Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les deux textes qui nous sont soumis aujourd’hui ont pour objet de permettre la mise en œuvre effective de l’une des dispositions les plus importantes de la révision constitutionnelle de 2008 : celle qui concerne la procédure de nomination aux emplois et fonctions publics, dont l’article 13 de la Constitution confie la responsabilité au Président de la République.
Cet article 13 est à géométrie variable. En effet, outre son contenu propre, il renvoie à une loi organique qui renvoie elle-même à des décrets en conseil des ministres. De ce fait, le champ des emplois et des fonctions publics délimité a beaucoup varié au cours de la Ve République, en fonction des circonstances politiques. En 1985, à la veille de la cohabitation, le Président de la République de l’époque n’avait pas hésité à gonfler de façon démesurée le champ des emplois publics soumis à l’approbation du conseil des ministres, afin de conserver un droit de veto.
Par conséquent, les textes que nous examinons aujourd’hui ne doivent pas être étudiés à l’aune de la conjoncture politique actuelle. Rien n’assure que le Président de la République contrôlera éternellement le Gouvernement et les deux assemblées. Il pourrait fort bien ne pas détenir de majorité à l’Assemblée nationale : cela s’est d’ailleurs produit à trois reprises sous la Ve République. Il pourrait également ne pas pouvoir compter sur le Sénat, comme ce fut le cas au cours des toutes premières années de la Ve République et pendant les deux premières cohabitations.
En réalité, nous devons nous demander si les textes que nous allons adopter seront applicables dans les prochaines années quels que soient les rapports de force existant entre les différents pouvoirs constitués.
L’article 13 de la Constitution, dans sa nouvelle rédaction, distingue les emplois régaliens, pour lesquels la procédure en vigueur depuis 1958 sera maintenue, de ceux qui ont une « importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ». Pour ces derniers, la procédure nouvelle comprend l’audition par la commission permanente compétente de chaque assemblée, suivie d’un vote. À ce titre, les commissions parlementaires sont dotées d’un droit de veto lorsque « l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ».
Cette innovation permettra d’introduire une réelle transparence dans les procédures de nomination. Les commissions parlementaires devront vérifier la compétence, l’éthique et l’indépendance des personnes proposées. La procédure sera publique, et cette publicité donnera aux auditions une dimension nationale qui aura plus d’effet que la menace d’un veto sur telle ou telle nomination ; elle permettra même de combler certaines lacunes des dispositions législatives et constitutionnelles.
Afin de mesurer l’ampleur potentielle du dispositif, prenons l’exemple des procédures de nomination aux emplois fédéraux en vigueur aux États-Unis.
Le texte même de la Constitution des États-Unis ne prévoyait aucune qualification pour le recrutement des membres de la Cour suprême fédérale. Ce sont la nécessité de l’avis conforme du Sénat et les auditions auxquelles il procède qui ont permis de fixer les critères de nomination des candidats choisis par le président américain : la qualification juridique, l’éthique personnelle et professionnelle, l’indépendance de jugement. Les auditions effectuées par le Sénat américain s’apparentent à un « grand oral », permettant au candidat de présenter son programme d’action et donnant au Sénat la possibilité de déceler et d’exclure tout candidat ne correspondant pas aux qualifications requises pour la fonction concernée, ou lorsqu’il existe un risque réel de conflit d’intérêts. On ose espérer que nos commissions parlementaires sauront faire preuve de la même exigence, afin que les auditions publiques auxquelles elles procéderont permettent de peser non seulement sur le choix, mais aussi, à titre préventif, sur le type de candidats qui leur seront présentés.
Par analogie avec le système américain, la nomination des membres du Conseil constitutionnel, par exemple, est désormais soumise à l’avis des commissions parlementaires, en vertu de l’article 2 du projet de loi organique.
Avant même que n’intervienne le présent projet de loi organique, notre assemblée a déjà eu l’occasion de se prononcer sur certaines candidatures soumises à la nomination présidentielle. Je pense notamment à l’avis de la commission des lois sur la nomination du président de la commission chargée de se prononcer sur les textes portant délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés, ainsi qu’à l’avis sur la nomination du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Pour ce dernier poste, la commission des lois, lors de sa réunion du 29 mai 2008, a procédé à un examen substantiel des compétences du candidat dans le domaine concerné et s’est assurée qu’il avait « une connaissance du monde pénitentiaire » grâce à son expérience de travail « en sa qualité de président de la Commission de suivi de la détention provisoire ». Le candidat avait présenté sa conception de la fonction sous forme d’un programme d’action ; les membres de la commission des lois se sont ensuite livrés à un véritable interrogatoire sur des questions de fond relevant de la fonction à pourvoir.
