Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 24 mai 2011 à 18h30
Débat sur la politique forestière et le développement de la filière bois

Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs orateurs l’ont dit, l’avenir de la politique forestière française est un enjeu majeur. Je me réjouis de pouvoir en discuter avec vous cet après-midi, avec quelques heures de retard, je le reconnais volontiers, mais, cela dit, j’étais ce matin au Sénat pour parler des rats taupiers notamment, j’y suis cet après-midi, j’y serai encore ce soir, et quand je n’étais pas au Sénat, j’ai essayé de trouver un peu de temps pour être sur le terrain auprès des paysans.

Si je souscris évidemment à l’éloge de Philipe Leroy envers la forêt et les massifs forestiers français, je partage également les inquiétudes qui ont été exprimées par un certain nombre d’entre vous, notamment par Jean-Louis Carrère, sur la forêt des Landes, durement touchée par la tempête Klaus, laquelle a laissé des stigmates qui sont visibles encore aujourd’hui. À ce propos, croyez bien que je veille tout particulièrement au déblocage des 415 millions d’euros promis sur huit ans pour reconstituer 150 000 hectares de forêt. Cela me paraît indispensable pour préserver l’avenir de la forêt des Landes.

La forêt, vous l’avez tous dit, représente plus d’un tiers du territoire français, soit 16 millions d’hectares, et je rappelle, comme Renée Nicoux, que s’y ajoutent 8 millions d’hectares de la forêt tropicale guyanaise. C’est donc aussi un enjeu majeur pour les départements et les territoires d’outre-mer.

La forêt est, à l’évidence, une chance pour la France.

C’est un enjeu stratégique dans la lutte contre le changement climatique en raison de la captation de carbone que permettent les forêts.

C’est un élément déterminant du développement des territoires ruraux. Il n’y aura pas de ruralité sans développement des massifs forestiers.

C’est évidemment aussi un atout économique majeur puisque la forêt représente un chiffre d’affaires de 60 milliards d’euros et 425 000 emplois directs.

On parle beaucoup dans les journaux et dans les médias de l’importance de l’industrie automobile, je ne la conteste pas, mais la forêt compte plus d’emplois que l’industrie automobile et il me semble que l’on en parle moins.

On vante sans cesse les mérites de l’aéronautique française ; c’est, bien entendu, mérité, mais l’excédent commercial lié à l’agriculture et à la forêt est bien plus important que celui de l’aéronautique. Par conséquent, je souhaite que nous remettions la question forestière au cœur des débats politiques et économiques de la nation. De ce point de vue, je me réjouis que nous puissions avoir un débat sur ce sujet aujourd’hui.

La forêt est un atout, mais cet atout n’est pas assez valorisé. Nous en avons discuté lors de l’adoption de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Le président Emorine avait déjà beaucoup insisté sur ce sujet, M. Philippe Leroy également. C’est un atout que nous avons délaissé pendant plusieurs années à force de ne pas prendre un certain nombre de décisions qui s’imposent.

La France possède le troisième massif forestier européen et nous avons une filière bois déficitaire – cela a été rappelé – d’environ 7 milliards d’euros en 2010. Nous avons 30 % du territoire en forêts et la France exporte 9, 3 milliards d’euros de produits en bois pour en importer 15, 7 milliards d’euros.

Pour dire les choses simplement, il y a quelque chose qui cloche. Il y a quelque chose qui ne va pas dans le royaume de la forêt française et qui mérite d’être changé.

Ce déficit est lié à plusieurs éléments dont deux me paraissent essentiels.

Le premier, c’est le manque de compétitivité de la filière dans un certain nombre de domaines, et je rejoins ce qui a été dit sur la question du design mobilier. Quand vous demandez aujourd’hui à des jeunes quels meubles ils veulent acheter, vous constatez que, malheureusement, ce ne sont pas ceux que nous fabriquons. Il est donc nécessaire de revoir la conception de ces produits.

Le second élément, c’est le manque de résineux, comme l’a dit Philippe Leroy. Les résineux sont moins coûteux et permettent d’avoir des objets d’usage plus courant. Ils permettent donc d’avoir des débouchés économiques plus faciles.

Sur ce sujet, il y a des solutions. Je ne vois pas pourquoi l’Allemagne, qui a sensiblement la même proportion de forêts que nous, sur un territoire plus petit, emploie 175 000 personnes de plus que nous dans sa filière. Dans la situation économique actuelle, pouvons-nous faire une croix sur la possibilité d’avoir 175 000 emplois supplémentaires ?

