Intervention de Philippe Leroy

Réunion du 24 mai 2011 à 18h30
Débat sur la politique forestière et le développement de la filière bois

Photo de Philippe LeroyPhilippe Leroy :

S’agissant d’abord des plans pluriannuels régionaux de développement forestier, qui représentent une innovation fondamentale permettant de mettre en place, massif par massif, des mesures d’amélioration, nous croyons savoir que leur élaboration se heurte à un certain nombre de difficultés.

Il nous a été indiqué que les comités chargés de leur préparation ne travaillaient pas tous avec la même efficacité, et que la cohabitation, au sein de ces comités, des représentants des chambres d’agriculture et des acteurs forestiers n’allait pas toujours sans mal : la mise en place concrète des plans s’en trouverait ralentie.

S’agissant ensuite du réseau des gestionnaires forestiers professionnels, dont l’organisation est prévue par l’article 64 de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, et qui ont vocation à animer la filière, la parution du décret fixant leur statut semble avoir été un peu retardée. C’est un sujet sur lequel je souhaite aussi vous interroger.

Il semble que des difficultés soient également apparues dans l’application du droit de préférence, instauré par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche pour faciliter les regroupements fonciers en permettant à des propriétaires forestiers d’acheter plus aisément les parcelles riveraines. Sur ce point aussi, une clarification et une accélération du rythme me semblent nécessaires.

Je veux enfin évoquer les dispositions de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche issues d’un amendement présenté par la commission de l’économie du Sénat et créant des assurances contre les aléas climatiques dans le secteur forestier. Gérard César, rapporteur de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, le groupe d’études « forêt et filière bois » du Sénat et moi-même sommes très attachés à ce dispositif, de nature à permettre une meilleure résistance des forêts face aux aléas climatiques. Ceux-ci mettent particulièrement en danger les forêts privées, en raison de la volonté insuffisante des propriétaires de reconstituer des parcelles qui leur ont fait perdre beaucoup d’argent.

Nous attendons, monsieur le ministre, le décret d’application relatif à ces assurances. Nous vous remercions pour les batailles que vous avez conduites, et pour celles que vous devrez conduire afin de faire accepter par le ministère des finances ce principe qui, même si son application n’est pas aujourd’hui parfaite, représente un progrès considérable.

Je veux à présent revenir au cœur du volet forestier de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche : il s’agit des plans pluriannuels régionaux de développement forestier.

Des crédits starter, des crédits de démarrage et de reboisement seront nécessaires pour préparer les récoltes nouvelles que nous avons évoquées, essentiellement attendues dans les forêts privées – par comparaison, les forêts domaniales et communales produiront au mieux deux millions à trois millions de mètres cubes supplémentaires au cours des prochaines années.

Selon les experts, les sommes nécessaires à la relance du reboisement sont comprises entre cinquante millions et cent millions d’euros par an pendant quelques années.

Comme vous, monsieur le ministre, nous placions certaines espérances dans le fonds « chaleur » créé à l’issue du Grenelle de l’environnement. Malheureusement, l’essentiel de ses moyens sont consacrés à d’autres secteurs.

Une autre source de financement, sur laquelle je sais que vous travaillez beaucoup, consisterait à faire bénéficier les forêts de certains moyens issus du fonds « carbone » destiné au financement du stockage du gaz carbonique.

Pour ma part, je m’interroge sur la possibilité technique, économique et politique de mettre en place, dans des délais compatibles avec le calendrier de nos projets, un système attribuant aux forêts des ressources du fonds « carbone ».

Je crains que, dans l’immédiat, nos espérances ne soient déçues par la réalité. C’est pourquoi je souhaite, monsieur le ministre, vous interroger sur la manière dont nous pourrions mobiliser les quelques crédits nécessaires au démarrage de la politique forestière ambitieuse que, comme vous, nous appelons de nos vœux.

À la suite de Mme Nicoux, je considère que les besoins de reboisement illustrent les inconvénients de la suppression du Fonds forestier national. Il ne s’agit pas, en mobilisant les cinquante millions à cent millions d’euros que nous vous demandons, de reconstituer ce fonds, mais de recréer un effort important et continu en faveur de l’enrésinement, et aussi du reboisement en essences feuillues.

Faute de cet effort, nous risquons de ralentir le rythme des récoltes et de nous placer, à moyen et à long terme, en situation de déséquilibre forestier.

La forêt s’invente avec cinquante années d’avance. Les reboisements conçus aujourd’hui par les aménageurs forestiers porteront leurs fruits dans cinquante ou cent ans.

Je pense, monsieur le ministre, qu’il est fondamental de replanter chaque année, comme nous le faisions auparavant, plus de cent millions de plants, alors que nous en plantons seulement vingt-huit millions aujourd’hui.

