Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire qui nous sont soumis sont relatifs à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, adopté lors de la révision constitutionnelle de 2008 et disposant que « le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée » pour les emplois ou fonctions qui jouent un rôle important « pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la nation ».
Cette disposition était une des innovations de la révision présentées comme significatives du renforcement des droits du Parlement, désormais associé à la procédure de nomination présidentielle. Dans son rapport, Patrice Gélard insiste sur cet aspect en estimant que le cinquième alinéa de l’article 13 constitue « un nouvel instrument de contrôle destiné à contribuer au rééquilibrage souhaité des institutions de la Ve République ».
La question a fait l’objet d’un large débat au moment de la révision constitutionnelle, débat qui a porté tout à la fois sur l’étendue de l’intervention du Parlement et sur la procédure.
Le Président de la République tient de l’article 13 de la Constitution un pouvoir de nomination très étendu. Celui-ci procède bien évidemment de la conception – que nous ne partageons pas – qui a inspiré dès l’origine les institutions de la Ve République, mais il a été considérablement renforcé par l’évolution présidentialiste et, aujourd’hui, hyperprésidentialiste du régime.
Un Président doté de pouvoirs importants, à la fois chef du Gouvernement, chef de la majorité et chef du parti quasi unique de la majorité, échappant à toute responsabilité vis-à-vis du Parlement : c’est, on peut le dire, unique en démocratie ! Son pouvoir de nomination lui permet de contrôler en outre justice et médias.
La pratique a montré que les présidents qui se sont succédé sous la Ve République ont largement usé, voire abusé de ce pouvoir, et ce sont d’ailleurs les dérives clientélistes et la vassalisation des postes qui ont conduit à modifier la Constitution pour associer le Parlement à la procédure. Hélas, sans effet réel !
Certes, le Parlement interviendra dans l’exercice par le Président de la République de son pouvoir de nomination, mais à travers une simple consultation pour avis des commissions permanentes compétentes. Celles-ci ne disposent donc d’aucun pouvoir réel : le Président peut parfaitement passer outre leur avis, bien que celui-ci soit public.
Certes, les commissions ont un droit de veto, puisque « le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions » ; mais ce droit est inapplicable. Il est en effet improbable, voire impossible de voir un jour une nomination présidentielle rejetée selon cette procédure dans la mesure où les trois cinquièmes se calculent sur les votes des deux commissions, celle de l’Assemblée nationale et celle du Sénat.
Le dispositif prévu permet au Président de la République, je vous l’accorde, d’informer les parlementaires de la décision qu’il a prise pour la nomination de telle ou telle personne et d’obtenir ainsi l’aval de sa majorité. Je ne crois cependant pas qu’il puisse être fait de comparaison avec la procédure américaine, modèle qui a pourtant été pris comme exemple dans la discussion de la réforme.
Lors de la révision constitutionnelle, mon groupe, souhaitant démontrer que les pouvoirs exorbitants dont dispose de fait le Président de la République, aujourd’hui chef du Gouvernement, ne pouvaient échapper à tout contrôle, avait proposé des amendements destinés à renforcer le pouvoir du Parlement sur les nominations qui sont du ressort du Président de la République en le faisant porter sur un nombre plus étendu de nominations.
Pour que le rôle du Parlement soit effectif, il fallait en outre que son pouvoir procède d’une commission unique, composée de membres des deux assemblées désignés à la proportionnelle des groupes ; cette commission aurait dû statuer par un vote positif aux trois cinquièmes pour avaliser la nomination.
Cette proposition a été refusée au nom d’arguments, que je qualifierai de spécieux, mettant en avant une double raison : d’une part, le risque de rendre difficiles les nominations, d’autre part, celui de les politiser !
C’est faire peu de cas du Parlement, car cela sous-entend que les parlementaires n’ont pas le sens de l’intérêt général, en tout cas moins que ne l’ont le Président de la République et le Gouvernement : ils ignoreraient donc que les personnes appelées à exercer de hautes fonctions doivent être nommées dans des délais raisonnables, et leurs choix seraient plus politiques que ceux du Président de la République ou du Gouvernement !
La politisation est un aspect accepté et qui peut difficilement être dépassé ; la question, c’est la légitimité des personnes nommées, leur crédibilité, leur suffisante indépendance dans l’exercice de leurs fonctions.
Je me garderai ici de citer nominativement qui que ce soit, mais je voudrais faire observer que les polémiques suscitées par la désignation de tel ou tel à la tête d’une commission chargée du redécoupage électoral, commission qui elle-même ne respecte pas le pluralisme, ou encore par diverses nominations à France Télécom, manifestent, hélas ! que l’hyperprésidentialisme doit sérieusement être contrôlé. L’instauration d’un pouvoir de veto effectif du Parlement – mais vous refusez même, mes chers collègues, qu’une des deux commissions des assemblées puisse s’opposer à une nomination par trois cinquièmes des votants ! – permettrait à coup sûr de donner une plus grande légitimité aux personnes retenues.
La liste déjà impressionnante d’emplois et de fonctions annexée au projet de loi organique confirme les pouvoirs très étendus du Président de la République, et donc la nécessité du contrôle parlementaire. En conséquence, nous ne pouvons que reformuler la proposition que nous avancions lors de la révision de la Constitution : une commission commune aux deux assemblées, désignée à la proportionnelle des groupes et devant émettre un avis positif sur les nominations à la majorité des trois cinquièmes.
Comme il n’est pas du pouvoir de la loi organique, et moins encore de la loi ordinaire, de modifier la Constitution, nous voterons en toute logique contre le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution qui nous sont aujourd’hui soumis.