Intervention de Robert Badinter

Réunion du 21 décembre 2009 à 14h30
Application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution — Vote sur l'ensemble

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je formulerai une observation très générale.

Nous nous sommes abstenus sur le projet de loi organique, et nous continuerons à nous abstenir sur le projet de loi ordinaire, mais il ne m’a pas semblé inutile d’en expliquer les motifs.

Par rapport à la situation actuelle, que l’évocation d’une discussion et d’un avis des commissions compétentes du Parlement sur les nominations du Président de la République soit un progrès, nous le reconnaissons volontiers.

Cependant, que cette évocation soit insuffisante et qu’elle appelle à ce titre une réflexion plus générale en cette fin de session, je souhaiterais le dire.

Insuffisante, M. de Montesquiou l’a rappelé, c’est évident pour tous.

Insuffisante, car lorsqu’on veut établir un véritable contrôle parlementaire sur les nominations de l’exécutif, on soumet la proposition faite par le Président de la République ou par le chef de l’exécutif à l’avis de la commission, avec pouvoir pour celle-ci de la refuser à la majorité ; c’est un vote positif.

Or ce qui nous est proposé dans le présent texte, et ce point a fait l’objet d’une discussion dans le cadre de la révision constitutionnelle, c’est tout simplement la possibilité laissée à la seule majorité de désavouer le Président. Et dans nos institutions, comment s’appelle la majorité ? Elle s’appelle la majorité présidentielle !

Il serait demandé à cette majorité présidentielle de démentir un choix fait par le Président de la République, cette majorité présidentielle étant absolument nécessaire pour y parvenir.

C’est là un paradoxe, qui n’existe pas dans les autres démocraties exerçant ce type de contrôle. Aux États-Unis, chacun le sait, le Sénat doit réunir la majorité des deux tiers en faveur d’une nomination. Il en est de même en Allemagne.

C’est ainsi que, sur ces points, on passe d’une république présidentielle à une république consensuelle, ce qui est beaucoup mieux.

En l’occurrence, si la commission compétente devait réunir une majorité positive des trois cinquièmes, cela requerrait un consensus et de la majorité et de l’opposition, et, du même coup, se trouveraient fortifiées l’indépendance et l’autorité de celle ou de celui qui est nommé.

Ce ne sera pas le cas avec le texte qui nous est soumis. J’ai eu la curiosité de vérifier la composition des deux commissions des lois. Celle de l’Assemblée nationale compte 73 membres et celle du Sénat, 48, soit un total de 121.

Pour parvenir à un vote négatif à la majorité des trois cinquièmes, il faudrait 73 voix. Or la totalité de l’opposition ne peut espérer en réunir que 55 au maximum. Pour atteindre ce seuil, il faudrait donc une désertion, c'est-à-dire non pas l’abstention, mais un vote négatif de 18 membres de la majorité. C’est à proprement parler inconcevable dans le système politique qui est le nôtre.

Cela m’amène à la réflexion générale que je souhaitais vous livrer. Avec ce texte, nous tombons dans un grand travers de nos institutions. Nous avons une sorte de talent particulier pour avoir l’air de faire des avancées démocratiques tout en réservant l’essentiel du pouvoir, dont on feint de concéder le contrôle à une nouvelle institution, par le moyen d’une limite des pouvoirs de celle-ci.

Regardez l’histoire constitutionnelle des cinquante dernières années.

On crée un Conseil constitutionnel, non pas l’esquisse d’une cour constitutionnelle, mais une instance de contrôle de la constitutionnalité des lois. Dans la Constitution, la saisine en a été réservée à l’origine aux autorités de l'État – huit affaires ont été traitées jusqu’en 1974 –, puis à partir de 1974 à soixante sénateurs ou à soixante députés, et il a fallu attendre plus de vingt ans pour en ouvrir l’accès aux citoyens.

On crée, à l’image des grandes démocraties du nord de l’Europe, un ombudsman, que l’on appelle médiateur, mais pour en limiter aussitôt la saisine aux représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat, et en écarter le citoyen. Là encore, ce dernier devra patienter des décennies pour y parvenir.

C’est la même chose pour d’autres institutions.

À chaque fois, on semble avoir peur d’aller jusqu’au bout de l’exigence d’une véritable démocratie contemporaine équilibrée.

Ce texte nous en offre encore l’illustration. Merveille ! Enfin le Parlement pourra s’opposer à une nomination du Président de la République ! Mais ce n’est pas exact.

Le seul avantage de cette procédure, c’est la publicité.

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