Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme destinée à encadrer le pouvoir de nomination par le Président de la République à des emplois qui se caractérisent par « leur importance pour la garantie des droits et libertés ou pour la vie économique et sociale de la nation » est à nos yeux le rendez-vous des occasions manquées.
Bien que l’essentiel du débat qui nous réunit aujourd’hui soit dépassé du fait de l’adoption de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, il n’est pas inutile de revenir sur l’enjeu que représente l’encadrement des pouvoirs de nomination du Président de la République en termes d’amélioration des pouvoirs de contrôle de l’exécutif, singulièrement du Président de la République, par le Parlement.
La volonté d’encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République part d’une bonne intention. Nous en avons défendu le principe pour une raison simple : un tel contrôle représente une avancée démocratique, car il permettrait d’éviter que de telles nominations n’apparaissent comme l’exclusif « fait du prince ».
Dans cette perspective, nous avions proposé une procédure qui nous semblait transparente et efficace. Mais, plutôt que de retenir l’idée d’une commission ad hoc, composée pour partie de députés et pour partie de sénateurs, statuant par un vote positif à une majorité qualifiée, le constituant a décidé, sur proposition du Sénat, que l’avis serait rendu dans le cadre d’une délibération distincte des commissions des deux assemblées ; le sens de l’avis serait quant à lui apprécié par l’addition des votes émis dans les deux commissions.
Par ailleurs, sur l’initiative de son rapporteur, l’Assemblée nationale a introduit un mécanisme de veto : dans l’hypothèse où plus des trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions seraient négatifs, le Président de la République ne pourrait procéder à la nomination et devrait soumettre une nouvelle proposition aux commissions.
Ainsi, au fil des lectures, la majorité a compliqué un mécanisme qui devait initialement être simple pour être transparent et être en mesure de susciter l’adhésion.
Le droit de veto n’a aucune chance de trouver à s’appliquer, puisque son exercice reviendrait pour la majorité à désavouer le choix du Président de la République : c’est improbable en temps habituel et inconcevable dans la configuration politique actuelle. Le dispositif mis en place aboutit, dans les faits, à laisser la décision exclusivement aux mains de la majorité et à donner au chef de l’État la possibilité de se placer à l’abri des critiques en se prévalant de l’avis du Parlement.
Il fallait au contraire, nous semble-t-il, rechercher un consensus et adopter un dispositif qui aurait permis d’associer l’opposition au choix des nominations, sans bien sûr lui accorder de pouvoir de blocage : il aurait suffi de veiller à ce que l’avis soit non pas un avis conforme, mais un avis simple. Le contrôle du Parlement en serait ressorti d’autant plus affermi que l’approbation aurait dépassé le champ de la majorité.
La pratique illustre mon propos. Nous avons pu, en effet, nous satisfaire des conditions dans lesquelles a été nommé le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, à propos duquel nous n’avons rencontré aucune difficulté pour réunir une majorité positive, sa nomination ayant été approuvée à l’unanimité sur le fondement de sa personnalité et de ses compétences.
En revanche, il n’en a pas été de même pour la désignation du président de la commission indépendante prévue à l’article 25 de la Constitution, chargée de se prononcer sur les projets de délimitation des circonscriptions législatives ou de modification de la répartition des sièges de députés ou de sénateurs.
Voilà donc une première occasion gâchée. L’objectif était bon, mais le dispositif mis en place est un leurre qui, dans la réalité, ne permet de faire accomplir aucun progrès notable – ou si peu ! – aux droits du Parlement et au pluralisme. Nous en prenons acte, même si nous le déplorons. Il ne s’agit pas de revenir sur le texte de la Constitution, adopté dans les conditions que nous savons.
En revanche, il convient à présent de s’intéresser aux deux projets de loi, organique et ordinaire, que vient de nous présenter notre collègue Patrice Gélard.
Textes d’application de la Constitution, et de ce fait en filiation directe avec la loi fondamentale, ces projets de loi ont hérité, en quelque sorte par « transmission récessive », du même défaut d’opacité.
C’est un fait établi : le système actuel de nomination aux emplois par le Président de la République repose sur un empilement de normes écrites, tantôt de nature organique, tantôt de nature réglementaire. S’y ajoutent des règles qui ne reposent sur aucun texte, ce qui permet difficilement d’en établir une liste exhaustive.
Les articles 13 et 21 de la Constitution reconnaissent au Président de la République et au Premier ministre une compétence pour nommer « aux emplois civils et militaires » de l’État.
L’ordonnance du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’État, prise sur la base de l’article 13 de la Constitution, énumère un certain nombre d’emplois pour lesquels la nomination intervient par décret signé par le Président de la République en conseil des ministres. Elle comporte également une liste d’emplois pourvus par décret simple du Président de la République ; dans ce dernier cas, les décrets sont contresignés par le ou les ministres compétents.
La même ordonnance prévoit par ailleurs que le Président de la République peut déléguer par décret l’exercice de son pouvoir de nomination pour les emplois autres que ceux qui sont énumérés par l’article 13 de la Constitution ou par ladite ordonnance. Enfin, elle s’accommode de nombreuses dispositions particulières attribuant aux ministres, voire aux autorités subordonnées, une compétence en matière de nomination.
On peut comprendre que les conditions du pouvoir de nomination répondent, pour des raisons pratiques, au souci de ne pas figer dans la Constitution une énumération nécessitant une mise à jour régulière. Il est au demeurant regrettable que l’étude d’impact, qui a suscité tant de commentaires de la part de nos collègues députés – n’est-ce pas, monsieur Gélard ? –, n’ait pas établi l’état du droit en dressant la liste complète des nominations qui relèvent du Président de la République.