alors que son droit de dissoudre l’Assemblée nationale se trouverait maintenu – mes chers collègues, nous devrions tout de même réfléchir sur ce point !
Il a également estimé que le projet de loi constitutionnelle fragilisait l’institution du Premier ministre – tout le monde le savait ! –, déjà mise à mal par la réduction à cinq ans de la durée du mandat du Président de la République.
De son côté, M. Jean-Claude Colliard, professeur à l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne et ancien membre du Conseil constitutionnel, s’est montré sceptique quant à l’apport de l’amendement, adopté par les députés, qui tend à permettre au Président de la République de prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès, mais qui prévoit que sa déclaration pourra donner lieu à un simple débat, organisé « hors sa présence » et, de surcroît, ne faisant l’objet d’aucun vote.
Il s’est en outre demandé si ce nouveau droit d’expression accordé au chef de l’État, et qui est susceptible de traduire une forte impulsion politique, n’était pas contraire au rôle d’arbitre reconnu au Président de la République par la Constitution – pour ma part, j’en suis persuadée !
Enfin, – nous avons déjà évoqué ce point en défendant la motion d’irrecevabilité que nous avions déposée – Mme Élisabeth Zoller, professeur à l’université de Paris-II, a considéré que la modification du droit de message proposée par ce texte entraînerait un bouleversement institutionnel, qu’elle a qualifié de « changement de régime ». Comme tout le monde, elle a noté que l’on entendait inscrire dans notre Constitution des dispositions calquées sur le modèle américain, …