Nous souhaitons nous aussi la suppression du 3° de l’article 11, car cette disposition introduite par l’Assemblée nationale répond mal au problème posé. Toutefois, celui-ci est réel, et il ne suffit pas de monter au clocher en criant que la distinction des juridictions est essentielle à la séparation des pouvoirs pour le résoudre !
Malheureusement, nous n’avons pas le temps d’approfondir cette question tout à fait sérieuse. Pour la résumer, je rappellerai que la dualité des contentieux n’est pas évidente et qu’il existe des sociétés tout à fait évoluées qui ne la connaissent pas. Ainsi, le système de Guantanamo vient d’être condamné par la Cour suprême des États-Unis, et non par une juridiction particulière, ce qui ne constitue pas si un mauvais résultat !
D’une manière générale, la difficulté est la suivante. Pour ce qui est du contentieux de l’annulation, c'est-à-dire de la contestation de la régularité d’une décision administrative, il est compréhensible qu’il soit assigné à une juridiction particulière. Mais le contentieux de la réparation, qui n’existait pas au début du XIXe siècle – à cette époque l’administration n’intervenait pas autant qu’elle le fait aujourd'hui dans les activités économiques et sociales –, est tout à fait singulier, parce qu’il appartient tantôt aux juridictions administratives, tantôt aux juridictions de l’ordre judiciaire, alors que ce sont pratiquement les mêmes faits qui sont concernés.
S'agissant de la responsabilité en matière de construction, par exemple, si un problème implique une HLM, vous devez aller devant la juridiction administrative, mais si c’est un bâtiment privé, vous devez aller devant le juge judiciaire. Comprenne qui pourra !
En outre, chaque juge choisit le droit qu’il veut appliquer. On affirme parfois que cette situation n’a aucune importance, mais il n’en est rien : j’ai pratiqué ces questions dans le cadre de mon activité professionnelle, et j’ai pu constater qu’il fallait parfois attendre vingt ans pour que les deux jurisprudences se rejoignent ! Si vous êtes victime d’un accident médical, vous ne relèverez pas du même droit selon que vous êtes soigné dans un hôpital public ou dans une clinique privée !
Lorsque nous votons des lois dans ces domaines, nous croyons qu’elles s’appliquent de manière universelle et qu’il suffit de modifier le code civil. Mais les juridictions administratives ne reconnaissent pas la valeur de ce dernier ! Il faut savoir – beaucoup l’ignorent – qu’elles ne l’appliquent pas, et que, même si elles ont la faculté de s’en inspirer, elles mettent parfois bien du temps à le faire.
Je ne puis entrer dans les détails, mais cette dualité de juridictions était tellement choquante dans le domaine des accidents de la circulation, où elle avait donné lieu à deux systèmes de droit différents, que nous avons été obligés d’unifier le contentieux par une loi spéciale.
Je crois que d’autres textes de ce genre seraient les bienvenus, peut-être dans le domaine des étrangers, auquel il a été fait allusion et que je ne connais guère, ou en matière de construction, notamment.
Toutefois, nous pouvons procéder par lois spéciales, comme dans le cas des accidents de la circulation, sans pour autant nous engager dans la voie tracée par cette rédaction, dont je considère qu’elle n’est pas bonne. Ce constat ne signifie pas, d'ailleurs, que la dualité de juridictions, qui engendre tant de commentaires et d’analyses savantes, ne pose pas un réel problème, tant elle contribue à faire de notre justice un sphinx bien peu compréhensible pour les justiciables.