Il est vrai que la commission des lois a beaucoup travaillé, même si ce fut sans enthousiasme excessif – nous sommes quelques-uns à pouvoir en témoigner ! –, un peu comme s’il s’agissait d’honorer une commande de la Chancellerie.
D’ailleurs, nous sommes plusieurs, de différentes sensibilités politiques, à estimer, au vu de la situation actuelle de la France, que le Parlement avait sans doute des réformes plus urgentes à engager.
Finalement, qui réclame cette réforme ? Sans doute quelques avocats, peut-être aussi certains magistrats, peu nombreux selon moi. Quant aux justiciables, ils ignorent, pour la plupart, cette dualité de représentation devant la cour d’appel.
Le terme peut sembler excessif, mais cette réforme paraît essentiellement motivée par des considérations idéologiques. Elle trouve son origine dans la réflexion d’un homme qui, s’il a parfois des idées de génie, défend aussi, dans d’autres cas, des thèses sinon absurdes, du moins irréalistes. J’ai nommé Jacques Attali, dont la commission avait conclu à la nécessité de transformer la France en un grand pays libéral. Il était question de renoncer à l’exception française, de réaliser des économies, de réduire les privilèges et, finalement, de niveler la France selon le modèle américain.
Les propositions de Jacques Attali n’ont pas toutes rencontré le même succès que la réforme des collectivités territoriales. Mais celle qui nous intéresse aujourd’hui a été reprise par la commission Darrois, qui estima que cette fusion-absorption de la profession d’avoué était devenue absolument nécessaire, et même indiscutable dans son principe.
La modernisation de la procédure d’appel, loin d’être seulement une question technique, concerne aussi le fonctionnement de notre justice. Nous aurions peut-être pu envisager d’autres solutions que la mort des avoués. En tout cas, je ne pense pas qu’il faille enterrer vivants les avoués et leur personnel. Nous aurions sans doute dû avoir plus d’égards pour cette profession et ses salariés.
Regardons un peu le détail. Quel est le devenir des 434 avoués ? Ce texte prévoit de les jeter dans le monde de la concurrence, souvent féroce, des quelque 45 000 ou 50 000 avocats. Tout le reste n’est essentiellement qu’une fable.
Il est en effet illusoire de croire que les avocats vont recruter d’anciens avoués, et ce pour une raison simple : ils ne sont pas totalement ignorants de la procédure, loin de là, puisqu’ils la suivent déjà devant les tribunaux de grande instance, et qu’ils y participent devant les cours d’appel.
Il n’est certes pas impossible qu’un cabinet d’avocats recrute un avoué, mais il se heurtera rapidement aux réalités économiques de la profession. Les anciens avoués pourront, quant à eux, s’installer comme avocats, mais il faudra de longues années avant qu’un avoué puisse se constituer une clientèle lui permettant d’atteindre un équilibre financier.
Venons-en à l’indemnisation. Au nom des avoués, je vous remercie des propos que vous avez tenus, madame la garde des sceaux. Il est vrai que, dans le texte initial présenté par votre prédécesseur, indemnisation rimait avec spoliation. Rien ne justifiait que l’indemnité soit limitée à 66 % de la valeur de l’office. Pourquoi pas 50 % ou 80 % ? On est passé à 92 %, puis à 100 %. Nous vous en savons gré, madame la garde des sceaux.
Il me semble toutefois que cette indemnisation reste insuffisante, notamment pour les jeunes avoués, qui ne détiennent généralement que des parts minimes dans le capital des offices.
J’attire aussi votre attention sur un point de droit : le mode d’indemnisation aujourd’hui retenu ne va-t-il pas exposer la France à la censure de la Cour européenne des droits de l’homme ? En effet, depuis les arrêts Lallement de 2002 et 2003, que M. Gélard cite dans son rapport, la Cour a analysé des cas similaires comme constituant une perte de l’outil de travail, qui nécessite une indemnisation spécifique devant être calculée sur la base du revenu perdu sur plusieurs années. Si le mode de calcul retenu devait exposer la France à une condamnation par la Cour européenne, l’image de notre pays en pâtirait inévitablement.
La proposition de la commission des lois me semble opportune, et je regrette que vous vous y opposiez, madame la garde des sceaux. Il paraît en effet assez naturel de confier l’indemnisation de l’ensemble des préjudices des avoués à un juge, qui statuerait au terme d’une procédure contentieuse contradictoire. Puisqu’il s’agit de l’outil de travail et d’un élément de propriété, la proposition de la commission de confier la décision au juge de l’expropriation devrait recueillir notre assentiment.
Si nous soutenons cette mesure, nous nous devons également de préciser que le juge accordera sans doute une indemnisation assez nettement supérieure à celle que prévoit actuellement la Chancellerie. Se pose donc la question de savoir qui va payer. Ce sera le justiciable, donc le contribuable.
Après avoir posé la question de l’avenir des avoués, permettez-moi de poser celle de l’avenir des 1 650 salariés de leurs études.
Nous connaissions jusqu’à présent le licenciement pour faute ou pour motif économique ; nous nous trouvons là en présence d’un licenciement du fait de la loi. L’État et le Gouvernement ont donc une responsabilité tout à fait particulière qui justifie l’adoption de mesures dérogatoires au droit commun.
