Intervention de Bernard Vera

Réunion du 3 novembre 2010 à 14h30
Prélèvements obligatoires et endettement. – programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 — Question préalable

Photo de Bernard VeraBernard Vera :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la désastreuse situation de nos comptes publics, qui s’est fortement aggravée depuis 2007, agit comme un frein à toute audace, toute proposition, tout choix qui sortirait des canons de l’orthodoxie libérale, conduisant immanquablement à la mise en place de politiques d’austérité ; des politiques dont les attendus, le contenu et la mise en œuvre ne résolvent pas durablement les difficultés budgétaires de l’État et ne permettent à aucun moment de répondre de manière satisfaisante aux besoins collectifs, ce qui devrait pourtant constituer la pierre de touche de toutes les politiques publiques.

Contrairement à une idée abondamment répandue dans les milieux libéraux, notre pays ne souffre pas d’une inflation inconsidérée de dépenses publiques. Notre pays souffre surtout d’un excès de dépenses fiscales et de mesures dérogatoires dont le coût global, de plus en plus élevé, est à la source de la création des déficits publics cumulés.

Nous avons déjà eu l’occasion de pointer, lors de débats budgétaires antérieurs, à quel point le recours massif aux dispositifs dérogatoires, aux allégements et exonérations circonstanciés, aux remises sur cotisations sociales était devenu l’essentiel des politiques publiques.

Ma collègue Marie-France Beaufils, rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission « Remboursements et dégrèvements », avait même parlé dans son rapport de « pilotage à vue » à propos de la gestion des sommes très importantes recouvertes par cette mission, qui est aujourd’hui la plus dotée puisque 90 milliards d’euros passent par le sas de ses crédits.

Mais la mission « Remboursements et dégrèvements » ne représente qu’une partie de la réalité et les montants en jeu s’avèrent autrement plus élevés.

Pour la Cour des comptes, les dépenses fiscales, fort nombreuses, destinées aux entreprises s’élevaient en 2009 à 35, 3 milliards d’euros, auxquels il convenait d’ajouter le coût des dispositifs dérogatoires estimé, lui, à 71, 3 milliards d’euros.

Notre législation fiscale est truffée de mesures de dépense fiscale et d’allégement de l’impôt sur les sociétés pour plus de 106 milliards d’euros, soit deux fois le produit net de l’impôt sur les sociétés.

Ainsi, au lieu d’un taux de 33, 33 % d’imposition des bénéfices, nous avons un taux divisé par trois, compte tenu des mesures prises pour que le barème ne s’applique pas en totalité.

La même remarque vaut quand on examine la question des niches sociales, notamment des allégements généraux de cotisations, les unes pesant 66 milliards d’euros pour les deniers publics et les autres 26 milliards d’euros au sein de cet ensemble.

Quand on fait la somme des deux ensembles, comme le fait la Cour des comptes, nous sommes face à 172 milliards d’euros de niches fiscales et sociales, soit exactement le montant cumulé du déficit budgétaire prévisible cette année et du déficit du régime général de la sécurité sociale.

Le plus coûteux dans notre législation est le régime des sociétés « mère-fille », avec un coût de 34, 9 milliards d’euros en 2009, le régime d’intégration fiscale des groupes, avec une facture de 19, 5 milliards d’euros, et le régime dérogatoire des plus-values, avec un cadeau de 6 milliards d’euros pour les entreprises.

Les principaux bénéficiaires des allégements généraux de cotisations sociales sont les grandes enseignes de la distribution qui ont fait du temps partiel imposé leur credo social et de la revente de produits manufacturés importés la source de leurs profits.

Ainsi, on mesure clairement l’urgence d’une profonde réforme fiscale et sociale qui se fixerait comme objectifs prioritaires l’égalité de traitement entre les contribuables, qu’il s’agisse des ménages comme des entreprises, l’efficacité économique, la transparence et la simplicité.

Nous devons procéder à une remise en cause autrement plus audacieuse que celle prévue par le projet de loi de chaque mesure de dépense fiscale comme de chaque dispositif dérogatoire.

Le crédit d’impôt recherche, tel qu’il a été modifié, a-t-il permis de relancer l’innovation dans les entreprises, petites ou grandes ? A-t-il facilité l’embauche et l’activité de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, singulièrement de l’enseignement scientifique ? Si tel n’est pas le cas, il faut revoir cette mesure.

