Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 29 novembre 2010 à 10h00
Loi de finances pour 2011 — Justice

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2011 prévoit une progression de 4, 5 % des crédits du programme Administration pénitentiaire au sein de la mission « Justice », dont la dotation augmente globalement de 4, 1 %.

Dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, ces chiffres marquent un incontestable effort en faveur de la justice, effort qui s’inscrit dans la durée. Le budget de la justice est ainsi passé entre 2001 et 2011 de 4, 3 milliards d’euros à 7, 128 milliards d’euros, soit une augmentation de 65 %.

Le programme Administration pénitentiaire représente 39 % de la mission « Justice », soit une dotation en crédits de paiement de 2, 8 milliards d’euros, tandis que les autorisations d’engagement augmentent de 6, 7 %, atteignant 3, 2 milliards d’euros.

Le plafond d’autorisations d’emplois s’élève à 34 857 ETPT, contre 33 860 en 2010, soit 997 ETPT supplémentaires en un an et 1 837 ETPT en deux ans.

Sur le fondement de ce seul constat, la commission des lois a émis un avis favorable sur l’adoption des crédits du programme pénitentiaire de la mission « Justice » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2011.

Je souhaite cependant exprimer un certain nombre d’inquiétudes et interroger le Gouvernement, monsieur le garde des sceaux, sur certains aspects de la politique pénitentiaire qui n’emportent pas d’emblée notre adhésion.

Notre première inquiétude porte sur le risque d’une déconnexion entre les exercices budgétaires successifs et les exigences de l’application de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.

Nous n’observons pas en particulier de rééquilibrage des recrutements en faveur des services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, pourtant indispensables à la réussite de la politique d’aménagement de peine qui est au cœur de la loi pénitentiaire.

Ainsi, l’augmentation du plafond d’emplois concerne essentiellement les personnels de surveillance et correspond principalement à la création d’emplois permettant de faire face à l’ouverture des nouveaux établissements prévus en 2011 dans le cadre du programme Perben de 13 200 places.

En outre, une réorientation dès l’an prochain en faveur des SPIP paraît difficilement conciliable avec l’annonce de la création de 5 000 places supplémentaires au titre d’un nouveau programme immobilier.

Autant la commission des lois est totalement favorable, monsieur le ministre, au remplacement des places obsolètes par des places conformes au respect de la dignité des personnes détenues, autant elle estime nécessaire d’en rester, au moins à moyen terme, à un objectif de 63 000 places correspondant à un ratio d’incarcération de 100 pour 100 000 habitants, qui se situe dans une honorable moyenne européenne.

Je rappelle que, selon l’étude d’impact accompagnant la loi pénitentiaire, l’augmentation du nombre des aménagements de peine exigeait la création de 1 000 postes de conseillers d’insertion et de probation. Les créations successives d’ETPT au titre des métiers de l’insertion – 148 dans la loi de finances 2010 et 114 dans la loi de finances 2011 – à supposer qu’elles se concrétisent, demeurent très modestes.

Ma seconde inquiétude concerne le projet annuel de performance. Il n’est guère adapté aux grandes orientations de la loi pénitentiaire. L’idée est un peu la même. Bien des cibles apparaissent en deçà des objectifs souhaitables. Ainsi, pour le taux de détenus bénéficiant d’une activité rémunérée, la cible pour 2011 – 37, 4 % – marque une infime augmentation par rapport au résultat de 2009 qui est de 35, 7 %. Est-elle susceptible de mobiliser l’administration pénitentiaire autour de l’ardente obligation de développer des activités afin de répondre à l’engagement inscrit dans la loi ? Il est permis d’en douter.

De même, est-il vraiment pertinent de calculer l’indicateur concernant l’amélioration de l’accès aux soins sur la base du nombre d’établissements ayant actualisé leur protocole d’accord avec les services de soins, mesure à caractère purement administratif ? Le nombre d’emplois de médecin effectivement pourvus, ou encore celui des consultations, donnerait des éléments d’information plus utiles.

Enfin, les éléments de présentation actuels comportent des lacunes évidentes au regard de certaines orientations de la loi pénitentiaire. Ainsi, s’il est indispensable de mesurer le taux d’incidents dont les personnels sont victimes, la sécurité des établissements doit aussi s’apprécier à travers les violences commises en détention sur les personnes détenues.

Ma troisième inquiétude a trait à la baisse des moyens de fonctionnement destinés aux établissements en gestion publique dont les conséquences pourraient être très dommageables sur la maintenance des infrastructures. On peut ainsi songer au coût de la réhabilitation de Fleury-Mérogis. Cette baisse s’explique en partie par l’augmentation des crédits consacrés à la gestion déléguée en raison de la montée en charge des marchés. Nous attirons votre attention, monsieur le ministre, sur le risque d’un parc à deux vitesses dans l’avenir.

Le dernier point concerne le problème de l’encellulement individuel. Vous savez combien le Sénat s’y était montré attaché. Je constate, avec satisfaction, des progrès importants liés à la fois à l’augmentation du nombre des places, avec la réalisation du programme Perben, et à la diminution du nombre de personnes détenues. Savez-vous, mes chers collègues, qu’entre le 1 er octobre 2009 et le 1 er octobre 2010 nous avons fait baisser de moitié le nombre des établissements pénitentiaires qui connaissent une densité d’occupation supérieure à 150 % ? C’est tout à fait remarquable.

Cependant, monsieur le ministre, nous sommes parfois surpris d’entendre que la justification de l’administration pénitentiaire concernant les établissements qu’elle souhaite fermer repose sur l’impossibilité d’arriver à un taux de 95 % à 100 % d’encellulement individuel. Ce n’est en effet pas ce que le Sénat avait réclamé. Le Sénat n’est pas un ayatollah de l’encellulement individuel. La loi Perben, lorsqu’elle a été mise en œuvre et qu’elle a prévu 13 200 places, avait pour objectif 30 % de cellules collectives. Sur ce point, monsieur le ministre, nous comptons sur votre modération pour que le principe de l’encellulement individuel soit respecté avec les diverses exceptions qui sont prévues par la loi et qui pourraient effectivement justifier, pour les maisons d’arrêt, 30 % de cellules collectives dans un principe d’encellulement individuel.

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