Pour illustrer mon propos, j'ai étudié la structure des budgets des principaux pays qui produisent un effort significatif dans le domaine de la défense.
Tout d'abord, permettez-moi une prudence oratoire. Comme les critères qui fondent les statistiques varient à l'infini, retenez des chiffres qui vont suivre plus les rapports de comparaison que l'échelle. Cette dernière peut en effet être très différente de celle que nous utilisons habituellement...
Premier critère, le pourcentage des dépenses de fonctionnement au sein des dépenses totales de défense de divers pays. Face aux Etats-Unis, au Canada, et à pratiquement tous les pays de l'Europe des Quinze, la France est le douzième pays sur douze avec 63, 8 % des dépenses de fonctionnement dans l'ensemble.
Néanmoins, ce ratio du titre III en pourcentage des dépenses totales peut être trompeur dans la mesure où il subit le poids du titre V, soit le matériel. Or, un pays qui consacrerait beaucoup de moyens à son titre V réduirait par là même le poids proportionnel du titre III.
Il faut donc trouver un autre critère, plus précis. J'ai choisi celui de la dépense de fonctionnement par militaire, qui est du reste plus simple. A cet égard, les Etats-Unis dépensent 160 407 euros par militaire, le Canada, 127 316 euros, le Royaume-Uni, 121 106 euros, et la France, 66 465 euros.
La France, qui a professionnalisé son armée beaucoup plus tard que le Royaume-Uni, consacre peu en fonctionnement par militaire, l'équivalent de 55 % de la dotation britannique. Dans ce domaine, nous ne sommes pas au bout de nos peines.
La France figure au deuxième rang, derrière les Etats-Unis, pour les dépenses en équipement ; au troisième rang pour les effectifs ; au quatrième pour la dépense par militaire et même au cinquième pour la dépense par habitant.
Selon ces critères un peu différents, n'avons-nous pas raison de craindre des tensions croissantes au sein de ce budget, au sein des rémunérations et charges sociales d'un titre III écartelé entre les dépenses liées aux recrutements et aux renouvellements de contrats, d'une part, et celles qui sont réclamées pour les mesures catégorielles et la condition militaire, d'autre part ?
En revanche, et c'est un sujet de satisfaction, toujours dans le domaine des effectifs, il faut noter que les recrutements - il y en aura 14 448 l'an prochain - s'effectuent dans de bonnes conditions, que le nombre de candidats par poste est confortable, que la qualité des recrues est bonne et que le taux de renouvellement des contrats est conforme aux prévisions. Dans la marine, ce taux atteint 80 %, dans l'armée de l'air, 85 % ; et dans l'armée de terre, 61 %. Ce dernier chiffre doit être examiné avec beaucoup de prudence en raison d'un changement du mode de calcul.
Pour tout dire, la fidélisation est réussie. Vous réalisez vos objectifs, madame le ministre, et c'est de bon augure. Avec quelque 12 millions d'euros, comme en 2004, les efforts de communication des armées et leur « marketing de recrutement » - pour reprendre leurs propres mots - y sont pour beaucoup. Pensez-vous de même ?
En revanche, le service de santé des armées attend encore la correction des sous-effectifs qui date de la disparition du service national. Cette année - grand merci ! -, 59 postes d'officiers médecins seront créés. En 2004, il en fallait encore 278. Il manque encore nombre de chirurgiens dentistes, de spécialistes. Au demeurant, pour ce dernier domaine, je me demande si le service de santé des armées ne rencontre pas ici des difficultés comparables à celles que rencontre la médecine civile, qu'elle soit hospitalière ou libérale.
Madame le ministre, on nous dit que ces sous-effectifs du service de santé des armées sont destinés à persister jusqu'en 2012. Partagez-vous cet avis?
Or le service de santé des armées, ne serait-ce qu'en raison des efforts énormes qui lui sont demandés pour les OPEX, mérite une attention soutenue. Ce n'est pas à vous qu'il faut rappeler que ses interventions dans les opérations extérieures bénéficient largement aux populations civiles secourues - 45 % des consultations médicales et 84 % de l'activité chirurgicale - mais elles engendrent un surcroît de dépenses de 14, 47 millions d'euros.