Le régime d’intégration des groupes permet-il le maintien des activités industrielles dans notre pays ? Favorise-t-il le développement des investissements productifs et de l’emploi ? Si tel n’est pas le cas, il faut en redéfinir les conditions d’application.

Les exonérations de cotisations sociales, qui constituent une confiscation de la richesse produite par le travail, ont-elles un effet positif sur la création d’emplois, sur la lutte contre les inégalités salariales entre hommes et femmes, sur la promotion interne des salariés, sur leur évolution salariale ? Si tel n’est pas le cas et si la persistance de ces dispositifs participe à l’écrasement des salaires, à la non-reconnaissance des diplômes et qualifications initiales ou acquises, il faut les remettre en cause !

Nous ne sommes pas convaincus que l’utilité et l’efficacité d’un dispositif général d’allégement des cotisations coûtant 26 milliards d’euros pour préserver 800 000 emplois, l’équivalent de 30 000 euros par an et par emploi, soient pleinement démontrées.

Je pourrais aussi m’arrêter sur d’autres mesures fiscales, notamment sur celles qui ont été prises dans le paquet fiscal de l’été 2007, et m’interroger, par exemple, sur l’allégement des droits de succession qui est devenu, c’est évident, un outil d’optimisation fiscale des plus hauts patrimoines, les donations devenant l’arme de la défiscalisation organisée du patrimoine !

Nous pourrions aussi nous interroger sur l’usage par certains de l’outil fiscal de la fiducie, cette formule de gestion de patrimoine portée dans notre droit et dont l’actualité récente nous révèle les travers.

Nous pourrions, d’ailleurs, nous interroger sur le sens donné aux débats fiscaux, budgétaires et financiers les plus récents, où de nombreux nouveaux régimes dérogatoires ont vu le jour, et mesurer combien coûtent aujourd’hui ces dispositifs aux comptes publics.

Nous savons, par exemple, ce que coûte l’auto-liquidation du bouclier fiscal : 142 millions d’euros en 2009. Nous savons ce que coûte le bouclier fiscal : 678 millions d’euros en 2010. Ce coût est majoré des coûts de trésorerie découlant de cette absence de recettes. Maintenant qu’il est établi qu’il n’a pas atteint les objectifs qu’on lui avait assignés et qu’il est quasi certain que les principaux bénéficiaires n’ont pas fait preuve de la plus grande transparence quant à leur déclaration fiscale, il est plus que temps de le supprimer.

Cette suppression ne doit pas être conditionnée. Le bouclier fiscal doit être supprimé parce qu’il est coûteux et inefficace, socialement et économiquement, et parce qu’il est une offense à la justice fiscale et sociale.

On pourrait s’interroger de la même manière sur le dispositif « ISF-PME », qui sera d’ailleurs rectifié dans le projet de loi de finances pour 2011. Nous avons le sentiment, depuis la création de ce dispositif, que sa raison d’être n’est pas de permettre aux redevables de l’ISF d’exprimer leur attachement particulier aux petites entreprises ! Ce dispositif n’est qu’une niche de plus pour alléger l’ISF, dont on se sert à concurrence de la somme nécessaire pour ne pas payer cet impôt ou a minima pour en payer le moins possible.

Cette revue de détail de la dépense fiscale, ce véritable « cancer » qui gangrène durablement la gestion publique et qu’il convient de combattre, constitue l’un des axes forts de toute réforme fiscale digne de ce nom. C’est une revue de détail qui doit être portée par une exigence : faire en sorte que notre système de prélèvements sociaux et fiscaux encourage une allocation de la ressource en faveur de l’emploi, de la croissance, de l’activité économique réelle et abandonne par conséquent les priorités qui font primer des impératifs financiers, favorisent les rentes de situation et s’attachent avant tout à la rémunération la plus élevée possible du capital.

Relever le taux de la cotisation patronale destinée au financement des retraites, pour ne donner qu’un exemple tiré de l’actualité, ce n’est pas accroître les prélèvements fondés sur le travail. Ce n’est que rendre aux salariés, sous forme de « salaire socialisé », ce que leur travail permet de créer comme valeur !

Quelques centaines de millions de cotisations sociales de plus sont bien préférables à tant de milliards d’euros gaspillés dans des raids boursiers hasardeux ou dans la rémunération excessive des actionnaires, tout simplement parce que quelques millions de cotisations sociales de plus, c’est quelques millions de prestations servies en contrepartie !