Qu’avons-nous prévu en termes de reclassement des salariés ? La plupart d’entre eux retrouveront difficilement un emploi dans la situation sociale actuelle. Leur moyenne d’âge atteint quarante-trois ans. Pour 90 %, il s’agit de femmes. Pour 55 %, leur niveau de qualification est inférieur ou égal au bac. Enfin, près de la moitié de ces personnes n’ont jamais exercé une autre profession. Il est malheureusement assez facile de prédire le résultat des recherches menées par un tel profil sur le marché du travail…
Là encore, ne racontons pas de fables, et ne spéculons pas sur des embauches par les cabinets d’avocats. Nous savons tous qu’elles seront marginales, et qu’elles ne rempliront pas l’objectif fixé, pour la simple raison que les avoués comptent en moyenne cinq fois plus de salariés que les cabinets d’avocats. Ces derniers ne vont évidemment pas modifier leur modèle économique pour absorber le personnel des études d’avoués.
Je remercie également la commission d’avoir accepté les deux amendements du groupe socialiste visant à permettre aux salariés recrutés par un cabinet d’avocat de conserver les avantages acquis chez leur ancien employeur, sur la base de leur convention collective, et de bénéficier de leurs cotisations au sein de la caisse de retraite du personnel des avocats.
Vous avez par ailleurs annoncé une voie d’intégration dans le personnel des greffes. Nous nous félicitons évidemment de cet effort de l’État. Néanmoins, les 380 postes prévus risquent d’être insuffisants, d’autant que les deux tiers correspondront à des emplois de catégorie C. Or tous les emplois occupés dans les études d’avoués ne relèvent pas nécessairement de cette catégorie. En définitive, la moitié des salariés n’auront aucune perspective d’emploi au moment de leur licenciement.
Sur la question de l’indemnisation, la commission a bien travaillé, en fixant, de façon dérogatoire, son montant à un mois de salaire par année d’ancienneté dans l’étude d’avoués. Nous sommes pour notre part limités par l’article 40 de la Constitution, qui nous interdit de faire des propositions en la matière, mais je pense que vous pourriez, madame la garde des sceaux, envisager de mettre en place un système de préretraite pour les salariés de plus de cinquante ans, ou de créer d’autres types de compensations temporaires pour ceux qui connaîtront une baisse de rémunération dans leur nouvel emploi. Des possibilités existent, comme la prime de reconversion.
En ce qui concerne le coût de la procédure, je voudrais, là aussi, remercier M. Gélard. Les émoluments d’un avoué par affaire s’élèvent aujourd’hui à 981 euros, selon l’étude d’impact fournie par la Chancellerie, et à 500 ou 600 euros, selon la Chambre nationale des avoués. En ce qui concerne le coût de la nouvelle procédure, le Conseil national des barreaux a proposé un forfait de postulation d’un montant de 800 euros, assorti d’une majoration par incident de procédure.
De surcroît, il faut ajouter à ces frais le coût du financement du fonds d’indemnisation des avoués et de leur personnel. Les justiciables devront acquitter une taxe destinée à l’alimenter, dont le montant a été fixé à 330 euros par l’article 28 de la loi de finances rectificatives pour 2009. Même si, à l’issue du débat à l’Assemblée nationale, il a été décidé que la charge de cette taxe incombera pour moitié à l’appelant et pour moitié à l’intimé, le montant global de celle-ci n’est pas modifié.
Avouez, monsieur Gélard, qu’il est quand même étrange d’arrêter le montant de la taxe destinée à financer le fonds d’indemnisation dans la loi de finances rectificative pour 2009, avant même d’avoir commencé l’examen du projet de loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel.
Monsieur le rapporteur, avec votre finesse habituelle – oralement, vous êtes plus abrupt – vous indiquez dans votre rapport écrit : « Il n’est pas certain que le justiciable ait à supporter finalement des dépenses plus faibles dans le cadre d’une procédure d’appel sans recours à un avoué. »
Je m’exprimerai plus brutalement : oui, la réforme coûtera plus cher au justiciable que le système actuel, à savoir 150 euros de plus pendant dix ans au moins, ce qui est totalement absurde. Peut-être faudra-t-il ultérieurement en réajuster le coût.
J’en viens maintenant aux conséquences de la réforme pour les procédures d’appel.
Selon l’étude d’impact, le nombre d’appels en matière civile devrait augmenter de 15 %. Je ne sais pas très bien comment a été obtenu ce chiffre, mais acceptons-le. Ainsi, cette réforme accroîtra le travail des greffes. Qu’avez-vous prévu pour que ceux-ci puissent absorber ces 20 000 affaires annuelles supplémentaires ?
Ensuite, cette réforme va intervenir au moment où les actes de procédure seront dématérialisés. Je suis favorable à cette dématérialisation, à la condition qu’elle soit efficace. Les greffes et les cabinets d’avocats disposent-ils des moyens informatiques compatibles entre eux ? Je n’en suis pas sûr. Dès lors, comment cette dématérialisation pourra-t-elle être mise en œuvre dès le 1er janvier 2011 ?
Dans cette attente, les greffes, au lieu de devoir travailler avec 434 avoués, vont devoir œuvrer avec 50 000 avocats.
Toutes ces raisons justifient de reporter la date d’entrée en vigueur de cette réforme, laquelle n’est pas réaliste.
S’agissant de la période de transition, je n’y suis pas favorable, contrairement à certains de nos collègues, et ce pour une raison simple : cette période sera source de confusion. D’ailleurs, j’ai noté qu’un certain nombre d’organisations syndicales de salariés n’y sont pas favorables. Évidemment, les uns, dans une sorte de réflexe de survie, essaieront de prendre des clients aux cabinets d’avocats pendant cette période où ils seront à la fois avoués et avocats, et les autres, les cabinets d’avocats, par instinct de conservation, multiplieront les litiges avec ceux qui les rejoindront demain. C’est organiser le désordre, ce qui n’est pas une bonne solution.
Afin d’éviter une telle situation, il existe une méthode simple : ne pas voter ce projet de loi.