Intervention de Gérard Larcher

Réunion du 27 avril 2010 à 14h30
Éloge funèbre de jacqueline chevé sénatrice des côtes-d'armor

Photo de Gérard LarcherGérard Larcher, président :

C’est avec une profonde émotion, mais aussi un réel sentiment d’injustice, que nous avons appris, le 15 mars dernier, le décès de notre collègue Jacqueline Chevé. Celle-ci représentait dans notre assemblée le département des Côtes-d’Armor, où elle était née, il y a quarante-huit ans à peine, à Merdrignac. Elle incarnait aussi la jeunesse et l’ardeur militante et portait, avec sa famille et son époux, des valeurs de laïcité dont notre République me paraît avoir toujours besoin.

Élue voilà dix-huit mois, elle nous a quittés au lendemain du premier tour des élections régionales, où la conseillère sortante qu’elle était venait d’être consacrée par un brillant résultat sur la liste conduite par le président du conseil régional de Bretagne.

Nous ne pouvions imaginer alors qu’elle venait de livrer son dernier combat politique. Nous savions qu’elle avait dû faire face à la maladie, de longs mois durant, avec le courage, la discrétion et la force de caractère que nous avions découverts chez elle en la côtoyant depuis dix-huit mois. Elle avait repris ses activités au cours des dernières semaines, participant avec son habituel enthousiasme aux travaux de la commission des affaires sociales, dont elle était un membre apprécié. Au fond, nous voulions tous croire – ses amis et ses collègues de la commission au premier chef – qu’elle avait surmonté victorieusement le mal qui la rongeait.

Jacqueline Chevé n’a sans doute pas eu le temps de donner toute la mesure de son énergie et de son talent ici, au Sénat. Toutefois, en moins d’un an et demi, malgré les douloureuses contraintes liées aux traitements qui lui étaient imposés, elle avait beaucoup apporté à notre institution. Elle laisse un souvenir ému dans la mémoire de tous ceux qui ont eu la chance de travailler avec elle et d’apprécier ses qualités.

Avant même ses combats politiques, et au-delà de ceux-ci, Jacqueline Chevé était d’abord une femme de cœur, d’engagement et de dévouement.

Elle l’était, bien sûr, dans sa vie privée et familiale, mais elle le fut aussi dans ses engagements personnels, professionnels et associatifs, au service de ses concitoyens et en faveur, surtout, des plus modestes et des plus fragiles d’entre eux.

Elle s’impliqua très tôt dans le milieu associatif et dans des actions de solidarité locale. C’est ainsi qu’elle commença sa carrière en qualité de directrice de la mission locale de Loudéac, et nous savons combien ces organismes jouent un rôle important dans l’insertion sociale et professionnelle des jeunes.

Ses préoccupations la conduisirent, en 2002, à se consacrer, en tant qu’animatrice socioculturelle, à l’action sociale en direction des populations fragilisées dans la circonscription de Dinan.

Enfin, elle fut, jusqu’à sa brillante élection au Sénat le 28 septembre 2008, la directrice chaleureuse et passionnée du foyer-logements de Lamballe, qui lui était si attaché, comme nous avons pu le mesurer lors de la rencontre du souvenir et de l’adieu qui a eu lieu à Loudéac.

L’inclination naturelle de Jacqueline Chevé vers les autres, son goût de l’action sociale, son sens du concret et sa volonté constante d’améliorer la condition de ses concitoyens devaient, presque naturellement, la conduire vers l’engagement politique. Elle devint une élue locale de proximité, dynamique, dévouée et efficace.

D’abord conseillère municipale de Loudéac, elle remplit avec enthousiasme ses fonctions, qui lui permettaient de concilier son souci de la solidarité et son goût pour le développement local, jusqu’à son élection au Sénat. Entre-temps, Jacqueline Chevé était devenue, en mars 2004, conseillère régionale de Bretagne.

Là encore, elle a assumé, jusqu’à ses derniers jours, avec le goût du terrain et, tout simplement, l’attention aux autres qui étaient sa marque, ses responsabilités dans les diverses instances régionales où elle siégeait, en particulier dans le domaine – si essentiel – de la formation professionnelle.

Son engagement politique local avait conduit Jacqueline Chevé à participer à la vie parlementaire dès avant son élection au Sénat.

Elle découvrit en effet de l’intérieur le Parlement, plus précisément l’Assemblée nationale, en devenant, en 1997, à l’âge de trente-cinq ans, assistante parlementaire de Didier Chouat, alors député de la troisième circonscription des Côtes-d’Armor. Nous savons que c’est avec passion, efficacité et dynamisme qu’elle remplit ces fonctions durant les cinq années de la législature.

Néanmoins, c’est en 2008 que Jacqueline Chevé fit, en quelque sorte, son entrée au Parlement par la grande porte, celle, cette fois, du Palais du Luxembourg. Après avoir été candidate aux élections municipales à Loudéac, elle prit, à peine quelques semaines plus tard, la décision de se lancer dans la préparation de la campagne des élections sénatoriales de septembre 2008.

Candidate aux côtés de nos collègues Yannick Botrel et Gérard Le Cam, elle fut brillamment élue, le 21 septembre 2008, sénatrice des Côtes-d’Armor, dès le premier tour, avec près de 57 % des voix. Ceux d’entre nous qui se trouvaient à Loudéac gardent le souvenir des images qui y étaient diffusées et qui montraient sa joie en ce 21 septembre 2008, entourée de ses deux collègues.

Elle avait ainsi entamé, le 1er octobre 2008, une carrière parlementaire dont nous avions naturellement la conviction qu’elle serait longue et prometteuse ; toutefois, Jacqueline Chevé nous aura été enlevée bien tôt.