Je crois que nous devons garder à l’esprit cet objectif ambitieux : replanter chaque année cent dix millions de plants. Ainsi, nous pourrons adapter nos forêts à nos nouvelles espérances et les rendre peu à peu résilientes en prévision d’éventuels changements climatiques dans les prochaines années.

Quant au fonctionnement actuel de la filière bois, dont les professionnels sont parfois jugés incapables de s’organiser, je veux souligner que, depuis quelque temps, des interprofessions se mettent en place, sur la base de la contribution volontaire obligatoire pour les activités de l’amont et d’une taxe affectée pour ce qui concerne l’industrie.

Comme vous le voyez, monsieur le ministre, il n’est pas exact de soutenir que les professionnels du bois restent passifs face aux évolutions en cours. S’il est vrai que des progrès peuvent être faits, les critiques qui leur sont adressées sont quelquefois un peu injustes.

Je veux aussi vous mettre en garde contre un problème que nous pourrions rencontrer, dans l’immédiat ou dans les années qui viennent : celui des conflits d’usages entre les bois d’énergie, les bois d’industrie et les grumes.

En Allemagne, des usines de panneaux ont déjà fermé, faute de pouvoir se fournir en matières premières en raison de la concurrence entre la production d’énergie et la production de panneaux.

Je ne souhaite pas que de pareilles situations se produisent en France, et que les appels portant sur les bois énergie soient à ce point alléchants qu’ils découragent la production de bois industriel, beaucoup plus intéressante pour notre économie et pour l’emploi.

Assurons-nous donc, monsieur le ministre, que les appels portant sur les bois énergie restent modestes, pour ne pas risquer de déstructurer la filière, et que l’augmentation de la puissance du chauffage au bois soit en phase avec l’amélioration des récoltes.

En somme, il s’agit de permettre un fonctionnement harmonieux de ces divers mécanismes.

Ce panorama ne serait pas complet si je n’évoquais deux sujets qui me tiennent à cœur, à savoir la situation de l’Office national des forêts et celle de la recherche et de l’enseignement dans le domaine forestier.

Monsieur le ministre, au moment où l’ONF s’apprête à négocier avec l’État son prochain contrat d’objectifs, sa situation mérite un examen particulier. Non seulement l'État ne finance plus entièrement les actions de l'ONF en matière environnementale, ses actions sur la forêt, mais encore il a mis à sa charge l’accroissement du taux de cotisation pour les pensions de ses personnels fonctionnaires – c’est la question du compte d'affectation spéciale pour les pensions –, mesure qui pèse fortement sur ses comptes.

De fait, si le budget de l’ONF est aujourd’hui structurellement déséquilibré, la raison essentielle n’est pas à chercher dans la diminution des frais de garderie qu’il facture aux communes. C’est pourquoi il est nécessaire de réexaminer les contributions respectives de l'État et des communes au budget de l'ONF.

Au sein de cet hémicycle, nous soutenons tous les communes forestières, qui, à travers le régime forestier, apportent un concours précieux à l'État pour la conduite d'une grande politique économique, sociale et environnementale.

Monsieur le ministre, je conclurai en évoquant brièvement le second sujet qui me tient à cœur, et je sais qu’il vous préoccupe également.

Nous devons reconstituer en France une grande pensée forestière. Notre pays ne compte plus d'école forestière au sens noble du terme, formant des sylviculteurs, des ingénieurs forestiers susceptibles d'être des experts internationaux, des aménageurs capables, par exemple, de porter la forêt européenne dans le concert mondial, de porter la forêt guyanaise comme modèle d'une gestion équilibrée des forêts intertropicales. La recherche et l'enseignement dans le domaine forestier ne nous permettent plus de tenir une juste place dans les discussions relatives aux normes qui s'imposent à nos industries. Plus largement, d’ailleurs, force est de constater que nous ne tenons plus suffisamment notre place dans la définition par les États des normes technologiques applicables aux autres activités industrielles.

Monsieur le ministre, les uns et les autres, nous devons prendre conscience des lacunes de la recherche et de l'enseignement en matière forestière. Les actions qui sont conduites dans ce domaine sont appréciables, elles le sont par des personnes à l'évidence intéressées et compétentes, mais en nombre trop restreint et avec des moyens insuffisants pour permettre à la France de tenir un rang mondial dans les industries du bois et dans la pensée forestière.

Pour en avoir discuté avec elle, je souscris par exemple à l’idée de Mme Nicoux – vous voyez, mes chers collègues, un consensus s’est fait jour parmi nous – de mettre sur pied des équipes pluridisciplinaires afin de promouvoir l’utilisation plus massive, d’ici à quelques années, du bois feuillu dans la construction.

J’espère que cela ne restera pas un vœu pieux… Monsieur le ministre, nous pouvons vous faire confiance, car vos états de service en matière forestière ne sont pas si mauvais que cela.

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