Comment peut-on faire pour gagner en compétitivité, pour réorganiser cette filière, pour mettre en place tous les leviers économiques qui permettront de l’exploiter au mieux ?

D’abord, permettez-moi une remarque générale qui a déjà été formulée par bon nombre d’entre vous : tout cela demande une stratégie de long terme. S’agissant du bois, on ne peut pas obtenir des résultats en un an, deux ans, voire trois ans comme ce peut être le cas dans certaines filières économiques. C’est une affaire de décennie, si l’on veut vraiment en tirer le meilleur parti. C’est la raison pour laquelle je souhaite que nous nous engagions d’un point de vue stratégique en matière de valorisation de la forêt.

La première action dans laquelle nous devons nous engager, c’est le renforcement de notre tissu industriel. Il n’y aura pas de valorisation de la forêt s’il n’y a pas en aval une industrie de la forêt – scieries, industrie du panneau, industrie du papier – qui soit la plus performante possible. Nous avons mis en place le fonds bois en 2009 pour répondre à cet impératif. Il est complété par les subventions Adibois et par des prêts d’OSEO depuis cette année. Je souhaite que nous fassions le maximum pour que ce fonds soit utilisé de la manière la plus efficace possible.

Il s’agira ensuite, une fois que nous aurons développé cette industrie, de trouver des débouchés dans la construction et l’énergie. Il ne suffit pas d’avoir des industries de transformation, encore faut-il qu’elles aient les débouchés les plus opérationnels possibles.

Nous avons multiplié par dix le seuil d'incorporation du bois dans les constructions neuves. Je peux me tromper, mais j’ai l’impression que, grâce aux mesures que nous avons mises en œuvre, la filière bois pour la construction est en train de prendre, en France, un essor nouveau. Il me semble même que, d'un point de vue culturel, la préférence traditionnelle des Français pour les maisons en pierre par rapport aux maisons en bois n’est plus aussi prégnante.

Par ailleurs, nous avons augmenté le tarif de rachat de l'électricité produite à partir du bois. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, je me suis battu – à Matignon, pour être très précis – pour que ce tarif tienne compte des petites structures et ne soit pas réservé aux très grandes scieries. En effet, à défaut, ce sont quasiment les trois quarts des scieries françaises qui auraient été exclues du bénéfice de ce tarif de rachat.

La question des conflits d’usage entre bois d'industrie et bois d'énergie, soulevée par Philippe Leroy, appelle des réponses très précises.

Tout d’abord, nous avons des obligations d'expertise sur la ressource pour chaque projet. Des cellules « biomasse » ont été mises en place auprès de tous les préfets afin de suivre ce dossier et de conduire les expertises nécessaires. Dans les cas difficiles, l’expertise est même assurée par le ministère de l’agriculture. En Bourgogne, par exemple, nous sommes ainsi en train d'examiner un certain nombre de conflits d'usage.

De manière plus générale, nous suivons deux principes très simples pour résoudre les conflits d'usage.

Premièrement, la hiérarchie des usages – bois d'œuvre, puis bois d'industrie, puis bois énergie – est le seul chemin vertueux, le seul qui soit réellement créateur de valeur.

Deuxièmement, nous attachons une importance particulière au respect de la performance énergétique des projets, car nous ne pouvons évidemment pas nous permettre de gaspiller de la biomasse, qui est une ressource rare. C’est pourquoi nous devons choisir les projets qui ont les rendements les plus élevés.

En outre, nous devons nous engager dans la voie du renforcement de l'interprofession.

Ce qui est vrai pour l'agriculture – j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet à plusieurs reprises – l’est aussi pour la filière bois : il n'y a d'avenir pour le bois que dans une interprofession unie. Une interprofession rassemblée, c’est une interprofession qui gagne !

Les divisions, les querelles de chapelles, l’incapacité à se rassembler sont le drame de l'agriculture française, et notamment de la forêt. Comme pour les autres filières agricoles, il faut, je l’ai déjà dit et je n’aurai de cesse de le répéter, une interprofession unie pour la forêt.

S’agissant du secteur de la viticulture, nous avons réussi à rassembler les interprofessions dans un certain nombre de régions en vue de gagner des parts de marché en France et à l'étranger. Je ne vois pas pourquoi nous n’arriverions pas à faire de même pour la filière bois. J'en appelle à la responsabilité de tous les acteurs de cette filière, que j’ai eu l'occasion de rencontrer il y a quelques jours : ils doivent apprendre à travailler ensemble pour passer d'une logique de confrontation à une logique de coopération.

