Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 21 décembre 2009 à 14h30
Application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution — Adoption d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la question des nominations aux principaux emplois de responsabilité politique, économique et sociale dans la République, nous retrouvons, après en avoir posé les principes le 23 juillet 2008, l’une des innovations majeures de la réforme de nos institutions aussi bien que l’une des plus originales.

C’est une innovation majeure parce que, dans les affaires publiques presque autant que dans les affaires privées, l’action propre des hommes, avec ce qu’elle comporte de compétence théorique mais surtout de savoir-faire pratique et d’aléa circonstanciel, est bien souvent plus déterminante que ne le sont les définitions juridiques : la réalité des pouvoirs, c’est ce qu’en font ceux qui les détiennent. Cette vérité est généralement sous-estimée dans notre culture politique française, traditionnellement plus attirée par les spéculations sur les apparences que par l’observation et la prise en compte des réalités.

C’est une innovation originale parce que, autant la restitution au Parlement des pouvoirs qui correspondent à ses responsabilités, comme aux citoyens d’une capacité politique non strictement limitée aux votations, constitue ce que l’on a justement appelé un « rééquilibrage normal des pouvoirs » – et attendu, en tout cas sur les travées où je siège, depuis longtemps –, autant, la nomination des principaux agents de l’exécutif relevant normalement de ceux à qui ce pouvoir est confié, surtout s’il l’est directement par l’ensemble des citoyens, il peut apparaître singulier, voire même contradictoire, d’y associer le pouvoir législatif.

Ce partage ne va pas de soi. Il s’agit là de tout autre chose que l’exercice du contrôle, ce dernier n’ayant au demeurant que tardivement bénéficié d’une prise de conscience et d’une mise en œuvre réelle, dans laquelle notre assemblée a d’ailleurs joué un rôle très positif.

C’est ici le lieu de citer et de méditer un passage de L’Esprit des lois de Montesquieu qui est particulièrement éclairant : « Le corps représentant ne doit pas être choisi non plus pour prendre quelque résolution active, chose qu’il ne ferait pas bien ; mais pour faire des lois, ou pour voir si l’on a bien exécuté celles qu’il a faites, » – déjà le contrôle ! – « chose qu’il peut très bien faire, et qu’il n’y a même que lui qui puisse bien faire. »

Participer au pouvoir de nomination, c’est proprement partager le pouvoir exécutif dans l’une de ses attributions essentielles.

Mis à part la procédure de nomination des ambassadeurs aux États-Unis et la pratique de systèmes comparables en Grande Bretagne – où l’on vient de nommer suivant une procédure semblable, autant que je sache, le gouverneur de la Banque d’Angleterre – et en Italie, il ne semble pas qu’un tel partage soit la règle et l’usage dans toutes les autres démocraties.

Il convient de prendre conscience des conséquences prévisibles de cette procédure, qui va constituer dans d’assez nombreux cas une modalité de dévolution du pouvoir très nouvelle dans la mesure où elle ne relève ni d’un choix personnel, donc largement discrétionnaire, ni de l’élection, mais tend à associer les deux dans une synthèse dont, avouons-le, l’avenir seul nous dira si elle est pleinement satisfaisante.

La première conséquence de cette réforme, peut-être la plus considérable, réside dans le passage d’un acte instantané dont les préalables restent confidentiels à un processus qui aura une certaine durée et sera public. Il s’inscrira dans la durée parce que l’organisation des réunions des commissions parlementaires nécessite du temps, généralement plusieurs semaines ; le rapporteur a rappelé tout à l’heure que cela pouvait être plus compliqué que nous ne l’imaginons. Il sera public, ce qui signifie que la presse et à travers elle, très naturellement, l’opinion, seront prises à témoin et pratiquement associées à la procédure.

