Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons, à travers ce débat, la politique forestière dans notre pays en 2011, année internationale de la forêt, à un moment où se prépare le nouveau contrat d’objectifs État-ONF 2012-2016, alors même que le Président de la République a assigné des objectifs nouveaux à cette filière, objectifs que beaucoup jugent irréalisables et contraires aux intérêts de la forêt.
À Urmatt, le chef de l’État a défendu, d’une part, l’idée d’augmenter la mobilisation du bois afin de combler le déficit commercial de la France et, d’autre part, de favoriser le bois énergie afin d’atteindre l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables d’ici à 2020.
Une augmentation de la récolte de bois de 50 % est irréaliste. Depuis la suppression, en 1997, du Fonds forestier national, laquelle est la cause d’un reboisement insuffisant, le renouvellement des forêts s’effectue aujourd’hui principalement par régénération naturelle. Nous devons donc reprendre les plantations adaptées à nos besoins et aux milieux naturels, qui prennent en compte le réchauffement climatique tout en préservant la résilience des écosystèmes.
Prétendre qu’il faudrait exploiter l’intégralité de l’accroissement naturel de la forêt est un non-sens : sur le plan environnemental, d’abord, car c’est méconnaître les cycles biogéochimiques et aller à l’encontre de l’objectif de préservation de la biodiversité ; sur le plan économique, ensuite, car ce raisonnement ignore le coût d’accès à la ressource, par exemple en montagne, qui fait qu’il ne serait pas nécessairement rentable d’accroître le niveau d’exploitation dans certaines parcelles.
En outre, la rentabilité de la forêt ne se mesure pas simplement en mètres cubes de bois coupés. Croire cela reviendrait à ignorer les fonctions environnementales et sociales de ce milieu.
Sur le plan environnemental, la forêt filtre et purifie l’eau à moindre coût, lutte contre l’érosion des sols, fixe le dioxyde de carbone et constitue un réservoir de biodiversité.
Sur le plan social, elle remplit une fonction primordiale, héritée de l’abolition des privilèges à la Révolution, avec les promenades en forêt, la chasse, les loisirs...
De surcroît, les intérêts court-termistes de la rentabilité ignorent l’idée fondamentale selon laquelle le temps de la forêt n’est pas celui du marché. Je pense à la chênaie Colbert en forêt du Tronçais, dans l’Allier, chère à ma collègue Mireille Schurch, qui comprend des chênes de plus de quatre cents ans, de véritables cathédrales végétales...
Enfin, la situation n’est pas homogène entre la forêt publique et la forêt privée. Cette dernière se caractérise par une gestion sous-optimale qui s’explique, entre autres, par son morcellement en près de 3, 5 millions de petites propriétés de un à quatre hectares. Sans doute les propriétaires privés sont-ils attachés à leur patrimoine, mais ils n’ont pas toujours la volonté ni souvent l’opportunité financière de le valoriser. Pour cela, il faut aider les propriétaires forestiers, qu’ils soient publics ou privés, à s’inscrire dans une stratégie collective, et seule la puissance publique est à même de coordonner tous ces efforts.
En ce qui concerne l’aval de la filière, ce qui doit nous motiver, c’est le développement d’une filière bois à haute valeur ajoutée. Cela passe avant tout par la valorisation du bois d’œuvre, dont les métiers présentent une grande richesse sur le plan des savoirs et des techniques et qui constitue un gisement considérable d’économies de matières premières d’origine géologique auxquelles il se substitue. Et ce d’autant plus que, du point de vue commercial, le déficit de la filière bois est avant tout lié au bois d’œuvre et de trituration.
Le développement du bois-énergie à tout prix, notamment sous forme de plaquettes, n’a de sens que s’il ne se fait pas au détriment du bois d’œuvre. Certes, il s’agit d’une énergie renouvelable, mais l’impact sur l’effet de serre n’est pas nul et seul un usage local, en circuit court, permet de réduire cet impact. S’il est utile de développer raisonnablement le bois de chauffage, celui-ci doit rester un usage complémentaire de la production de bois d’œuvre.
Par ailleurs, la concurrence déloyale des filières illégales pénalise durement toute la filière bois française. On estime à près de 40 % la part illégale de nos importations de bois ! Un outil de traçabilité adéquat pourrait être un bon complément aux certifications, surtout s’il prenait en compte la distance parcourue afin de favoriser les circuits courts.
J’en viens au régime forestier, dont une note de Bercy, récente et, je dois le dire, délirante, préconise une refonte du régime forestier en vue de privatiser la gestion des forêts communales. À cette fin, il est prévu d’augmenter les coûts pour les collectivités, de majorer les frais de garderie en changeant l’assiette pour en faire un versement forfaitaire à l’hectare, qui prendrait en compte tous les services rendus par la forêt. Or une rémunération des services écosystémiques étranglerait financièrement encore un peu plus les communes ! Si vous me permettez une parenthèse, je dirai qu’il convient de rester prudent sur ce sujet qui peut être la porte ouverte à une marchandisation totale de la nature, en s’appuyant sur le mirage de la compensation écologique.
Ainsi, nous ne pouvons que dénoncer cette volonté de privatisation rampante de l’ONF, qui vise à ouvrir toutes les activités rentables aux opérateurs privés pour ne laisser à l’Office que les missions de service public jugées non rentables. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire si cette idée saugrenue a été définitivement abandonnée ?
Aujourd’hui, la forêt publique est libre d’accès et elle doit le rester. L’État doit prendre ses responsabilités en maintenant le versement compensateur et en n’augmentant pas les frais de garderie.
Enfin, il ne s’agit pas seulement d’argent : depuis plusieurs années, à l’ONF, le dialogue social est rompu, comme en témoignent les suicides intervenus récemment ; il convient de réfléchir aux causes du mal-être des forestiers.
Leur travail perd de son sens, la volonté d’augmenter la production sylvicole est contredite par la baisse des effectifs. L’idée de protection d’un patrimoine national disparaît au profit d’intérêts exclusivement commerciaux. La professionnalisation compartimente, cloisonne les métiers, augmentant par là même leur dangerosité. L’intérêt national et le statut de fonctionnaire d’État vont de pair, c’est pour nous une évidence. La transmission des connaissances et des compétences nécessite une meilleure prévision dans la gestion des ressources humaines, et ces considérations devraient prévaloir sur la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Rappelons en effet que les plantations d’aujourd’hui ne seront exploitées que dans cinquante ou soixante ans.
Monsieur le ministre, ma conclusion prendra une forme interrogative : quelles missions veut-on réellement assigner à la forêt aujourd’hui, comment rééquilibrer la gestion des forêts publiques et celle des forêts privées, comment redonner du sens au métier des forestiers ?
La réflexion est aujourd’hui essentiellement économique, avec une vision court-termiste, sclérosée par la recherche de la rentabilité. Le discours du Grenelle de l’environnement et les objectifs affichés ne devraient-ils pas plutôt conduire à un renforcement du rôle de l’Etat ?
Enfin, je le répète, il n’y a pas de politique forestière sans moyens : des moyens institutionnels, humains et forestiers. Vouloir faire croire le contraire, c’est jouer les illusionnistes, la communication, l’affichage, sans véritable politique volontariste au service de la forêt et de l’intérêt général.