Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, évoquer le budget de la justice cette année, c’est pour moi être partagé entre deux approches relativement divergentes.
D’une part, il faut se féliciter de la progression des crédits des programmes Justice judiciaire et Accès au droit, alors que notre pays s’engage dans un effort considérable de réduction de ses dépenses publiques. D’autre part, force est de constater que les magistrats et les fonctionnaires doivent bien souvent faire face à une pénurie de moyens qui oblige les chefs de cour à renoncer à certaines dépenses de fonctionnement pour assurer, par exemple, le paiement des frais de justice.
Cette pénurie semble par ailleurs réduire les dialogues de gestion à une simple validation des propositions de l’administration centrale par les chefs de cour, ce qui me conduit à ma première observation sur ce budget 2011. Il s’agit de l’application de la LOLF à la justice. La logique de performance induite par la LOLF a sans doute permis d’accompagner un mouvement de rationalisation du travail des juridictions.
Toutefois, l’approche statistique n’offre qu’une vue schématique et même parfois déformée de l’activité judiciaire. Ainsi, l’indicateur relatif au nombre d’affaires pénales traitées par les magistrats du siège agrège les jugements correctionnels, les ordonnances pénales, les compositions pénales et les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, ce qui revient à agréger sans distinction des affaires qui nécessitent pourtant un investissement et un temps passé sensiblement différents.
J’en viens donc à ma première question, monsieur le garde des sceaux : les nouvelles applications informatiques, telle la chaîne applicative supportant le système d'information opérationnel pour le pénal et les enfants, ou CASSIOPEE, permettront-elles un jour d’affiner ces indicateurs, de rendre une vision plus fine et plus juste de l’activité judiciaire et, par voie de conséquence, de mieux adapter ces moyens à la réalité des besoins des juridictions ?
Je voudrais maintenant évoquer l’achèvement, en 2011, de la réforme de la carte judiciaire. La nouvelle carte sera normalement en place le 1er janvier prochain, avec 865 juridictions judiciaires contre 1 193 précédemment.
Les magistrats et fonctionnaires de la justice jugent globalement satisfaisante la prise en compte de la situation des personnels dans le cadre de la mise en œuvre de cette réforme.
L’accompagnement immobilier paraît plus problématique, et l’évaluation de son coût suscite des interrogations. En effet, la mise en œuvre de cette réforme se traduit par la réalisation de plus de 400 opérations immobilières, dont une centaine à titre provisoire. Compte tenu du coût ce volet immobilier, les résultats, en termes d’économies budgétaires, de la mise en place d’une nouvelle carte judiciaire ne pourront être observés qu’à long terme.
Par ailleurs, le développement des maisons de la justice et du droit, notamment les MJD nouvelle génération, constitue – j’ai eu l’occasion de le dire les années précédentes – le complément indispensable de la réforme de la carte judicaire afin de maintenir un accès facile à la justice sur l’ensemble du territoire. C’est vrai, en particulier, pour les populations les plus fragiles qui sont aussi souvent, il faut le dire, les justiciables que l’on retrouve le plus devant les tribunaux d’instance. Force est de constater qu’un certain nombre de ces MJD ne peuvent fonctionner correctement qu’en raison de l’appoint en personnel apporté par les collectivités locales, faute pour la juridiction de rattachement d’avoir les moyens d’y déléguer un greffier.
J’en viens maintenant à l’augmentation des frais de justice. Après avoir diminué en 2006 de 22, 1 % – c’était l’heureuse surprise de la mise en application de la LOLF dans le domaine de la justice –, les dépenses afférentes aux frais de justice sont à nouveau en progression depuis 2007. La hausse a même atteint 7, 7 % l’an dernier. Il paraît très inquiétant que l’insuffisance des crédits alloués aux frais de justice conduise certaines juridictions à réduire leurs frais de fonctionnement pour pouvoir honorer les factures. Ce sont alors des crédits qui auraient dû être consacrés à l’emploi de vacataires ou d’assistants de justice, voire de juges de proximité, qui sont en fait utilisés, à partir des deux tiers de l’année, pour le paiement des frais de justice. La plupart des juridictions arrêtent d’ailleurs purement et simplement de régler les frais de justice dès octobre ou novembre. Dès le début de l’année, il faudra renflouer les crédits.