Ce dernier point me paraît être la caractéristique la plus importante du système. On imagine sans peine les investigations, les informations, voire les révélations dont toute personne proposée fera l’objet. Autant dire que celle-ci sera tournée et retournée à plaisir sur le « grill » de l’information, inévitablement très au-delà de ce que le strict domaine de la fonction envisagée nécessiterait. Ces incursions atteindront peut-être même son entourage ! Heureusement – et je suis heureux de pouvoir le dire, car on ne le pourrait pas par exemple en Grande-Bretagne –, notre presse nationale fait généralement preuve d’une discrétion louable en ce qui concerne la vie privée des personnes publiques. Souhaitons que cette déontologie continue d’être respectée ! Il n’en demeure pas moins que ces investigations iront souvent beaucoup plus loin que celles des commissions compétentes et qu’elles provoqueront du même coup une sorte de préemption par la presse et par l’opinion des pouvoirs des commissions, dont le rôle s’en trouvera inévitablement amoindri.

S’agissant de l’« examen de passage » devant la commission elle-même, l’expérience déjà acquise dans quelques cas particuliers – à la commission des lois, à la commission des affaires culturelles au Sénat – permet de penser avec contentement et confiance qu’il se déroulera d’une manière satisfaisante pour toutes les personnes concernées, c’est-à-dire avec ce qu’il faut de sérénité, de sérieux, d’objectivité.

La question du vote a déjà suscité des critiques qui ne manqueront pas de ressurgir – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat les a rappelées tout à l’heure – bien que ce point ait été tranché par le texte constitutionnel.

Pour notre part, nous sommes très largement et très résolument désireux d’éviter un vote majoritaire simple, qui aurait inéluctablement pour effet d’accentuer la politisation de la décision et donc de la dénaturer. Ce serait une grave erreur s’agissant de l’attribution des responsabilités d’un service public, qui doit autant que faire se peut échapper à la politisation. Il y va de l’autorité morale dont bénéficiera le titulaire de la fonction concernée. Aussi bien, il est assez évident qu’une candidature qui susciterait une opposition majoritaire dans l’une ou l’autre des commissions se trouverait inévitablement compromise et donc « battrait de l’aile ».

Pour ce qui est de la question particulière de la délégation de vote, nous approuvons tout à fait la position du rapporteur et de la commission, marquée comme d’habitude au coin d’une grande sagesse.

Au total, nous ne devons pas perdre de vue le fait que le choix des hommes est l’une des actions politiques les plus difficiles, parce que l’une des plus lourdes de conséquences assurées. Il ne faudrait pas que le système mis en place aboutisse à favoriser les personnalités… disons les moins caractérisées et, pour cette raison, ne suscitant aucun rejet. Il existe toujours quelques candidats qui ne déplairaient à personne : ce ne sont pas forcément les meilleurs. Le danger est grave qu’il en soit ainsi, et ce serait extrêmement fâcheux, d’autant qu’il est quasiment impossible de revenir sur ce genre de réforme.

Cette observation me conduit personnellement à penser que la liste des nominations concernées est peut-être un peu longue. Tout à l’heure, Mme Borvo Cohen-Seat l’a qualifiée d’« impressionnante » ; je ne sais pas si c’est parce que nous avons la même opinion, mais, pour ma part, je la trouve en tout cas un peu longue. Elle dépasse peut-être le cadre des responsabilités publiques à l’égard desquelles la démocratie justifie pleinement la recherche d’un consensus entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Il faut reconnaître que ce dernier n’est pas réellement constitué pour se livrer à un tel exercice !

En dépit de ces réserves, et non sans éprouver quelque inquiétude sur les éventuelles dérives qu’elle pourrait engendrer, j’estime que la réforme constitutionnelle va dans le bon sens. Le groupe de l’Union centriste, qui s’honore, dans sa très grande majorité, d’en avoir permis le vote – je rappelle qu’il a été acquis à une voix près ! –, approuve les dispositions proposées.

Notre groupe est pleinement conscient du fait que l’ensemble de cette réforme marque un pas en avant considérable vers une meilleure répartition des pouvoirs comme vers une meilleure reconnaissance des droits des citoyens, c’est-à-dire au total, vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, un grand progrès de notre démocratie.

Toutefois, cette avancée n’aura d’effet qu’à la condition que la mise en œuvre soit à la hauteur de notre attente, ce qui suppose sans doute, mes chers collègues, une meilleure compréhension mutuelle des forces politiques. Mais c’est là une autre histoire…

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