Mes chers collègues, est-il préférable que notre système fiscal et social privilégie les placements boursiers, les opérations stratégiques capitalistiques ou qu’il permette de financer la retraite à 85 % du SMIC pour tous, la couverture optimale des dépenses de santé des ménages, la juste réparation des dommages causés par les accidents du travail et les maladies professionnelles ?

Cette transition intervient pour donner sens à ce que nous attendons des politiques publiques et à leur financement. Non, la dépense publique n’est pas foncièrement mauvaise si elle ne participe aucunement d’une vision de court terme de la société et du développement économique.

Depuis quelques années, on a eu en effet un peu trop tendance à « jeter le bébé avec l’eau du bain » et à critiquer toute dépense publique par principe, sans s’interroger sur son efficacité.

Ainsi, on presse depuis plusieurs années la dépense publique d’éducation et on met en exergue cette réduction pour accuser notre système éducatif de fabriquer des illettrés, des jeunes mal formés, non opérationnels, incapables de raisonner par eux-mêmes ou d’intégrer la vie professionnelle !

Le rêve des contempteurs de la dépense publique d’éducation est-il de revenir au temps de la scolarité s’achevant à quatorze ans et débouchant sur un apprentissage professionnel précoce ? Pourtant, dans le contexte d’avancées technologiques que nous connaissons, ce qui fera la force de l’économie française, ce sera le niveau sans cesse grandissant de formation initiale de notre jeunesse !

Les économies que vous croyez faire aujourd’hui en supprimant des postes d’enseignants, des filières de formations technique et technologique, en mettant en cause un certain nombre de cursus universitaires au nom de la rentabilité de court terme, seront les dépenses que vous ferez demain pour résorber le handicap de croissance et de qualification que cette politique aura conduit à créer.

Dans un autre ordre d’idées, vous allez imposer ces prochaines années à plus de 5 millions de fonctionnaires une augmentation de leurs cotisations sociales de 2, 7 % du salaire brut en dix ans et vous allez geler leur traitement indiciaire pour un an, voire plus.

Pensez-vous vraiment que la croissance économique sera au rendez-vous en privant un actif sur cinq de toute revalorisation de son pouvoir d’achat ? Comment de telles mesures, que vous présentez comme des mesures d’économie, pourront-elles contribuer à relancer l’activité et la croissance, d’autant que le secteur privé, dans de nombreux cas, s’alignera sur ces pratiques pour justifier sa propre modération salariale ?

Afin de redresser les comptes publics, nous sommes, pour notre part, partisans d’une revalorisation des traitements dans la fonction publique et d’une réévaluation sensible des salaires, à commencer par le SMIC. Cette réévaluation des salaires doit être négociée par les partenaires sociaux, l’État intervenant en dernier ressort si aucun accord ne peut être défini tant au niveau interprofessionnel qu’au niveau de chaque branche d’activité.

Nous sommes, dans un premier temps, partisans d’une interruption des versements d’exonérations ou d’allégements de cotisations sociales dans toute branche ou entreprise où aucun signe tangible de dialogue social n’apparaît sur le front des salaires. Pas d’exonérations pour les entreprises ou les branches sans un accord majoritaire sur l’évolution des salaires ! Ainsi, nous donnerions un sens à la dépense publique fort différent de celui que l’on tente de lui faire suivre aujourd’hui.

Les attendus du traité de Lisbonne et le pacte de stabilité et de croissance qui en découle constituent la clef de voûte de la politique d’austérité que vous voulez imposer avec cette loi de programmation.

Les schémas économiques et la nature des mesures mises en œuvre dans le cadre européen ont, de longue date, fait la démonstration de leur impuissance à résoudre les problèmes qu’ils prétendaient régler.

Il est temps, notamment avec la reprise économique pour le moins fragile que nous connaissons cette année, de concevoir d’autres politiques publiques, plus efficaces, plus respectueuses des besoins collectifs que celles découlant d’un mode de pensée monétariste totalement inadapté.

L’euro fort ne nous est d’aucune utilité si l’industrie européenne et française part en lambeaux, si le revenu de nos agriculteurs baisse sans cesse et si le taux de chômage, notamment des jeunes, continue de progresser.

Ce n’est pas le sens du projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui et c’est, en dernière instance, ce qui nous conduit à vous proposer l’adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion