Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 24 mai 2011 à 18h30
Débat sur la politique forestière et le développement de la filière bois

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Et l'auteur de l'article de nous emmener au pays où se déploie « l'exaltation des plaisirs enfantins trouvés à l'intérieur de la cabane de branchages », de nous transformer en acrobate sur les parcours d'accrobranches ou de nous inviter à relire Italo Calvino et son Baron perché, précurseur de l'engouement pour ces nouvelles formes d'hôtel de pleine nature.

Je ne suis pas assurée, monsieur le ministre, que ces préoccupations journalistiques soient pleinement partagées par nos amis forestiers et par ceux qui se demandent comment faire évoluer la filière bois. Vous savez leurs inquiétudes, des inquiétudes auxquelles a voulu répondre le Président de la République dans ses interventions à Urmatt et à Égletons.

Le constat est clair : la forêt française est la troisième plus vaste d'Europe ; elle occupe 30 % de notre territoire national et génère 450 000 emplois. Mais, en même temps, elle est la moins productive et la France se doit de recourir largement aux importations de bois. Le secteur forêt-bois représente ainsi le deuxième poste de déficit commercial de la France.

Les raisons de cette mauvaise performance sont à rechercher autant dans le morcellement de la forêt française, dans son appartenance, pour près des quatre cinquièmes, à des propriétaires privés dont l'activité liée à l'exploitation du bois n’est qu’accessoire, que dans la nature même des bois, car ont été privilégiés les feuillus au détriment des résineux, utilisés pour les activités industrielles.

Dans ce contexte, compte tenu du caractère stratégique de la forêt et de la filière bois, appelée à devenir, selon vos propres mots, monsieur le ministre, « une filière d'avenir au cœur de la croissance verte et écologique », plusieurs objectifs, ambitieux, ont été fixés : le développement de l'usage du bois dans la construction et pour l'énergie, le renforcement de la structuration de la filière bois, la mobilisation de la ressource et la gestion des risques.

L'Office national des forêts, outil de cette volonté, tient une place privilégiée dans ce plan stratégique, même s'il ne gère qu'un cinquième de la surface forestière, celle qui appartient à l'État et aux collectivités territoriales.

La détérioration de sa situation financière, relevée par la Cour des comptes, due autant à l'effondrement du chiffre d'affaires dans le secteur du bois qu’à l'augmentation progressive du taux des cotisations patronales imposées par l'État, a nécessité que soient prises des mesures urgentes.

Les propositions faites par notre collègue Joël Bourdin et par Hervé Gaymard, président du conseil d'administration de l'ONF, ont eu pour objectif d'optimiser l’organisation interne de l'office, de rentabiliser ses interventions dans le cadre de sa politique commerciale et d'améliorer, en les clarifiant, les relations entre l'État et les collectivités territoriales.

Il serait important, quelques mois après le dépôt du rapport de M. Gaymard, de mesurer lesquelles de ces mesures peuvent être concrètement mises en œuvre et leur impact sur l'évolution de la politique forestière nationale.

Je n'ignore pas l'inquiétude qu'ont fait naître ces réflexions et les craintes exprimées tout dernièrement par les organisations syndicales à l'occasion de la signature, le 14 avril dernier, d'un protocole d'accord, inquiétudes relatives à la diminution programmée des effectifs de 1, 5 % par an, au renforcement d'une tendance ultra-productiviste pour la forêt – tendance décomplexée par la préservation d'îlots de biodiversité –, à la standardisation des produits de la filière bois et à la priorité accordée au tout-résineux après celle qui avait été accordée au tout-feuillus, enfin, à un management par objectifs éprouvant pour le personnel.

Nombreux sommes-nous à penser que la réorganisation qui se met en place auprès des personnels de l'ONF est indispensable, mais tout aussi nombreux sont ceux qui estiment incontournables les mesures urgentes pour permettre aux forestiers privés de réinvestir la forêt, conformément aux objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement.

Réinvestir, pour eux, passe assurément par des mesures fiscales. Parmi les plus significatives, on relève avec satisfaction les mesures patrimoniales – exonération partielle de l'impôt de solidarité sur la fortune pour les propriétés de bois et de forêts ou bien encore exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit –, le dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt pour lutter contre le morcellement des propriétés forestières, le taux réduit de TVA pour les travaux sylvicoles et d'exploitation consécutifs aux tempêtes de 1999, le compte épargne d’assurance pour la forêt, créé par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche.

Mais ne faudrait-il pas aller plus loin pour inciter véritablement les propriétaires forestiers à investir dans leur patrimoine et, par exemple, transformer les exonérations fiscales en crédit d'impôt, supprimer les taxes lors de l'achat de parcelles devant être boisées, reconnaître les dégâts des gibiers aux forêts et en faire supporter le coût aux chasseurs quand il est avéré qu'ils en sont à l'origine ou, enfin, dédier un fonds carbone à la reconstitution forestière ?

Ce sont autant de mesures qui justifieraient que les moyens financiers alloués à la forêt aillent au-delà des 360 millions d'euros prévus au programme 149 « Forêt » de la loi de finances pour 2011.

J'en viens maintenant à la priorité qui devrait être donnée à l'activité liée au bois d'œuvre.

L'utilisation du bois dans la construction devrait être multipliée par dix : ossatures en bois, charpentes, menuiseries intérieures et extérieures et revêtements de façade sont autant d'utilisations possibles de nos ressources en bois dès lors que celles-ci proviennent de résineux, qui sont plus adaptés que les feuillus, en l’état actuel des techniques, aux matériaux de construction.

Or, comme je l'ai indiqué, priorité a trop longtemps été donnée aux feuillus et les efforts rendus possibles à l'époque du Fonds forestier national, jusqu'en 1997, ont été suspendus, laissant les surfaces exploitées livrées à elles-mêmes.

Comment, dès lors, répondre à l'objectif gouvernemental qui est de multiplier par dix le seuil minimum d'incorporation du bois dans les constructions neuves, et ce depuis 2010 ? La suppression préconisée du permis de construire pour les travaux d'isolation thermique des habitations par l'extérieur est-elle si difficile à mettre en œuvre que l'on n’en voie guère aujourd'hui le bénéfice ?

Monsieur le ministre, je ne doute pas de votre volonté d'encourager la politique forestière et le développement de la filière bois sous toutes ses formes. Je mesure combien il peut être lourd et difficile d’actionner en même temps tous les partenaires concernés, à savoir les services publics, les collectivités locales, les entreprises, les agriculteurs.

Aujourd'hui, je crains, et avec moi bien des collègues du groupe RDSE, auquel j'appartiens, que les espoirs mis dans les ambitions déclarées du discours d’Urmatt ne soient pour beaucoup que de faux espoirs.

Certes, je n'ai pas le talent oratoire de Chateaubriand, pair de France, qui, dans ce même palais, le 21 mars 1817, demandait qu'une attention particulière fût portée à la forêt française, mais, avec lui, je voudrais éviter que « les forêts précèdent le peuple et les déserts les suivent ».

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