Même si ce budget n’a pas été élaboré par vous-même, monsieur le ministre, vous allez avoir la lourde tâche, et je partage sur ce point l’analyse de mon collègue Jean-Pierre Sueur, de le mettre en œuvre et, surtout, de veiller à son efficacité.
En effet, ce budget a été élaboré par un Gouvernement auquel vous accordez votre confiance, cependant que j’ai, quant à moi, beaucoup de mal à le faire devant un exécutif qui multiplie les effets déclamatoires, les incohérences et les contradictions, qui confond vitesse et précipitation, priorité et comptabilité, mutualisation et coupes sévères, qui se permet de commenter des décisions de justice et qui confond parfois coupables et mis en cause ; bref, un exécutif qui confond le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
Les chiffres ont déjà été beaucoup analysés et disséqués par mes prédécesseurs à cette tribune. Manifestement, sur les mêmes chiffres, on peut avoir des analyses à géométrie variable, puisque je n’ai pas encore entendu beaucoup de ministres se plaindre de restrictions ou de coupes dans leur budget. Au contraire, ils se félicitent tous, officiellement, mais pas trop fort pour ne pas faire de jaloux, d’avoir bien défendu leur beefsteak et d’avoir obtenu des choses très intéressantes pour leur ministère.
Dans un contexte de RGPP dans lequel, théoriquement, tous les fonds publics ont diminué, j’ai un petit peu de mal à comprendre la cohérence de ces discours. Personnellement, en tout cas, je partage plutôt le pessimisme de mes collègues de gauche que l’optimisme de mes collègues de droite sur les fonds qui vous ont été attribués.
En tout cas, point n’est besoin, sans doute, d’analyser ces chiffres de façon précise. Les grands principes de ce budget démontreront facilement les qualités que j’ai prêtées au Gouvernement dans mon propos introductif.
En ce qui concerne par exemple l’administration pénitentiaire, l’incohérence de son budget se mesure à la carte des fermetures et des ouvertures. On propose de fermer des établissements pénitentiaires qui fonctionnent bien, pour lesquels les taux de récidive sont faibles, les problèmes sociaux peu élevés, l’ambiance excellente. On les ferme tout de même, Dieu seul sait pour quel motif, pour en construire et en ouvrir d’autres ailleurs !
Quant à la carte géographique, j’ai du mal à en comprendre la cohérence : on prône l’importance du rapprochement familial tandis que les ouvertures prévues ne semblent absolument pas prendre en compte ce souci.
Des bracelets électroniques sont prévus, certes. Mais, c’est de notoriété publique, et l’expérience de nos voisins étrangers, plus ancienne que la nôtre, le montre parfaitement, la mise sous bracelets électroniques requiert du personnel. Les problèmes surviennent sur le long terme et non pas au cours des quelques mois après la sortie de prison. L’insertion, elle aussi, s’évalue sur le long terme.
Quels sont les moyens mis en place pour le suivi des personnes concernées ? Aucun.
La précipitation du Gouvernement est encore flagrante en matière de transfèrement des personnes sous main de justice. Alors qu’on en parle depuis des années, était-il nécessaire de le faire brutalement, en quelques mois, sans aucune concertation, sans aucune préparation et sans aucune formation du personnel auquel il sera demandé demain d’assumer ces nouvelles missions ? Une fois de plus, vitesse et précipitation sont confondues, comme dans le cas de Cassiopee et de la réforme des tutelles. Les réformes ne correspondent pas à l’objectif affiché.
Je voudrais maintenant évoquer le sujet des mineurs, qui me préoccupe énormément. J’ai lu avec beaucoup d’attention le rapport de M. Bockel sur la prévention de la délinquance. M. Bockel lui-même s’inquiète beaucoup de la systématisation des comparutions immédiates, qui, la plupart du temps, face à des situations complexes et multifactorielles, n’est pas gage d’efficacité. De nombreux éléments sont à prendre en considération pour sortir réellement les mineurs de la délinquance.
M. Bockel lui-même s’interroge sur les moyens qui vont être donnés au milieu associatif. Il s’inquiète des incertitudes qui pèsent sur les mesures éducatives qui seront demain mises en place. Déjà, dans nombre de juridictions, les budgets sont insuffisants pour les enquêtes sociales. Les délégués du procureur ne peuvent plus se déplacer. Il n’y a plus de budget de déplacement. Les juges des enfants, qui devraient être présents dans les comités intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance, n’en auront pas le temps, et nulle création d’emplois n’est prévue.
L’article 41 du projet de loi de finances prévoit une mesure de paiement systématique des droits par la personne bénéficiant de l’aide juridictionnelle. Les enfants y seront-ils soumis ? Où trouveront-ils les 8, 80 euros requis pour être représentés par un avocat devant un juge des enfants dans les cas de divorce difficile, où il est nécessaire qu’ils fassent entendre leur voix ?
Les plus vulnérables, une fois de plus, seront touchés, comme beaucoup trop souvent avec ce Gouvernement.
Nous allons donc vers une justice à deux vitesses, une justice qui ne sera accessible qu’aux cols blancs, qu’aux caïds de l’économie sous-terraine, alors que le Gouvernement affirme vouloir lutter contre ces derniers, qui pourrissent véritablement la sécurité dans notre société.
Il en allait déjà ainsi avec la réforme de la représentation devant la cour d’appel et des avoués. Il en va de même avec l’aide juridictionnelle. Vous vous gargarisez de son augmentation.