Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 29 novembre 2010 à 10h00
Loi de finances pour 2011 — Justice

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Monsieur le garde des sceaux, je tiens tout d’abord, au nom de mon groupe, à vous féliciter de votre nomination comme ministre de la justice. De la justice et des libertés !

Le président de l’Union syndicale des magistrats déclarait, il y a quelques jours, que votre ministère était sinistré sur le plan budgétaire, avec des personnels au mieux désabusés au pire ulcérés, pour avoir vécu « les régressions et la consternation quotidienne » avec Mme Dati et « la stagnation et la déception » ensuite.

En réalité, ce projet de budget pour 2011 est le produit de deux héritages. Pour une fois, nous attendons la rupture ! Mais celle-ci n’est pas encore au rendez-vous et, pour cette raison, notre groupe votera majoritairement contre ce budget. Soyons néanmoins très conscients que, si notre justice va mal, si elle est dans le « wagon de queue » des pays européens, c’est aussi parce que nos concitoyens n’en font une priorité que lorsqu’ils sont personnellement concernés.

Qu’attendons-nous de la justice ? Qu’elle soit indépendante, professionnelle, accessible à tous quel que soit le niveau social ou le lieu de résidence, qu’elle assure le respect des droits de la personne, des victimes, de la liberté individuelle, des lois de la République, qu’en matière pénale la sanction soit proportionnelle à la faute, que cette sanction soit exécutée avec la dignité qui convient.

Comparez ce programme à ce qui a été réalisé ces dernières années, vous constaterez que le résultat est en grande partie inverse.

L’insécurité juridique est aggravée par une véritable diarrhée législative, en particulier dans le domaine pénal, où l’accumulation de dizaines de textes sécuritaires à vocation médiatique a rendu l’application de la loi par le magistrat périlleuse.

Certaines lois sont « placardisées » avant même d’être expérimentées.

Le Gouvernement s’enferre dans une résistance insensée à l’application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et même, disons-le, de la loi pénitentiaire très consensuelle défendue par notre collègue Jean-René Lecerf.

Les réformes se bousculent et se contredisent souvent, de la création des juges de proximité à la suppression de 178 tribunaux d’instance.

Les réformes des professions judiciaires se caractérisent par la priorité donnée au droit des affaires, au monde des affaires, et non au citoyen.

La majorité persiste dans l’affichage des lois de répression, alors qu’un nombre considérable de condamnations ne sont jamais exécutées, vous le savez, avec d’étranges disparités selon le territoire concerné.

Face à ce constat, qui ne vous est pas imputable, monsieur le ministre, est-il opportun, pour fredonner « Tout va très bien, madame la marquise », de s’engager vers de pseudo-innovations comme la présence de jurés dans les tribunaux correctionnels ? N’est-il pas plus urgent de remettre en ordre de marche la justice en lui redonnant confiance en elle-même, en ses magistrats, en son personnel, en ses auxiliaires ? C’est ainsi qu’elle retrouvera la confiance des citoyens.

Je mettrai l’accent sur quelques points significatifs.

S’agissant de l’administration pénitentiaire, il est globalement positif de constater une légère diminution du nombre de détenus et un développement des mesures alternatives. En revanche, notre rapporteur a mis en évidence que le budget était très déconnecté de la loi pénitentiaire, alors que celle-ci constitue un progrès incontestable. Un choix de fond est à effectuer : pour nous, il convient de développer les services pénitentiaires d’insertion et de probation, ainsi que l’obligation d’activités, et de s’interroger sur le nouveau programme de 5 000 places. Il y a tant à faire pour moderniser l’existant !

Quant à la fermeture des maisons d’arrêt considérée comme exemplaire par notre rapporteur, sous le prétexte de la révision générale des politiques publiques et d’une interprétation fallacieuse de l’encellulement individuel, j’attends de votre part, monsieur le ministre, l’application de votre bon sens. Je crains que cela ne soit difficile !

Par ailleurs, le transfert des escortes judiciaires, pour des raisons non techniques va entraîner de graves difficultés.

Le budget ne fait pas non plus apparaître les conséquences financières de la politique de déjudiciarisation engagée ces dernières années et amplifiée subrepticement par des lois dites de simplification ; c’est ainsi que nombre d’actes ont été retirés aux greffes pour les confier le plus souvent aux notaires, avec des conséquences pour les plus démunis. Quels sont les effets de cette mesure sur les effectifs en équivalent temps plein ? Allez-vous persévérer dans cette voie encore utilisée récemment pour faire passer aux notaires la pilule de l’acte d’avocat ?

Le budget intègre le coût de la carte judiciaire, sans évaluer précisément les gains de cette réforme et je n’épiloguerai pas sur le coût du nouveau tribunal de grande instance de Paris !

Monsieur le ministre, rien dans ce budget ne permettra de stopper la désertification judiciaire engagée par vos prédécesseurs. Les petits départements deviennent sinistrés en matière judiciaire, comme ils le sont déjà en matière médicale : suppression des tribunaux, postes non pourvus, regroupement de juridictions spécialisées dans les métropoles, paupérisation des auxiliaires de justice avec, comme conséquence, l’éloignement croissant de nombreux citoyens, notamment les plus démunis, du droit à la justice, particulièrement en matière pénale. Monsieur le ministre, votre conception de l’aménagement du territoire, n’est pas compatible avec ce budget !

Pour rendre une bonne justice, il faut des professionnels qualifiés, en nombre suffisant, dotés de moyens suffisants. Or, comme le relèvent l’ensemble des rapporteurs – j’allais dire, dans leurs réquisitions –, le projet annuel de performance pour 2011 supprime 76 emplois de magistrats. Vous avez souligné la nécessité d’une gestion prévisionnelle des emplois, mais la création d’une réserve judiciaire ne palliera pas les départs à la retraite non compensés. Le fonctionnement de nos tribunaux continuera à se dégrader et « l’effet de ciseaux » est inéluctable.

Il est aussi à noter que les promesses faites aux avoués et à leurs salariés ne sont pas tenues et ne le seront pas !

J’en viens, monsieur le ministre, au problème de l’aide juridictionnelle, qui est crucial. Non seulement ce budget ne le résout aucunement, mais il n’anticipe pas vraiment le choc que devra être la réforme de la garde à vue. Si les moyens financiers ne sont pas débloqués, nous irons vers un simulacre de réforme et une aggravation de l’insécurité juridique. Oublions le rapport Darrois : serait-il raisonnable de demander au président-directeur général du groupe LVMH un rapport sur les conditions de vie d’un smicard ?

Il n’est d’autre solution, à défaut de nouvelles taxes sur les actes, que d’effectuer un prélèvement important sur le pactole accumulé par les assureurs dans le domaine de la protection juridique et d’en faire gérer le produit par les professions judiciaires.

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