En matière d'emplois civils, le sous-effectif subsiste et même s'accentue. En effet, aux 431 suppressions de postes de 2004 s'ajoutent les 759 de 2005, signalées par Yves Fréville à l'instant. Je ne vous en fais pas grief, madame le ministre, car je crois comprendre que cette situation résulte d'une politique prudente de recrutements au regard du nombre important d'externalisations en route.
Comme le dit mon collègue Yves Fréville, il y a effectivement là un raisonnement : à quoi donc rimerait de recruter des civils pour des tâches destinées tôt ou tard à être déléguées ?
Il est exact que l'externalisation ne doit pas être un but en soi, mais vous avez raison, madame le ministre, de vouloir retirer aux militaires les tâches qui ne relèvent pas des métiers des armes. La décision en cette matière se fonde alors sur des principes de bonne gestion, et cela nous intéresse beaucoup.
Ainsi comprenons-nous bien l'action que vous menez pour ce qui concerne, par exemple, la gestion immobilière des logements de la gendarmerie. Celle-ci concerne le parc de l'Etat, soit un tiers ; à cet égard, vous avez préparé un contrat qui inclut la gestion, l'entretien, la maintenance et les constructions neuves à venir, et vous en attendez quelque 10 millions d'euros d'économies pour la simple année prochaine.
Nous savons aussi que vous avez procédé avec prudence et méthode en procédant à une évaluation des valeurs vénales et locatives, à un état des lieux, à une exploration juridique exigée par la complexité des titres domaniaux de l'Etat et, enfin, à une étude financière.
Quelque 1 200 postes de gendarmes pourront être consacrés à des tâches bien plus utiles, et nous espérons que la Société nationale immobilière, la SNI, qui n' a jamais démérité dans ses oeuvres, remportera le marché.
Je reste plus réservé, sauf explication de votre part, sur l'externalisation de la formation des pilotes d'hélicoptères de Dax, qui a lieu sur une base militaire avec des instructeurs militaires. Seule la location des machines elles-mêmes est déléguée, comme si l'on renonçait à tenir disponibles nos propres hélicoptères.
Nous attendons avec beaucoup d'intérêt, madame le ministre, le projet de loi relatif au statut général des militaires, que vous allez soumettre au Parlement d'ici peu.
Nécessaire et bienvenu aux termes d'une professionnalisation réussie, le statut arrive à point nommé certes, mais qu'apportera-t-il ?
Pour un total de 53, 65 millions d'euros, les mesures catégorielles apportent pour le plan d'amélioration de la condition militaire et pour le fonds de consolidation de la professionnalisation des sommes substantielles. Cet effort pour 2005 prolonge les 159 millions d'euros de réalisations des trois années précédentes.
En ce qui concerne les activités, il est fort difficile, pour un rapporteur même attentif, de distinguer dans les états fournis par les états-majors entre les objectifs et les résultats réels obtenus. Une plus grande clarté dans ce dossier nous permettrait mieux d'apprécier le chemin parcouru et celui qui reste à faire. Mais, avec les résultats qui nous sont communiqués, c'est assez difficile. Il y a visiblement loin de la coupe aux lèvres entre les objectifs et les réalisations, et je me propose, durant l'année 2005, de préciser l'état réel des uns et des autres, car, aujourd'hui, il ne m'est pas possible de chiffrer avec exactitude les taux réalisés.
Le financement des OPEX reste donc cette année encore pour vous, madame le ministre, un sérieux sujet de préoccupation et, pour le Sénat, un sujet récurrent d'irritation.
Les OPEX mobilisaient 13 324 militaires au 1er juin 2004 contre 12 264 en 2003.
C'est un poste financier très lourd qui représentait 546 millions d'euros de dépenses en 2002 et 562 millions d'euros en 2003. La dépense pour 2004 est estimée au 1er juin à 650 millions d'euros, dont 590 millions d'euros pour le seul titre III.
Il semble que vous ayez obtenu tout récemment des crédits importants en loi de finances rectificative, des crédits nouveaux, pas forcément des crédits de virement, et nous aimerions que vous nous en disiez plus.