Cet exemple témoigne de l’importance de l’intervention parlementaire dans le processus de nomination par le Président de la République. L’avis du législateur, garant des libertés fondamentales, ainsi exprimé par l’une de ses commissions permanentes, conférera une plus grande légitimité aux candidats retenus et garantira la qualité et la transparence de la fonction.
Jusqu’alors, la soumission des candidatures à l’avis d’une commission parlementaire ne se faisait que d’une manière ponctuelle : soit sur la base d’une loi organique, soit sur le fondement d’une loi ordinaire. L’enjeu des textes qui nous sont soumis aujourd’hui est de préciser le dispositif permettant d’avoir une vision d’ensemble, une approche généralisée des nominations présidentielles.
Si le projet de loi organique fixe la liste des emplois et fonctions soumis à la nouvelle procédure d’avis parlementaire, le projet de loi ordinaire se borne à désigner concrètement la commission compétente au sein de chaque assemblée du Parlement.
Mes collègues du groupe UMP et moi-même estimons que la liste annexée au projet de loi organique, qui comporte quarante-neuf emplois ou fonctions, répond de manière satisfaisante aux critères retenus par l’article 13 de la Constitution. Sur proposition de son rapporteur, la commission des lois a entrepris d’ajouter à cette liste trois organismes : l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, la Commission de la sécurité des consommateurs, les Voies navigables de France. Elle a complété en conséquence le projet de loi ordinaire, afin de déterminer les commissions permanentes compétentes pour se prononcer sur ces nominations. Le groupe UMP s’en félicite.
Nous devons saluer la précision, introduite par l’Assemblée nationale, qui impose la simultanéité du dépouillement du scrutin sur les nominations dans les deux assemblées. Cette mesure, qui était souhaitable, permettra de préserver l’impartialité et d’assurer l’objectivité du scrutin dans les deux chambres et limitera l’influence de l’avis de l’une sur celui de l’autre.
Enfin, une modification importante a été introduite par la commission des lois du Sénat. Elle a procédé à la suppression de l’article 3 du projet de loi organique, introduit par l’Assemblée nationale, aux termes duquel « il ne peut y avoir de délégation lors d’un scrutin destiné à recueillir l’avis de la commission permanente compétente de chaque assemblée sur une proposition de nomination selon la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution ». Cet ajout excède d’une manière injustifiée, selon nous, les termes du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.
En effet, cette disposition ne prévoit dans aucun cas l’interdiction de la délégation. C’est la nouvelle rédaction de l’article 68 de la Constitution qui, la première, a introduit une telle limitation, et cela, vous le savez, mes chers collègues, pour la procédure de destitution du chef de l’État. À plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a validé tant la loi organique que les règlements des assemblées qui énumèrent les cas dans lesquels la délégation est permise.
Bien entendu, il est toujours loisible aux règlements des assemblées d’étendre ou de restreindre ces hypothèses, mais nulle disposition constitutionnelle ou législative n’établit, à aucun moment, la nécessité de suivre une procédure absolument identique dans les deux chambres. À cet égard, le groupe UMP apporte son soutien à notre rapporteur et considère que la question de la délégation de vote doit continuer à rester exclusivement du domaine des règlements respectifs des deux assemblées.
À l’occasion de la réforme des règlements du Sénat et de l’Assemblée nationale, à la suite de la révision constitutionnelle de 2008, les deux chambres ont retenu des dispositifs différents pour la mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution.
Dès lors, le groupe UMP considère qu’il y a lieu de s’en tenir strictement à l’énoncé de l’article 13 de la Constitution et de ne pas ajouter des conditions qui ne figurent pas dans cette disposition, les deux assemblées étant tout de même libres d’apporter des précisions procédurales supplémentaires, qui d'ailleurs ne relèvent nullement des textes aujourd’hui examinés, dans leurs règlements respectifs ! Enfin, rappelons-le à nos collègues députés, la Haute Assemblée s’est toujours montrée respectueuse de l’autonomie des deux chambres de notre Parlement.
Sous réserve de ces observations, le groupe UMP estime que l’adoption de ces deux textes d’application de la révision constitutionnelle permettra de donner sa pleine efficacité au dispositif visant à renforcer les prérogatives du Parlement et à contrebalancer le pouvoir du Président de la République en matière de nominations. Pour toutes ces raisons, il apporte son plus ferme soutien à ces textes.