Les dix-huit mois qu’elle aura passés dans cet hémicycle lui auront néanmoins permis de montrer qu’elle appartenait à cette génération de jeunes femmes parlementaires soucieuses de proximité, passionnées dans leurs engagements et modernes dans leurs idées comme dans leur style.

Je veux espérer que cette trop brève période de sa vie lui aura apporté des satisfactions à la hauteur de l’estime qu’elle avait su s’attirer parmi nous, d’une manière très largement partagée.

Membre du groupe socialiste du Sénat, de la commission des affaires sociales et de la délégation parlementaire aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Jacqueline Chevé, forte de sa double expérience d’élue locale et de collaboratrice parlementaire, trouva immédiatement ses marques au Palais du Luxembourg. Elle y parvint aussi, je le sais, grâce au soutien précieux et amical de plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, qui l’ont accompagnée et aidée.

Par sa jeunesse, sa détermination et son sens du devoir envers ses concitoyens, elle était l’un de ces visages qui font la richesse du Sénat. Elle donnait l’image d’une assemblée dynamique, occupant toute sa place dans le débat public, dans le respect bien compris des sensibilités et des convictions de chacun, rassemblée autour des valeurs de la République.

Jacqueline Chevé était avant tout une sénatrice de proximité, dans toute la grandeur de ce terme. Son sens de l’humain, la force de son implication et ses préoccupations sociales et sociétales la conduisaient à maintenir un contact étroit et permanent avec ses concitoyens.

Ainsi, au cours de la première année de son mandat, elle avait reçu à sa permanence des centaines de nos concitoyens et formulé près de mille interventions en leur faveur, sans parler des dizaines de questions qu’elle avait posées au Gouvernement.

À la fois médiatrice, conseillère de ses concitoyens et interlocutrice privilégiée des élus locaux, elle aimait avant tout « déverrouiller » – c’était son expression – les situations les plus difficiles, et résoudre des cas concrets. Comme elle se plaisait à le dire, « l’action politique est toujours quelque chose de passionnant, à condition d’aimer les gens ».

La parlementaire qu’était Jacqueline Chevé accordait aussi aux grands débats nationaux toute l’importance qui leur revient. En tant que membre de la commission des affaires sociales, elle prit une part active à plusieurs discussions importantes, et encore, quelques jours à peine avant sa disparition, à l’occasion de notre débat sur le mal-être au travail, dans le cadre de la mission d’information créée par le Sénat sur ce sujet particulièrement engagé.

Au-delà des questions sociales, les autres grands débats de l’heure ne laissaient pas davantage Jacqueline Chevé indifférente. C’est ainsi qu’elle participa pleinement à nos échanges sur la réforme des collectivités territoriales. Elle multiplia, à cette occasion, notes de synthèse, arguments et contre-propositions.

Enfin, Jacqueline Chevé savait prendre toute la hauteur de vue nécessaire pour réfléchir au travail parlementaire lui-même. C’est ainsi qu’elle n’avait pas hésité à publier au mois de janvier dernier, sur son site internet, un « billet d’humeur » où elle portait un jugement sévère, mais lucide, sur l’inflation législative : « De mon point de vue, cette frénésie législative contribue à déstabiliser le citoyen et à discréditer le politique. [...] C’est l’ère du zapping politique : il faut tout faire très vite, dans l’urgence, en confondant trop souvent vitesse et précipitation. »

Tout au long de son parcours d’élue locale et nationale, tout au long de sa vie de femme, Jacqueline Chevé a voué son existence aux autres, leur consacrant toute son énergie et sa passion, transcendant ainsi ses propres épreuves.

Son caractère, ses qualités de cœur comme ses compétences professionnelles justifiaient pleinement l’extraordinaire hommage qu’elle a reçu le 19 mars dernier au milieu des siens, au Palais des congrès et de la culture de Loudéac, entourée de tous ses amis, de ses proches, de sa famille, de son époux, de ses enfants et, bien sûr, des élus de la République.

À l’occasion de cet adieu simple, chaleureux et profondément humain, j’ai, aux côtés de Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste du Sénat, de Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales du Sénat, de Jean-Marc Pastor, questeur, de nombre de ses collègues sénateurs et députés des Côtes-d’Armor, d’Ille-et-Vilaine, du Finistère et du Morbihan et en présence du président du conseil régional de Bretagne, prononcé en votre nom à tous, mes chers collègues, l’éloge de Jacqueline Chevé, mais aussi exprimé le témoignage de la Haute Assemblée. Cette cérémonie d’adieu sur cette terre bretonne qui lui était si chère et qu’elle avait fidèlement servie se devait de trouver aujourd’hui un écho dans notre hémicycle.

À ses collègues du groupe socialiste, une nouvelle fois éprouvés par la perte de l’un des leurs, j’exprime la sympathie attristée de notre assemblée.

Aux membres de la commission des affaires sociales et de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui perdent en sa personne une collègue appréciée de tous, j’adresse aussi l’expression de notre profonde tristesse.

À vous, monsieur Chevé, son époux, à vous, Romain et Marine, ses enfants, qui éprouvez trop jeunes la douleur de la séparation, à tous vos proches et à vos amis, je renouvelle ces pensées émues de l’ensemble des sénateurs.

« Ne pleure pas celle que tu as perdue, mais réjouis-toi de l’avoir connue. » C’est un peu ce que nous avons ressenti à Loudéac, malgré la tristesse qui était sur les visages et dans les cœurs.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite maintenant à partager un moment de recueillement à la mémoire de Jacqueline Chevé, unis par les valeurs qu’elle portait et incarnait.

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