Des économies semblent pouvoir être encore réalisées, notamment par de nouveaux marchés publics en matière d’analyse génétique et par la mise en place de la plateforme nationale d’interceptions judiciaires. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si ce projet doit bien aboutir en 2011 et quelles économies budgétaires devraient en résulter ?
En ce qui concerne les effectifs, la commission des lois est préoccupée par l’absence de gestion prévisionnelle. Le budget 2011 met un terme au mouvement d’augmentation du nombre de magistrats, dont on peut convenir qu’il a atteint un niveau satisfaisant. Il faut sans doute, aujourd’hui, mettre l’accent sur l’augmentation des postes de greffiers et de fonctionnaires. À cet égard, le projet de loi de finances prévoit la création de 399 ETP de greffiers. Il prévoit aussi la suppression de 76 ETP de magistrats et de 196 ETP de fonctionnaires de catégorie C. Ce mouvement inquiète la commission des lois.
Tout d’abord, la politique de transformation d’emplois de secrétaires administratifs en emplois de greffiers conduit à un déficit dans la première catégorie. Certains magistrats sont ainsi amenés à consacrer une partie de leur temps à des tâches d’exécution au détriment de leur fonction première.
Ensuite, l’absence de gestion prévisionnelle des effectifs laisse craindre une évaporation des progrès accomplis ces dernières années. En effet, nous savons que le nombre de départs à la retraite de magistrats doit croître de façon continue dans les prochaines années, pour atteindre quelque 300 départs par an à compter de 2016 ou 2017. C’est demain. Or, le nombre de places offertes aux trois concours de l’école nationale de magistrature est stabilisé depuis trois ans à 105 postes, et le nombre de recrutements parallèles diminue.
La mise en place d’une gestion prévisionnelle des effectifs de magistrats et de fonctionnaires des services judiciaires paraît donc essentielle pour assurer le succès de la politique de rattrapage des moyens de la justice et faire en sorte qu’elle ne soit pas transitoire. À cet égard, l’évaluation des gains attendus des réformes en cours en termes d’emploi paraît optimiste, qu’il s’agisse de la carte judiciaire ou des nouvelles applications informatiques.
De même, il semble très ambitieux d’escompter que 500 magistrats et 560 fonctionnaires puissent constituer la réserve judiciaire prévue par l’article 75 bis du projet de loi de finances quand on sait, notamment, que 71 magistrats seulement sont actuellement maintenus en activité en surnombre au-delà de leur âge de départ en retraite.
Je n’évoquerai l’aide juridictionnelle que pour indiquer que la dotation prévue sera insuffisante. La réforme de la garde à vue va nécessiter un renforcement de ces crédits et je ne suis pas sûr que le paiement direct des droits de plaidoirie par chaque justiciable soit à la hauteur du problème. Monsieur le ministre, nous attendons aussi vos informations sur ce point.
Enfin, je souhaite évoquer la place du Conseil supérieur de la magistrature dans l’architecture de la mission « Justice ». Les crédits alloués au CSM sont en augmentation, car ce dernier prend désormais en charge des dépenses de fonctionnement auparavant assumées par la présidence de la République, et le nombre de ses membres passe de seize à vingt-deux dans quelques semaines.
Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, si les locaux affectés au CSM lui permettront d’accueillir ces vingt-deux membres et de fonctionner correctement ? La question se pose en particulier pour l’examen des demandes des justiciables qui pourront le saisir de faits susceptibles de mettre en cause la responsabilité disciplinaire des magistrats.
Sur la question de la place du CSM – nous allons en discuter dans quelques instants –, la commission des lois propose que, dans l’architecture budgétaire, un programme spécifique soit réservé au CSM, comme la commission des lois le demande depuis des années, cette proposition faisant d’ailleurs l’unanimité de ses membres.
Sous le bénéfice de l’ensemble de ces observations, la commission des lois a donné un avis favorable à l’adoption des crédits alloués aux programmes Justice judiciaire et Accès au droit et à la justice.