Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, montée des risques climatiques, prise en compte des impératifs environnementaux, volatilité accrue des prix agricoles, réduction des soutiens publics et démantèlement des instruments d’intervention sur les marchés : notre agriculture vit depuis quelques années un véritable bouleversement.
La LMAP, votée voilà près d’un an, avait pour objectif de permettre à la « ferme France » de faire face au nouveau contexte en favorisant la structuration des filières et en permettant à l’agriculteur de mieux gérer ses risques.
Avec le renforcement des interprofessions, lié à l’obligation du regroupement des producteurs, la contractualisation est l’un des moyens proposés pour mieux structurer les filières agricoles et agro-alimentaires.
L’enjeu n’est pas mince. Pour les acteurs de la filière laitière, avec la fin des quotas européens en 2015, produire ne suffira plus : il faudra savoir vendre et s’assurer des débouchés.
Anticiper la réforme de la PAC était nécessaire, et le groupe de travail sénatorial présidé par Jean-Paul Emorine et coprésidé notamment par Jean Bizet est à la manœuvre pour vous aider, monsieur le ministre, dans cette affaire délicate.
Bien entendu, la France se bat pour une PAC forte après 2014, qui donnerait plus de place à la régulation. Mais nous ne reviendrons pas au système semi-administré d’hier. Une majorité d’États membres reste fondamentalement attachée à l’orientation de la PAC vers le marché.
En ma qualité de rapporteur de la LMAP, j’ai donc soutenu la mise en place de la contractualisation, en lui apportant quelques adaptations.
En premier lieu, nous avons tenu, avec votre accord, monsieur le ministre, à ce que la contractualisation soit d’abord l’affaire des interprofessions. Ainsi, la loi prévoit que le cadre contractuel fixé par accord interprofessionnel remplacera celui qui est fixé par l’État. Ce dernier définit donc simplement un régime par défaut. Il appartient aux acteurs du monde agricole de se mettre d’accord pour déroger à ce cadre.
En second lieu, par souci d’équité, j’ai veillé à ce que les coopératives soient soumises à la même obligation de contractualisation avec leurs adhérents que les autres opérateurs. Ce qui me paraît aller de soi, c’est que le coopérateur apporte l’intégralité de sa production à sa coopérative.
La loi a fixé en juillet 2010 le cadre de la contractualisation. Il restait à donner à cette contractualisation une consistance.
Aucun accord interprofessionnel n’étant intervenu, ce sont deux décrets qui ont défini par défaut le régime contractuel.
Dans le secteur du lait, les acheteurs ont l’obligation de proposer un contrat aux producteurs depuis le 1er avril. Dans celui des fruits et légumes, les contrats sont obligatoires depuis le 1er mars.
Si la contractualisation est et demeure, je le répète, un excellent principe, sa mise en œuvre suscite plusieurs interrogations.
Tout d’abord, la relation reste déséquilibrée entre les producteurs et les industriels qui leur achètent leur production. Les regroupements en organisations de producteurs puissantes n’ont pas encore eu lieu, ce qui ne met pas les producteurs en position de force dans la négociation, mais cet état de fait est de leur responsabilité.
En ce qui concerne le secteur du lait, je n’ai pas l’impression que les industriels aient proposé des contrats d’intégration, ce qui était la crainte initiale des producteurs. Cependant, ce déséquilibre a une traduction concrète : les clauses des contrats sont rédigées de manière plus favorable à l’acheteur qu’au producteur de lait. Certains contrats prévoient que le prix sera fixé non pas en fonction d’indices de tendance mais « de manière à conserver la compétitivité » du secteur d’activité, ce qui ouvre la voie à une renégociation permanente.
En conséquence, peu de contrats ont été signés à ce jour. Une grande méfiance prévaut et nous attendons avec impatience le rapport du médiateur des contrats, qui doit contribuer à rapprocher les points de vue.
Quelles mesures pourraient être envisagées pour que la contractualisation soit plus équilibrée dans le secteur du lait, entre producteurs et industriels ? C’est à cette question qu’il faut s’atteler pour réussir la contractualisation dans cette filière.
Ensuite, dans le secteur des fruits et légumes, la conclusion de contrats pour trois ans paraît difficilement compatible avec l’activité de vente sur les marchés de carreau. Sur ces marchés, on trouve le plus souvent de petits producteurs et des produits dont la disponibilité dépend fortement des conditions météorologiques, et la marchandise n’étant pas stockable, elle doit être vendue. Bref, la logique économique de ces marchés est plutôt celle d’achats d’opportunité.
Or l’amende due par les acheteurs qui n’ont pas proposé de contrat ou qui ont proposé des contrats non conformes au décret est très dissuasive, si bien que des petits acheteurs, notamment des supermarchés de taille moyenne, préfèrent s’insérer dans des gros circuits d’approvisionnement plutôt que de gérer leurs relations avec une multitude de producteurs locaux.
Il serait donc souhaitable de simplifier la contractualisation pour ce type d’activité et de ne pas pénaliser les petits producteurs, qui risquent de se retrouver avec leur marchandise invendue, faute de cadre juridique adapté.
En conclusion, monsieur le ministre, comme je m’interroge sur les perspectives pour la contractualisation, je vous poserai trois questions.
Premièrement, peut-on étendre le principe de la contractualisation au secteur de la viande bovine ?
Deuxièmement, la contractualisation peut-elle être étendue tout au long de chaque filière, faute de quoi le milieu de filière sera pénalisé ? Pour ma part, j’estime que les distributeurs doivent, eux aussi, pouvoir être responsabilisés.
Troisièmement, pour amortir les variations des prix de l’alimentation animale, une contractualisation interfilières est-elle envisagée ? Monsieur le ministre, vous avez été à la manœuvre pour obtenir un accord le 3 mai dernier, mais il s’agit davantage d’un engagement moral que d’un dispositif contraignant pour les parties.
Telles sont les remarques que je souhaitais formuler sur la contractualisation, mesure phare de la LMA.