Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mes chers collègues, avec l’examen de ce projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, l’occasion nous est donnée de participer à une sorte de débat budgétaire anticipé, quelques jours avant la discussion du projet de loi de finances pour 2011.
Ce projet de loi de programmation des finances publiques est le deuxième du genre, le premier – pour la période 2009-2012, adopté en février 2009 – ayant été rendu rapidement caduc par la crise. Comparé à ce dernier, le présent projet comporte un certain nombre de règles et de dispositions nouvelles, pertinentes et utiles, notamment en matière de norme d’évolution des dépenses publiques, de pilotage des prélèvements obligatoires ou encore de maîtrise de l’ONDAM, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie.
Elles devraient permettre, selon le Gouvernement, de réduire nos déficits à un rythme soutenu durant les quatre prochaines années. On ne peut qu’inciter l’exécutif à suivre cette voie.
L’examen de ce projet de loi permet également au Parlement d’avoir un débat sur l’évolution des finances publiques à moyen terme, puisqu’il définit une trajectoire pluriannuelle d’évolution des comptes publics.
Les lois de programmation des finances publiques consistent tout d’abord en un exercice de prévision macroéconomique, puisque le Gouvernement indique ses prévisions en matière de croissance du PIB, de déficits publics et du niveau de la dette.
Bien évidemment, les trajectoires des finances publiques sont particulièrement aléatoires puisqu’elles dépendent des hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement en ce qui concerne les prévisions de croissance, mais aussi l’inflation, l’évolution de la masse salariale ou l’élasticité des recettes. C’est pourquoi il convient selon moi de rester prudent en ces matières.
Ainsi, le Gouvernement envisage dans ce projet de loi une croissance annuelle du PIB en volume de 2, 5 % par an entre 2012 et 2014. Les hypothèses de croissance du Gouvernement sont supérieures à celles retenues par le Fonds monétaire international et l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, qui prévoient un taux de croissance du PIB compris entre 1, 6 % et 2, 1 % sur la période 2011-2014, dans un environnement international où la reprise paraît encore incertaine et où les risques de rechute ne sont pas exclus.
Une prévision de croissance de 1, 5 % nous paraît beaucoup plus réaliste et raisonnable que celle de 2, 5 % initialement retenue par le Gouvernement. Notre commission des finances, dans sa grande sagesse, l’a ramenée à 2 % afin de rester crédible face à nos interlocuteurs. Adopter cette estimation prudente permet en outre de minimiser les risques de surévaluation de la hausse du PIB. Cela permet enfin, si les taux de croissance s’avèrent supérieurs, d’utiliser le surplus de recettes pour réduire plus vite les déficits publics.
Ainsi, l’hypothèse d’une croissance molle de 1, 5 % entre 2010 et 2014, qui me semble la plus réaliste, ne permettrait pas le retour du déficit sous la barre des 3 % du PIB, même en 2014, ni l’inversion de la courbe de l’endettement public, lequel dépasserait 91 % du PIB en 2014. Nous sommes alors proches du scénario alternatif esquissé par la commission des finances.
Le risque des prévisions trop optimistes est de surévaluer le rattrapage des pertes de production et les rentrées fiscales, tandis que l’objectif de maîtrise des dépenses est très ambitieux.
Par exemple, pour 2011, le Gouvernement affiche une réduction historique du déficit de l’État de 152 milliards d’euros à 92 milliards d’euros, qui résulte essentiellement d’un simple effet mécanique lié à la non-reconduction des mesures exceptionnelles de crise en 2011. La réduction des dépenses ne représente pas grand-chose dans la réduction du déficit.
La programmation pluriannuelle est donc extrêmement sensible à la croissance, ce qui laisse à penser que la réduction du déficit et l’infléchissement de la dette publique à la baisse devront reposer non sur d’hypothétiques recettes de croissance mais sur la stricte maîtrise des dépenses.
Cela signifie que, pour la décennie à venir, un effort supplémentaire devra être réalisé, tant en matière de dépenses que de recettes, pour résorber progressivement un déficit structurel qui a été creusé, depuis de trop nombreuses années, par des baisses d’impôt massives non compensées par des économies sur la dépense.
Des efforts considérables doivent être engagés pour réduire la dépense publique, monsieur le ministre, et seules des réformes de structure très profondes permettront de la contenir. Le respect scrupuleux de l’objectif d’évolution des dépenses publiques ainsi que l’approfondissement de la réduction des niches fiscales et sociales seront alors indispensables.
Le Gouvernement affirme faire le choix d’une réduction durable du déficit fondée sur la maîtrise des dépenses publiques. Pour cela, il fixe un objectif d’évolution des dépenses publiques qui se veut ambitieux, puisque la progression des dépenses de l’ensemble des administrations publiques devra être limitée à 0, 8 % en moyenne annuelle entre 2011 et 2014, alors que ces dépenses ont progressé ces dernières années de 2, 3 % en moyenne.
Malheureusement, comme vous le savez, monsieur le ministre, cela ne sera pas suffisant. De plus, cet effort devra principalement porter sur la maîtrise de la dépense sociale et locale, puisque ce sont elles qui ont le plus progressé ces dernières années, notamment du fait de la crise, où les stabilisateurs économiques ont pleinement joué leur rôle.
Cela implique de diviser par trois le rythme de progression des dépenses publiques, ce qui serait inédit. Cela représente environ 16 milliards d’euros d’économies par an, soit plus de 66 milliards d’euros sur la période couverte par le projet de loi, alors que l’effort moyen de réduction de la dépense publique n’a pas dépassé deux milliards d’euros par an jusqu’à présent !