Nous devons également œuvrer en faveur d’une gestion dynamique de la forêt. À cet égard, je répondrai à toutes les questions très précises qui m'ont été posées.

Tout d’abord, nous avons étendu le plan simple de gestion à la majorité des forêts de plus de 25 hectares, ce qui doit permettre une meilleure programmation des coupes et donc une meilleure sylviculture. Le décret, qui se trouve actuellement au secrétariat général du Gouvernement, sera publié dans les tout prochains jours. C’est un moyen d’optimiser la gestion des forêts de plus de 25 hectares.

Par ailleurs, nous avons publié en décembre 2010 la circulaire sur les plans régionaux de développement forestier, qui précise les modalités d'élaboration de ces derniers. Le travail a commencé dans toutes les régions, sous la houlette des préfets. Certes, monsieur Leroy, des améliorations sont toujours possibles ; si des difficultés devaient apparaître, nous les corrigerions.

Pour ce qui est de la création du statut de gestionnaire forestier, il va de soi que les 120 experts forestiers sont opposés à la remise en cause de leur monopole. Ils déplorent notamment que le statut proposé n'assure pas l'indépendance des gestionnaires forestiers professionnels.

Pour régler la difficulté, nous avons proposé d'interdire aux gestionnaires forestiers professionnels la vente de bois provenant des parcelles dont ils ont la gestion. Afin d’éviter tout problème juridique, j’ai soumis au Conseil d’État le projet de décret que j’ai préparé en vue de parer aux difficultés liées au statut de gestionnaire forestier.

La mesure concernant le droit de préférence des propriétaires voisins doit permettre de lutter contre le morcellement forestier des massifs français, qui constitue un handicap important.

Cette mesure est opérationnelle depuis l’entrée en vigueur de la loi, mais je ne vous dissimulerai pas que son application soulève de gros problèmes quant à la publicité de vente ou à la recherche des voisins. Il est vrai que l'on combat ici une habitude ancestrale : le morcellement des forêts et le droit de préférence des propriétaires voisins.

Je souhaite donc travailler, en concertation avec les professionnels, à la réécriture de cet article, puis trouver le véhicule législatif le plus approprié pour procéder à la modification nécessaire. Même si nous savons qu’il nous faut aller vite, car cette disposition est indispensable à la mise en œuvre d’une meilleure gestion de la forêt, nous reprenons la copie et nous la corrigeons en tenant compte des problèmes posés.

Une gestion dynamique de la forêt passe aussi, bien entendu, par la révision du contrat d'objectifs de l'Office national des forêts, qui doit aboutir en juillet 2011.

Je voudrais redire ici, avec la plus grande gravité, que nous sommes tous attachés à cette institution forestière. Il est hors de question de remettre en cause le régime forestier et la mission de service public qu’assure l'ONF au bénéfice de nos communes. Il est tout à fait regrettable que des notes émanant de très sympathiques directeurs, sous-directeurs ou chefs de bureau de l'administration centrale aient circulé dans la presse. Libre à eux d'exprimer leur position sur le sujet, mais, en République, c'est encore le Gouvernement, donc le ministre, qui tranche !

Il n'y aura privatisation ni de l'ONF ni des forêts communales, tout simplement parce que cela ne correspond ni à l'intérêt général ni à l’intérêt des forêts.

En revanche, nous le savons tous, le service public a un coût, et l’ONF est en déficit. Ainsi que l’a fort justement souligné Hervé Gaymard dans son rapport, l’État, l’ONF et les communes forestières sont tous responsables de la pérennité de ce modèle. L'État prendra ses responsabilités, mais je compte aussi sur l'ONF et les communes forestières pour réaliser des efforts – nous en discuterons tous ensemble – en vue de parvenir à un équilibre financier acceptable.

C’est une chose que de transformer le bois, le couper, mieux le gérer, mieux organiser les parcelles, trouver des débouchés, et ce avec le soutien de l'ONF, mais encore faut-il, comme Jean Boyer l’a dit tout à l'heure, pouvoir transporter le bois.

Nous avons pris, en 2009, un décret visant à autoriser le transport de bois rond dans des véhicules de plus de 40 tonnes sur des itinéraires spécifiques définis au niveau départemental. Mes services travaillent à améliorer la cohérence entre les départements et la cartographie des itinéraires, notamment pour ce qui concerne le département des Landes.

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