S'agissant des autres postes budgétaires du titre III, hors rémunération des charges sociales, je reste sceptique face aux prévisions en matière de carburant. Elles étaient déjà étonnantes en loi de finances initiale pour 2004, avec un dollar à 0, 81 euro et un baril à 23 dollars. En fait, que sait-on de la réalisation qui s'est produite en 2004 ? Il semble même que la loi de finances rectificative ait dû vous apporter des crédits dans ce domaine.
Mais pour 2005, si un dollar à 0, 81 euro est plausible, le baril à 30 euros l'est beaucoup moins, même si Thierry Desmaret annonçait récemment que ce tarif serait retrouvé dans le courant de l'année.
Je sais que les crédits d'entretien programmés figurent maintenant en totalité au titre V ; mais que mon ami Yves Fréville me pardonne de les évoquer tant ils conditionnent la disponibilité des matériels et leur usage au titre III.
Ici, le passé est lourd. La précédente majorité avait littéralement ravagé ces crédits en les ramenant de 326 millions d'euros en 1989 à 57 millions d'euros en 2002, soit 18 % des crédits initiaux ! Nul besoin de revenir sur les conséquences d'un tel saccage sur la disponibilité des matériels, de tous les matériels.
Vous réparez progressivement ces dégâts et vous prévoyez, cette année, 2 057 millions d'euros de crédits de paiement, 2 627 millions d'euros d'autorisations de programme. Cependant, ces chiffres sont en baisse pour les crédits de paiement par rapport à 2004 alors même que votre oeuvre de reconstruction est loin d'être achevée.
Je pense particulièrement à la marine, dont les crédits baissent de 10 %, et à l'armée de terre, qui éprouvera de grandes difficultés en 2005, avec une diminution de 15 % des autorisations de programme, pour faire face à de nombreux facteurs d'augmentation de ses dépenses d'entretien d'un matériel ultravieillissant.
Madame le ministre, que pensez vous des taux de disponibilité actuels des forces, que nous avons un peu de peine à apprécier ?
Je devrais vraisemblablement consacrer une partie de mon exposé à parler de la loi organique relative aux lois de finances et des efforts exemplaires que vous-même, votre ministère et vos armées ont déjà déployés pour son application. J'ai consacré à ce sujet un long développement dans mon rapport écrit, et je préfère ne rien ajouter à l'analyse de mon ami Yves Fréville, qui est parfaitement suffisante dans l'immédiat.
Le budget de la défense pour 2005 est un « budget de consolidation » ai-je indiqué en préface de mon rapport écrit. En conclusion de cet exposé, je confirme cette appréciation, mais je tiens à la nuancer de plusieurs réserves qui témoignent d'un début d'inquiétude chez moi concernant les effectifs et le niveau des crédits d'entretien.
Je ne vous ai rien appris, madame le ministre, que vous ne sachiez parfaitement. Ne voyez dans ces remarques que le souci de vous soutenir dans votre action, mais aussi le désir de remplir mon rôle, qui est de rappeler inlassablement que la qualité du titre III du budget de la défense conditionne directement la valeur et l'efficacité de nos armées et que le Gouvernement, en ces temps troublés, ne doit pas l'oublier.
L'effort de défense français est considérable, le rétablissement de l'opérabilité de nos armées est sur la bonne voie, mais tout ce que nous avons examiné ensemble aboutit bien à l'idée forte et dérangeante que cet effort ne pourra se perpétuer en marge de l'Europe.
Bien au contraire, l'Europe politique doit le plus tôt possible accoucher d'une Europe de la défense. La tâche sera rude quand on compare l'effort américain et l'addition des budgets européens.
Les Etats-Unis consacrent 2, 6 fois plus en dépenses totales, 2, 4 fois plus en fonctionnement et 3, 2 fois plus pour le matériel pour seulement 1, 24 fois plus en effectifs !
Madame le ministre, ces remarques ne sont pas des réserves ; la commission des finances a approuvé les crédits du titre III et demande donc au Sénat de les adopter.