En outre, l’effort devra porter sur la réduction de la progression naturelle des dépenses les moins maîtrisables faute de leviers efficaces pour les réguler, à savoir celles des administrations locales et des administrations sociales. Cela implique également de maintenir les prélèvements obligatoires à leur niveau actuel en s’interdisant impérativement toute mesure nouvelle de baisse. Plus encore, ne faudra-t-il pas les revoir à la hausse pour tendre vers l’objectif d’un déficit public s’élevant à 3 % du PIB ?
Le Gouvernement s’engage à atteindre cet objectif d’ici à 2013, ce qui suppose de réduire le déficit structurel de 1 % du PIB – soit 20 milliards d’euros – par an. Pour réduire le déficit public à 6 % du PIB en 2011, l’exécutif utilise le levier des recettes, en créant plus de 10 milliards d’euros de recettes nouvelles.
Avec ce scénario optimiste, le Gouvernement mettrait fin à la progression de la dette publique à partir de 2013, date à partir de laquelle celle-ci commencerait à diminuer grâce au retour à un solde public positif, après avoir représenté 87, 4 % en 2012. L’année prochaine, notre pays devra continuer de s’endetter pour financer son déficit qui sera encore de 6 %. La dette publique, qui s’élèvera l’année prochaine à 1748 milliards d’euros, met le Gouvernement au pied du mur.
La soutenabilité de la dette publique française dépend donc directement de notre capacité à réduire le déficit, notamment structurel, faute de quoi nous connaîtrions l’effet d’emballement de la dette décrit par Philippe Séguin, avec les risques que nous connaissons.
Le premier d’entre eux serait lié à l’absence de marges de manœuvre budgétaires, du fait du poids de la charge des intérêts de la dette, qui vont passer de 4, 5 milliards d’euros actuellement à 5 milliards d’euros en moyenne en 2012 et en 2013. La dette, qui est déjà le deuxième poste de dépenses du budget, atteindra en 2013 un niveau historique de près de 57 milliards d’euros. Si la remontée progressive des taux d’intérêts se confirme – comme on peut le redouter, et comme vous le prévoyez vous-même, monsieur le ministre, en anticipant une hausse d’environ 150 points de base dès 2011 –, la charge de la dette pourrait devenir le premier poste budgétaire de l’État, devant l’enseignement scolaire.
Par ailleurs, la crédibilité de notre pays sera mise en doute du fait de son incapacité à rembourser sa dette, avec le risque d’une dégradation de la note de la France par les agences de notation. Sachant également que notre dette publique est détenue à 70 % par des non-résidents, le risque qu’elle échappe à tout contrôle est bien réel.
Enfin, le risque d’une hausse des taux d’intérêt par les opérateurs de marché du fait de l’incapacité de la France à réduire son niveau d’endettement alourdirait encore la charge de la dette. Je le rappelle, un point de hausse des taux d’intérêt équivaudrait à alourdir de 10 milliards d’euros la charge de la dette. N’oublions pas non plus que l’endettement à court terme n’a cessé de croître pour atteindre près de 20 % de la dette totale en 2009.
Dans le scénario du Gouvernement, le déficit de l’État devrait passer de 92 milliards d’euros en 2011 à 44, 4 milliards d’euros en 2014, grâce à une forte « surréaction » des recettes fiscales et au gel des dépenses, hors charges d’intérêt de la dette et hors dépenses de pensions.
Le Gouvernement prévoit un double encadrement de l’évolution des dépenses de l’État – la norme « zéro volume » et la norme « zéro valeur » – qui devrait contribuer à l’apurement du déficit de l’État. Cette nouvelle norme devrait garantir que les économies dégagées serviront à réduire le déficit et viendront participer à l’effort de consolidation des finances publiques.
La stabilisation en valeur de l’ensemble des dépenses de l’État – hors charges d’intérêt de la dette et dépenses de pensions, qui continueront pour leur part à progresser sur cette période – est une nécessité pour respecter l’engagement de stabiliser en volume l’ensemble des dépenses de l’État sur la période 2011-2013. À l’inverse, ce sont les crédits des missions du budget général qui serviront de variables d’ajustement dans l’hypothèse où le poids de la charge de la dette ou des pensions des fonctionnaires serait supérieur à la norme « zéro volume ». C’est ainsi plus d’une mission sur deux de l’État qui verra son enveloppe globale gelée ou diminuée au cours de la période 2011-2014.
Le Gouvernement se fixe un objectif de réduction des dépenses supérieur à 12 milliards d’euros entre 2011 et 2013 à travers trois dispositions.
La première vise à stabiliser les dépenses de personnel avec la poursuite du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux au sein des ministères. Monsieur le ministre, cette règle devra également concerner les 583 opérateurs de l’État et il faudra prévoir un meilleur pilotage de la masse salariale. J’en rappelle l’enjeu.
Les opérateurs de l’État, qui reçoivent 34 milliards d’euros de subventions et de ressources fiscales, emploient 250 000 personnes, hors universités. Or leurs effectifs ont continué à progresser ces dernières années. Les ministères ont en effet transféré des personnels vers ces opérateurs afin de contourner les plafonds d’emplois. Voilà pourquoi les opérateurs doivent être soumis aux mêmes règles que les ministères.
Comme l’indique M. Marini, nous assistons à une « agencisation » de l’État. Depuis deux ans déjà, la commission des finances dénonce cette situation.